La robe de Robert Alexis

La robe de Robert Alexis

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Paquerette01, le 1 octobre 2008 (Chambly, Inscrite le 11 juillet 2008, 52 ans)
La note : 5 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (39 856ème position).
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Original et décalé...

"Un jeune officier issu de la noblesse embrasse la carrière militaire, mais goûte peu à l'atmosphère paillarde de la caserne. L'ennui s'évanouit par miracle devant une italienne somptueuse, déesse des moeurs libertines. L'amour et la fascination l'égarent dans un dédale de perversions inattendues, avec pour seule liberté le choix de sa propre rédemption..."

J'ai choisi ce livre, un peu par hasard, car il figurait en tête de gondole des rentrées littéraires et que la première de couverture m'a plu. Cette dernière est de facture assez classique tout comme l'écriture de l'auteur. Pourtant, l'histoire est assez déjantée et le style très sage ne fait qu'accentuer ce trait...

Qu'en penser? Ce n'est pas décadent, c'est décalé, surprenant et cela ne laisse pas indifférent.

Ce livre est à la croisée du roman et de la nouvelle. Trop petit pour le roman, trop grand pour la nouvelle. Encore une fois inclassable...

Plus sérieusement, le récit soulève les questions du libre arbitre, de la pression sociale et familiale, de la manipulation, du fantasme, de la sexualité, de la connaissance de soi et de son épanouissement.

C'est un ouvrage original, qui mérite d'être découvert. Au pire, nous ne perdons pas de temps : il fait 94 pages!

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Les éditions

  • La robe [Texte imprimé], roman Robert Alexis
    de Alexis, Robert
    Points / Points (Paris)
    ISBN : 9782757810187 ; 4,60 € ; 21/08/2008 ; 93 p. ; Poche
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Quand le désir est une robe écarlate…

10 étoiles

Critique de Lefildarchal.over-blog.fr (, Inscrite le 12 janvier 2009, 79 ans) - 25 février 2009

Nombreux sont les commentaires élogieux sur « La robe », le premier roman de Robert Alexis, aussi ai-je été un certain temps, indécise à y ajouter le mien.

J’ai été amenée à lire « La robe » tout à fait par hasard. J’ignorais tout de ce livre, comme j’ignorais qu’un mystère planait sur l’auteur et que ce mystère interpellait le monde de la littérature intrigué par ce roman absolument étonnant, comme surgi de nulle part. (Le Soir)

Maintenant il est possible de voir le portrait de Robert Alexis sur le site de son éditeur Corti, de lire l’entretien que lui a consacré « Le Matricule des Anges » d’octobre 2008, au moment où « La robe » sous un nouvel habillage de couverture ressurgissait en collection Points. Le thème y est brièvement résumé :

« Un jeune officier issu de la noblesse embrasse la carrière militaire, mais goûte peu à l’atmosphère paillarde de la caserne. L’ennui s’évanouit par miracle devant une italienne somptueuse déesse des mœurs libertine. L’amour et la fascination l’égarent dans un dédale de perversions inattendues avec pour seule liberté le choix de sa propre rédemption… »

Ce roman est très court. Très troublant. Aucun excès de style, sinon la beauté de l’écriture merveilleusement hors du temps, fluide et suggestive. Vêtu de l’élégance de ses mots, elle séduit et entraîne le lecteur en des lieux où pèse la morne attente d’une guerre qui n’en finit pas de venir. L’histoire de ce jeune officier de garnison réservé qui rencontre une jeune femme très audacieuse ne fait qu’esquisser le début d’une aventure puissamment bouleversante et dévastatrice.

Cette « Robe » est cousue d’une main experte par un créateur qui semble avoir choisi le tissu le plus précieux qui soit : la faille incandescente de la chair où chatoie l’incarnat des fantasmes assoupis dans les vaporeuses draperies de l’inconscient.

Les premières pages qui s’ouvrent sur les confidences d’un inconnu dont nous ne saurons presque rien sont prenantes :

« Je l’avais suivi toute l’après midi. Il n’avait pas cessé de marcher d’un pas lent et égal. Je m’étais insensiblement rapproché de lui. Il se retournait souvent marmonnant à mon adresse des discours inaudibles. »

Qui, au cours de sa vie, n’a jamais fait une rencontre presque similaire à celle-ci ?... peut-être bien, mais une rencontre comme celle là, rarement !...

Le lecteur sans qu’il ne s’en aperçoive devient le confident du narrateur, il semble que tout ce qu’il va entendre lui est destiné, indirectement certes et même s’il n’en est pas persuadé, il lui sera impossible de ressortir de ce livre dans l’état où il y est entré.
Certains livres même une fois refermés continuent leur histoire et cheminent en nous, comme autant de réminiscences étranges lovées dans les zones inexplorées de nos pulsions les plus refoulées.

Pas de lieu précis, pas de dates situant le roman, hormis quelques indications d’importance. Le nom de Freud… la brève apparition du dérangeant sexologue allemand Magnus Herschfeld suffiront à éveiller juste ce qu’il faut d’attention le moment venu.
(A savoir que Magnus Herschfeld faillit être lapidé, qu’en Autriche il essuya des attaques personnelles, des coups de feu et qu’en 1933, les services hitlériens non seulement envahirent sont Institut de Science de Sexologie, mais emportèrent diverses papiers lui appartenant. Herschfeld par chance était à l’étranger ; certains de ses ouvrages furent brûlés.)

Le roman aborde la transgression avec une fermeté rare, plonge dans la sphère des interdits. Le dépassement de toute limite préconisé par Hermann, un singulier mercenaire s’avère être le père de la jeune femme dont s’est épris l’officier, il organise des fêtes où l’orgie et le stupre se célèbrent comme autant de passages obligés pour atteindre la libération des points de retenue édifiés par les lois sacralisées de la morale.

« Nous traversâmes d’autres pièces, toutes le théâtre de scènes fantastique. Je crus vivre l’un de ses cauchemars inexorable qui ne trouve de fin qu’avec un réveil brutal, tout en sueur dans le silence de la nuit. »

Le jeune officier pressent dès cette soirée, qu’un piège machiavélique le cerne de toute part. Quand la transgression devient aussi effrayante que fascinante, le passage à l’acte devient inéluctable. La transgression étant par définition une action qui franchit une limite : « désirer c’est déjà agir ». Hors les propos tenus par Hermann à l’issue de cette fête, ne feront qu’augmenter la confusion des sentiments qui s’empare de lui et ne le quitteront plus.

« Hermann était là, assis sur un banc, il semblait nous attendre. Je m’étonne encore de ses premiers mots, si logiquement placés à la suite de tous ceux que j’avais entendu ce soir là. Il s’adressa à moi, comme s’il m’avait toujours connu : - Chaque homme porte en soi son point de retenue ; voila ce qu’il faut découvrir afin de se libérer… D’abord comprendre !… Puis se débarrasser… Pour cela la manière ne peut qu’être violente… »

Les méthodes sidérantes de celui qui n’est ni un médecin, ni un fou et qui détaille avec détermination toutes les phases d’une cure dont il affirme que ceux qui acceptent cette soumission en dépit de leur répugnance s’en trouve au final tout à fait satisfais, déroutent le jeune officier. L’aplomb de cet Hermann se double d’une force physique peu commune qui le trouble.

« - Je sus avec certitude que l’on ne pouvait entretenir avec un tel personnage un commerce d’égal à égal. Son apparente sollicitude à mon égard devait être calculée ; il cherchait à gagner ma confiance dans un but mystérieux. »

Hermann apparaît ici, comme une sorte de Gurdjieff qui apparaissait encore lui-même 25 ans après sa disparition, comme une sorte de loup-garou cynique, brutal avec ses disciples et ses proches dédaigneux de la vertu. Hermétique et déconcertant, sa critique radicale de l’homme et du monde l’avait amené à balayer sans merci tout le bric-à-brac accumulé dans le penser humain. Sa bienveillance était sans douceur. « Aimer ce n’est pas consoler c’est guérir. Et plus la maladie est grave, plus le remède est violent. » Mais un état de liberté intérieure peut elle appartenir à l’homme ordinaire ? (Citation empruntée à Michel Waldberg).
C’est presque sur cela que repose toute l’énigme de ce roman !

Fortement perturbé par Hermann, le jeune officier songe à démissionner en proie à un malaise indéfinissable. Non seulement, il n’a pas revu la jeune italienne, mais il découvre qu’un complot a été déployé autour de ses amours dont l’instigateur ne serait que cet Hermann qui combat les névroses de l’habitude en des débauches où l’inceste s’ajoute à un usage extrême de la sexualité. Un entretien avec l’aumônier de la garnison va l’édifier sur les transgressions pratiquées par le terrible Hermann.

Fuir... mais n’est-il pas trop tard ?... Tous les éléments du drame ne sont pas encore en place… Une robe va le jeter dans des égarements dont il se défend. Une robe à peine entrevue un soir dans la vitrine d’une rue obscure où il rôde, trompant son mal être. Le jeune homme sent battre son cœur éperdument d’un affolement qu’il ne sait nommer. Il n’a pas revu de longtemps la sensuelle italienne dont l’absence le tourmente moins que cet Hermann, disparu lui aussi de la ville. Des bruits circulent. La police suspecterait un riche propriétaire d’être l’instigateur de soirées décadentes que la rumeur diabolise.

La robe va envahir toutes ses pensées, devenir le centre d’une obsession incontrôlable. Il lui faut la revoir. La regarder encore. A peine revue, cette robe prend une place démesurée. Une longue robe rouge.

A quelle femme, cette robe est-elle destinée ? A partir de ce moment, une vertigineuse emprise va guider tous ses gestes. Il ne sera plus lui-même. L’attraction de cette parure s’avère être une jouissance qui défie toutes les formes de pudeur et d’interdit imposées à l’homme.

Quand il le réalisera, il sera trop tard : la robe sera devenue l’ultime piège. Aucun repos tant qu’il ne connaîtra pas l’identité de la femme accordée à cette « pure merveille » la faille rouge qui le fait défaillir… ce n’est que le début d’un amour hors norme.

A-t-on jamais sondé de si près les profondeurs de l’être, les terrifiants délices de se découvrir par-delà l’apparence ? L’identité froissée toute entière dans l’étroitesse du corps…

Le lecteur va blêmir, frissonner, il va être bouleversé, troublé, révulsé peut-être et peut-être enfin qui sait, sera-t-il désolé ou soulagé parvenu à la dernière page, ébranlé pour longtemps par cette robe de faille rouge…
Quand le désir est une robe …

Hécate
Lefildarchal.over-blog.fr

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