La chambre de Jean-Clet Martin

La chambre de Jean-Clet Martin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Becdanlo, le 13 juillet 2009 (Grenoble, Inscrit le 3 octobre 2004, 111 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 106ème position).
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Ça ne se bouquine pas, ça se lit

Un récit autour d'une chambre où se sont succédés des occupants avec leurs histoires, des objets ou des traces...
J'ai adoré le chapitre 8, qui comporte un long plan séquence à bord d'un autobus bloqué dans un encombrement. Plus de deux pages consacrées à la contemplation... une véritable méditation sur le présent, une écriture quasiment phénoménologique:

"A côté du siège, donnant sur le trottoir, la rose était toujours là, à égale distance entre deux barreaux, l'abeille posée sur ses pétales enveloppants, difficiles à écarter, rendant la pénétration impossible. Mais la bestiole s’obstina, sans doute à cause de la couleur et de la taille de la fleur. On pouvait voir passer, au même instant, un couple qui occultait subrepticement le rosier. Une jeune femme embrassait le cou d’un homme un peu plus âgé, grand et mince, qui offrait une surface imposante par le choix des habits et les gestes mesurés pour le mettre en valeur." (page 54)

J'ai aussi aimé cette sorte d'anthropomorphie attribuée au objets, comme la texture d'une toiles ou cette statuette africaine qui fait le lien entre les différents occupants de la chambre:

"La statuette était cabossée de coups, repolie par la main, marquée par les éclatements du temps mais encore par les traces du couteau, qui suivaient le sens des stries, la manière dont le bois pouvait se fendre, comme si l’artiste voulait mettre à nu les sceaux laissés par la croissance du végétal, par la sève desséchée ses veines. On aurait dit qu’il désirait faire parler les forces en lutte dans cette matière. Pas étonnant que le motif réalisé consonât si bien avec la mère dont le ventre poussait à travers les striures naturelles du bois. Sur l’arrondi de l’abdomen, Pauline pouvait encore distinguer, avec peine, l’empreinte d'un pouce effilé, sans doute féminin. Elle ressentit, entre ses mains, comme une impulsion, un faible contact avec une histoire qui n’était plus la sienne, mais dont le bois poli constituait cependant un joint, un point de passage. Elle sentit fourmiller, sous ses mains, tous ceux qui s’étaient transmis ce bois sacré, de proche en proche, l’ensemble ouvert des légataires qui y avaient versé les quelques larmes de leur trop brève biographie". (page 158)

La « Chambre » ne retient pas l'attention par son intrigue mais par une une ambiance très particulière due à la peinture de Hopper, aux paysages de la ville, à leurs lumières, et à « l'envoûtement » d'un voyage en afrique.

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Les éditions

  • La chambre [Texte imprimé], roman Jean-Clet Martin
    de Martin, Jean-Clet
    Leo Scheer / Manuscrits (Paris. 2008)
    ISBN : 9782756101590 ; 11,00 € ; 17/02/2009 ; 232 p. ; Broché
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Une chambre, une monade, un monde...

9 étoiles

Critique de Ananasframboise (Mulhouse, Inscrite le 13 février 2007, 60 ans) - 20 décembre 2009

Qu’y a-t-il à l’origine d’un roman ? Trop souvent, le besoin presque maladif de se raconter, de donner une importance démesurée à sa petite vie. Le piège de l’autofiction guette la plupart des auteurs d’aujourd’hui, réduisant l’écriture romanesque à un exercice nombriliste et, il faut l’avouer, peu intéressant pour le lecteur. Mais parfois, le hasard (ou le destin) favorise la rencontre avec un texte hors norme, évitant avec intelligence et brio les embûches narcissiques dans lesquelles tombent très souvent les romanciers d’aujourd’hui. La Chambre de Jean-Clet Martin fait partie de ces heureuses et trop rares surprises…
Cette chambre, lieu clos éclairé par une lucarne traversée par l’intense rayonnement du soleil, est le point de rencontre entre l’intérieur et l’extérieur, mais aussi, de façon différée, entre les trois protagonistes de l’œuvre. Propice à la réflexion, à la solitude, elle se laisse cependant pénétrer par le monde, lumières, sons, effluves provenant de l’extérieur, à la manière d’une monade. Elle conserve en elle l’empreinte des corps qui y ont vécu, à travers des traces (celles d’un cendrier, d’un verre), des objets abandonnés qui prennent au fur et à mesure une place de plus en plus grande, comme cet album consacré à Hopper, qui constitue un lien entre les personnages, mais aussi avec le lecteur. Jean-Clet Martin nous offre ainsi des repères identifiables – la peinture de Hopper, de Manet : en réalité, plus que des repères, les œuvres constituent un départ ou un aboutissement. De nombreuses scènes (j’ose ce terme cinématographique, mais il me paraît refléter la structure du roman) renvoient à Hopper : Marlène et Serge, les futurs amants dans le bar se reflètent dans les personnages de Nighthawk; Pauline, seule dans sa chambre, offre l’image à la fois sensuelle et éthérée de la jeune femme de Morning in a city…
D’ailleurs, ce roman à l’écriture précise et précieuse, taillée et polie comme les faces d’un joyau, concilie sensualité et abstraction, comme Hopper dans ses toiles, à la fois stylisées et fortement marquées par la présence –ou l’absence- des corps. La matière s’allie à l’immatériel ; la vitre crée une frontière en même temps qu’un seuil. Elle isole les êtres du reste du monde, et paradoxalement donne accès à eux. Vitrine ou fenêtre, elle sépare et unit, par la transparence, le rayonnement qu’elle rend possible. Ce lien se prolonge en aura, substance immatérielle d’un corps disparu, par l’imperceptible trace laissée sur la surface brillante d’une table basse. Dans ces objets oubliés, ces marques presque effacées, les morts survivent au néant et à l’oubli.
Pourtant, le livre n’est pas un huis-clos : il propose un parcours qui s’éloigne de la chambre, de la ville, pour conduire très loin deux de ses personnages ! Cette ville sans nom nous devient presque familière : le pont Kamaran, traversé et retraversé, le fleuve aux eaux mouvantes, le bar, le musée, la bibliothèque…Chacun de ces espaces ouvre une réflexion : la bibliothèque évoque le labyrinthe borgésien, le musée est un lieu vivant, où se nouent des intrigues, où le visiteur est parfois un reflet des personnages des œuvres exposées (celles de Hopper). Les toiles du peintre s’animent, au restaurant par exemple où l’œil de Marlène est attiré par un couple qui semble sorti de Chambre à New-York. Chaque déplacement semble constituer un voyage en miniature, comme dans ce bus qui donne l’occasion d’une réflexion sur le point de vue, sur le dépaysement, et même sur la philosophie présocratique ! A travers une étonnante mise en abyme, le lecteur se trouve projeté dans le parcours romanesque des personnages : chaque page recèle une occasion de réfléchir, et Jean-Clet Martin, sans rien imposer, suggère des pistes, distille des références littéraires, artistiques, philosophiques…
Le lecteur peut y suivre son propre chemin : la première lecture de ce roman m’a véritablement happée dans une réflexion sur l’empreinte comme persistance d’un corps au-delà de la mort, comme lien avec l’être disparu. Mais la richesse et la beauté du livre de Jean-Clet Martin se dévoile à chaque instant ; les méandres de l’intrigue épousent et révèlent nos interrogations existentielles, et, comme par magie, nous offrent des réponses.

PS : j'ai publié ce texte sur mon blog - je le reprends ici sans le modifier, constatant qu'avec le temps cette critique aurait pu évoluer, mais l'essentiel en serait demeuré...

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