Ethique économique et sociale de Christian Arnsperger, Philippe Van Parijs

Ethique économique et sociale de Christian Arnsperger, Philippe Van Parijs

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Saule, le 27 février 2010 (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans)
La note : 8 étoiles
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Qu'est-ce qu'une société juste ?

Ce petit livre est une excellente introduction au domaine de l'éthique sociale et économique. Les concepts de base ainsi que les mouvements principaux sont clairement présentés : ceci devrait permettre à tout un chacun de réfléchir au concept de justice sociale et se faire sa propre idée sur ce que devrait être une société juste. Il est très intéressant de confronter ses propres intuitions avec la théorie établie et de voir les points forts et les points faibles des différents courants. Ci-dessous quelques notes prises lors de la lecture de ce petit livre, en espérant que cela donnera envie d'approfondir le sujet à d'autres (et en espérant ne pas faire des erreurs !).

«Si la science a trait à ce qui est, l'éthique porte sur ce qui doit être.» La démarche éthique implique donc l'énoncé de jugements de valeur (énoncés normatifs), au contraire de la science qui énonce des faits (énoncés descriptifs). Par exemple : est-ce qu'une société juste doit promouvoir l'égalité entre ses membres, ou doit-elle favoriser la liberté individuelle de chaque membre ? Faut-il empêcher les demandeurs d'asile de s'installer chez nous ou faut-il les accueillir ? Est-ce qu'il faut libéraliser le régime des soins de santé ?

Avec David Hume, on a la preuve qu'il est impossible d'énoncer des affirmations normatives à partir de prémisses descriptives. Mais alors, est-ce que l'éthique doit se cantonner à la simple expression de pures opinions ? Ou alors, nécessite-t-elle la soumission à une règle morale de type religieux ? Heureusement, non ! Les auteurs nous expliquent qu'il est tout à fait possible d'énoncer des jugements éthiques qui soient valides, dans le sens qu'ils ont une cohérence interne avec des principes moraux énoncés a-priori. Pour comprendre cela, il faut garder en tête le point suivant, très simple mais fondamental : «il nous est aussi difficile de nier qu'il y ait des actions bonnes et des actions mauvaises, des situations justes et des situations injustes, qu'il nous est difficile de nier qu'il y ait des propositions vraies et des propositions fausses.».

Il y a quatre approches modernes de l'éthique sociale et économique : l'utilitarisme, le libértarisme, le marxisme et l'égalitarisme libéral. Ces quatre optiques couvrent pour ainsi dire la totalité du champ de l'éthique sociale et économique. Par exemple, pour caractériser le néo-libéralisme, les auteurs parlent d'un «ensemble bigarré d'arguments dont la conclusion recommande un recours accru au marché, mais dont la prémisse normative majeure relève dans ses conditions extrême du libertarisme, le plus souvent de l'utilitarisme, parfois même de l'égalitarisme libéral». Chaque idéologie couramment rencontrée peut être réduite à un ou plusieurs des quatre courants principaux.

L'utilitarisme, le plus ancien des courant de pensées, postule que «une société juste est une société heureuse». Une société bonne est une société dans laquelle le bien-être (l'utilité) de chacun des membres est maximal. Que ce soit l'utilité totale des membres de la société ou l'utilité moyenne. Cette approche de la justice sociale pose certains problèmes : le risque d'irrationalité collective, risque d'inégalités, pas de garantie en ce qui concerne les libertés, problèmes de mesure de l'utilité,...

Pour les libértaristes, «une société juste est une société libre». Le premier principe est celui de la liberté de soi (droit absolu de disposer de sa personne et de ses talents). Le deuxième celui de la libre circulation (qui concerne le transfert d'un titre de propriété). Un problème épineux, est celui de "l'appropriation originelle". Dans une version de base, le libertarisme se contente du "premier arrivé, premier servi". Pour adoucir ce principe extrême, différentes variantes ont été pensées, afin d'indemniser les autres en cas d'appropriation privée de ressources naturelles par exemple.

Adhérer au libertarisme, c'est valider le capitalisme. Le libertarisme est une composante philosophique importante du néo-liberalisme, qui prône la liberté individuelle et l'absence de corrections apportées par l'état. La critique la plus judicieuse du libertarisme est celle qui l'attaque à son cœur, et qui consiste à remettre en cause la liberté de chacun. Il est clair qu'en fonction des conditions économiques et de dépendance, la liberté peut devenir purement formelle, c'est-à-dire impossible à exercer dans les faits (si je n'ai pas d'argent, j'ai beau être libre de ne pas travailler dans la mine, il faut bien que j'y aille pour manger !).

Pour le marxiste, une société juste est une société égalitaire. Mais aussi : une société juste est une société dans laquelle les travailleurs ne sont pas aliénés. Il faut d'abord noter que dans l'esprit de Marx, le marxisme n'est certainement pas une éthique : au contraire, Marx était très attaché à l'aspect scientifique de sa théorie. Ça n'empêche que le marxisme, en tant que courant de pensées, a continué à évoluer et en particulier dans le domaine de la justice sociale.

Pour lutter contre l'aliénation, la théorie marxiste veut dans un premier temps établir une société d'abondance, ce qui devrait être possible compte tenu de notre niveau de développement. Afin d'y parvenir, il vaut mieux organiser la production de manière centralisée, ceci afin d'éviter les gaspillages inhérents à la propriété privée des moyens de production et à l'économie de marché. Une fois l'abondance assurée, il sera alors possible de satisfaire les besoins matériels de chacun, sans qu'il ne soit nécessaire d'exercer une activité rémunératrice ("à chacun selon ses besoins").

Une deuxième composante du marxisme, c'est la lutte contre l'exploitation de l'homme par l'homme. Cette exploitation est une caractéristique du capitalisme. La propriété privée des moyens de production implique en effet l'appropriation du sur-travail par le capitaliste, au détriment du travailleur.

Note : mes convictions me situent clairement dans la mouvance marxiste. Quoique d'une part les concept de société d'abondance et le productivisme associé me semblent néfastes, au vu de la situation écologique de notre planète. En outre, une éthique de vie saine devrait selon moi encourager à un juste renoncement devant les richesses matérielles (détachement) et une saine acceptation de notre condition de mortels.

Les auteurs réservent la plus grande place au courant éthique initié par John Rawls ("Une théorie de la Justice") : l'égalitarisme libéral. Ce courant a pour ambition de combiner les principes de liberté et d'égalité. John Rawls introduit la notion de biens premiers : les biens premiers naturels (santé, talents) et les biens premiers sociaux (libertés fondamentales et avantages socio-économiques). La première condition d'une société juste est le respect du principe d'égale liberté : toute personne a un droit égal à un ensemble le plus étendu de libertés fondamentales (dans le respect des libertés fondamentales des autres). Le deuxième principe est le principe de différence : les inégalités sociales et économiques doivent être au bénéfice des plus démunis. Une société égalitariste libérale tolère les inégalités mais avec la condition que la situation des plus démunis ne soit pas pire du fait des inégalités (à comparer avec l'option préférentielle pour les pauvres des théologiens de la libération). Par exemple, il arrive que des inégalités sociales améliorent la situation de tous, y compris des plus pauvres, et dans ce cas ces inégalités sont légitimes. Rawls justifie son concept de justice sociale sur base d'une situation originelle basée sur le "voile d'ignorance". Le livre élabore sur diverses variantes et évolutions ainsi qu'un aperçu des différents points problématiques.

Note : il y a encore beaucoup à dire sur l'égalitarisme libéral. Le lecteur est renvoyé au livre, et pourquoi pas à l'abondante référence en fin d'ouvrage.

Dans une dernière partie, très pédagogique, les auteurs appliquent les différentes théories pour répondre à deux questions éthiques : la question des immigrés (faut-il les accepter ou faut-il les refouler ?) et la question des soins de santé (faut-il les laisser au libre jeu du marché ?)

Ce petit livre est très pédagogique et constitue une solide introduction à un domaine de la vie économique et sociale qui nous concerne tous directement. Il est très utile de prendre conscience des problèmes éthiques, de réfléchir au concept de justice sociale, de comprendre les réponses apportées par différents mouvements, ainsi que les points d'achoppement. Ceci afin d'affiner sa propre perception et se faire une conviction en connaissance de cause.

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