Les enfants de l'empereur de Claire Messud

Les enfants de l'empereur de Claire Messud
( The emperor's children)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Ardok, le 5 avril 2008 (Inscrit le 5 avril 2008, 47 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 713ème position).
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Une comédie de moeurs qui aurait gagné à prendre davantage de hauteur

Dans les enfants de l'empereur, Claire Messud dépeint les faux-semblants et les travers d'une certaine intelligentsia new yorkaise. Elle nous emmène à la rencontre d'une jeunesse branchée qui place sa propre vacuité, dissimulée derrière les paillettes, les réceptions mondaines, les intrigues sentimentales et des ambitions professionnelles en proportion inverse des efforts accomplis --- qui place sa propre vacuité au centre du monde. Un monde sur le point de s'effondrer puisque nous sommes, à l'ouverture du roman, en mars 2001.

Ils ont la trentaine, mais aucun ne parvient à s'accomplir. Danielle, réalisatrice de documentaires pour la télévision, rencontre Ludovic lors d'un dîner à Syndney. « Pour elle, la révélation fut instantanée. Là, contre toute attente, dans cette enclave aussi étrange qu'insignifiante, elle venait de repérer quelqu'un comme elle ». Ludovic s'apprête à s'installer à New York pour lancer un magazine --- « le Monitor » ---grâce auquel il pense « fomenter une révolution ». Rien de moins !

Pendant ce temps, Marina, une amie d'enfance de Danielle, s'enferme dans la résidence secondaire de ses parents pour travailler à un manuscrit sur la mode enfantine ou, plus exactement, « sur les vérités à la fois complexes et fondamentales --- touchant aux moeurs de toute une civilisation --- que trahissait la décision d'une société d'affubler la petite Lulu d'une robe à smocks ou la jeune Stacey d'un short en lamé ». Après deux semaines hautement improductives, elle appelle à son secours Julius, chroniqueur gay au Village Voice.

Tous ces personnages sont reliés entre eux par la figure tutélaire de Muray Thwaite, le père de Marina. Journaliste et pseudo-intellectuel en paillettes qui multiplie articles et conférences tout en travaillant en secret au manuscrit qui « une fois achevé (...) hisserait enfin et sans conteste son nom (...) vers les hautes sphères de l'immortalité », il est le centre autour duquel gravite toute l'histoire.

Plongé dans ce microcosme, le lecteur voit se dessiner sous ses yeux une véritable comédie de moeurs où les personnages semblent tous partager le même fond de médiocrité. Muray Thwaite, le grand moraliste, se sert de sa fille pour se rapprocher de Danielle et finit par entretenir une liaison avec elle. Mais il est démasqué par son neveu Bootie, jeune homme naïf et prétentieux ---à la sincérité touchante--- qui, un beau jour, a décidé d'arrêter ses études pour « se cultiver » par lui même et finit par travailler au service de Muray. Il tombe alors sur un email suspect --- adressé à Danielle --- et découvre le manuscrit secret de son oncle et là, si le piédestal avait déjà commencé à se fissurer auparavant, c'est le choc: « ce manuscrit lui semblait à la fois trivial et prétentieux (...) Bootie se sentait trahi, déconsidéré, nié. Il avait cru en un homme qui brassait du vent ». Il se venge en écrivant un article pour le « Monitor », le journal que Ludovic s'apprête à lancer.

Avec le 11 septembre, le monde s'écroule comme un château de cartes. « A l'air libre, quelque chose clochait. L'atmosphère. La fumée. Le soleil, le ciel d'un bleu lumineux étaient éclipsés par la fumée, par un océan de fumée noire en hauteur, mais qui enveloppait tout. Les gens criaient, pointaient l'index dans la même direction, et en se retournant il vit, au-dessus des autres immeubles, le sommet des deux tours, les flammes, et il sentit l'odeur ».

L'anéantissement est aussi intime. Désormais, il n'y a plus de place pour l'illusion et chacun se trouve brutalement confronté à lui-même, sans apparat ni mise en scène. Dans le contexte de l'après 11 septembre, le « Monitor » ne verra jamais le jour; Ludovic s'envole pour Londres. La dépression éloigne Danielle de Marina et de son amant, Muray Thwaite. Quant à Bootie, laissé pour mort, il entame une nouvelle existence sous une identité d'emprunt. Face au cataclysme, il a découvert cette évidence: « la mobilité, la capacité (...) à tournoyer comme un atome, sans attaches, ce frisson à la perspective de l'insignifiance absolue, il ne fallait pas les craindre. Tout était là. Être absolument dépourvu de liens. De tout contexte. Être parfaitement et en tout point autonome. Enfin ».

Rédigé avec brio, en courts chapitres, « Les enfants de l'empereur » est un roman plaisant à lire. Toutefois, malgré son incontestable qualité d'écriture et la richesse des descriptions qui nous ouvrent les portes d'un univers inconnu, ce roman --- c'est son gros point faible --- ne parvient pas se détacher suffisamment de la superficialité de ses personnages: j'aurais aimé de la part de l'auteur (et elle en a incontestablement les moyens) un regard plus aiguisé, plus dur, plus tranchant, capable d'apporter au récit une véritable prise de hauteur ainsi que la coloration qui lui fait parfois défaut. En un mot, on a affaire à un bon roman, qui mérite d'être lu, mais certainement pas à un chef d'oeuvre.

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Les éditions

  • Les enfants de l'empereur [Texte imprimé], roman Claire Messud traduit de l'anglais (États-Unis) par France Camus-Pichon
    de Messud, Claire Camus-Pichon, France (Traducteur)
    Gallimard / Du monde entier (Paris).
    ISBN : 9782070780648 ; 12,40 € ; 06/03/2008 ; 608 p. ; Broché
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L'empereur est nu

8 étoiles

Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 18 avril 2010

J’ai lu avec plaisir et intérêt ce roman et apprécié plus particulièrement la réflexion centrale qu’il propose sur l’image de l’intellectuel dans la société américaine et sur le microcosme qui l’entoure .

Si le titre du roman renvoie au titre de l’ouvrage de Marina : « Les enfants de l’empereur sont nus », il me semble aussi percevoir dans le terme empereur la métaphore de l’intellectuel, représenté essentiellement dans le roman par Murray .
La multiplicité des points de vue permet de faire apparaître Murray dans tous ses rôles : celui d’époux, de père, d’amant, de frère, d’oncle, d’employeur même aussi, et bien sûr , de maitre à penser . Le lecteur le découvre en public et dans l’intimité . Ce qu’il écrit secrètement est dévoilé . Celui qui était un personnage mythique doté d’une aura : « la grande conscience progressiste du pays » « un guide spirituel », dont le rôle était de « se rebeller contre le système en acceptant d’être récompensé par lui » n’est plus dans la 2e moitié du livre qu’ « un monument vide…… une façade en trompe l’œil » » L’empereur est alors mis à nu et démythifié . Vu par Ludovic Seeley, Murray n’est plus « une sorte de Dieu mythique , rien qu’un journaliste médiocre avec un ego surdimensionné »

Car cet autre personnage qu’est Ludovic guette sa chute et y travaille , son rêve étant de « descendre certains monstres sacrés de leur piédestal » de prendre leur place, en cherchant par la création d’une nouvelle revue , à « amener le monde à voir les choses sous un autre angle, le sien, et faire de ce point de vue, la norme ». « Il rêve d’être un nouveau Napoléon » et Marina qu’il épouse est son « cheval de Troie » lui permettant d’approcher son rival pour mieux l’étouffer .

Un roman de moeurs alerte , qui s’attache à révéler, sous le paraître superficiel de personnages branchés, bien dans l’air du temps , le malaise qui les ronge .

Rien de sartrien dans ce trio…

6 étoiles

Critique de Monito (, Inscrit le 22 juin 2004, 51 ans) - 4 octobre 2008

Trois trentenaires, trois rencontres, trois vies révélées et bouleversées : Marina, Danielle et Julius ont 30 ans et se connaissent depuis l’Université. Marina est la fille d’un journaliste new yorkais très célèbre dont elle ne se détache pas et qu’elle admire dans l’attente d’être payée de retour.
Danielle et Julius quant à eux, issus de bleds américains, sont new yorkais d’adoption. Jamais complètement adoptés par la ville ils sont critique culturel pigiste et assistant dans une boîte de production télévisuelle.
Murray, Ludovic, David et pour tous Bootie vont croiser leur route et profondément modifier leur vie et leur rapport au monde.
Bien écrit, avec des références inattendues mais satisfaisantes, étonnantes et orientant à l’indulgence (Musil et Rothko), ce roman n’a rien de bouleversant. Il interroge, comme chacun de nous s’interroge, il pose avec simplicité la complexité des rapports humains et souligne la faiblesse de chacun dans l’image qu’il construit des autres et celle qu’il donne de lui-même.
Un roman de vacances où le 11 septembre s’invite on ne sait trop pourquoi, sauf à vouloir dire la fragilité des personnages, comme celle des tours…

Etudes de mœurs : scènes de la vie new-yorkaise.

8 étoiles

Critique de Jlc (, Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans) - 12 mai 2008

Je ne reviendrai pas sur l’histoire que résume Ardok si ce n’est pour vous recommander de ne pas lire l’avant dernier paragraphe de sa critique. Pour moi, il en dit trop sur la fin de l’intrigue et si j’avais lu son texte avant le livre, mon plaisir n’aurait pas été le même tant je cavalais de page en page pour connaître la suite. Car j’ai beaucoup aimé ce roman d’une jeune romancière américaine dont le père est franco-algérien, la mère canadienne et qui a fait ses études à Yale.
Intelligence et façon de raconter, générosité, ironie, humour, sens de la satire font d’un sujet relativement banal un roman fort. Si, pour Ardok, Messud manque de hauteur et « ne parvient pas à se détacher suffisamment de la superficialité des personnages », j’ai personnellement trouvé que l’auteur tissait magistralement et sa toile pour enfermer ses personnages dans leur médiocrité. Murray est dépeint avec une cruauté doucereuse tout à fait efficace comme un vieux Narcisse qui se pose en maître à penser, vieil égoïste qui se donne des airs altruistes au dehors et cache habilement sa dictature domestique et familiale. Le trio Marina, Danielle et Julius est croqué avec saveur. Les portraits de Bootie, le neveu et Ludo, venu d’Australie pour révolutionner New York, ainsi que celui d’Annabel, l’épouse meurtrie mais solide boussole de ce monde désorienté, sont peints en touches fines qui précisent un caractère, révèlent mesquineries ou illusions alors que Claire Messud sait utiliser les gros traits à la brosse pour illustrer le petit monde dans lequel vivent ces privilégiés à fausse mauvaise conscience.
Bien sûr, tout ceci finit mal ou presque, le 11 septembre étant passé par là. Cette fin s’inscrit plus dans le registre « en fait rien ne change » que dans le sempiternel « Après le 11 septembre, rien ne sera plus comme avant ». J’en veux pour preuve la conversation entre Marina et Julius en novembre 2001 : » Nous, on ne demande qu’à agiter de grandes idées un verre à la main. Et à organiser la fête nous-mêmes, dans l’idéal. On ne voit aucune contradiction entre les deux ». Comme avant !!!

Un excellent roman par un écrivain qui aime écrire, cela se sent, qui prouve, une fois encore, la vitalité de la littérature américaine qui sait s’emparer des sujets de son actualité et les transcender alors que d’autres ruminent encore Mai 68 …

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