Tistou 23/04/2006 @ 22:35:03
La démarche raide, le corps figé dans une posture de méfiance, PouleRousse leva une patte et la reposa lentement, roide, ainsi que le ferait un soldat paradant à la relève de la garde.
Cot ! Cot ! L’oeil était rond et la tête inclinée sur le côté. Quelques plumes ébouriffées lui faisaient comme une collerette. Une collerette du genre de celles que portaient les hommes à la Cour de Henri IV.
Co…ot ? La chose était devant elle, au sol parmi les brindilles et les détritus du poulailler, immobile, fière de son immanence de chose inanimée, incontestable.
Co…ot ? Coup d’oeil panoramique de PouleRousse. Les copines à l’écart, Jules on ne savait où … Et la chose gisait là entre deux feuilles de laitue défraîchies.
La tête qui plonge en avant. Brutalement. Le bec qui tape la chose. Qui rebondit un peu plus loin avec un son métallique, comme si elle se dérobait. Une fois, deux fois encore le bec qui tape … ! Douloureux, le bec. C’est dur ! Comme un caillou.
Ca ressemble à un ver, bien droit, même couleur : un peu terre un peu noir. Avec une extrémité pointue. Comme un bec. Et une extrémité plus large, comme … comme … comme rien en fait puisqu’une PouleRousse manque singulièrement de repères ! Mais une extrémité plus large, plate et ronde.
PouleRousse réfléchit. La modernité l’a toujours bluffée. Pour le coup, la chose est inconnue. Inconnue : moderne !
L’oeil est toujours rond, la tête toujours inclinée et le co…ot interrogatif. Une patte est en l’air, crispée, comme suspendue par un fil. Un observateur extérieur pourrait la prendre pour un animal empaillé. Et la Poule considère sa découverte avec le même sentiment qu’a dû éprouver Christophe Colomb considérant les premiers rivages du Nouveau Monde.
Subjuguée, émerveillée. L’aspect quelque peu menaçant de la chose ne la rebute pas. La modernité, la nouveauté emportent tout. Et PouleRousse se rengorge. Il n’est pas sûr que ce soit le petit vent qui fasse trembloter les plumes gonflées de sa collerette. L’émotion peut être ?
In petto, elle songe. A elle la gloire, l’admiration du peuple ébahi, les honneurs.
Elle couve la chose de sa fierté. Et se demande aussi à quoi diable elle pourra l’utiliser ?
Vous me direz : la modernité se suffit à elle-même ! Demande-t-on à un ouvre-boîte électronique d’être utile ? La nouveauté qu’il suscite n’est-elle pas sa suffisante justification ? L’objet trouvé est son ouvre-boîte électronique, son Picasso à elle.
Elle en caresse les formes d’un oeil énamouré. Lignes droites, épurées, minceur extrême … Rien à voir avec la monotone rondeur, les formes enveloppées d’un banal oeuf ! Elle est admirative de l’évidence de la chose, de sa simplicité. Mais à quoi ça sert ?
La patte est toujours en l’air. La tête toujours inclinée sur le côté. L’oeil rond et dans le vague. PouleRousse est transportée de bonheur. Elle tressaille et manque tomber, se remet sur les deux pattes en catastrophe, quasi accroupie. A Jules ! Jules, le coq. Oui c’est ça, elle va l’offrir à Jules ! La nature agressive de cet objet ne peut que le combler ! Et sans aucun doute Jules sera sensible à ce gage de modernité !
Il est moderne Jules. Toujours intéressé par les choses nouvelles. Les poules nouvelles aussi hélas. Mais bon, il fait son boulot de coq, Jules. Il est là pour ça, soupire-t-elle.
Et là, avec cet objet, pas utile mais tellement moderne, il va la voir d’un autre oeil la PouleRousse. Son jabot se gonfle. Un co…ot ému s’étrangle doucement … des visions de Jules aux petits soins pour elle, entourée de petits poussins jaunes piaillant joyeusement, lui font monter des larmes aux yeux. Le paradis des poules n’est pas loin. Grain à volonté, couvaisons au chaud, Jules qui lui amène des vers au nid …
On imagine mal tout ce qui peut traverser la tête d’une poule.
Et puis elle jette un oeil autour d’elle et la réalité sordide la rattrape : ses congénères en train de gratter le sol à la recherche d’un vers hypothétique, Jules qui fait le beau un peu plus loin, GlouGlou le dindon toujours aussi ringard, paradant sans conscience du ridicule de son allure …Une bouffée de commisération l’envahit.
C’est un sixième sens probablement qui la sauve. Elle s’écarte brutalement au moment où une ombre aiguisée se met à grandir démesurément. Elle vient juste de s’écarter quand, dans un grand frou-frou de plumes, Jojo, le milan noir, referme ses serres sur … le vide. Enfin pas tout à fait : sur la chose. Pas sur PouleRousse en tout cas.
PouleRousse court en zig-zag de toutes ses forces et pousse des cot affolés. C’est la débandade dans le poulailler. Les poules s’égaient en tous sens, GlouGlou se hâte lentement vers l’abri du bâtiment et l’air est empli de plumes, de poussière et de cot effarés.
Jojo peste contre sa malchance, juge la poursuite de sa présence inopportune, et s’élève lourdement en battant fermement l’air saturé de peur de ses deux ailes effilées. Il gagne de la hauteur et jette un dernier coup d’oeil sur ce qui aurait pu être le festin du jour. Il a dépassé les limites du poulailler quand il se rend compte qu’il emmène quelque chose tout de même. Mais oui au fait ? Il courbe la tête sous le buste pour observer la chose. Une chose manifestement inanimée, dure au contact entre ses serres. Ca ressemble à un ver, bien droit, même couleur. Encore une connerie moderne, se dit-il, dégoûté. Pouah ! Et il laisse choir la chose qui tombe au sol avec un tintement métallique sur le bitume. Triste expédition. Il songe avec mélancolie à cette PouleRousse si appétissante …

Jules, le fermier, (oui, il a donné son propre prénom à son coq !), jette un coup d’oeil soucieux à travers le pare-brise empoussiéré de son break bringuebalant.
- Encore ce milan noir ! Va falloir prendre le fusil la prochaine fois !
Un cahot brutal le ramène à la route. Le break part de travers et l’oblige à donner un sérieux coup de volant pour garder la trajectoire. Mais non, c’est autre chose, le véhicule continue à tirer à droite.
Il jure, s’arrête sur le bas-côté, descend. Côté passager un pneu est à plat, crevé.
- Manquait plus que ça !
Il donne un coup de botte au pneu tristement affaissé et un objet se détache du pneu en tintant désagréablement sur le bitume.
Jules le prend entre ses doigts, le fait tourner et le jette au loin.
- Putain de clou rouillé !

Mae West 23/04/2006 @ 23:20:31
Super chouette histoire qui vaut bien plus qu'un clou, mais, à mon avis, c'est une bonne histoire avec une chute, c'est pas une éloge ..
je relirai pour critique plus approfondie quand je rentrerai de paris

Le rat des champs
avatar 24/04/2006 @ 07:29:52
Tu tutoies le génie, Tistou, mais c'est vrai que ce n'est pas un éloge. Chacun son truc, moi aussi je trouve le genre "O, mon ordi tu es le plus beau des ordis" un peu ringard, mais au deuxième de gré pourquoi pas? En tous cas c'est difficile.

Ton histoire m'a tenu en haleine jusqu'à la chute finale (du clou)

Clamence 24/04/2006 @ 09:21:38
une excellente histoire Tistou, pas un éloge non plus, certes, mais l'essentiel c'est de composer, et quadn c'est ainsi fait, c'est un petit bonheur...
je reviendrai aussi plus détaillée pour tous dans une semaine, enfin au moins pour rassembler et compléter mes critiques.

Lincoln 24/04/2006 @ 10:08:12
Le point “éloge” étant réglé par les amis ci-dessus, je passe au texte.
Du très bon Tistou. J’ai même pensé que tu avais pu être poule rousse (ou coq) dans une autre vie pour si bien décrire la situation. À moins que ce soit simplement la capacité à arrêter un instant son esprit pour observer avec avidité un phénomène. Finalement, ce que tu as fait aurait pu être aussi un exo sur le thème de la description d’un animal qui découvre un objet insolite.
Belle chute avec un objet insoupçonné. J’avais un instant songé à un stylo, sans doute à cause de l’expression “il est aussi empoté qu’une poule qui vient de trouver un stylo à bille”. Je sais que cette expression existe aussi avec de nombreux autres objets, mais le point commun est “la poule” objet donc de toutes les risées.

Felixlechat

avatar 24/04/2006 @ 23:09:11
La poule rousse me fait penser à la lune du même nom mais là n'est pas le sujet.
Tistou, c'est trés plaisant comme texte.

FLC.

Jonkind 25/04/2006 @ 16:45:47
j'avais pas du tout imaginé, voir, le fameux objet moderne par, quelqu'un d'autre que moi ou qu'un humain, encore une autre bonne adaptation du sujet !
Et puis ta poule, ses roulements d'yeux et ces pattes tendues est très vraie ! finalement c'est drôle une poule !
le jules "Toujours intéressé par les choses nouvelles. Les poules nouvelles aussi hélas. " Une petite couche des autres animaux de la ferme et une chute bien trouvée. Ca fait un exo qui vaut bien plus que des clous, tistou !

Sibylline 25/04/2006 @ 18:51:49
Ce n'est pas lyrique, ce n'est pas un éloge, (on voit bien pourtant que tu as rajouté des phrases à l'honneur des objets modernes afin de bien être dans le créneau; mais ça le fait pas ;-))) Mais c'est une très bonne histoire. Le portrait de la poule est très réussi (aussi bien au physique qu'au moral), Jules aussi (les deux) .C'est bien écrit et on te lit d'un bout à l'autre sans ennui.
PS: moi je ne connais qu'une expression, c'est "une poule qui a trouvé un canif" ;-))

Mae West 27/04/2006 @ 10:43:33
J'e trouve que ton texte est excellent, pour plusieurs raisons qui ont été décrites, mais surtout, j'aime particulièrement la casca de de chutes , à la fin. Quand à la poule, on croit la voir avec son air ..de poule qui a trouvé un couteau ;) comme dit Sibsibien
Sib sib ien
Non je veux dire : comme dit Sib, si bien !

Tistou 27/04/2006 @ 18:26:24
Je plaide coupable. Effectivement je pense n'être pas tout à fait dans les ... clous. Mais bon, le principal étant de s'amuser ... j'ai pris plaisir à élaborer l'histoire, sur une idée de ma femme dois-je dire ...
C'est marrant que Lincoln me parle de poule et de stylo bille, Sibylline de poule et canif et Mae de poule et couteau ! Les 2 expressions qui ont cours par chez moi, enfin, qui avaient cours (plus guère employées), c'est "une poule qui a trouvé un clou" ou "une poule qui a trouvé un peigne". Et je les croyais universelles. Comme quoi !
Le seul élément commun dans tout cela reste PouleRousse. Sacrée PouleRousse. Tiens, Zoé me fait savoir qu'elle aimerait lui causer de près ...

Felixlechat

avatar 27/04/2006 @ 23:37:58
Autrefois, mes maîtres me posaient la question: - Mais où donc est Niorcar? Je répondais sans rire: - Sur les genoux d'un hibou plein de poux qui vit sur ses genoux, sans joujoux
au milieu d'un champ de choux exempt de cailloux. Je ne suis pas absolument certain de ce que j'avance mais le père Recteur qui, lui, est un sage (j'étais chez les jésuites, ne vous étonnez point de l'hypocrisie de mes propos) devrait pouvoir confirmer ou infirmer mes dires.
Par la suite mes Maîtres ne m'ont plus posé de questions.
Un grand merci à Niorcar et surtout au hibou.

FLC.

Tistou 27/04/2006 @ 23:54:09
Autrefois, mes maîtres me posaient la question: - Mais où donc est Niorcar? Je répondais sans rire: - Sur les genoux d'un hibou plein de poux qui vit sur ses genoux, sans joujoux
au milieu d'un champ de choux exempt de cailloux. Je ne suis pas absolument certain de ce que j'avance mais le père Recteur qui, lui, est un sage (j'étais chez les jésuites, ne vous étonnez point de l'hypocrisie de mes propos) devrait pouvoir confirmer ou infirmer mes dires.
Par la suite mes Maîtres ne m'ont plus posé de questions.
Un grand merci à Niorcar et surtout au hibou.

FLC.

J'ai beau me creuser ... vois pas là Félix ?????

Felixlechat

avatar 28/04/2006 @ 00:01:40
Autrefois, mes maîtres me posaient la question: - Mais où donc est Niorcar? Je répondais sans rire: - Sur les genoux d'un hibou plein de poux qui vit sur ses genoux, sans joujoux
au milieu d'un champ de choux exempt de cailloux. Je ne suis pas absolument certain de ce que j'avance mais le père Recteur qui, lui, est un sage (j'étais chez les jésuites, ne vous étonnez point de l'hypocrisie de mes propos) devrait pouvoir confirmer ou infirmer mes dires.
Par la suite mes Maîtres ne m'ont plus posé de questions.
Un grand merci à Niorcar et surtout au hibou.

FLC.

J'ai beau me creuser ... vois pas là Félix ?????


Niorcar c'est l'imbécillité, ce que l'on veut nous imposer, la mémoire brute et idiote. Le hibou, c'est la Sagesse.

FLC.

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