Yali 16/06/2004 @ 12:59:28
Extrait de « Babylone, la guerre et moi » ou « Journal d’un conflit orchestré »
Roman. 140 pages environ en format 10/18. 86 pages au format A4.


Chapitre 3 : Citation et sidération
[21 mars 2003. Deuxième jour de guerre]

Je longe le trottoir d’un pas tranquille, débonnaire. Je m’arrête de temps à autre pour regarder la rue, la circulation, les gens…
Ils se pressent, la vie est si courte.
Sur ma table de chevet est posé un livre. Pas le mien, le mien attend une bonne correction et je ne suis pas très sûr qu’il la mérite, après tout, peut-être n’a-t-il rien commis. Je ne suis pas sûr, je préserve ma condition d’écrivain à part aujourd’hui encore. Non, je pense à un autre livre, un vrai, avec une jaquette, un qui fleure bon entre les pages lorsque l’on y fourre son nez, un rempli de mots qui se courent les uns après les autres, chahutent, se bousculent. En apparence, car à bien y regarder les mots s’organisent.
Comme la rue, les gens, et la vie qui est si courte.
Je traverse la chaussée et je pense à tous ces mots contenus dans les livres, tellement de livres, tellement de mots qui se courent après.
Un mot regarde le préfixe du mot après lequel il cavale, il court sur la page. Des fois, il jette un coup d’œil par-dessus son épaule et observe le suffixe du mot qui lui court après. De peur de se marcher dessus, le mot s’aménage un espace et pendant qu’il court, il faut qu’il fasse gaffe le mot, car il peut choir sur une virgule, se prendre un point dans la gueule, quand c’est pas deux, se faire cerner par des parenthèses, entre guillemets. Il lui arrive même de se faire unir par un trait, alors le mot va par deux, clopin-clopant. D’autre fois, il court et puis plus rien, alors il saute la page. Mais les mots prennent leurs précautions. Les mots, dans leur course, se réunissent en phrase, en paragraphe. Et ils courent comme ça depuis tellement longtemps, se posent tellement de questions qu’ils oublient au bout du compte qu’il n’est qu’un seul vainqueur, un indépendant celui-là, qui attendait là depuis le début, le mot Fin.
La vie est si courte.
Et c’est la guerre, j’avais oublié.
Une tripotée de canards défeuillés sur présentoirs me balance des images obscènes au coin de la rue.
C’est la guerre, je m’en souviens.
Je me souviens aussi de ma voisine, mais pour l’instant, je garde ça pour moi.
J’entre dans le bar-tabac et me dirige directement au comptoir. La salle est vide, le patron manie expertement le chiffon blanc derrière son zinc. Ça sent le bistrot français. C’en est un, et nulle odeur n’est comparable à celle-ci. Je connais quelques pays, leurs bistrots. Non, rien à faire.
— Tiens l’écrivain, ça fait un bail.
Lui et moi on se connaît depuis une éternité. À bien y réfléchir, peut-être davantage.
— Salut Toine. Un café !
— Un café, c’est un mot du jour !
C’est un jeu entre nous. Mon pote le cafetier aime les lettres. Il les aime précisément depuis le jour où il a refermé Uranus. Je lui avais prêté. Je ne préfère pas tirer de conclusion à ce sujet, surtout que, depuis, lui qui ne buvait que du rouge, ne boit plus que du blanc. Je vous l’ai dit, je n’en conclus rien. Mais je vous avoue que, tout de même, il m’est arrivé de me demander ce qui se serait passé si je lui avais prêté César ?
C’est donc un jeu entre nous : je lui refourgue une citation, et en échange, il me refourgue un petit noir, un blanc quand c’est l’heure. À sa dimension, c’est un mécène. Les mots, il les note sur un calepin réservé à cet effet, les apprend, puis il les ressort aux clients. Il fait ça bien, toujours à propos, et n’oublie jamais de citer ni l’auteur ni l’origine du texte.
Lorsqu’il m’avait rendu Uranus, je lui avais proposé une autre lecture. Il m’avait répondu qu’il préférait rester sur une bonne impression. C’était exactement les mots qu’il avait employés « Je préfère rester sur une bonne impression ! ». Ça m’avait sidéré comme répartie, et je n’insistais pas.
Depuis, j’étanche sa soif de mots, il étanche ma soif, point.
— Alors ce mot ?
— Je cherche !
C’est vrai que je cherche.
D’habitude, j’ai une phrase en tête avant d’entrer. Souvent, je la trouve en chemin. Mais la guerre sur présentoir, mais les gens qui se pressent, mais les mots qui encombrent et la vie qui est si courte.
— Ton café refroidit.
J’y suis.
— « Quand je pense, réfléchit Jurgen, que le monde dans lequel je vis est dirigé par des êtres infiniment moins intelligents que moi… Je m’en suis souvent douté et c’est décidément trop injuste. Bon, voyons voir, si le type à l’intelligence monstrueuse que je suis ne peut pas tirer son épingle du jeu. »
Il me regarde dubitatif, répète à voix haute, me regarde dubitatif, répète à voix haute, me regarde dubitatif.
— C’est de Jurgen ?
— Non, Jurgen c’est le héros. C’est de Cabell, cité par John Fante.
Je rajoute cité par John Fante parce que le livre posé sur ma table de chevet est un recueil de nouvelles de John Fante. Un recueil post-mortem intitulé, ironie du sort, « Grosse faim », et l’une d’entre elles est une variation autour de cet extrait de texte. Je me fais l’impression de voler un peu de la gloire de Cabell au profit de John Fante, de me mêler de leurs histoires. Je culpabilise, c’est con.
— Et alors ? dit le Toine poussant la tasse de café.
— Alors quoi ?
— Il l’a tirée son épingle du jeu, ce Jurgen ?
Il me sidère mon pote le cafetier avec ses réparties.

Yali 16/06/2004 @ 13:00:26
Pour ceux, intéressés par la lecture intégrale du roman, veuillez me faire parvenir un mail à :
marieste@tele2.fr

Beautoucan 16/06/2004 @ 15:10:49
Bonjour Yali, je vois que tu as franchi le pas !! Bravo. L'avenir sourit à ceux qui osent.

Benoit
avatar 16/06/2004 @ 17:13:32
J'ai bien aime le passage sur les mots qui courent et se prennent des points en pleine gueule.

Benoit
avatar 16/06/2004 @ 17:15:50
Apres relecture du passage, ca me fait penser un peu a Cavanna, niveau style (repetition de mots, "fais gaffe",...).

Yali 16/06/2004 @ 20:37:41
Apres relecture du passage, ca me fait penser un peu a Cavanna, niveau style (repetition de mots, "fais gaffe",...).

N'est ce pas toi Benoit qui disait qu'il était difficile, voire impossible de juger un roman sur un chapitre?

Benoit
avatar 16/06/2004 @ 20:47:50
Si mais la, je ne critique pas (en positif ou en negatif) l'ensemble du roman. Il s'agit juste d'une petite remarque anodine, sur un court passage de l'extrait. C'est tout.
A l'avenir, je me garderai bien de faire une quelconque remarque sur ce que tu publies sur ce forum...

Yali 16/06/2004 @ 20:59:03
Ne te fourvoies pas sur mes intentions, tes critiques sont toujours les bienvenues. À tel point que ma remarque, peut-être maladroite, n’était faite que pour t’encourager à lire le reste du roman, afin de me donner un avis plus complet.

Benoit
avatar 16/06/2004 @ 21:08:57
Ah, d'accord! Je vais de ce pas t'envoyer un message...

Beautoucan 16/06/2004 @ 21:38:58
Qu'est-ce qu'ils sont durs ici ! Un mot de plus, de moins, de travers, et tout peut basculer...

Monique 17/06/2004 @ 21:42:17
alors, Benoît, ce message ?

Benoit
avatar 17/06/2004 @ 21:47:46
Doucement, il faut d'abord que je le lise! Je l'ai telecharge mais... il me faut un peu de temps avant de me plonger dedans... je l'imprime et... j'aime pas me precipiter sur une nouveaute, il faut que ca murisse dans mon esprit, que l'envie se declare... bientot, promis!

Yali 22/06/2004 @ 15:50:57
Sans forcément "reconstruire", ce qui serait effectivement peu motivant, mais au moins redresser un peu la situation, clarifier, équilibrer, simplifier, préciser, que sais-je... Il en faut parfois peu pour rendre un texte initialement rébarbatif par quelque chose de carrément attractif. Je crois que l'important est de faire lire au préalable un maximum de lecteurs de bonne volonté et d'étudier toutes les remarques avant d'oser lancer au vent des éditeurs.


Pas question d’éditer pour l’instant Beautoucan. Je crois ne pas être prêt. Comme disait l’autre, il y’a loin de la coupe aux lèvres, et pour l’instant, je me sens sur le trajet, quelques part entre les deux, mais pas encore aux lèvres, et, surtout, je ne voudrais pas louper mon entrée et encore moins la faire dans n’importe quelle maison d’édition. :)
Je fais lire à un maximum de lecteurs possible ce que j’écris, si nous prenons le cas de « Babylone, la guerre et moi » une cinquantaine de personnes ont dû le lire à ce jour. En recoupant leurs impressions, je sais ce qui cloche globalement. Les critiques négatives revenant le plus souvent étant : la caricature « clichés » de quelques personnages, la confusion que génère une scène, celle de la Sainte. La mort annoncé de Jo Black. (Cette dernière remarque m’étonne toujours dans la mesure où partir à la guerre c’est précisément prendre le risque de ne pas en revenir.) Et chacun aimerait que je développe davantage.
Les critiques positives : la petite musique qui fait que personne n’en a arrêté la lecture, le style, les digressions comme système de construction. Et de la part de beaucoup, une fascination pour la relation Babylone/Narrateur : ce qui est dit, et surtout ce qui ne l’est pas. Et bien sûr, personnes n’est d’accord sur la fin, ça va du « Etonnant ?! » au « Prévisible ! » cette dernière remarque aussi me laisse pantois car avant de l’écrire, moi, je ne la connaissais pas, la fin.
Si j’analyse tout ça, hormis la confusion entre la Sainte et Babylone facilement réparable ; je me retrouve dans des non sens. Si j’étoffe les personnages annexes, il me faudra étoffer le personnage du narrateur et celui de Babylone, et si je touche à Babylone (J’ai essayé) je coupe la petite musique. Pas simple ! Alors, le mieux dans ce cas, je crois, c’est de continuer à écrire autre chose, essayer de saisir véritablement ce qu’est cette petite musique, essayer d’en jouer en prenant en compte effectivement les remarques qui me sont faites, y penser, les digérer, et les oublier dés que je m’y recolle. Je ne suis pas pressé de publier Beautoucan, du tout, moi je serais plutôt le genre à être pressé d’écrire bon, un très bon roman, sans jamais oublier que, probablement, une vie est trop courte pour parvenir à l’exellence.

Beautoucan 22/06/2004 @ 16:41:59
Décidément la musique ! C'est comme l'alcool souvent présent, la musique est sous-jacente, un fil rouge...
Tu as de bonnes raisons Yali. Mais pour ce qui est de ne pas te mettre entre les mains de n'importe quel éditeur, crois-tu vraiment que le jour venu, tu auras le choix ?? Tu feras sans doute comme tous ceux qui rêvent de publier et qui sont persuadés de la qualité de leurs écrits : tu sélectionneras à ton goût les destinataires, et lorsque tu n'auras eu que de polis refus, tu arroseras largement, de plus en plus largement, longtemps, sans te décourager, en continuant à écrire. Car on écrit d'abord pour soi. Pour "exprimer" ce qu'on a en soi et qui doit sortir. Tant mieux si ça touche les autres. Maintenant, il est aussi tout à fait possible que tu captes directement et vite l'attention d'un éditeur qui a pignon sur rue, c'est ce que je te souhaite de tout coeur car tes qualités sont indéniables. Mais tout est perfectible. Bon courage Yali.

Sido

avatar 22/06/2004 @ 17:01:13
Suis larguée avec le PC, téléchargement et tout ça. Mon fils va m'aider. Pas pris connaissance donc.

Yali 22/06/2004 @ 17:51:32
Sido
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Yali 22/06/2004 @ 18:27:04
L’ivresse, la musique, et les femmes Beautoucan, les plaisirs de la vie en sommes.
Toutefois ne pas confondre auteur et personnage :)
Il est possible en effet que le moment venu, je n'ai pas le choix, alors, alors on verra bien… La route sera longue, plus longue sans doute que je ne l’imagine, plus sinueuse aussi. Inch'Allah.
Cependant, je ne te rejoins pas sur un point Beautoucan, lorsque l’on écrit, ce n’est jamais complètement pour soi, sans la lecture de l’autre les textes meurent.

Beautoucan 22/06/2004 @ 21:12:22
Relis-moi Yali, j'ai dit qu'on écrivait D'ABORD pour soi... Et cela, nul écrivain, amateur ou professionnel, ne peut le nier je pense.
Ensuite c'est mieux de partager, sûr.

Monique 22/06/2004 @ 22:11:05
Pour en revenir à "Babylone, la Guerre et moi", je t'ai déjà donné mon impression. Et je vois que tu as déjà eu de nombreux retours. Moi je ne pense pas qu'il faille reprendre fondamentalement en "étoffant" les personnages, ou même simplement le narrateur et Babylone. Ils sont bien comme ça. Les quelques faits prévisibles, oui, je crois que je t'en avais parlé. Non, laisse tel quel, c'est très bon.

Monique 24/06/2004 @ 14:18:23
Yali, c'est quand que tu consens à nous envoyer un autre extrait ?... steuplé...

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