Janotusdebragmardo 24/06/2004 @ 16:14:54
Le critique amateur avait décidé ce jour là de faire une randonnée. Equipé du sac à dos et de bonnes chaussures, il allait donc à travers chemins et sentes dans la verte campagne du Cotentin. L’air frais et le rythme de la marche aidant, ses pensées billebaudaient, coulaient naturellement dans une sorte de vagabondage sans fin. Le marcheur pensif ne reprenait conscience que devant certains paysages dont la beauté ou la poésie attiraient son attention, ou sous la morsure de ronces ou d’orties attaquant sauvagement ses mollets, ou encore au milieu certaines marettes d’eau froide et boueuse dont le fond, moins ferme que prévu, engloutissait traîtreusement ses pieds.
Ainsi s’écoulaient ses rêveries quand à la suite d’on ne sait pas quelle virevolte, elles aboutirent à la littérature, puis au livre dont il venait de terminer la lecture, et de là, bien entendu, à son site Internet préféré. Il songea donc au commentaire qu’il ferait de ce roman, le plan s’ordonna sans difficulté, les phrases vinrent d’elles-mêmes ; il discerna des significations possibles auxquelles il n’avait pas encore songé. Ce sera une critique de rêve, profonde, ou poindra l’émotion en même temps que la rigueur, l’un des joyaux des onze mille cinq cent et quelques critiques du site…Et sur le forum, il en profitera pour régler son compte à Machin qui a osé rabaisser son auteur fétiche ; il contredira point par point ses arguments puis contre attaquera ; là encore des idées jaillissaient et se rangeaient pour former un réquisitoire implacable.
De retour chez lui, il pris un bain, soupa, et s’assit devant son clavier. Et là, le trou noir. La belle assurance de la journée disparut. A peine une affirmation ou une démonstration était elle écrite, il imaginait la réfutation qui pouvait lui être opposer ; il n’était plus sûr de ses thèses ni des notions qu’il possédait si bien tout à l’heure ; le temps passait, les yeux piquaient ; les phrases n’arrivaient pas à se former, étaient corrigées, recorrigées ; mal effacées et mal réinscrites, elles ne voulaient plus rien dire du tout ; l’orthographe elle-même lui échappait. Il fit appel à son Larousse, à son Robert, au dictionnaire des synonymes, appela à la rescousse les critiques de Gide, les études de Gracq , de Nabokov et d’autres encore ; le Lagarde et Michard tout poussiéreux fut ressorti…Enfin, vers les trois heures du matin, il mis le point final, décida de ne relire sa glose que le lendemain et alla se coucher non sans s’écraser un orteil contre un pied du lit –sa femme était couchée depuis belle lurette et la chambre plongée dans le noir.
Au réveil, le corps courbaturé par la marche et l’esprit embrumé par la nuit trop courte, il but un café et reprit place devant l’écran. Il examina son texte d’un air dubitatif –tant pis, il n’allait quand même pas tout recommencer - corrigea encore quelques fautes, poussa un soupir, et enfin cliqua sur « envoyer ».
Il se retrouva devant un écran blanc.
La connexion ADSL était coupée…et le texte perdu.
Ou es- tu passé, texte imparfait mais néanmoins fruit précieux de mon labeur acharné ? Es- tu définitivement enfoui dans une de ces mémoires étranges de la tourelle d’ordinateur qui ronronne bêtement à mes pieds ? Erres- tu au hasard et pour des siècles dans les lignes et connexions téléphoniques sans espoir d’être accueilli dans un havre, un terminal d’accueil où tu trouverais réconfort et lecture ? Ou cingles- tu dans l’infini et l’éternité du cosmos vers des galaxies inconnues ?
Et l’internaute, morose, songea mélancoliquement à son vieux stylo plume…

Yali 24/06/2004 @ 16:25:21
C'est de petites aventures que se nourrit l’écriture.
Hahaha…
Bienvenue Janotusdebragmardo.
Ça me dit quelque chose ce pseudo?! Mais quoi??

Benoit
avatar 24/06/2004 @ 17:07:00
Ah, ah!, Hi, hi!
Merci pour ce texte drôle et pourtant bien véridique.
Je me suis bien reconnu dans ce récit.

Monique 25/06/2004 @ 08:50:53
Très sympa à lire, léger et humoristique.
Steuplé : "billebauder" = ?? Joli mot, je me doute du sens, mais je ne l'ai pas décelé dans mes dicos.
Et "marette", j'aime beaucoup aussi.
Continue !

Sido

avatar 25/06/2004 @ 09:22:30
Monique pourquoi la femme du narrateur elle serait couchée depuis belle lurette ?
Pourquoi elle serait pas avec ses pots au café à faire une partie de go en buvant un ptit noir ou une pression pendant qu'il joue sa sonate ?

Monique 25/06/2004 @ 09:31:20
Sido, faut pas décourager les bonnes volontés ! Je m'étais bien mis ce détail dans un coin de l'hémisphère gauche du cerveau mais je ne voulais pas le monter en épingle avant que l'auteur ne revienne nous voir...
Sinon, tu as raison...
Tu t'en ressens de nous pondre un petit texte à ta façon sur les frasques supposées de la légitime qui, en fait, avait remplacé ses formes réelles par un grand polochon que le narrateur fatigué n'avait pas remarqué ? Que faisait-elle donc au "Tonneau" pendant toutes ces heures ?

Yali 25/06/2004 @ 09:47:01
Elle écrivait une lettre de rupture, qu'elle oublia sur le comptoir en partant. Et ils vécurent heureux longtemps, d'un oubli à l'autre, d'une amnésie à la suivante. Un peu comme tous les couples quoi.
Et donc, pas de quoi chipoter :)

Sido

avatar 25/06/2004 @ 09:51:27
Je tiens à préciser que j'ai aimé ce texte, et comme Benoît, je constate que moi aussi, " courir, battre, et fendre, sont des verbes du 3ème groupe.

Sido

avatar 25/06/2004 @ 10:12:53
Je tiens à préciser que j'ai aimé ce texte, et comme Benoît, je constate que " courir, battre, et fendre, sont des verbes du 3ème groupe.

Janotusdebragmardo 25/06/2004 @ 17:38:29
A la billebaude ; Billebauder : quêter au hasard, s’emploie surtout au sujet des chiens de chasse.
Janotusdebragmardo : « Maistre Janotus, tondu à la Césarine, vêtu de son lyripipion théologal, & bien antidoté l’estomac de coudignac de four et eau bénite de cave,.. » :dans le début du Gargantua, Maistre Janotus est envoyé par les parisiens pour prier Gargautua de leur rendre les cloches de Notre Dame que celui-ci emprunta. Janotus fit un très beau discours commençant comme suit : « Ehen, hen, hen. Mna dies, Monsieur, mna dies. Et vobis, Messieur. Ce serait bien que bon que nous rendissiez nos cloches. Car elles nous font bien besoin…. »
Quand à la femme déjà couchée, je n’avais pas songé à tout cela, comme quoi un « œuvre » échappe vite à son auteur…

Monique 25/06/2004 @ 17:58:26
merci maître Janotus ! Quand je pense que j'ai tout Rabelais en vieux français, shame on me !

Benoit
avatar 25/06/2004 @ 18:17:08
Je tiens à préciser que j'ai aimé ce texte, et comme Benoît, je constate que " courir, battre, et fendre, sont des verbes du 3ème groupe.


Alors là, il me faut une explication car j'ai beau me creuser la tête, je vois pas ce que je viens faire dans cette citation.

Page 1 de 1
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier