Mamma, li Turchi ! de Gabriel Matzneff

Mamma, li Turchi ! de Gabriel Matzneff

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Dirlandaise, le 6 mars 2010 (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans)
La note : 7 étoiles
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Charmant périple vénitien

Trois personnes tout à fait différentes se trouvent réunies dans le même but : apprendre la langue italienne. Il y a Nathalie Bassano, lesbienne âgée d’une soixantaine d’années dont la mère a été déportée et gazée au camp de Ravensbrück, Raoul Drolet, un cinéaste quinquagénaire dont certains films lui ont valu l’accusation de pédophilie et finalement Georges Mendoza, un étudiant en médecine qui a abandonné ses études pour devenir moine au sein de l’Église orthodoxe sous le nom de père Guérassime. Les trois obéissent à des motivations bien différentes qui les poussent à retourner sur les bancs d’école à leur âge : Nathalie hérite de son oncle une maison en Italie et décide de s'y installer, Raoul Drolet cherche à se changer les idées et à fuir le quotidien qui est devenu un enfer pour lui depuis son accusation de pédophilie et le père Guérassime est mandaté par son supérieur en Italie pour une mission nécessitant d'être en mesure de s'exprimer dans la langue du pays. Les trois débutent donc leurs études à Paris au centre italien de la rue L’abbé-de-Saint-Cyran et les poursuivent ensuite à Venise à l’école Giorgio Baffo. Ils deviennent amis et des liens très agréables ne tardent pas à les unir et en faire un groupe soudé partageant joies, peines, confidences et plaisirs de la table.

On retrouve dans ce livre les thèmes matzneviens typiques soient la pédophilie, les liaisons hors normes, la lutte contre les conventions sociales et la police de la pensée, la camaraderie, la grande différence d’âge des couples et la situation de l’Église orthodoxe en France. Mais avant tout, l’auteur offre à ses lecteurs un beau voyage vénitien qui ne manque pas de charme. La lecture est un peu ardue car le texte est émaillé de mots, d’expressions, de phrases et même de chansons écrites en italien sans aucune trace de traduction donc au lecteur de déchiffrer la signification par lui-même ce qui n’est pas très difficile mais demande tout de même un certain effort.

J’ai retrouvé avec plaisir l’humour de monsieur Matzneff, son érudition, sa classe, son je-m’en-foutisme, son goût de la provocation et du scandale. On retrouve aussi des personnages qui ont peuplé ses romans précédents tels l’archimandrite Spiridon, maître Béchu et Alphonse Dulaurier. J’aime bien quand un auteur nous ramène ainsi certains personnages de ses romans précédents. Cela contribue à lui attacher ses lecteurs qui en viennent à bien connaître son univers qui lui devient peu à peu familier. Et comme d’habitude, l’écrivain s’incarne dans le personnage de Raoul Drolet qui cette fois est cinéaste et non homme de lettres. Par le biais de ce personnage, Gabriel Matzneff démontre de quelle façon l’ostracisme et la haine de son entourage l’ont marqué et presque poussé au suicide et comment il a réussi à surmonter cet enfer qu’était devenu sa vie de paria. J’ai regretté cependant l’absence de belles phrases poétiques et d’envolées littéraires qui m’ont toujours enchantée lors de mes lectures précédentes de cet auteur que j’affectionne particulièrement. Il y en a bien un peu mais pas autant que d’habitude. De plus, le fait qu’il s’adresse souvent à ses lectrices et lecteurs me le rend encore plus sympathique et attachant. J’ai aussi remarqué qu’il est moins centré sur ses malheurs et problèmes personnels, moins égocentrique qu’avant.

Bref, c’est un beau périple dans un pays dont la réputation de destination touristique mondiale de premier plan n’est plus à faire. Et il est évident que monsieur Matzneff aime Venise, a visité cette ville à de multiples reprises et la connaît bien car il est un guide touristique tout à fait compétent et avec lui, on ne peut qu’aimer l’Italie et souhaiter y être.

« À peine installée dans la maison héritée de l’oncle Umberto, fondamenta San Felice, Nathalie fit, un brumeux matin d’automne, une promenade solitaire dans le quartier constitué par le Ghetto Vecchio, le Ghetto Nuovo et le Ghetto Nuovissimo. Elle pensait aux yeux bleus de sa mère, à ses cheveux blonds, à sa taille élancée, à ses mains fines (dont elle n’avait aucun souvenir réel, mais qu’en cet instant elle réinventait, tel un restaurateur d’icônes anciennes qui, sous la couche noire formée par la fumée des cierges et du temps, redécouvre le doux visage d’une Vierge, ou la tunique rouge d’une martyre, ou la clarté d’une aile d’archange) et fut saisie par une bouffée de rage en imaginant les brutalités, les humiliations que celle-ci avait dû subir avant d’être jetée par ses bourreaux dans une chambre à gaz ou un four crématoire. »

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