AmauryWatremez

avatar 07/06/2012 @ 13:30:09
Fahrenheit 451 2.0

Dans le bus Montag regardait les gosses entre eux, les écoutait, et soupira encore une fois :

Ils ne parlaient que du dernier modèle de téléphone portable, de leurs habits, de la dernière émission soit-disant téléréelle, soumis qu'ils étaient à la publicité, à la télévision et aux écrans omniprésents. Les écrans singeaient la vie, n'en montraient qu'un reflet flatteur, confortant les spectateurs dans leurs désirs étriqués et narcissiques, les incitant à ne pas rechercher autre chose, et à ne pas s'élever un tout petit peu plus.

Ceux-ci étaient de plus en plus grands, envahissaient les murs, ce qui faisait la fierté des ménagères, de leurs maris, et de leur progéniture. Tous n'avaient de cesse d'acheter ou de faire tout pour pouvoir acheter la dernière babiole électronique à la mode, ou imposée comme telle.

Plus jamais on ne voyait de bibliothèques dans les intérieurs montrés comme exemplaires. Les personnes en auraient conçu comme de la honte immédiate, celui qui sortait un livre gênait comme si la lecture, la rêverie aussi, étaient devenus des pratiques inavouables.

Il n'y avait plus beaucoup de petits garçons pour rêver sur ce que cachait derrière ses décors une fête foraine, comme dans « l'Homme illustré » de Ray Bradbury, un des derniers grands rêveurs mélancoliques qui venaient de mourir, et quels secrets il pouvait bien y avoir derrière les tatouages de l'étrange « monsieur Loyal » juste à l'entrée.

Il n'y avait plus tellement de rêveurs, comme dans les « Chroniques martiennes » pour imaginer les paysages poétiques et grandioses de Mars, ses habitants étranges, et les sentiments qu'y vivraient les explorateurs. Les gens ne sortaient pas du présent, et de ce qu'il considérait comme le réel, qui n'était au fond que la trivialité la plus basse, parfois le rêve, l'utopie, et aussi les cauchemars, sont bien plus tangibles.

Il remarqua que leur vocabulaire se simplifiait de plus en plus en plus, vieux comme jeunes, ils parlaient comme les enfants sauvages qu'ils redevenaient un peu plus chaque seconde dans cette société bruyante mais creuse, toute en vacuité.

Montag avait dans sa poche un vieux livre tout froissé, un exemplaire de poche de « Fahrenheit 451 » du même auteur que « l'Homme illustré », avec une illustration très colorée et un peu extravagante des années 70 dessus. Il songea aux partisans des livres électroniques, ils amassaient des dizaines de romans dans leurs appareils, mais ne se donnaient plus la peine de les lire.

Certains avançaient même, peut-être pour justifier de futurs autodafés bien intentionnés, l'argument écologique.

Ils oubliaient la plupart du temps qu'au développement des appareils électroniques correspondait un accroissement exponentiel de la paperasserie sous laquelle on se noierait bientôt.

portrait de Bradbury Ray-Bradbury-8.jpgpris ici

Et ils oubliaient qu'un livre a une histoire, qu'il correspond à un moment précis de la vie du lecteur, et que le livre vit avec son lecteur, que la littérature, comme tout art, comme toute création est par nature un enjeu existentiel.

Dans ce roman, l'auteur décrivait exactement le même genre de comportement que les jeunes mais aussi les adultes adoptaient de plus en plus, les écouteurs perpétuellement vissés aux oreilles, incapables de se dégager de leur égocentrisme, replié dessus, dans l'impossibilité d'aller vers les autres.

Des pompiers pyromanes y étaient chargés de brûler les livres, jugés responsables de tous les maux, et surtout dangereux pour la cohésion sociale, et l'allégeance réputée indispensable au système, cette allégeance que personne ne remettait finalement en cause, la plupart avait peur d'y perdre leur confort, et matériel, et intellectuel, même le premier diminuait progressivement depuis quelques années.

Actuellement, se dit Montag, il n'y avait même pas besoin de pompiers, bientôt ce sont les gens eux-mêmes, dociles et soumis aux pires bêtises, qui les brûleraient eux-mêmes si on leur demandait de le faire, et ce sans sourciller.

Le système se fabriquait lui-même des alibis depuis quelques temps déjà, il y avait deux ou trois chaînes de télévision prétendument culturelles que tout le monde prétendait regarder, mais qui restaient confidentielles, n'y étaient abordés que des thèmes qui n'intéressaient qu'une petite coterie de privilégiés, qui eux-mêmes croyaient bon de montrer du mépris pour ce qui restait de la culture en général.

Et même parfois, la télévision montrait des épisodes d'une vieille série, « la Quatrième Dimension », dont certaines histoires avaient été écrites par Ray Bradbury lui-même, mais personne ne regardait, car c'était en « noir et blanc », voire sous-titré, toutes choses qui demandaient un effort, ce dont le spectateur habituel de la télévision et des écrans omniprésents était devenu quasiment incapable.

Montag se demandait ce que ferait ce spectateur si un jour les écrans s'éteignaient, ce qui pouvait tout à fait arriver. Montag enseignait les Lettres, il était heureux quand un élève se passionnait, en secret, sans le montrer devant les autres, pour un livre ou un auteur, il espérait toujours qu'il y en ait plus, mais son espérance s'amoindrissait avec le temps.

Restait les rêves...

Magicite
avatar 07/06/2012 @ 20:40:42
Le seul livre qui m'a passionné en cours durant le collège, en fait il fallait faire un commentaire de lecture avec plusieurs choix de livres.

J'ai eu droit à une sale note, mon exposé était rendu sur une feuille aux bords brûlés et la prof l'as regardé avec dégoût, 14 ans déjà enflammé par mes passions.

J'aurais aimé avoir ce Guy Montag en instit, je suit pas un gosse qui voulait être pompier sauf pour attraper les chats dans les arbres(surtout pour grimper aux arbres pas pour les chats).

Une société où les piétons sont en danger de marcher sur la route car les gens en auto s'amusent à les écraser, une société où les gens se passionnent pour des faux personnages de télés-réalité plutôt que les gens autour d'eux, où la publicité est persécutrice faisant des centaines de mètres de panneau d'affichage car les gens vont tellement vite qu'ils les voient pas sinon, où les Clarisse McMillan passent pour des demeurés car elles aiment cueillir les fleurs et leurs émotions dans le calme et la solitude du crépuscule, une société comme ça j’espère que ça n'existeras jamais *glups*.

Et que les lecteurs se rebelleront contre la mort de l’intelligence(connaissance), la dématérialisation et le plaisir de l'objet, de nos contacts, de la vie. La baleine a un plus grand cerveau que nous, elle devrait être plus intelligente, pourtant à l'instar de nous singes glabres elle n'a pas de mains, ni pour créer ses rêves ni pour serrer sur son cœur.

Je ne sait que penser de ton texte sinon, un hommage romancé et inspiré. Le paradoxe du héros de roman en héros réel dans notre époque décadente de médiatisation à outrance. Oui le père Bradbury est un visionnaire avec son ouvrage comparable(et moins noir et désespéré) au 1984 d'Orwell, un nostalgique de la perte de choses sans communes mesures. Pourtant l'art se perpétue à travers des médias qui sont globalement des instruments de marchands de soupe...
Il est caché, élitiste car hors des sentiers battus, aiguille dans l'océan de foin de nourriture insipide et industrielle et toxique que les agence de communication servent à l'humanité comme à des cochons, des bœufs, les moutons de Panurge.
Et je me souvient d'un rêve de penseurs, les universitaires qui voulait échanger entre eux, qui ont crée un outil de pensé et de communication si puissant qu'il peut permettre à chaque individu de la planète de se voir, s'entendre en quelques 1000ème de nanosecondes.

Et c'est devenu quoi Internet? Un bouge pour cloner et abrutir les gens, une publicité géante comme la télévision est devenue un appauvrissement au lieu d'une richesse.
Enfin il y en a qui dise que l'invention de la photographie est un crime, car elle a tuée le dessin, la peinture, le portrait en tant que forme d'expression commune. Je ne suit pas de ceux là, les outils sont ceux qu'on en fait.

Quis custodiet ipsos custodes?
Si Big Brother vous regarde apprenez à être invisible.

Frunny
avatar 07/06/2012 @ 21:19:03
MERCI AmauryWatremez !
Comme beaucoup , j'ai adoré ce roman qui correspond à mes premiers contacts adolescents avec la littérature...
Souvenirs , souvenirs !

Frunny
avatar 07/06/2012 @ 21:24:11

Et c'est devenu quoi Internet? Un bouge pour cloner et abrutir les gens, une publicité géante comme la télévision est devenue un appauvrissement au lieu d'une richesse.
Enfin il y en a qui dise que l'invention de la photographie est un crime, car elle a tuée le dessin, la peinture, le portrait en tant que forme d'expression commune. Je ne suit pas de ceux là, les outils sont ceux qu'on en fait.


Internet comme la TV , comme la consommation , comme le fonctionnement de la Société en général ,ne fait que répondre aux attentes ( dirigées ? ) d'une population lobotomisée à 80% .
Comme disait Coluche ( le plus grand philosophe du XX ième ! : " il suffirait que ces cons là arrêtent d'acheter pour que ça ne se vende plus..... "

Tistou 10/06/2012 @ 16:57:15
Bienvenue à AmauryWatremez qui jamais ne nous avait prposé de texte sur ce versant, Vos Ecrits, de CL.
Un texte en forme d'hommage à Ray Bradbury dont la flamme s'est éteinte. La flamme, pas l'oeuvre qui visiblement en inspire plus d'un, à commencer par toi Amaury, en revisitation-actualisation d'une oeuvre importante, et quelque part prémonitoire, du XXème siècle.
Mais tout espoir n'est pas mort. En effet, les outils sont ce qu'on en fait ...

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