Chronique japonaise de Nicolas Bouvier

Chronique japonaise de Nicolas Bouvier

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Vigno, le 1 novembre 2001 (Inscrit le 30 mai 2001, - ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 4 492  (depuis Novembre 2007)

Echappée belle au Japon

Etre voyageur, écrit Nicolas Bouvier, est une source continuelle de perplexités. Sa place est partout et nulle part. Il vit d'instants volés, de reflets, de menus présents, d'aubaines et de miettes... »
Nicolas Bouvier arrive au Japon en 1955, puis y retourne (ou revient) en 1964. Il publie un premier livre, « Japon » en 1967, puis cette fameuse « Chronique japonaise » en 1975 et 1989, qui donne autant dans l'ethnographie que dans l'histoire, la cosmogonie ou la poésie. Son récit est construit par petites touches, comme autant d’instants immobiles, de paysages aperçus, de portraits esquissés. Comment parler du Japon autrement? « J’ai commencé à prendre des notes, Zuihitsu, (des pensées sans suite, au gré du pinceau), comme le font si volontiers les Japonais qui n'ont jamais cru aux enchaînement rigoureux ni aux démonstrations c.q.f.d. » On ne sort pas de ce livre avec des connaissances; à l'instar de son auteur à propos du Japon, on quitte son livre « avec une leçon de tout et de rien ».

Contrairement à « L'Usage du monde » ou au « Poisson scorpion », où l'écrivain-voyageur se met beaucoup en scène, ici le voyageur s'est presque effacé. Et le voyage (il y en eu plusieurs au fait) a perdu son itinéraire. Il reste des éléments culturels, bellement racontés, mais surtout une multitude de petits portraits, saisis au hasard des rencontres, sans doute griffonnés dans l’instant, qui racontent l'humanité plus que la nationalité. « Le voyageur n'a rien vu s'il n’a vu les hommes », a-t-il écrit ailleurs.
Ainsi celui d'une servante, aperçue en mai 1966 sur l'Ile de Shikoku : « Elle n'est cependant ni carrément vilaine, ni sotte, ni malheureuse. Elle est plutôt ébauchée. Une ébauche de voix, un visage où les yeux, le nez, la bouche sont à peine esquissés, comme dans le dessin d'un enfant qu’on aurait fait gribouiller trop longtemps et qui aurait perdu tout intérêt à l'entreprise. Elle a des joues énormes et rouges, une touffe considérable de cheveux noirs frisés, et elle renâcle ce mot « sakana » comme une bouchée qui passerait mal. La nature ne s’était pas mise en frais pour elle et lui avait fabriqué juste pour trois yens d’expression, à peine de quoi remplir un visage minuscule, mais elle a dû beaucoup manger, grandir plus que le Ciel l’avait prévu, et ce peu de physionomie qu'elle avait s’est totalement perdu en changeant d’échelle. »
Il reste aussi ces observations fines, sans complaisance malgré le grand attachement de Bouvier au Japon : « Ici, pas un geste ni un mot dont on n’ait pesé d'avance les plus minces conséquences. Derrière cette paix austère, on sent des ressorts bien tendus, et, sous cette politesse engourdie et confite, une vigilance qu'on ne doit pas souvent prendre en défaut. »
Et ces quelques tableaux que n’auraient pas dédaigné les Impressionnistes : « Maintenant le soleil ricoche sur les marécages et remplit le wagon d’une belle lumière tabac. Les mâchoires plombées étincellent et les visages commencent à briller : tannés, ridés, les traits tout écornés comme ceux des bouddhas de cimetière; mais ce qu’il en reste est très doux et les regards ont quelque chose de direct et d’espiègle que je n’ai pas trouvé souvent ici. »
Encore une fois, Nicolas Bouvier nous donne l’envie d’éprouver l'usage du monde.

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