Tistou 12/04/2006 @ 00:44:25
Il est minuit. Saas Grund. Suisse. 1500 mètres d’altitude. La neige.
En ce moment, là maintenant, ils sont en train de repartir ; la remontée de Saas Grund vers Dour, Belgique, près de Mons, 800 km.
Je les vois ; la nuit, le froid, l’excitation du départ, les membres qu’on étire, les frontales qu’on allume, un maigre public, ceux qui les ont accueillis, les Mobile-homes derrière eux, moteurs qui ronronnent. Et puis les dernières accolades et le départ avec de grands cris d’adieu, les premières foulées, l’air froid qui vient brûler les poumons …
La remontée vers Dour pour les 12 coureurs à pied qui vont se relayer toutes les heures. Comme à l’aller, 800 km, 3 jours dans un sens, 3 jours dans l’autre.
Lucien est parmi eux. Lucien ? Vous le connaissez. Vous le cotoyez sur le site. Vous lisez ses critiques, ses écrits ? Lucien est parmi eux.
Eux ? C’est l’équipage d’un des quatre Mobile-homes qui accompagnent les douze coureurs à pied : le Mobile-home n°1.
Il a Georges, le conducteur, Caroline, l’accompagnatrice-logistique-rayon de soleil et remplaçante à ses heures, et les trois coureurs : Lucien, Bruno et Carlo.
Il y a trois autres Mobile-homes avec chacun trois coureurs, mais moi, c’est le Mobile-home n°1 que j’ai rencontré puisque c’est Lucien que je venais voir.
Sur la partie jurassienne du parcours, entre Besançon et Pontarlier, on s’était donné rendez-vous, et lundi, 14H, j’avais rattrapé le Mobile-home immatriculé en Belgique. Lucien courait, devant. Sur un parking j’avais enfilé sous la neige qui tombait collant, maillots, mis le bonnet, chaussé les joggings et je m’étais élancé aux côtés de Lucien (tiens, on faisait connaissance). C’était sur les bords de la N87. Neige, véhicules qui vous frôlent et dont le déplacement d’air vous fait un instant vaciller, … Devant, Carlo galopait. On ne l’a pas rattrapé.
Plus tard, le dernier relayeur du Mobile-home n°1 en avait fini avec son relais. C’était le tour du Mobile-home n°2.
On s’était posé dans un bar à l’esthétique fin de siècle, à Pontarlier. Dehors il neigeait toujours. Et on avait échangé, bu ensemble, s’était restauré, avant que je les laisse regagner leur prochain relais, un peu au dessus de Lausanne, en Suisse. Ils allaient recourir chacun une heure, entre 1 et 3 heures du matin.
Il neigeait toujours. Les bonnes gens se mettaient au chaud, je gagnais mon hotel 150 km plus au nord, dans les Vosges (le travail, le lendemain !). Partis.
J’avais croisé cinq êtres généreux, passé cinq heures hors de la routine et fait la connaissance de Lucien. (Pour info, il a les yeux clairs et ressemble à un copain coureur de chez moi : Guy, comme je le lui ai dit.)

Et pourquoi me direz-vous ces 6 jours à courir de Dour à Saas Grund et retour, plus de 1600 km et 6 jours sur la brèche ? Il me l’avait expliqué une semaine avant dans un mail :
« Et puis, la reprise de l'entraînement. Je me suis en effet inscrit dans une expédition sportive et humanitaire pour avril : mes potes et moi allons rallier la Suisse depuis la Belgique en course relais (12 coureurs en 4 cellules de 3, chacun court une heure puis se repose et repart), et
retour. D'où 1700 kms en 6 jours soit environ 300 par jour, à 12, donc environ 25 kms par jour en 2 fois une heure chacun. Le but est d'attirer l'attention et de récolter de l'argent pour les \"camps Valentine\"
(http://www.campvalentine.be/)
Je serai donc à Sass Gründ (Suisse) le 11 avril prochain. C'est loin de chez toi? Sinon, tu pourrais venir nous relayer une heure ou deux?"

Et il m’avaient expliqué, attablés au bar de Pontarlier : Valentine. Valentine De Vos, seize ans, morte de leucémie le 1 mai 1988, qui avait tenu le coup deux ans dans la pratique des sports d’hiver à Saas Grund, dans le Valais suisse.
Albert, son papa, qui s’attache à offrir cette possibilité à des enfants leucémiques ; les camps Valentine. Et leur initiative : attirer l’attention pour attirer des fonds. Comme l’écrit Lucien :

"Du 9 avril au 14 avril 2006, mes amis coureurs de l’OBJ et moi, pour attirer l’attention sur cette œuvre, allons effectuer en courant, à douze relayeurs, les 1700 kilomètres que représente l’itinéraire de Dour à Saas Grund (Suisse) et retour. Chacun d’entre nous va solliciter ses amis pour récolter de l’argent en faveur des « Camps Valentine ». Le séjour à Saas Grund d’un enfant malade coûte en effet un peu plus de 500 €.
Les petits ruisseaux font les grandes rivières… Si vous souhaitez apporter votre contribution à ce projet, pouvez-vous me le signaler et verser votre participation soit au compte 143-0650531-53 de l’OBJ, soit au compte 800-8960370-73 des Camps Valentine avec la communication « Camps Valentine OBJ 2006 ». Un don de 30 € ou plus doit s’effectuer uniquement au compte 800-8960370-73 des Camps Valentine et donnera droit à une attestation d’immunisation fiscale."

Immunisation fiscale, belgiscisme. Déduction fiscale dit-on ici, de ce côté de la frontière. N’empêche que ces gaillards et leur intiative, ça décoiffe. Ils ont réussi, déja, à atteindre le budget qu’ils s’étaient fixés. Mais l’aventure continue, ils n’arriveront que vendredi à Dour.
Lucien n’avait pas voulu en faire la publicité sur C.L.. Je le fais pour lui. Parce que c’est beau, et que ce beau, ils le font bien.
A l’heure où la générosité de chacun d’entre nous est de plus en plus sollicitée sous des formes toujours plus marketing, en voilà un de projet, de microprojet, dont j’ai touché la réalité, vu la chair. Ils méritent qu’on leur accorde de l’attention, qu’on leur donne un coup de main. Ils le méritent les Georges, Caroline, Lucien, Bruno et Carlo, et ceux des 3 autres Mobile-homes … Ca fait plaisir à rencontrer des comme ça. Moi je vous le dis, la Belgique peut être fière d’eux.

Lincoln 12/04/2006 @ 08:59:42
C’est vivant Tistou, on sent que tu as déjà eu des expériences de courses hors normes. Mais raconter à distance, c’est encore plus fort.
Une superbe opération humanitaire doublée de beaucoup de modestie de la part de Lucien, c’est tout à son honneur.
Merci à toi Tistou pour ce récit humaniste et sportif.

Kinbote
avatar 12/04/2006 @ 10:42:55
Reporters sans frontières... Grâce à toi, Tistou, nous avons des bonnes nouvelles de Lucien et de l'association qu'il soutient.

Lincoln 12/04/2006 @ 10:52:45
Il y a eu un raté dans le lien proposé par Tistou ci-dessus. Celui-ci fonctionne:
http://www.campvalentine.be/

Jonjon21 12/04/2006 @ 16:43:40
Au début, je croyais lire un texte comme les autres... de la fiction avec narrations, descriptions et tout le patatra... mais ce n'était pas ça! C'était à mi-chemin entre l'anecdote et l'hommage et j'avais l'impression d'écouter un récit plutôt que de le lire : c'était vivant à ce point! Un texte comme ça, ça fait changement! Merci Tistou!

Felixlechat

avatar 12/04/2006 @ 17:31:39
C'est trés beau et généreux comme action.
Vraiment bien, Tistou

Sibylline 12/04/2006 @ 18:36:42
Texte très intéressant, tant par les qualités humaines qu'il met en avant que par les échos Cliens qu'il réveille ;-))
Je ne suis pas étonnée de retrouver ces deux-là dans une telle aventure.
Bravo et de tout coeur avec vous. Le coeur, oui, mais les jambes, je ne les ai pas. ;-))

Mae West 12/04/2006 @ 23:29:54
Je suis contente que Lucien aille bien. Quelle santé vous avez de courir comme ça vous tous !
Bon, le texte : c'est un bon reportage, du direct, on y est on s'y croit.
L'action : Le genre de téléthon confidentiel, sympa. Mon petit bémol, très léger, par rapport aux louanges de l'action et des héros qui y participent Généreux, tout ça ..ouais ..voir ce que dit Camus dans "la Chute" : D'accord, faut être cap de le faire et OK c'est beau : je crois quand même qu'on va dans ce genre de truc aussi pour se faire plaisir. Alors je comprends assez qu'on n'aime pas s'en vanter.

Ce qui m'intéresse avant tout là dedans c'est la notion de fraternité . Il me semble que c'est là tout l'intérêt de ce type de rassemblement et d'action : faire vivre les gens ensemble dans la fraternité. Et tu en as bien parlé.

En 88 beaucoup d'enfants mouraient encore de leucémies, mais maintenant ce fléau a beaucoup régressé.
ça n'empêche que cette course et son but restent bien sympatiques et les belges que j'ai rencontrés il y a 8 jours à Bruxelles étaient vachement sympas aussi.
Bravo aux coureurs et organisateurs pour le temps et la disponibilité, l'énergie que cette course originale implique.

Et merci Tistou d'avoir fait le journaliste pour CL ;)


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Tistou 13/04/2006 @ 12:24:10
Hier 13H, Lucien venait de courir au bord du lac Leman, entre lac et vignes dit-il, il faisait 9°C et finissait son relais en commençant à monter pour quitter Lausanne et le lac. Il avait chaud écrivait-il, juste après ! Je veux bien le croire.
Ce matin, à 3H, il venait d'assurer son relais entre Besançon et Gray. Et tout allait bien.
Là, il est un plus de midi. Ca vient de repartir pour les 3 coureurs de leur Mobile-home. Ils doivent être du côté de la Champagne probablement. Je les imagine bien, entre fatigue et excitation. Excitation de voir le projet sur le point d'être mené à bien, excitation d'une tranche de vie exceptionnelle (rien que quelques heures avec eux, déja ...). Leur tête est ailleurs et ça doit leur permettre de calmer les jambes ou le corps, qui certainement, doivent commencer à se manifester. Vous connaissez ces moments hors du temps, où vous ètes dans un truc qui sort de l'ordinaire, qui vous oblige à vous dépasser, et pendant lequel, j'imagine, notre corps doit produire des hormones spécifiques nous permettant de résister, d'euphoriser ? Connaissez-vous ?
Je suis sûr qu'ils sont là-dedans et qu'ils prendront un vieux coup de masse vendredi quelques heures après l'arrivée.
Mais pour l'instant, assurer et ne pas se blesser. Lucien y est là. Bon courage.

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