Patman
avatar 06/11/2009 @ 09:13:09
Et puis soudain : le silence.
Lourd, insoutenable, insondable, épais…un silence assourdissant.
Le bruit avait cessé aussi subitement qu’il avait commencé. Quand était-ce ? Quelques heures ? Quelques jours ? François Lemarchand ne pouvait le dire. Il se souvenait qu’il avait tout à coup senti le sol tressaillir sous ses pieds et son crâne s’était empli d’un fracas immense. Il venait d’écrire à sa femme qu’il avait de la chance, qu’il était dans un secteur calme, tout se passait bien et l’on racontait même à la popote que la guerre serait finie bientôt, que le Kronprinz en avait plein les bottes et que tous seraient chez eux à Noël prochain.

" Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours » …

Ce vers de Lamartine surgit soudain de sa mémoire. Réminiscence de la petite école où, enfant, il apprenait avec ses condisciples qu’un jour ils reconquerraient l’Alsace et la Lorraine. L’Alsace elle est là-bas, devant eux. On la devine par delà les collines. De l’autre côté de la Meuse qui coule, paresseuse. De l’autre côté aussi de ces lignes de barbelés qui déchirent l’horizon. François tremble. Il cherche du regard ses compagnons d’infortune. Il essaie de faire jouer sa mémoire. Que disait-il ce poème déjà ?

« Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! »

Oui, il s’en souvient. Savourer les plus beaux de nos jours… Quelle ironie. Deux ans déjà qu’il savoure les délices des tranchées. Poux, typhus, nuits d’angoisse sous les obus, journées interminables d’ennui, marches, contremarches, gardes et corvées… Ah ! Les jours heureux de l’école. Ils sont loin hélas, enfouis au fond des temps mais toujours prêts à ressurgir aux moments les plus inattendus. Le silence perdure. Il est glaçant après un tel vacarme, plus vif encore que le froid qui règne sur le plateau en ce mois de février… La nuit tombe. Bientôt on redescendra au repos dans ce gros bourg, comment qu’y se nomme déjà ? Verdun… C’est ça, Verdun.

Au loin un coup de sifflet…un autre…puis un autre encore… Et un cri rauque exhalé par mille gosiers… « Vorwart »… C’est l’attaque…nous sommes le 21 février 1916 à 16h45… ce jour là hélas le temps ne suspendit pas son vol.

Tistou 06/11/2009 @ 10:29:18
Plongée dans ce que l'homme peut faire de pire, ou comment mêler Lamartine à la poésie des tranchées ...
Bien écrit, peut-être ai-je du mal à imaginer une pensée aussi moderne en ce début XXème ... Je ne sais pas dire, il n'est pas question de téléphone portable ou de chewing-gum, mais quelque chose me parait définitivement moderne et m'empêche du coup de me projeter totalement dans la boue ?

Bolcho
avatar 11/11/2009 @ 11:49:35
Bonjour Patman.
Je trouve que tu rends bien ces probables derniers instants de poilu mais j'ai un sentiment d'inachevé, l'impression que tu n'as pas assez exploité la situation, bref, je t'encourage à en faire plus. Ton texte est aussi court qu'une explosion d'obus. La suite de la bataille de Verdun ne m'intéresse pas vraiment, mais si on en savait plus sur ton personnage, sa famille, son passé, la fin abrupte prendrait une densité nouvelle.
Cela dit, ton plouc n'a pas pu entendre « Vorwart ! » (ou bien il a été rendu sourd par l'explosion...) ; c'est « Vorwärts ! » que l'officier d'en-face a hurlé. Cela fait d'ailleurs une drôle d'impression d'entendre ce mot dans un tel contexte, étant donné que c'était aussi le titre d'un journal social-démocrate profondément pacifiste à l'époque. Mais, effectivement, l'officier d'en-face devait s'en foutre et ça ne l'a pas empêché de beugler son « En avant ! ».

Garance62
avatar 11/11/2009 @ 12:00:51
Un texte de circonstance aujourd'hui. Rappel d'une effroyable boucherie. Ce que l'homme est c...
Même impression que Bolcho. Ton texte aurait mérité un développement plus long. Mais peu importe. J'aime beaucoup le contraste entre le bonheur des vers de Lamartine et cette fange mortelle dans laquelle se trouve ce poilu.
Un premier texte qui en appelle d'autres je te le souhaite.

Mieke Maaike
avatar 11/11/2009 @ 22:24:33
J'éprouve un peu la même impression que les autres. L'idée de mêler la poésie en contraste à l'horreur des tranchées est excellente, et l'écriture est bonne. Mais le texte est trop court pour qu'on puisse se plonger dedans et éprouver des émotions. L'idée de Bolcho est bonne: creuse le personnage, donne lui un passé, une forme, des sentiments. Rends-le nous attachant. Ca permettra de rendre son sort plus poignant.

Patman
avatar 12/11/2009 @ 10:24:17
Petite explication : ce texte je l'ai écrit il y a deux ou trois ans pour un concours de textes courts. Thème "le temps" et un nombre très restreint de signes ce qui explique qu'il soit si court. J'avais dû tailler dedans pour arriver à être dans le moule.
Je n'ai pas gagné ce concours, mais j'aimais le texte et je l'ai donc refourgué en version allongée dans un autre concours quelques mois plus tard par la Mairie de mon arrondissement. Thème: un héros (connu ou anonyme) de notre arrondissement en maximum 3 pages.
Voici donc la seconde version (qui elle a eu un prix pour la petite histoire).

Patman
avatar 12/11/2009 @ 10:48:02
Bonjour Patman.
Je trouve que tu rends bien ces probables derniers instants de poilu mais j'ai un sentiment d'inachevé, l'impression que tu n'as pas assez exploité la situation, bref, je t'encourage à en faire plus. Ton texte est aussi court qu'une explosion d'obus. La suite de la bataille de Verdun ne m'intéresse pas vraiment, mais si on en savait plus sur ton personnage, sa famille, son passé, la fin abrupte prendrait une densité nouvelle.
Cela dit, ton plouc n'a pas pu entendre « Vorwart ! » (ou bien il a été rendu sourd par l'explosion...) ; c'est « Vorwärts ! » que l'officier d'en-face a hurlé. Cela fait d'ailleurs une drôle d'impression d'entendre ce mot dans un tel contexte, étant donné que c'était aussi le titre d'un journal social-démocrate profondément pacifiste à l'époque. Mais, effectivement, l'officier d'en-face devait s'en foutre et ça ne l'a pas empêché de beugler son « En avant ! ».


Salut Bolcho,
ça fait un bail ! ... je suis parisien maintenant, plus bruxellois...;-)

Effectivement c'est "vorwärts" en allemand...c'était corrigé dans le texte original, j'ai pas fait attention en le mettant sur le site. Par contre c'était bienécrit dans la deuxième version (14ème arrondissement) que j'ai mise en ligne itou.

Patman
avatar 12/11/2009 @ 11:38:51
Un premier texte qui en appelle d'autres je te le souhaite.


Voilà ton voeu exaucé puisque je viens d'en mettre 2 autres sur le fil : la version longue de celui-ci et un autre très bref aussi (impératif de l'éditeur) que j'avais écrit en décembre 2006 pour la revue belge "Le Non-Dit" (dans ce numéro on retrouvait aussi le camarade Lucien si j'ai bonne mémoire).

Tistou 13/11/2009 @ 09:49:19
On va y aller voir, Patman.

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