Au château d'Argol de Julien Gracq

Au château d'Argol de Julien Gracq

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucien, le 2 janvier 2002 (Inscrit le 13 mars 2001, 68 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (40 970ème position).
Visites : 8 251  (depuis Novembre 2007)

Un philtre magique d'amour et de mort

« Quoique la campagne fût chaude encore de tout le soleil de l’après-midi, Albert s'engagea sur la longue route qui conduisait à Argol. » Ainsi commence ce petit roman magique, le premier de Julien Gracq, un « aristocrate » des lettres françaises.
Julien Gracq, pseudonyme de Louis Poirier… Julien comme Sorel, et Gracq comme la célèbre famille romaine des Gracques. Julien Gracq, fidèle durant toute sa carrière à la confidentielle maison José Corti (ces livres imprimés à l’ancienne qui offrent encore au lecteur le rare plaisir de les « couper » pour pouvoir les lire. premier plaisir, joie sensuelle de la découverte précédant la joie intellectuelle de la lecture). Gracq, qui refusa toute sa vie d'être publié en livre de poche. Gracq, qui refusa aussi le Goncourt attribué à son « Rivage des Syrtes » en 1951. Julien Gracq, auteur, en 1950, d'un pamphlet plus que jamais à l'ordre du jour sur le monde français des lettres – « La littérature à l’estomac » &dont voici un bref extrait : « La littérature en France s'écrit et se critique sur un fond sonore qui n'est qu’à elle, et qui n'en est sans doute pas entièrement séparable : une rumeur de foule survoltée et instable, et quelque chose comme le murmure enfiévré d'une perpétuelle Bourse aux valeurs. Et en effet – peu importe son volume exact et son nombre & ce public en continuel frottement (il y a toujours eu à Paris des "salons " ou des "quartiers littéraires") comme un public de Bourse a la particularité bizarre d'être à peu près constamment en "état de foule" : même happement avide des nouvelles fraîches, aussitôt bues partout à la fois comme l'eau par le sable, aussitôt amplifiées en bruits, monnayées en échos, en rumeurs de coulisses. » Bernhild Boie présente ainsi « Au château d'Argol », dans l'édition des « Œuvres complètes » (La Pléiade) : « La ligne du récit est extrêmement simple. Son sujet ne se résume ni par une intrigue, ni par une action mais par une situation : deux hommes et une femme que le "drame de la fascination" réunit et retient dans un château isolé. Le roman commence par un voyage et donc par une rupture. Il s'établit dans une demeure perdue, coupée du monde : le manoir d'Argol, et dans un espace temporel en marge : les vacances. » Une ligne extrêmement simple, oui. Une épure. Alors pourquoi parlais-je, au début de cette critique, d’un « roman magique » ? Parce que cette œuvre plonge ses racines dans un terreau très riche. Terreau littéraire : les excentricités du style baroque, habile à mêler les contraires – vie et mort, feu et glace. & ; le Balzac flamboyant de « Seraphîta », de « Louis Lambert » ; le Nerval d’ « Aurélia » ; le Chateaubriand de « René » ; Edgar Poe traduit par Baudelaire. Tout un romantisme noir, vibrant, excessif. Et puis, bien sûr, Lautréamont et le surréalisme, Breton en tête, qui fut parmi les… 150 lecteurs de la première édition (Gracq lui avait envoyé le livre). Breton écrivait, dans le premier « Manifeste du surréalisme », que le merveilleux seul était capable de féconder un genre inférieur comme le roman. Gracq, dans ce conte de fées pour adultes, devait exaucer le vÏu du « maître » de la plus belle façon. Terreau philosophique : Hegel et sa dialectique. Les deux personnages principaux, Albert et Herminien (celui-ci « âme damnée » de celui-là) apparaissent comme deux êtres antithétiques et complémentaires tournés vers l'impossible et fatale synthèse. Tournés aussi, bien sûr, vers le troisième sommet du triangle, Heide, incarnation de la femme, de l’amour, du désir :
« Incroyable était alors leur félicité, leurs inépuisables et absorbantes délices, et dans l'eau profonde de leurs yeux, au plus profond ils plongeaient comme de vigoureux nageurs et prolongeaient jusqu'au plus complet vertige la fixité de leurs regards insoutenables, où la glace même des abîmes alternait avec la flamme atroce du soleil. » Terreau musical : l'œuvre est parcourue de références musicales où domine l'opéra wagnérien (Lohengrin, Parsifal & le supplice du roi Amfortas joue un rôle emblématique comme illustration des relations entre Albert et Herminien) mais aussi de SA musique propre. Les phrases, périodes longues et souplement rythmées, invitent à une « navigation » qui rappelle Baudelaire (« La musique souvent me prend comme une mer… »). La « navigation » est d'ailleurs l’une des métaphores dominantes du livre ; le château d’Argol, coincé entre la forêt et la mer (on songe au château d’Allemonde, dans « Pelléas et Mélisande » de Maeterlinck), évoque un navire en partance vers un destin qui, dès les premières pages, semble « frapper à la porte » ; un autre emploi de cette métaphore obsédante dans l’extrait où c'est le ciel qui semble naviguer par-dessus la terre :
« Un énorme nuage naviguait alors avec lenteur au-dessus des espaces de la mer, comme le visiteur miséricordieux de ces plaines liquides ignorées des vaisseaux. Rien ne peut dépeindre la comblante et lente majesté avec laquelle s'effectuait cette navigation céleste. Il sembla s'avancer un moment vers le fond de la baie, puis, suivant une courbe solennelle, parut virer dans la direction de l'est, faisant alors admirer le contraste qui se déployait, comme sur une voilure aérienne, entre son ventre bombé, d'un blanc pur et éblouissant, et les profonds golfes d'ombre qui paraissaient s'ouvrir dans son sein. Un instant il oscilla de toute sa masse, illuminant ce paysage de mort de son orageuse et candide royauté, puis s'éloigna, et quelques instants après, le sifflement incessant du vent dans les herbes sèches, et les pas monotones et étouffés d'un cheval dans le sable parurent le seul signe de vie qui animât encore les grèves désertes. » Souterrains à toiles d'araignées, hautes murailles désolées, cimetière battu par les vents, forêt profonde, amour et mort… autant d’ingrédients de ce livre bourré d'adjectifs et de mots baroques, sans une seule ligne de dialogues. Un livre qui peut agacer suprêmement ou séduire comme un charme, comme un philtre, les lecteurs prêts à entreprendre cet inquiétant voyage.

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4 étoiles!

8 étoiles

Critique de Js75 (, Inscrit le 14 septembre 2009, 40 ans) - 19 juillet 2010

Au château d'Argol est un ouvrage écrit par Julien Gracq. L'intrigue est fouillée, intéressante mais ce qui ma le plus marqué c'est le style, foisonnant, riche, proche de la perfection. Un très bon livre onirique, énigmatique, romantique (triangle amoureux). A lire absolument.

Un château inaccessible!

3 étoiles

Critique de Léonce_laplanche (Périgueux, Inscrit le 22 octobre 2004, 87 ans) - 24 octobre 2004

Jusqu'à présent, je n'avais lu qu'un seul ouvrage de Gracq " Le rivage des Syrtes". Une belle allégorie sur la crainte de l'autre, l'attente du pire....que l'on provoque même, quand il ne vient pas.
Cela reste un de mes livres préférés.
Avec le château d'Argol la déception a été à la hauteur de mes attentes! Livre peu compréhensible et difficilement lisible.
Cela m'ennuie de dire cela car l'homme est un modèle de probité intellectuelle, et probablement le meilleur prosateur français de la seconde moitié du 20 eme siecle.
L'ouvrage date de 1938, c'est le premier livre de Gracq, et il est considéré comme le premier roman surréaliste.
Trois personnes de qualité se retrouvent, en vase clos au château d'Argol: deux hommes et une femme. On comprend rapidement que celle ci n'est qu'un objet.
Chaque homme est fasciné par l'autre, qui est à la fois son double et son contraire.
Pas d'intrigue, pas de dialogue, pas d'action, simplement des situations.
Et l'on a alors "des âmes qui frémissent", des visions ou des rêves, des morts qui ressuscitent, une fin tragique. Mais la fin de quoi ?

L'écriture est grammaticalement parfaite, mais d'une complexité inutilement excessive.
Cet ouvrage fut, malheureusement, une déception.

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