Un garçon en ville de Jean-Pierre Poccioni

Un garçon en ville de Jean-Pierre Poccioni

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Adelee, le 28 avril 2008 (Inscrite le 28 avril 2008, 42 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 1 699 

Une parodie post-indus qui nous rappelle Tati, un régal

Un Garçon en ville rapporte les déboires d’un cadre technique, délocalisé en province à la suite d’un plan social. Ce dernier fait tout pour s’intégrer à la vie de ses collègues d’entreprise. Le problème, c’est qu’il n’est pas comme les autres : il est seul, il est nouveau, il est poli, il fait attention aux autres. En un mot, il est étrange. C’est surtout le prétexte pour faire le constat du niveau zéro où sont rendues les relations humaines à l’ère de la globalisation.
Mais attention : rien de militant ici. Tout le tragi-comique de Un Garçon en ville tient dans le décalage entre l’hyper sensibilité du narrateur et les attitudes stéréotypées de ses interlocuteurs. Décalage à la limite de l’absurde qui joue dans le même registre que La Salle de bain, de Jean-Philippe Toussaint, mais transposé ici en milieu d’entreprise. En cela, Un Garçon en ville se rapproche de la parodie post-industrielle de la fin des années 60 que Jacques Tati raconte autour du personnage de Mr Hulot dans ses films mythiques. Car le narrateur est aussi candide que Hulot. Face à lui, existe-t-il d’ailleurs des personnages ? Des caricatures, plutôt, qui deviennent les cobayes d’une étude quasi-sociologique formulée non sans ironie sur le mode déstructurant d’un Roland Barthes revenu de tout : « Tout alentours ne serait que jeu, simulation grossière comme ces personnages fabriqués par l’informatique qui ne se donnent pas la peine de soigner leur apparence, qui se contentent d’être des rôles. »
Parmi eux, la figure du mâle livré à ses pulsions de toute puissance. C’est celui qui triomphe à la suite d’un accident de voiture sur son lit d’hôpital — en dépit de ses deux jambes dans le plâtre — rien qu’à penser aux grosses indemnités d’assurance qu’il va toucher. Ou celle de la cliente revêche du supermarché anticipant tout mouvement de drague de l’inconnu, qui s’approche… tout simplement en quête d’un renseignement. Ou encore celle du directeur : « Je sais qu’un plan social est un compromis mais il y a des limites, des contraintes incontournables. Il faudrait que vous réfléchissiez sur votre rôle chez nous. » Le tout se raconte sous forme de mini-sketch dignes d’une fiction télévisée de format court du type Caméra Café sur M6 : au bureau, au supermarché, au café… Là où seuls triomphent les jeux de rôle, les conformismes, les packages humains : il suffit de suivre la déambulation des individus dans les rayons du supermarché pour s’en convaincre. Les êtres défilent eux-mêmes soudain comme des objets montés à la chaîne. Identiques en tous points.
Dans ces mises en situation, les pensées secrètes du narrateur deviennent symptômes d’un trouble non identifié : souffrirait-il de paranoïa aiguë ? Alors que tout le monde couche avec tout le monde, le narrateur est le seul à tomber amoureux de Marion, la femme de Cyril, et à la charger d’un idéal qui n’existe plus.
Finalement les tentatives du narrateur se solderont par un échec dont il formulera l’équation brutale en comparant son sort à celui d’un bout de bois flottant à contre-courant : « Je n’ai pas encore réussi à établir la moindre loi quant à la façon dont l’objet est rejeté mais il l’est toujours, au bout d’un temps variable mais jamais très long. »
Bientôt sa décision est prise : quitter le site de l’entreprise, rejoindre le « nous » de l’humanité révolue et qui connut pourtant son âge d’or.
« Un été, nous avions loué une chambre dans un chalet du Queyras. (…) Le soir, la fatigue des longues marches vers les hauteurs et l’alcool d’un solide vin rouge que nous trouvions à l’épicerie voisine nous terrassaient. Nous rêvions devant la fenêtre ouverte sur la vallée, le monde véritable oublié à nos pieds.
C’était nous, en ces temps. (…) ».
La fable percutante d’un monde en perte d’âme, à l’ère de la standardisation. A l’ère des nouveaux Aliens.

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