Hadriana dans tous mes rêves de René Depestre

Hadriana dans tous mes rêves de René Depestre

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Serguei, le 11 novembre 2006 (Inscrit le 29 juin 2005, 49 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 104ème position).
Visites : 4 791  (depuis Novembre 2007)

Précis de zombification

Alors que tant d’illustres inconnus (et quelques imposteurs) sont recensés sur la liste des auteurs critiqués par les membres de CL, René Depestre en est absent. Je m’empresse donc de rédiger la critique d’un de ses livres pour combler cette anomalie.
En 1928, à Jacmel, au sud de l’île d’Haïti, une jeune Française de 20 ans, Hadriana Siloé, tombe raide morte devant l’autel de ses noces en prononçant un oui « hallucinant de détresse ». Toute la ville accompagnera la belle Hadriana au cimetière lors de folles funérailles mêlées de tristesse et de transe. Car son enterrement coïncidera avec le début du carnaval de Jacmel, lui conférant un caractère pour le moins atypique. Deux jours plus tard, on découvre que sa tombe a été profanée pendant la nuit et que son cadavre a disparu.
Commence alors pour le narrateur une quête fantasmatique de la vérité : il découvrira (ou imaginera, c’est selon) comment Hadriana a été la victime de papa Rosanfer, un sorcier vaudou qui a zombifié la belle.
Cette fantasmagorie caraïbe donne à l’auteur l’occasion d’initier le lecteur français à certaines croyances et pratiques du vaudou haïtien. Le récit final – la narration par Hadriana elle-même de toutes les étapes de son aventure (le récit de sa mort, ses journées d’enterrée vivante, sa « résurrection », etc...) – est un véritable précis de zombification à l’usage des pauvres cartésiens que nous sommes.
René Depestre, auteur d’origine haïtienne né en 1926, écrit dans un français leste et coloré, relevé aux épices des Caraïbes, à grand renfort de truculences, de vocabulaire exotique et de savoureux mots composés qui sont autant de mots-valises s’ouvrant sur l’inconnu. La sensualité toujours à fleur de page de cet ouvrage, témoigne d’une société qui ne connaissait ni la pudibonderie ni la pornographie et mêlait dans un même élan les mystères de l’amour et de la mort.

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Les éditions

  • Hadriana dans tous mes rêves [Texte imprimé], roman René Depestre
    de Depestre, René
    Gallimard / Blanche
    ISBN : 9782070712557 ; 16,00 € ; 11/03/1988 ; 195 p. ; Broché
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« Apo lisa gbadia tâmerra dabô ! »

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 8 avril 2010

Et, chantent et dansent les mots charnus et ensoleillés, sensuels et charnels et même un brin graveleux, en une sarabande endiablée sous la plume ensorcelée de Depestre pour raconter l’histoire d’Hadriana, l’histoire d’Hadriana et de Patrick, le narrateur, à Jacmel, en Haïti, qui prend forme au début de l’année 1938 et dure peut-être encore aujourd’hui.

Cette histoire commence par deux décès concomitants, celui de Germaine qui veut revoir le port avant de mourir mais qui ne peut réaliser son rêve, même si son fils promène son cadavre orné d’un papillon, un sphinx, en guise de loup et celui d’Hadriana que le sphinx a séduite, comme moult autres femmes, avant qu’elle décède sur les marches de l’autel en disant « oui » à son futur époux. Mais en Haïti, le vaudou mélange toutes les cartes, le sphinx n’est en fait que Balthazar Granchiré, un séducteur effréné qui a possédé toutes les belles femmes de la région et qu’un sorcier a transformé en papillon pour le punir de ses forfaits sexuels.
Dans la panique qui suit le décès d’Hadriana, les adeptes du vaudou s’emparent de la dépouille de la défunte, malgré les efforts des christianistes, et organisent un rituel vaudou pour que Granchiré, accusé du meurtre ne s’accapare pas le corps de la défunte pour la zombifier. Un long rituel, en forme de carnaval haut en couleur et riche en symboles sexuels et autres, conduit la belle à sa dernière demeure qui n’est, en fait, que très provisoire puisque sa dépouille est dérobée dans la nuit, au grand dam des populations qui craignent de voir paraître un nouveau zombie dans la ville. Mais, le statut de zombie est-il pire que celui de ces pauvres hères privés de tout, mêmes des libertés les plus élémentaires ? L’auteur s’interroge, « dans une société à très faible coefficient de droit et de liberté, l’insécurité absolue du zombie vaut-elle, sur le plan mythique, l’extrême détresse de la condition humaine qui caractérise la vie dans ma moitié d’île ? » Ainsi, s’achève le premier mouvement de ce roman qui en compte encore deux autres consacrés à la quête de la belle par le narrateur, amoureux éperdu, qui la recherche de part le monde entier et au récit de la zombification manquée de l’héroïne.

Dans ce superbe texte aux couleurs caribéennes, Depestre met en évidence les rites vaudou qui constituent l’affirmation de la dignité des noirs haïtiens qui veulent conserver leur identité afro-haïtienne et le souvenir de leurs origines. Ce qui l’amène à démontrer l’opposition entre le christianisme où le pratiquant cherche à mériter ici bas la belle vie qu’il aura dans l’au-delà et le vaudou dont l’adepte voudrait faire perdurer les plaisirs de la vie dans ce bas monde en transcendant la mort par la fête et le sexe. « En Europe, …, dans les prières, les fidèles font appel aux yeux, aux mains, aux genoux, aux lèvres. Le charme d’Haïti devant Dieu tient dans le fait que les hanches, les reins, les fesses, les organes intimes interviennent dans les mouvements élevés de l’âme comme autant de forces motrices de rédemption. »

Mais, l’auteur va encore plus loin, si on considère les obsèques d’Hadriana, on pourrait penser qu’il pencherait pour un syncrétisme entre les deux formes de pratique qui souderait la nation haïtienne dans une même croyance autour de sa dualité africaine et française. « Le volcan musical réduisit en cendres les obstacles légendaires entre Thanatos et Eros, au-delà des interdits jetés entre les spermatozoïdes des mâles noirs et les ovules des femelles blanches. » Mais il faudra qu’Eros déploie encore ses talents avec persévérance et assiduité pour combler l’avantage abyssal pris par Tanathos il y a quelques mois. Rappelons que le présent livre a été édité en 1988, deux ans seulement après que Baby Doc a été éjecté de son siège de dictateur mais en un temps où personne ne soupçonnait encore le grand malheur que les forces telluriques allaient infliger à cette demi-île sans que Baron Samedi y soit, cette fois, pour quoi que ce soit.

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