Nothingman

avatar 06/04/2005 @ 11:14:38
Après la mort de Julien et l'incendie de la maison, après les larmes, il avait bien fallu réagir, parer au plus pressé, continuer malgré tout…
Les autorités communales, visiblement émues par la violence et l'effroi de l'accident, avaient trouvé un logement de substitution pour cette famille frappée cruellement par le destin. Le bourgmestre dit d'ailleurs à Jean, le père meurtri, que c'était le moins qu'il puisse faire en pareille circonstance.
Il avait ensuite fallu s'occuper des obsèques de Julien. Choisir le cercueil, la stèle funéraire,…. Et se dire que c'est pour son fils, la chair de sa chair, son sang. C'est trop dur…
Durant deux jours, il y eut ensuite le cortège des connaissances pour les derniers adieux à Julien. Parents, proches, amis de toujours mais aussi les traditionnels hypocrites se sont succédés devant la dernière demeure de Julien. Jean ne cessait d'ailleurs de se demander ce qui pouvait bien motiver certains. Ils ne connaissaient même pas Julien, ni de près ni de loin. Peut-être sont-ils venus pour voir ce que c'est de souffrir, pour mieux apprécier ensuite leur bonheur? C'était sa seule explication devant tant de bassesse. Il y a ceux qui feignent la tristesse et ceux qui passent leur temps à montrer qu'ils sont là. Leur dernier manque de respect…"Ils sont pitoyables" se disait Jean intérieurement.
Dans ces moments-là, il préférait se tourner vers les siens. Vers sa femme Sonia qui n'avait pas encore réalisé tout à fait. Elle ingurgitait quotidiennement, depuis deux jours, la dose maximale de médicaments autorisée par le médecin. Pour tenir le coup, garder contenance. Vers ses deux autres enfants aussi, Romane et Jérôme. Jean était fier d'eux. Ils semblaient solides malgré tout ce qui leur était arrivé en si peu de temps. Il se dit qu'il aimerait avoir leur courage. Parfois Jean se demandait s'ils comprenaient vraiment ce que tout cela signifiait…
Pour Jean, par contre, c'était autre chose. Il revoyait sans cesse en cauchemar cette foutue flamme lécher le réservoir bourré d'essence de la moto. Cette flamme frétillante qui semblait rire de lui, il la reverrait toujours. Il avait pourtant dit à Julien de faire attention, de ne pas jouer au plus malin avec le feu. Mais que voulez-vous faire contre un peu d'insouciance et la fatalité? Rien. Il n'y avait décidément rien à faire. Au moment de l'explosion, il a senti un souffle et est parvenu tant bien que mal à s'extirper de l'immeuble en flamme. Pour Julien, c'était déjà trop tard. Il se réveillait alors en nage et il pleurait…En silence.

Nothingman

avatar 06/04/2005 @ 11:16:10
L'original se trouve ici:

http://critiqueslibres.com/i.php/forum/…

Sahkti
avatar 06/04/2005 @ 11:42:21
Nothingman... tu conserves l'ambiance sombre et réaliste de Killgrieg, ton texte est aussi noir et triste que le sien, avec cette petite pointe de vie que doivent afficher les survivants à un tel drame. Une continuité sans heurts, pas de cassure, tout se tient.

Acie 06/04/2005 @ 11:50:55
c'est très bon, vraiment, ça m'a touchée plus que je ne pensais
tu as tout dit sahkti, le style est conservé avec brio, les sentiments sont implicites et parfaitement décrits, ça a fait remonter des choses à la surface
bravo

Mentor 06/04/2005 @ 12:21:57
Je ne dirais pas que le"style" est le même, non. Mais il y a bien continuité dans la "sombritude" comme dirait les adeptes des néologismes. C'est bien vu par rapport aux rapports humains parfois bien glauques. Très bien écrit.

Yali 06/04/2005 @ 14:42:13
Très bien vu cette suite Nothingman. Ça noir à tout va ! Une petite réserve quant à l'emploi des "d'ailleurs", mais c'est très personnel.

Kicilou 06/04/2005 @ 19:53:04
Oh oui très sombre, peut-être un peu différemment que dans l'original mais c'est une impression et en aucun cas une critique négative. C'est tellement vrai ce que tu décris ici... L'hypocrisie de certains, le courage dont doivent faire preuvent ceux qui restent... C'est poignant.
Bravo.

Krystelle 07/04/2005 @ 10:51:09
Je trouve le texte de Killgrieg plus "suggestif" mais l'idée de continuer sur la solitude de ceux qui restent me plait bien.

Tistou 07/04/2005 @ 14:54:44
Moi je dirais que tu n'es pas dans la continuation de Killgrieg en cela que ton style est plus "réaliste", plus près de la réalité. Dans son texte Killgrieg conserve une part d'éthéré, de réflexion un peu en avance sur ce qu'il écrit, qui fait que c'est moins dur.
Ta suite est plus dure. C'est plus un plaidoyer.

Fee carabine 07/04/2005 @ 18:42:38
C'est "amusant" (enfin, si l'on peut dire) les différences de lecture sur ce texte.

Tistou le trouve plus dur que celui de Killgrieg. Pour ma part, j'ai exactement le sentiment inverse. Killgrieg nous assène les propos des badauds "non-filtrés" et je trouve cela très dur, tandis que Nothingman nous restitue le comportement de ces "voyeurs" (je ne sais pas trop comment les appeler en fait) à travers les yeux du père qui ne leur accorde que peu d'importance (faut dire qu'à côté de la mort de son fils...)... Il y a là une mise à distance qui fait qu'on ne ressent pas ce comportement de la même façon. Mais sous un angle différent, cette suite est aussi réussie que l'original.

Kilis 07/04/2005 @ 23:07:47
Beau texte Nothigman. J’ai apprécié la finesse de cette réflexion.

Bluewitch
avatar 09/04/2005 @ 09:32:41
Effectivement, poursuite dans l'idée noire mais pas de continuité dans les styles (mais bon, on n'a pas dit non plus qu'il fallait qu'il y en ai, donc...). Killgrieg joue plus dans le senti et le suggéré, l'évoqué et les coups de poings, parcontre ici, c'est un côté plus "narrateur" qui met une scène en exergue et ce qui va avec (émotions, analyse en 360 ° de l'enterrement). Peut-être un peu trop descriptif, justement, mais sinon, le texte tient la route sans souci.

Killgrieg 09/04/2005 @ 09:58:37
C’est étrange ! vraiment étrange !
Je vais essayer de t’expliquer ! cette histoire est une histoire vraie. Je devais avoir 12 ans et Julien était un petit rocker qui traînait avec sa mob kittée dans le quartier populaire parisien où j’ai grandi et si j’ai mis l’accent sur les propos mesquins des passants/voyeurs c’est parce le format 1500 ne suffisait pas à développer plus avant. Des mots qui se sont dits ce jour là, je n’ai pas retenu les plus cruels ; un copain s’est exclamé, par exemple, quand les pompiers ont sorti une civière de la baraque: « regardez ! c’est Julien ; on voit son nez ! » ; phrase malheureuse qu’il regrette encore, j’en suis sûr, au souvenir de l’enfer que nous lui avons fait vivre ensuite.
Depuis toujours, les parents de Julien vomissaient leurs allocations familiales dans les cafés, titubaient, hantaient la rue enveloppés de leurs relents de mauvais vin et de sueur. Son père est mort trois jours après le drame. Sa mère n'a pas bien tenu son rôle de veuve et de maman éplorée et s'est saoulée pendant près d'une semaine.
Le plus dramatique, je crois, et ce qui m’a le plus choqué à l’époque, c’est que cela n’enlève rien à la connerie des passants. Peu importe le fait que ce qu’ils disaient était vrai.
Pour la première fois j’ai senti la haine ordinaire et mesquine. Des voisins qui chaque jour saluaient mes parents se transformaient en harpies avides d’images et de douleur, avides de médisances… J’en ai encore des frissons dans le dos. J’en ai pourtant rencontré plein depuis.
Je hais la haine et la bêtise ordinaire. Je devrais peut-être faire une analyse…

Donc, je disais étrange, parce que tu as donné à Julien des parents normaux et que malgré tout l’ambiance reste sordide.
Etrange aussi parce que ton narrateur « pense » tandis que le mien « voit » et cela souligne le style sec, quasi « cinématographique » du premier épisode…
Je n’arrive pas à exprimer ce que je ressens et deviens chiant.
Alors en deux mots : bravo et merci… Ta suite m’aide à découvrir beaucoup de choses.

Tistou 09/04/2005 @ 10:15:00
Pas chiant Killgrieg. C'est toujours passionnant d'avoir le dessous des cartes. Du pourquoi et comment on en est venu à écrire ce qu'on a écrit.

Nothingman

avatar 09/04/2005 @ 11:08:25
Non non Killgrieg. Cette explication aide à comprendre beaucoup de choses en effet. J'avais aimé le ton de ton histoire. C'était celle qui après lecture de toutes les autres me donnait envie de continuer. J'y voyais quelque chose, je ne sais quoi. Il est évidemment difficile d'imaginer la suite à un texte composé par un autre. Je sais que les styles différent quelque peu mais dans les instructions, il n'y avait aucune contrainte. Donc voilà, j'espère Killgrieg que cette suite t'a plu malgré les quelques écarts que j'ai pu commettre par rapport à une histoire qui t'es évidement très personnelle. Merci à toi et à tous les autres en tous cas pour vos avis.

Sibylline 18/04/2005 @ 13:05:19
Eh bien, moi, non, je ne trouve pas que ce soit dans la même veine que le texte de départ de Grieg. Je trouve les deux styles très différents et même les deux tons.
Je ne suis pas non plus du tout d'accord avec Tistou qui trouve ton texte plus dur que celui de Grieg, moi, j'aurais dit le contraire. Parce que dans ton texte, il y a constamment un avis, un jugement moral sur ce que font "les gens". Celui de Grieg se limitait volontairement à un récit "pur et dur". Il répétait les commentaires des gens mais ne disait pas qu'ils étaient faits par bêtise, ou méchanceté, hypocrisie ou égoïsme. Il nous laissait en penser ce que nous voulions. C'était ainsi: c'est tout.
Tiens, je continue à lire les commentaires et je vois que Fée dit comme moi.
Ahh!!! J'arrive à l'avis de Grieg, il dit que son texte est une histoire vraie. Juste ce que je viens de poster dans son fuseau. On progresse. Tiens, plus loin, Grieg dit qu'il n'a pas explicité les sentiments car il était limité à 1500 mots. Dommage, moi j'ai écrit ci-dessus que c'était volontaire.
En tout cas, ton texte est bon également.

Killgrieg 18/04/2005 @ 17:19:24

Tiens, plus loin, Grieg dit qu'il n'a pas explicité les sentiments car il était limité à 1500 mots. Dommage, moi j'ai écrit ci-dessus que c'était volontaire

non, non! je n'ai pas dit ça; je n'explicite jamais vraiment les sentiments des personnages... J'ai dit que je n'avais pas donné plus de détails sur les parents etc... à cause des 1500... Donc, tu avais entièrement raison sib :))

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