Une histoire simple suivi de Les chasseurs de Claire Messud

Une histoire simple suivi de Les chasseurs de Claire Messud
( The hunters)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Jlc, le 15 mai 2008 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 3 877 

La solitude de l'insignifiance

Parce que j’ai beaucoup aimé « Les enfants de l’empereur », j’ai eu envie de découvrir l’œuvre de Claire Messud. « Une histoire simple » et « Les chasseurs » sont deux courts romans publiés en 2001 et réunis en un seul livre sur un même thème : la solitude de l’insignifiance.


« Une histoire simple » que l’on a un peu hâtivement rapproché du chef d’œuvre de Flaubert « Un cœur simple » se situe à Toronto en 1993. Depuis 46 ans, tous les mardis, Maria Poniatowski va faire le ménage et surtout tenir compagnie à une vieille dame quasiment aveugle, aujourd’hui âgée de 92 ans, Mrs Ellington. Mais ce jour là, une trace de sang sur un mur –oh ! rien de grave, une coupure de maladresse (ou de déclin ?)- fait sentir à Maria que plus rien ne sera comme avant. Elle comprend que si elle ne peut plus rester seule, ce sera la fin pour la vieille dame. « Privée du décor de son existence, elle ne serait plus Mrs Ellington ». C’est pour Maria l’occasion de réfléchir à ce que fut son existence dans laquelle cette dame tient une place si singulière.
Ukrainienne ayant subi la famine stalinienne des années 30 puis l’occupation allemande, elle se laisse embarquer avec les jeunes de son village, espérant une vie meilleure, ailleurs. « Ce départ [était] un choix, une invitation bien que personne ne fût dupe ». En fait elle découvre les camps de travail forcé. « Slawen sind sklawen » (les slaves sont des esclaves). Elle s’évade mais c’est pour être une fois encore enfermée dans d’autres camps, ceux des armées alliées. Elle rencontre un Polonais, Lev, qui deviendra son mari et avec qui elle quitte l’Europe et sa mémoire de malheurs pour une nouvelle vie au Canada. Le premier contact est encore un camp mais ils sont vite jugés prêts à devenir canadiens. Ils auront un garçon qui, parfaitement intégré, s’irritera plus tard « devant les fautes de grammaire de sa mère », épousera une jeune fille d’origine allemande (une blessure pour Lev et Maria) et s’éloignera insensiblement. Lev meurt jeune et Maria garde alors scrupuleusement inchangée leur maison. Elle continue quand même à vivre et redécouvre le plaisir de la danse et des voyages.
La scène cruciale se situe au milieu d’un lac sur le hors bord de son fils : elle se sent minuscule, insignifiante, même pas de trop, oubliée. Il lui reste Mrs Ellington qui pourtant, pendant six mois, va la chasser de chez elle, peut-être par fureur de sa déchéance devant cette femme encore jeune, avant de reprendre leur routine hebdomadaire.
La traînée de sang sur un mur signait la force du déclin. Mrs Ellington doit entrer en maison de retraite et Maria bien sûr ira la voir. Mais…
Cette histoire de volonté quand on force le destin avant qu’il ne vous rattrape est aussi celle du déclin, de la solitude, de la décrépitude où le sentiment de n’être plus rien pour personne, est remarquablement contée. Claire Messud ne s’attarde jamais sur une situation, un fait. En quelques mots tout est dit. Et pourtant il y a aussi dans ce livre de très belles pages d’écriture comme la description de ce Cuba dont Maria va tant aimer « la splendeur fanée ». Tout cela est agrémenté de remarques judicieuses, de notations subtiles (la relation entre les deux dames est plus complexe qu’on pourrait l’imaginer), de réflexions sensibles sur la vieillesse ou plutôt le fait de vieillir.
Un très agréable moment de lecture.


Avec « Les chasseurs », changement de lieu et de temps, mais toujours ce sentiment de ne pas exister et de sentir la mort qui rode.
Un ou une universitaire américain(e) dont nous ne saurons ni le nom ni le sexe –personnellement je pense que c’est une femme – passe l’été 2000 à Londres pour parfaire sa documentation sur « l’analyse des différences entre l’idée de la mort au dix-huitième siècle et la conception romantique qui lui a succédé et de leurs manifestations poétiques », sujet de son prochain livre. Ce séjour se situe à un moment difficile de sa vie, la perte d’un amour, la non reconnaissance de ses pairs, un frère malade. Elle loue un petit appartement dans un quartier populaire et sans charme et y mène une vie recluse entre la bibliothèque, les livres et les courses au supermarché. « Une période durant laquelle je n’eus pas de vie ». Jusqu’à ce que sonne à sa porte sa voisine Ridley Wandor, vieille fille dans la quarantaine vivant avec sa mère et travaillant comme assistante de vie chez des vieillards qui deviennent vite des moribonds. Ridley va tout à la fois littéralement violer la solitude de l’universitaire et la couper encore plus du monde extérieur. De cette solitude et de ce vide existentiel vont naître des doutes, des prémonitions, des fantasmes, des irritations, de la répugnance, des craintes et une sorte de voyeurisme. L’idée de mort cesse d’être un aimable sujet pour colloque littéraire et s’insinue comme une impalpable menace. La fin vous dira ce qu’il advint et qui sont les chasseurs qui ont donné le titre à l’ouvrage.
Ce roman m’a paru moins réussi que le précédent malgré un sujet peu banal. Le style est parfois un peu lourd, notamment quand la narratrice cherche à s’expliquer ou se justifier, l’explicatif psychologique manque de simplicité. Il y a toujours ce qui fait le talent de Claire Messud, son sens du détail qui crédibilise une histoire, une ironie piquante, une certaine forme de tendresse.

Comment « étoiler » un livre à deux romans : 4 pour le premier, 3 pour le second ne donnent pas forcément en littérature une moyenne de 3.5 car le bonheur de lecture du premier l’emporte largement sur la légère déception du second. Ce sera donc 4.

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

  • Une histoire simple [Texte imprimé], deux romans Claire Messud trad. de l'anglais (États-Unis) par France Camus-Pichon
    de Messud, Claire Camus-Pichon, France (Traducteur)
    Gallimard / Du monde entier (Paris)
    ISBN : 9782070762798 ; 17,75 € ; 06/05/2004 ; 221 p. ; Broché
»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

Forums: Une histoire simple suivi de Les chasseurs

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Une histoire simple suivi de Les chasseurs".