Sarvane 28/04/2005 @ 17:50:38
Les voyages forment la jeunesse paraît-il ! Alors si Romain se porte comme un charme, s’il se montre tellement fringant, jovial, jamais malade, si les gens lui donnent facilement soixante-dix ans alors qu’il entame sa quatre-vingt-deuxième année, sont-ce ses cinquante ans d’enseignement de la langue française au Japon qui expliqueraient ce défi à la vieillesse ?

Il marche droit, voit loin devant, entend à merveille. Il en compte des envieux parmi ses voisins ! Eux, les pauvres, les années les tassent, les trépassent. Ils n’y comprennent rien à ce maudit « Jap » jamais éreinté, jamais radoteur, jamais sénile ! Alors ils en parlent en catimini, le traitant de drogué, de sorcier, de fou ou de « vieux jeune ». Ils soupçonnent un leurre, mais lequel ?

« Il y a un truc, c’est sûr ! » lance Jeanine, péremptoire, soixante-treize ans, ridée à craquer. « Je commence à en avoir marre de ces suppositions qui ne résolvent rien » pense-t-elle intérieurement. Subitement, se sentant l’âme d’une Mata-Hari, elle décide de percer à jour le secret de Romain…

Deux ou trois rencontres fortuites, une invitation à manger et voilà notre quidam transi d’amour. Un matin, mine de rien, elle passe le prendre chez lui pour l’accompagner à la messe de huit heures. En plein été, une demi-heure de marche en amoureux pourrait prêter aux confidences. Il lui ouvre la porte, surpris, puis prétend devoir fermer la fenêtre de la cuisine : « Je reviens immédiatement très chère ! ». Il s’éclipse, suivi à pas feutrés par Jeanine. Elle le voit saisir un gobelet en plastique orange, le boire, le rincer puis la rejoindre aussitôt au milieu de la salle à manger où elle a eu juste le bon esprit de revenir. Elle pressent que le mystère Romain concerne cette boisson bue à la sauvette. « Qu’ingurgite-t-il ainsi le matin ? Seulement le dimanche ou chaque jour ? Combien de fois dans une journée ?… ». Jeanine prévoit de resserrer sa surveillance…

A sept heures trente le lendemain matin et chaque matin jusqu’au dimanche suivant, l’espionne se tapit sous la fenêtre de Romain. Elle note qu’il n’omet jamais, dès son lever, d’avaler sa mystérieuse potion. Ensuite, il dispose son bol, la cafetière brûlante, le pain frais et le beurre sur la table et savoure enfin son petit-déjeuner. Bref, hormis le coup du gobelet, rien que de très normal. A Beaumont, jolie bourgade de deux cent cinquante âmes, les langues vont bon train après les premiers rapports d’enquête de Jeanine. Chacun y va de son idée sur la question :

« Alors c’est quoi son eau de jouvence ? du canabis ?
- mais non, puisqu’il le boit !
- Je sais : du « Buronsan ! »
- J’suis certaine qu’il a ramené des herbes bizarres de son Japon… Ils boivent du thé là-bas, alors hein, y’en a sûrement une variété pour « ravigoter » son homme, si vous voyez ce que j’veux dire…
- S’rait-y pas simplement sorcier ? c’est qu’il va jamais à la messe !
- Arrêtez donc ! en fait, il fume de l’opium, voilà tout ! ».

Le village ne sait plus où donner de la tête ! Jusqu’au curé, à la sortie de sa messe dominicale qui observe le phénomène attentivement tandis qu’il s’en retourne chez lui, Jeanine à son bras.

« Et s’il était possédé ? » suggère le pieux représentant de l’Eglise, un brin effrayé.

A ce sujet, l’école laïque ne se trouve pas à court de théorie :

« Aurait-il passé un pacte avec le diable ? comme Dorian Gray ? » murmure l’institutrice.

Durant ce temps, Romain s’empresse davantage auprès de sa dulcinée. Fleurs, restaurant, théâtre, il déploie la panoplie du parfait gentleman. Il aimerait l’enlacer, l’embrasser, passer à la vitesse supérieure. « Après tout, on n’est plus des gosses ! On connaît la chanson et le délai à notre disposition mesure moins long que celui des galopins de vingt, quarante ou soixante ans ». Donc, un dimanche matin, lorsqu’elle vient le chercher pour leur rendez-vous religieux, hop ! il lui vole un baiser ! Elle y répond, les yeux fermés, agrippée à ses épaules, waouh ! Elle n’en revient pas Jeanine, à son réveil. A côté de lui, son Maurice, même à cinquante-sept ans, deux ans avant son cancer et son décès, il n’en aurait pas inventé le quart. Quel étalon ce Romain ! Bon aujourd’hui, c’est trop tard, il lui prépare déjà une collation réparatrice et le fameux gobelet se tient déjà à sa place, bu, lavé, rangé à la gauche de l’évier. « Mais demain, puisque maintenant je peux rester dans la place sans surprendre, promis, juré, je saurais quel breuvage le rend si fougueux ! ».

Donc, le mardi matin, elle feint un lourd sommeil. Romain se lève. Elle l’entend se diriger vers la cuisine, lui emboîte le pas, pour aussitôt se camoufler derrière la porte de la chambre car immédiatement il rebrousse chemin afin d’accéder aux toilettes. « Un peu plus, songe-t-elle, j’étais refaite ! ».

Il sort des cabinets, repart vers la cuisine. Il tient quelque chose à la main ? « Non, j‘ai dû me tromper… ».

Il stoppe face à l’évier, tourne le robinet, ajoute un fin filet d’eau dans le verre en plastique et boit.

« Mais c’est du pipi ! hurle Jeanine écoeurée.

Décontenancé, Romain sursaute, rougit.

« Chérie, je vais t’expliquer…
- Non, je m’en vais ! j’en ai assez vu !
- Attends, ne pars pas comme ça ! ».

Il court à la salle à manger, un tiroir claque, il resurgit, lui tendant un papier. « Tiens, lis ça, tu comprendras…». Elle s’habille à la hâte et déguerpit à vive allure, le prospectus confié lui brûlant les doigts.

A l’abri de sa maisonnette, elle se laisse tomber sur le canapé, sous le choc de sa découverte. Peu à peu, elle recouvre ses esprits, se prépare un bon café au lait, puis jette un œil sur la fameuse feuille qui, soi-disant l’aidera à comprendre le comportement de Romain. « Une étrange thérapie, l’urine… », « Deux millions d’urinomanes au Japon… », « … l’urée bon diurétique… action cicatrisante sur les plaies… », « Quatre millions de personnes se soignent avec leur propre urine… ». Elle se souhaiterait plus ouverte, plus tolérante, mais rien qu’à l’idée, bouh ! elle grimace de répulsion. Une émission de Laurie Pavant lui revient en mémoire. Elle traitait justement de ce sujet. Un homme avait témoigné en téléphonant. Il expliquait que lui personnellement la coupait avec un peu d’eau et qu’elle s’avérait plus efficace le matin au réveil. Il précisait également que des dispensaires et instituts n’hésitaient pas à appliquer une médecine uniquement basée sur l’urine ! A l’époque, Jeanine avait frémi devant sa télévision. Toxique ou pas, personne ne l’amènerait à en boire, fut-ce une boisson médicamenteuse aux effets sensationnels ! Elle rangeait ces gens-là en un monde diamétralement aux antipodes du sien et voilà qu’aujourd’hui, Romain pratique ce drôle de rite.

« Pour moi, il s’agit d’eau sale et non miraculeuse ». Après tout, c’est écrit là, un litre d’urine contient 950 g. d’eau, des substances minérales, du sel, de l’acide urique, de la créatinine, mais surtout des substances ORGANIQUES provenant du foie, rejetées via les reins… Drapée dans son dégoût, Jeanine renonce à poursuivre une histoire d’amour avec Romain. Elle préfère couper définitivement les ponts entre eux.

Pourtant, elle ne trahira pas son répugnant secret. Aux curieux l’assaillant de questions, elle avouera dans un souffle : « Il se dope au Viagra ! ». Si bien qu’au lieu de cataloguer cet homme comme un excentrique, ils le regardent désormais comme un gros vicelard en manque d’amour. De deux maux, Jeanine avait choisi le moindre. Quant à Romain, quelques mois plus tard, par le biais de l’« Association des Urinomanes de France », il rencontra puis épousa Gisèle, une veuve gaillarde, pour partager vieillesse et vitalité en savourant tous les matins à jeun leur dose quotidienne respective d’urée.

Kicilou 29/04/2005 @ 21:39:08
Petite histoire... Je trouve qu'elle manque de prétentions... J'attendais quelque chose de plus, il boit son urine, oui, et ensuite? Les raction de Jeanine tournent court, celles de Romain également, il vient de faire quitter par celle qu'il aime à cause de son breuvage tout de même...
Par contre le style est fluide et très agréable à lire.
Bienvenue parmi nous Sarvane !

(et après un petit coup d'oeil à ton profil, je plébicite "35 kilos d'espoir", bien d'accord avec toi !)

Mentor 29/04/2005 @ 21:56:17
Par contre le style est fluide et très agréable à lire.
Y a pas que le style de fluide... Bon, on en pense ce qu'on veut mais il paraît que c'est très sain effectivement. De là à "sauter le pas"... Petite nouvelle sans prétention littéraire particulière, ici c'est l'effet de surprise qui joue pour ceux qui ne s'y attendaient pas. Je me demande juste pourquoi la petite dame ressent le besoin de dénigrer son ex petit ami en faisant courir le bruit qu'il se dope au viagra. Méchanceté gratuite, pas très sympa.

Loupbleu 29/04/2005 @ 23:05:58
C'est une bonne histoire. J'ai plutôt aimé la nouvelle, à la fois le style et le fond. Le texte se lit bien, il y a des moments assez savoureux avec ces petits vieux sympathiques, ils sont très bien rendus.

Je ne sais pas trop comment exprimer la chose, mais peut-être à certains moments la critique des ragots du petit village et des radotages des vieux pourraient être racontés sans qu'on ait l'impression que tu y portes trop un jugement.

Je suis assez d'accord avec Kicilou, la fin manque de prétentions. Disons que la façon dont tu racontes ne rend pas l'histoire assez dérangeante; il doit manquer quelquechose qui exprime un malaise ou encore mieux un doute. Ca serait peut-être plus fort si l'histoire modifiait un peu les personnages. Je ne sais pas te dire comment rendre ça dans le texte, je crois qu'on peut le faire en modifiant juste quelques détails dans ton texte.

Sarvane 30/04/2005 @ 17:23:47
Je vous remercie de vos remarques. Je vais amener quelques rectifications en conséquence à ce texte :-)) Et j'en profite pour répondre à quelques-unes de vos remarques ;-)
>> "manque de prétentions" (kicilou) : Je ne cherche pas à écrire très littéraire, juste être une "conteuse" qui, d'un style alerte, sache capter l'attention de ses lecteurs :-)
>> "pourquoi la petite dame ressent le besoin de dénigrer son ex petit ami en faisant courir le bruit qu'il se dope au viagra" (Mentor),
La petite dame ne veut pas dénigrer Romain qd elle dit qu'il se dope au viagra, mais c'est la seule excuse qu'elle a trouvé pour satisfaire la curiosité du village. Va falloir que je reprenne ce passage, à priori je l'ai mal rédigé... :-(
>> "jugements sur critique des ragots de petit village... histoire pas assez dérangeante..." (Loupbleu)
Je ne porte pas de jugements sur ragots et radotages ds les petits villages mais je voulais faire sentir jusqu'où ils s'immiscent ds le personnel, l'intime. Je ne cherchais pas être "dérangeante", non ! je voulais juste raconter une histoire réelle ! car toutes mes nouvelles partent d'un fait réel...

Loupbleu 01/05/2005 @ 23:00:43
Je ne porte pas de jugements sur ragots et radotages ds les petits villages mais je voulais faire sentir jusqu'où ils s'immiscent ds le personnel, l'intime.
En relisant, je trouve que ma critique n'était pas trop justifiée. En fait, tu as choisi de faire des ragots le point important de ta nouvelle, et non pas cette histoire de papi qui boit de l'urine le matin. Dans ce cas, c'est réussi !

Je ne cherchais pas à être "dérangeante", non ! je voulais juste raconter une histoire réelle ! car toutes mes nouvelles partent d'un fait réel...
Je comprends ton point de vue. Il est tout à fait respectable et c'est une façon d'envisager la littérature. C'est bien maîtrisé, tu as fait exactement ce que tu voulais faire.

A titre personnel je préfère (mais c'est question de goût) quand il y a quelquechose qui dépasse l'histoire des faits.

Finalement, il y en bien a qui prennent de l'huile de fois de morue alors ...

Bluewitch
avatar 02/05/2005 @ 17:58:29
Je poste ce petit mot un jour ou deux après avoir lu ton texte, besoin sans doute de laisser mûrir mon impression. En réalité, je 'lai trouvé amusant, agréable mais bon, pour ce qui est de la forme, ça reste assez narratif et contemplatif. Ca ne me choque pas bien évidemment, car cela colle à l'historie. Ton texte est plutôt bien construit, ça se suit avec plaisir, mais bon, m'a manqué une tite flamme.

Acie 02/05/2005 @ 21:29:10
moi j'ai bien aimé, c'est léger, ça glisse bien, pas d'erreurs syntaxiques ni de maladresses
c'est un style que j'apprécie
pour une courte histoire, cependant s'il s'agissait d'une nouvelle mais ce n'est pas ton but je crois là il aurait fallu rentrer plus dans les personnages, mais ici tout convient

Tistou 03/05/2005 @ 16:00:09
Quant à s'intéresser à l'histoire, c'est réussi, on s'y intéresse, et on la lit avec plaisir. Mais c'est vrai qu'il me semble que ce pauvre Romain, abandonné dans ces conditions, devrait vraisemblablement réagir plus "tripement". Là ça fait un peu lisse, sans trop de vagues.
Bien écrit sinon.

Aegis 04/05/2005 @ 11:23:12
De ce texte, je retiens ton usage très intéressant du présent : le texte s'apparente de fait plus à un compte-rendu, ou surtout à un témoignage qu'à une fiction littéraire.... et je crois qu'en l'occurrence, ton texte y gagne un certain impact! (les phrases brèves conviennent aussi d'ailleurs, et se marrient bien à ce présent).

Lecharmeur 17/08/2005 @ 02:00:57
Pourquoi es-tu partie?
Un écrivain édité qui s'en va ... quel dommage!
Les économistes disent et je les cite de mémoire " la mauvaise monnaie chasse la bonne".
Et la plume?

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