Saint Jean-Baptiste 13/09/2006 @ 21:57:17
Ruanda, petit rappel historique.

Faute de commémoration officielle, d'aucuns pourraient sous-estimer le souvenir ému que le génocide du Ruanda a laissé dans nos populations, belges surtout.
Pour bien comprendre les origines du drame, un petit et modeste rappel historique est peut-être le bien venu.

Au début de l'ère chrétienne, les Hutu, une tribu d'origine bantoue en quête de terres, envahit les collines du Ruanda, occupées par les Batwa.
Au XVIIème siècle une tribu d'éleveurs hamites venus probablement d'Ethiopie, envahit à son tour le territoire ruandais, ce sont les Tutsi.
Sans entrer dans trop de détails, disons que la population se compose dés lors, de 15 % de Tutsi, 80 % de Hutu et 5 % de Batwa.
Les Tutsi sont dominateurs. Ils occupent le haut des collines et prennent tous les postes du pouvoir.
La société est organisée en système féodal : les Tutsi sont propriétaires de tout ; les Hutu installés au pied des collines fournissent le travail ; le produit du travail est partagé par les Tutsi.
La minorité Batwa, depuis toujours persécutée par les Hutu, s'est mise sous la protection des Tutsi et leur assure la domesticité.

Selon les historiens Tutsi, la coexistence de ces ethnies était pacifique et harmonieuse.
Selon la tradition Hutue elle était particulièrement cruelle : esclavage, châtiments corporels, peine de mort, sacrifices humains rituels... Le fait est qu'on retrouve dans les ornementations du pouvoir Tutsi, des trophées sexuels prélevés sur les Hutu, en proportion avec l'élévation du chef Tutsi !
D'après les premiers colonisateurs allemands, la société vivait en bonne intelligence malgré des poussées de fièvre particulièrement meurtrières.

Alors, société paradisiaque ou infernale ? A vous de faire votre choix !

Après la guerre 14/18, la tutelle du Ruanda (et du Burundi voisin) fut confiée à la Belgique par la Société des Nations et après 40/45 la tutelle belge passa sous contrôle de l'Organisation des Nations Unies.
Les Belges, au contraire des Allemands, se préoccupèrent d'humaniser un système politique particulièrement injuste ; avec cet inconvénient qu'ils s'initiaient dans la société ruandaise.
Pour remédier à la famine endémique, de nombreux colons agronomes travaillèrent d'arrache pied à l'amélioration des cultures et du bétail. Selon le témoignage de l'écrivain Français (?) Omer Marchal : "Afrique Afriques" (Fayard 1983) il s'instaurait souvent un vrai caractère d'amitié entre les Ruandais et les colonisateurs.

Beaucoup de Tutsi à ce moment là, comprirent la nécessité d'adoucir leur système de pouvoir ; d'autant plus que les Hutu, instruits sur les mêmes bancs que les Tutsi, dans les écoles missionnaires, avaient formé une véritable élite capable de s'emparer du pouvoir. Mais dès les premières concessions des Tutsi, les Hutu foncèrent dans ce qu'ils prenaient pour une brèche et ce fut la grande révolte de 1959 où des milliers Tutsi furent massacrés.

En cette fin 1959, la décolonisation était dans l'air, encouragée par le Conseil de tutelle des Nations Unies dont les représentants tiers-mondistes accusaient les Belges de martyriser les Africains.
Les Belges qui avaient calculé que la tutelle leur coûtait, chaque année, un milliard et demi de FB (actuellement +ou - 250 millions d'euros) ne se firent pas prier.

Cette indépendance était redoutée par la majorité hutue qui voyait se profiler un retour à l'Ancien Régime tutsi, curieusement encouragé par l'ONU.
En 1960 la Belgique organisa un référendum. Les Tutsi le sabotèrent. L'élu de l'écrasante majorité hutue fut Grégoire Kayibanda, que le Secrétaire Général des Nations Unies, Dag Hammarksjöld, refusa de reconnaître : "je ne reçois pas les laquais" !.

Le 28 janvier 1961, lors d'un coup d'état sanglant, Grégoire Kayibanda proclame la République.
La commission des Nations Unies pour le Ruanda presse la Belgique de rétablir l'ordre tutsi, mais le chef de l'armée Coloniale, le Colonel belge Guillaume Logiest, refuse de tourner les armes contre le peuple ruandais.

Le 29 septembre 1961, des élections législatives sont organisées par les Nations Unies : tous les pouvoirs tombent aux mains des Hutu qui s'organisent dans un esprit de vengeance. La résistance tutsie s'organise aussi ...avec beaucoup d'appuis extérieurs (les Tutsi passent pour être riches!).

L'indépendance du Ruanda est proclamée le premier juillet 1962.

La suite c'est l'actualité, que les Belges et les Occidentaux ne peuvent que suivre en spectateurs, et qui pourrait se résumer d'un trait : massacres sur massacres, avec des milliers de victimes de part et d'autre et, avec pour point d'orgue si j'ose dire, le génocide des Hutus contre les Tutsi, en mai 1994.

Ce génocide a fait l'objet de beaucoup de reportages sur les TV belges et a très fortement marqué les esprits.
La ville d'Ottignies-Louvain-La-Neuve a accueilli, bon gré mal gré, une importante communauté de Ruandais des deux camps, qui s'entassent dans des logements à bon marché pour étudiants.
Cette communauté est parfois aidée par la population mais reste toujours très secrète ; on sait que les disputes ethniques subsistent, mais à la mode de chez nous : on s'insulte, on s'injurie, on se déteste, mais on ne s'étripe pas !
Comme quoi, la "culture" belge a du bon ! ;-)

(Mes sources proviennent principalement de G.H. Dumont, J. Gérard, J. Kestergat, J.G. Libois).
Je remercie mes très honorés lecteurs qui ont eu la patience de me lire jusqu'au bout.

Mieke Maaike
avatar 13/09/2006 @ 22:22:57
Ah, les bienfaits de la colonisation qui a pu mater ces sauvages qui émasculaient leurs victimes pour accroitre leur pouvoir. Qu'auraient-ils fait sans nous, les civilisateurs, hein ? Clairement se massacrer dès l'indépendance de leur pays. CQFD.

Quelques infos complémentaires...

http://amnestyinternational.be/doc/…

Selon l’historien Gérad Prunier, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs, « il s’agit de deux groupes, probablement d’origines ethniques différentes si l’on remonte au XIIIème ou au XIVème siècle mais depuis longtemps biologiquement partiellement mélangés et culturellement homogenéisés ». Les deux groupes partagent d’ ailleurs une même langue, le Kinyarwanda. Les termes « Tutsi » et « Hutu » auraient en fait à l’origine été utilisés pour décrire le statut social d’un individu, le premier terme désignant une personne possédant de nombreuses têtes de bétail et le second identifiant une personne soumise à l’autorité d’un plus puissant. Par extension, les deux termes ont permis de distinguer l’élite de la majorité des gens ordinaires.

Si l’identification des pasteurs tutsis comme détenteurs du pouvoir et des cultivateurs hutus comme sujets était déjà fixée à l’arrivée des Européens à la fin du XIX siècle, il est manifeste que les colonisateurs successifs, l’Allemagne et la Belgique, ont joué un rôle crucial dans l’imposition de ce différencialisme. Conformément aux théories en vogue dans l’Europe du début du XX siècle, les colonisateurs ont appliqué la notion de race aux catégories sociales Tutsi et Hutu.

Considérant les Tutsis, sur base d’ indices anthropométriques, comme plus proches des Européens, le colonisateur belge s’est reposé sur cette « minorité supérieure » pour administrer le territoire rwandais, lui réservant l’exclusivité des postes à responsabilité. À partir des années 1930, les Belges procèdent à des recensements. Les Rwandais sont invités à déclarer le groupe auquel ils appartiennent. Les statistiques donnent les chiffres suivants : 85 pour cent de Hutus, 14 pour cent de Tutsis et 1 pour cent de Twas [2] Ce « fichage ethnique » allait « couler dans le béton » la partition de la société en trois catégories, avec les conséquences que l’on connaît sur le cours de l’histoire du minuscule pays africain.

Saule

avatar 13/09/2006 @ 22:51:51
Très intéressant SJB et Mieke.

Sur Wikipedia il y a un bon article sur la question éthnique

http://fr.wikipedia.org/wiki/Ethnisme_au_Rwanda

La responsabilité du colonisateur est mise en cause aussi par l'auteur de l'article.


Les ethnologues belges analysèrent (mesurèrent les crânes, etc., catégoriseront) des milliers de Rwandais sur des critères raciaux analogues à ceux que les Nazis utiliseront plus tard. C'est toute la science sociale occidentale du début du XXe siècle qui est en cause. On créa un stéréotype de chaque race (les Tutsi grands et minces, les Hutu petits et trapus, etc.). En fait, comme le remarquent des chercheurs, il n'y a pas plus de différence de taille entre les Tutsi et les Hutu qu'entre les classes sociales françaises dans les années cinquante. Le mode d'alimentation expliquerait en grande partie ces différences fréquentes mais pas systématiques : les Tutsi, éleveurs, boivent traditionnellement plus de lait que les Hutu, cultivateurs.


Mais bon ça n'explique quand même pas comment subitemment des gens ont commencé à massacrer leur voisin de manière sauvage. Ca reste assez incompréhensible. Dire que ces gens sont des sauvages est cependant réducteur je le concède. Mais alors pourquoi ?

En Belgique, outre les casques bleus, on a beaucoup parlé des deux religieuses qui avaient livré les tutsi réfugiés dans leur monastère. Pire elles avaient même laissé les hutus incendier un garage ou plusieurs centaines de hutus étaient cachés. Je ne sais pas ce qu'elles sont devenues.

Je pense que ce génocide a fortement marqué les esprits en Belgique mais peut-être pas autant dans les autres pays. Je crois que c'est le plus grand génocide de l'histoire après celui des juifs.

Aria
avatar 13/09/2006 @ 23:13:25
Mieke, connais-tu l'Afrique ?
Je ne crois pas.

Je ne défends pas la colonisation. La colonisation belge a été plus dure que la française.

Il est pourtant réel que certaines administrations coloniales, la Française, que je connais bien, ont "administré" très humainement et ont évité de nombreux massacres. Je parle du Congo-Brazzaville. Je ne ferai aucun commentaire sur les dirigeants actuels de ce pays, ni sur tout ce qui s'y est passé depuis 1962. Personne ne parle jamais des enfants-soldats qui se sont mis à terroriser la ville dès le début 1963.
Je ne crois pas que ce soit les Français qui aient armé ces enfants.

Alors ta réflexion sur les colonisateurs qui ont évité les émasculations... est vraiment hors de propos.

J'ai vécu des guerres tribales en Afrique; c'était terrifiant. Elles n'étaient vraiment pas déclenchées par le colonisateur.
Avant les armes à feu, c'étaient les sagaies qui étaient utilisées. Les blessures de sagaie étaient effroyables.

Pourquoi les guerres auraient-elles épargné l'Afrique, quand les "tribus" européennes s'étripaient gaillardement ? Chez nous, on brûlait les sorcières, non ?

Et sur ce site, on s'étripe tout aussi gaillardement. C'est virtuel, c'est tout.

Parler des horreurs de la colonisation, c'est tendance !
Mais en parler quand on n'y connaît rien...sauf ce qu'on lit dans son quotidien préféré....

Aria
avatar 13/09/2006 @ 23:19:57
Le Rwanda a été le lieu de l'un des plus grands génocides de tous les temps.
Faut-il pour autant l'attribuer au colonisateur ?

Ceux qui ont vécu en Afrique, croyez-moi, ont été les plus durement affectés. Car on ne peut vivre en Afrique sans aimer les Africains quelle que soit leur race, leur ethnie.

Saule

avatar 13/09/2006 @ 23:27:02

Et sur ce site, on s'étripe tout aussi gaillardement. C'est virtuel, c'est tout.

Oui mais sans les machettes quand même ! Non sérieusement on a vu pire, ou mieux c'est selon :-)


Pourquoi les guerres auraient-elles épargné l'Afrique, quand les "tribus" européennes s'étripaient gaillardement ? Chez nous, on brûlait les sorcières, non ?

Ce qui est arrivé là-bas pourrait arriver ici aussi je suppose, en tout cas dans la frange de population non éduquée.


Parler des horreurs de la colonisation, c'est tendance !
Mais en parler quand on n'y connaît rien...sauf ce qu'on lit dans son quotidien préféré....

Visiblement il n'y a pas de consensus sur la question du role du colonisateur ou de la question ethnique. Par contre je ne connais pas ton expérience de l'Afrique mais l'expérience personnelle n'est pas nécessairement bonne conseillère, à la limite mieux vaut un regard objectif.

Mieke Maaike
avatar 14/09/2006 @ 09:26:41
Mieke, connais-tu l'Afrique ?
Je ne crois pas.

Euh… C’est que j’y ai vécu pas mal d’années… Et j’avoue que la confrontation avec l’ « héritage colonial » était plus qu’interpellant. (à l’occasion lis mes textes « aller simple » sur Vos écrits)

Alors ta réflexion sur les colonisateurs qui ont évité les émasculations... est vraiment hors de propos.

Je n’ai fait que rebondir sur les propos de SJB : « Le fait est qu'on retrouve dans les ornementations du pouvoir Tutsi, des trophées sexuels prélevés sur les Hutu, en proportion avec l'élévation du chef Tutsi ! »

Mais dès que j’ai un peu de temps, je vais plus longuement écrire mon point de vue sur le rwanda.

Saint Jean-Baptiste 14/09/2006 @ 12:40:00
Et en ces temps du souvenir, l'intérêt porté aux malheurs de nos amis africains, en guise de commémoration et de compassion est, je pense, toujours le bienvenu.

En ouvrant ce fuseau j'ai voulu faire un modeste rappel de l'Histoire du Ruanda. (Ruanda est l'ancienne orthographe. Aujourd'hui on écrit plutôt Rwanda, je ne sais pas pourquoi).
Les Historiens chez qui j'ai puisé mes renseignements sont reconnus pour leur intégrité et leur parfaite objectivité, si tant est que l'objectivité parfaite soit possible.
(Ceux qui ont vu dans ce petit condensé une prise de position, me font un procès d'intention, je commence à en avoir l'habitude.)

Le premier but de l'Histoire n'est pas d'argumenter mais de s'approcher le plus possible de la vérité.
Il faut se défier comme de la peste de ces gens qui mettent l'Histoire au service d'une cause. Si édifiante soit la cause.
Quand Amnisty International, par exemple, prélève un texte chez un Historien, elle met l'Histoire au service de sa cause ; cause admirable s'il en est, mais le procédé n'est pas valable.

L'Histoire est un redoutable outil d'endoctrinement. On sait que le premier souci d'un régime totalitaire est de réécrire les manuels d'Histoire scolaires.
Donc il est important de toujours vérifier ses sources, de les comparer, de les confronter, l'Histoire devient alors un domaine passionnant au service de la seule connaissance.

L'Histoire du Ruanda est intéressante et particulièrement pour nous, les Belges, puisque nous avons influencé son cours pendant près d'un demi siècle. Il est intéressant de voir comment au cours des temps des éléments de discorde se sont mis en place et comment ils ont débouché sur un des plus grands drames de l'Histoire.
Et après coup, il est toujours facile de dire : yavèqua faire ci, yavèqua faire ça ! Comme disait Paul Henri Spaak, tout le monde est toujours malin ...après !

Nous attendons avec impatience d'autres aspects historiques, les comptes rendus, les témoignages qui pourront apporter plus de connaissance à cette page d'Histoire de l'Afrique.
CLiens, Cliennes, à vos plumes !

Saule

avatar 14/09/2006 @ 12:50:10
Donc il est important de toujours vérifier ses sources, de les comparer, de les confronter, l'Histoire devient alors un domaine passionnant au service de la seule connaissance.

A ce propos, dans le lien wikipédia que je proposais (à propos du problème ethnique), ils préviennent au début que :
Ceci est un article sujet à une controverse de neutralité et est donc à considérer avec précaution.
.

C'était évident pour moi mais c'est quand même mieux de le dire !

Aria
avatar 14/09/2006 @ 14:17:40
Mieke, je me suis bien plantée ;-))

Sûr que tu connais l'Afrique. J'ai parcouru tes 3 premiers textes que je trouve excellents. Je ne peux lire longtemps sur ordi, car mes yeux fatiguent et l'imprimante est HS.
J'aimerais pourtant savoir ce que tu appelles "les séquelles " (je ne me souviens plus du mot employé exactement) de la colonisation.

En vérité, je souhaiterais que ce soit un Africain qui réponde sur ce sujet.

Aria
avatar 14/09/2006 @ 14:24:30
A propos de Ruanda, je vais sans doute être ringarde:
avez-vous écouté la chanson de Corneille qui parle à sa mère assassinée en lui disant qu'elle peut être fière de lui ? Ca brise le coeur, surtout quand on est une mère.
Mes canaux lacrymaux fonctionnent plus que pour les commémorations du 09/11, je vous assure.

Echemane
avatar 14/09/2006 @ 14:48:35
Tout cela me fait penser à la loi qui a failli voir le jour en France selon laquelle l'enseignement de l'Histoire devait souligner "le rôle positif de la colonisation". C'était absurde évidemment et les oppositions à ce texte ont été telles que le gouvernement a reculé.
D'un autre côté nous avons eu plus récemment des associations qui se sont insurgées contre la définition du mot colonisation dans le petit Robert: "mise en valeur, exploitation des pays devenus colonies". Définition qui date déjà de 30 ou 40 ans! Sont-ils nés d'hier ceux qui s'étonnent?
Bref, porter un regard moral sur l'Histoire est excessivement dangereux sous peine, comme le souligne SJB, de voir les historiens mis malgré eux au service de causes plus ou moins nobles.
Quant au drame Rwandais, je trouve qu'il méritait mieux que les chansons de Corneille, mais c'est juste une histoire de goût musical!
Pour finir, juste un mot: qu'on arrête, par pitié! d'opposer ces morts ici à ces morts là, c'est indigne. On peut critiquer le travail des média, sans basculer dans les enchères émotionnelles et lacrymales...

Mieke Maaike
avatar 14/09/2006 @ 15:15:31
Les Historiens chez qui j'ai puisé mes renseignements sont reconnus pour leur intégrité et leur parfaite objectivité, si tant est que l'objectivité parfaite soit possible.

Leur intégrité, personne n’en doute. Mais leur « parfaite objectivité » est un non sens par rapport à l’Histoire. L’Histoire se reconstruit au fur et à mesure des recherches et analyses d’historiens, eux-mêmes tributaires de leur propre héritage culturel à un moment donné, dans une société donnée, duquel ils ne peuvent pas faire totalement abstraction.

Que ces historiens que tu cites aient en tout bonne foi tenté d’écrire l’Histoire du Rwanda et aient conclu au rôle positif de la colonisation (ce qui est un jugement de valeur), ne fait aucun doute. Il n’en reste pas moins que d’autres historiens, tout aussi intègres et compétents mettent en évidence d’autres aspects historiques et sont plus réservés sur le rôle positif de la colonisation.

La première chose qui me saute aux yeux dans ton texte, c’est que tu « ethnitises » les hutus et les tutsis en les faisant provenir de régions différentes. Mais c’est sans compter sur les mélanges entre ces personnes qui ont eu lieu au cours de l’histoire au point qu’on n’est pas capable de déterminer à première vue si une telle personne est hutue ou tutsie quand on se promène au Rwanda (à part quelques exceptions). Les génocidaires eux-mêmes se basaient non pas sur leur apparence pour exterminer les tutsi, mais sur leurs papiers d’identité. C’est un peu comme si tu disais « en Belgique, il y a des wallons qui sont descendants des peuples latins et des flamands qui sont descendants des peuples germaniques », ce qui est un non sens complet quand on regarde la réalité ethnique et linguistique belge.

Il faut se défier comme de la peste de ces gens qui mettent l'Histoire au service d'une cause. Si édifiante soit la cause.

C’est à peu près mot pour mot ce que je reproche à ton point de vue : choisir des historiens qui disent ce que tu veux entendre et qui servent ta cause, à savoir que la colonisation a été une bonne chose et balayer d'un revers de la main tous les historiens qui ont un avis différents sous prétexte qu'ils servent une autre cause.

tu appelles "les séquelles " (je ne me souviens plus du mot employé exactement) de la colonisation.

Je ne me souviens pas avoir utilisé le mot « séquelle », mais plutôt « héritage » colonial. Je pense qu’il est difficilement contestable que la colonisation a totalement déstructuré des sociétés africaines existantes pour imposer un nouveau modèle de société, puis, deux ou trois générations plus tard, se retirer en abandonnant une nouvelle fois les pays à de nouvelles structures. Quand dans un même siècle, les structures d’une société sont à ce point malmenées, il y a un héritage assez difficile à gérer que je refuse à réduire au simplisme « les africains sont des sauvages, c’est pour ça qu’ils ne savent pas s’organiser et s’entretuent ».

Dirlandaise

avatar 14/09/2006 @ 15:45:05
Pour ce qui est de la littérature, je connais le livre "Un dimanche à la piscine à Kigali" de Gil Courtemanche que je n'ai pas lu mais devrais le faire un jour et qui a pour thème le massacre du Rwanda.

Connaissez-vous d'autres livres intéressants qui traitent du sujet et qui permettent de se faire une bonne idée des causes de ce massacre ?

Mieke Maaike
avatar 14/09/2006 @ 16:03:50
Pour ce qui est de la littérature, je connais le livre "Un dimanche à la piscine à Kigali" de Gil Courtemanche que je n'ai pas lu mais devrais le faire un jour et qui a pour thème le massacre du Rwanda.

Connaissez-vous d'autres livres intéressants qui traitent du sujet et qui permettent de se faire une bonne idée des causes de ce massacre ?

L'ombre d'Imana: http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/11626
Ce n'est pas à proprement parlé un livre d'analyse des causes du génocide. C'est plutôt un point de vue d'une africaine qui a décidé de se rendre au Rwanda pour comprendre ce qui s'est passé et nous livre par bribe ses rencontres et impressions.

Ce qui faut bien se dire, c'est qu'il est tout aussi difficile d'identifier l'ensembles de causes du génocide du Rwanda que l'ensemble des causes du génocide juif par les nazis. On peut mettre en évidence des faits, des chronologies, mais de là à comprendre le mécanisme mental qui a poussé un individu à s'engager chez les ss et à envoyer dans les camps d'extermination les juifs, y compris les vieillards et les bébés, tout comme un autre individu à tuer à la machette un vieillard ou un bébé tutsi, c'est encore une autre tâche.

Dirlandaise

avatar 14/09/2006 @ 16:41:27
Merci Mieke pour ta réponse. En effet, il est difficile de comprendre parfois ce qu'un être humain peut avoir dans la tête. Hier, à Montréal, au collège Dawson, un individu armé jusqu'aux dents est entré et s'est mis à tirer sur tout le monde, tuant une jeune fille de 20 ans et expédiant une dizaine de personnes à l'hôpital, certains dans un état critique. Il s'est ensuite enlevé la vie. Je suis découragée de toute cette violence. ;-(

Arundhati
avatar 14/09/2006 @ 18:06:55
Mieke, juste quelques mots pour aller à 100% dans ton sens, tu m'as évité quelques énervements par tes interventions.
Malheureusement, il semble que les clichés sur les "bienfaits de la colonisation" aient la vie dure...

Le rat des champs
avatar 14/09/2006 @ 18:25:46
Tout à fait d'accord avec toi Mieke, sur tes analyses historiques et en particulier que Hutu et Tutsi ne voulait strictement rien dire à l'époque. J'ai beaucoup aimé le film "Hotel Rwanda", il y a une scène où c'est très bien montré, un personnage essaye de deviner dans un groupe de jolies filles qui est hutu et qui est tutsi sans y parvenir. Tous les génocides, en plus d'être révoltants sont absurdes, mais celui-ci bat un record au sens où la partie de la population massacrée a été chosie en fonction de critères administratifs (carte d'identité).

Saint Jean-Baptiste 14/09/2006 @ 18:32:28
Mieke M je te remercie d'avoir répondu à mon post, mais :
J'ai précisé moi-même, et avant toi, que ces historiens étaient objectifs "si tant est que l'objectivité parfaite soit possible".

Deuxièmement, qui te permet de dire que ces historiens ont "conclu au rôle positif de la colonisation" ? Et que je les ai choisis parce qu'ils servaient "ma cause" ? Tout au contraire, ils se sont efforcés à faire la part des choses avec un maximum d'objectivité, et c'est pour ça que je les ai choisis.
Et qu'est-ce qui te fait croire que je suis "pour" la colonisation ?
C'est encore une fois un jugement "à priori".

Je suis convaincu, jusqu'à preuves du contraire, qu'il y a eu dans l'entreprise coloniale de bonnes et de mauvaises choses, qu'il y a eu de bons et de mauvais colons, et que si la situation est maintenant pire qu'avant, ce n'était pas l'intention des colonisateurs ; et il est passionnant d'essayer de comprendre pourquoi.
Il est intéressant de voir combien la mentalité de l'époque était différente d'aujourd'hui : je crois savoir que l'homme blanc était convaincu, en toute bonne foi semble-t-il, de sa supériorité. Ça le dispensait d'essayer d'étudier des cultures différentes ; je crois qu'aujourd'hui justement, on se rend compte de ces erreurs et que ces cultures, dites primitives, suscitent le plus grand intérêt ; mais c'est un peu tard !
Mais il est passionnant d'essayer de comprendre pourquoi ça s'est passé comme ça ; et plus on s'instruit sur la question, et plus on se rend compte qu'elle est difficile à l'extrême.
C'est pourquoi j'attends ton témoignage "de terrain" avec beaucoup d'impatience et de curiosité.

Tu me reproches enfin "d'ethnétiser" la société ruandaise.
Mais l'historien Gérard Prunier, spécialiste des Grands Lacs et dont tu te réfères (via Amnesty-International), le dit lui-même : "deux groupes probablement d'origine ethnique différente". Il parle d'élite détenant le pouvoir et de gens ordinaires, avant l'arrivée des colons... dont témoignent du reste les appellations Tutsi et Hutu. Et plus loin il parle de statistique donnant des pourcentages...
Je n'ai pas rencontré un seul historien qui ne parlait d'ethnie à propos du Ruanda.
Mais je me demande si le terme "ethnie" n'est pas en passe de devenir banni du langage politiquement correct ?

Et évidemment il y a eu des mélanges de population, la-bas comme ici entre flamands et Wallons, à tel point qu'il est difficile de reconnaître qui est qui. Je le constate tous les jours en regardant la communauté ruandaise de ma ville ; c'est tellement évident que je n'ai pas cru bon d'en faire mention.
Et une preuve encore qu'ils sont au moins aussi malins que nous, c'est qu'ils ont adopté la même langue ! ;-))

Antinea
avatar 14/09/2006 @ 20:16:32
Merci SJB de parler de cette guerre qu'on a souvent tendance à passer sous silence. Moi qui me plaignais sur une autre discussion ...
Le reportage que j'avais vu sur le massacre s'intitulait "la guerre oubliée".
J'avais été (et je le suis encore) choquée par la systématisation du meurtre. Des appels radios qui lançaient les chasses à l'homme, des gens qui, après le p'tit café de 10 h (bon là c'est ma manière à moi de le dire) allaient user un peu (beaucoup) de la machette sous les conseils (la permission) de dirigeants. Bref, un scénario à peine pensable mais véridique. Des gens capables de tuer de sang froid, sans pitié. Insensibles aux cris, à la peur et aux suppliques de leurs victimes... Une mère, je crois, qui s'était sortie miraculeusement du massacre, devait, dans ce reportage, apprendre la libération du meutrier de sa famille...
Comment peut-on oublier cela ?

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