La chambre voisine de François Emmanuel

La chambre voisine de François Emmanuel

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Persée, le 14 février 2002 (La Louvière, Inscrit le 29 juin 2001, 73 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 297ème position).
Visites : 5 362  (depuis Novembre 2007)

Sonate pour violoncelle

La plume de François Emmanuel s'élance comme l'archet sur un violoncelle, libère un long phrasé qui passe insensiblement de la lumière à l'ombre, se fond dans les replis les plus obscurs de l'âme, pour atteindre un sobre vibrato qui émeut le lecteur en douceur.
Cette écriture coule comme une eau souterraine qu'aucun gouffre n'arrête. pas de dialogue. Rien que du discours indirect. De la lecture pour mélomane averti. Pour amateur de violoncelle.
Il fait chaud cet été à Seignes la bien nommée. Une famille saigne d'un terrible secret qu'elle ne peut regarder en face. Le narrateur, un adolescent de 14 ans, ressent plus qu'il ne comprend cette angoisse sourde qu'on s'efforce de lui cacher. Par bribes et morceaux saisis dans la conversation des aînés, il tente d'élucider l'énigme.
Une de ses soeurs jumelles a disparu en Pologne, presque sous les yeux de ses parents. Jamais la famille de Seignes n'a pu en faire son deuil. Faut-il le croire vivante ou morte ?
Il faudra que le narrateur atteigne l'âge adulte pour poursuivre l'enquête en Pologne. Ce qu'il découvrira le fera passer du doute à l'apaisement. Après un détour par l'innommable qui fera vaciller ses repères.
Rien ici qui se complaise aux effets de manches. Pas de cuivres ni de cymbales. Seulement un lamento de violoncelle qui s'éteint dans ce silence tendu qui précède l'ovation.
Et on applaudit debout.

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Un pudique et poignant secret de famille

9 étoiles

Critique de Ori (Kraainem, Inscrit le 27 décembre 2004, 88 ans) - 9 juillet 2009

Dès les premières lignes, l’on devine que l’on aura affaire à une grande oeuvre, un ouvrage dont l’écriture somptueuse parvient à restituer le pathétique d’une mystérieuse disparition, celle de l’une des grandes sœurs jumelles du narrateur.

Défilent tous les étranges personnages d’une famille, complices du secret et que le héros, encore gamin, perçoit au travers de silences, de murmures, de bouts de phrases, éléments d’une dramaturgie quasi insoutenable.

La dernière partie de l’ouvrage nous fait découvrir un gamin devenu adulte et qui décrypte enfin son secret de famille.

Un immense roman d’à peine 190 pages … et dont on ne sort pas indemne !

Simplement suggérer

9 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 29 mars 2006

un livre dont il ne faut pas trop raconter, sous peine de déflorer l'intrigue et le plaisir du cheminement au creux de l'intrigue. Parce qu'au début, le lecteur devine, imagine, suppose... cela apporte une dimension très forte à ce récit qui s'écoule lentement dans la grande demeure familiale à l'ombre des secrets et des conflits latents. Puis le voyage commence, on sait où on va tout en ignorant ce que l'on va trouver. Quelque chose de terrible, sans aucun doute, un immense drame dont on découvre les derniers détails dans les dernières pages. En parler serait les dévoiler, inutile d'aller plus loin dans le résumé, trop de choses ont déjà été dites, beaucoup trop.

François Emmanuel signe ici un roman remarquable, écrit avec une plume trempée dans l'émotion et la sensibilité. Son écriture, sobre et grave, sied à merveille à ce jeu des miroirs qui se déroule à Seignes. Chaque personnage joue un rôle bien défini, prend sa juste place dans le récit avec une étonnante harmonie. A mes yeux, un des meilleurs livres de François Emmanuel.

Au coeur de la chair.

9 étoiles

Critique de Lucien (, Inscrit le 13 mars 2001, 68 ans) - 14 avril 2005

Un livre sombre, terrible. Au cœur de l’hiver. Au cœur de la chair. Un roman auquel, peut-être, la démarche analytique, rationnelle, ne peut s’appliquer, et dont je vais tenter de rendre compte au fil des notes de lecture, comme d’un labyrinthe où j’ai tâtonné sur les traces de personnages écorchés vifs, hantés par une monstrueuse énigme familiale, une fracture ancienne dont les esquilles jamais vraiment ressoudées taraudent et font souffrir longtemps après, toujours. Une lecture – la mienne – à ne pas lire avant d’ouvrir le livre, car elle dévoile trop.

Seignes. La table familiale, froide. La grand-mère, la mère, l’oncle un peu simple (« enfant de cinquante ans »), le narrateur (Ignace, un enfant réel celui-là, ou presque, quatorze ans), et sa sœur centrale, profonde, énigmatique : Maud, la violoncelliste.
« Il ne viendra pas » avait prophétisé la vieille. Et pourtant, « il » arrive, animé d’une « furie tranquille ». Et « il » arrive de Pologne, Tadeusz Gerzinski, l’ami du père mort.
Et les domestiques au dessin légèrement estompé, ombres dans l’ombre : Alexis, Faustina…
Maud silencieuse, absente, cloîtrée, solitaire, évadée. Et le drame soudain. Maud sur son lit, et le docteur, et des phrases à mi-voix, des allusions perçues par le jeune narrateur : « la dépravée de Granges », la « traînée », Joyce Smith Aguilar. Des images aussi : « poignet lacéré de petites éraflures », et les peintures du père, entreposées dans la « chambre voisine » : Maud et sa sœur Else, Maud et sa jumelle disparue.
Puis cette violente dispute au repas du soir, ce tragique « théâtre de masques » où éclate entre la mère et la fille, entre la grand-mère et la mère, « la vieille, intime, inexpiable haine ». « On m’a pris une de mes filles »… Else a disparu, en Pologne, dans le pays du père. Else qui occupait la « chambre voisine » de celle d’Ignace, cette chambre où Maud l’appelle pour lui remettre un cahier noir, un dossier.
Et nous comprenons peu à peu qu’un combat oppose deux camps, la grand-mère et Alexis d’un côté, Tadeusz et la mère de l’autre : un combat dont l’enjeu est Maud. Et nous apprenons que le père, Olszewski, le Polonais refusé par la grand-mère, est mort accidentellement, « broyé » par la chaîne de sa jeep, que sa belle-mère a tardé à appeler du secours. Nous surprenons l’histoire d’amour et de haine entre les jumelles.
Puis c’est l’incendie des ruches, le refuge de l’oncle Cyril, l’homme enfant à qui sa mère assène : « Tu n’es plus mon fils ». Et la détonation qui retentit dans la maison sinistre, claquant la porte de la première partie sur le suicide de l’oncle fou.

Oszkina. Quatorze ans plus tard. Ignace devenu un homme, en Pologne, à l’invitation de Tadeusz. Ignace sur les traces, peut-être, d’Else. La « traînée », Joyce Smith Aguilar, qui fut l’amante du père, la confidente de Maud, avant de devenir la presque vieille maîtresse d’Ignace, a évoqué cette amie polonaise du père, Magdalena Selankova. Tadeusz et Ignace essaient de dénouer chez elle les liens serrés du silence : « Elle a peur de la perdre »…
Et le secret ancien se dévoile peu à peu : Else disparue au cours d’un voyage en Pologne sur les traces du père mort, une excursion voulue par la mère pour ses filles ; Else disparue au cours d’un affût en forêt avec l’oncle Cyril et un braconnier, tous deux questionnés, suspectés, relâchés. Else devenue, peut-être, cette autre, cette Elzbieta Taschen-Olszewska dont Ignace suit les traces, cette sœur qu’il retrouve et qui parle à mots couverts de ce viol qui l’a laissée « vivante et mort », de cette métamorphose – « Je suis bien ici, c’est ma vie » – et qui demande à son frère de conserver le secret sur le viol : « Ne leur dis rien ».

Seignes. Six ans plus tard. Maud est mariée, sa fille, Nora, treize ans déjà. Vingt ans après les premières pages. La grand-mère est morte, la mère – devenue grand-mère à son tour – mourante. Samsara. Eternel jeu de dominos des générations. Else a été prévenue. Else viendra-t-elle ? C’est la même attente qu’au début pour Tadeusz. Else arrive, dit-on… Arrivera-t-elle à temps ? Rémission à cette annonce, répit pour la mère, pour la mort. L’agonie de cette femme… On songe à Portement de ma mère : « Nous ne parlions jamais d’amour à Seignes ». C’est pourtant d’amour qu’elle parle sur son lit de mort, la mère, de cet amour pour le mari polonais figé dans son éternelle jeunesse : « il était la folie de ma vie ».
Else arrive, Else est là. Et son mari, et son fils Lukasz. La mère peut partir, et les jumelles reconstituer leur couple interrompu par les années, et Else, enfin, révéler à son frère toute la vérité sur le viol, toute sa vérité sur l’oncle : « Je voudrais tant lui pardonner, Ignace »… L’oncle qui a violé, ou à tout le moins regardé faire.
Le livre peut enfin se fermer sur une longue, une superbe phrase de cinq pages où la famille reconstituée peut continuer à tourner, inlassablement, comme cette phrase interminable, autour du trio retrouvé et des enfants, des cousins provisoirement épargnés, Lucas et Nora, la Française et le Polonais, main dans la main, espoir encore.


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