Mae West 05/02/2005 @ 13:07:09
On nous parlait de la "conquête de l'espace". Il y avait des livres remplis de photos de fusées et de voitures à chenilles qu'on nous distribuait à la remise des prix, un peu avant le feu d’artifice du quatorze juillet. En noir et blanc et en gros plan, sur les écrans de la TV nationale à une seule chaîne, Kennedy et Kroutchev se donnaient l'accolade, par devant, mais nous on savait bien qu’ils se montraient férocement les dents, sur la piste aux étoiles, par derrière.
C'était une grande fresque historique populaire en direct que cette course vers la lune, avec ses champs de soldats sur les pistes d'envol, avec son cortège de valeureux pionniers, la chienne "Leila" et Youri Gagarine, et les têtes brûlées du projet Mercury : Glenn, Yeager, les as des as du pilotage d’essai.
Un jour est apparu à la une des journaux le sourire grimaçant d'un chimpanzé volant.
On regardait passer les premiers spoutniks dans le ciel de nuit, au camping des flots bleus, avec les parents, et on lisait avant de retourner à la baignade (deux heures trente réglementaires, pour la digestion !)Tintin passionnément, en 2 volumes et une fusée à carreaux rouges et blancs ; avec en prime Milou dans son petit scaphandre spécial-toutou…...
Ah !Nostalgie des sixties !
Plus tard, avec les progrès de l'optique, l'espace s'illustre d’images magnifiques, la terre lapis-lazuli jette ses feux de pierrerie dans son écrin de nuages blancs, la lune dévoile ses multiples cratères désertiformes, le soleil, morula explosée darde ses protubérances d' hydre apocalyptique. Vient ensuite la cohorte émouvante des divers objets célestes identifiés : galaxies, amas et nébuleuses, en spirale, en toton, en tête de cheval, et enfin la der des der à 13 milliards d'années-lumière que Hubble nous a révélée. Jusqu’où irons –nous ? Le big bang me renvoie comme une balle de ping-pong : je repars en marche avant ! Voilà que je remonte le cône inversé du temps, défiant les lois de l’entropie : j’arrive ! Déjà j’aperçois la voie lactée avec la comète, qui va et qui vient. Plus près encore, les photos de la terre vue du ciel par Arthus me dessinent un patchwork couverture et soudain, j'atterris dans le jardin d'Heidi, sous la ligne de crête des Alpes Autrichiennes : tout ici m’est familier, mais au fait, quelle heure est-il ? J'ai laissé ma montre sur Bételgeuse et je me sens décalé. Heidi rentre de l'école, il doit donc être quatre heures passées.
La petite fille trimballe une carte du ciel sous le bras. Dans sa poche, deux dinosaures en plastique s’agitent au rythme de ses sauts à cloche-pieds. Elle m’attrape par la manche : "Tu sais ce qu'elle nous a dit la maîtresse aujourd'hui ? Les dinosaures ont vécu 65 millions d'années, eh ben peut-être que nous, les humains, on arrivera pas à en faire autant, malgré qu'on est les plus intelligents !" elle se marre, sacrée gamine, ça ne l'affecte pas plus que ça ! "ce soir, à 10h 55, y a une éclipse de lune, dis on la regardera ?" Elle brandit sa carte du ciel et elle me plante là, pour aller jouer à la marelle .
Un faux souvenir m'assaille : j'ai l'impression d'avoir déjà vécu cette scène et au même moment, je la vois se diluer dans l'instant d'avant : j'entends derrière la grange le rire de Heidi comme le cristal assourdi d'une source de jouvence qui s’évanouit ; je me sens vieux tout d'un coup, plus dans le coup. Je me rappelle maintenant, en repensant à toutes ces images de l'univers, j’ai voyagé dans l'espace- temps : Je comprends soudain que je viens de contempler l'éternité, comme d’autres ont vu dieu ou ont été touchés par la grâce .…Mais je vais m’empresser d’ oublier : pour vivre sa vie de tous les jours, ça ne sert à rien de ruminer ces machins.


Note
texte inspiré de très très loin (quelques parsecs) par la lecture de "l' incandescent" de Michel Serres

Olivier Michael Kim
05/02/2005 @ 14:22:19
J'aime bien la morale et la scène avec la petite fille.
Le début m'a paru trop historico-restrospectif pour coller avec l'opposition "vie de l'univers" et "vie quotidienne".

J'ai lu ton texte d'une traite , sans accorcs aucun.

l'Entropie, c'est quoi déjà? Mes profs de physique n'ont jamais réussi à me le faire comprendre. Si on veut bien m'expliquer, je serais attentif à vos explications ;-)

Bolcho
avatar 05/02/2005 @ 14:27:51
Je viens de me payer une grosse bouffée de douce nostalgie en voyageant grâce à toi. Très joli.
Une bête remarque inutile tout de même: la chienne s'appelait plutôt Laïka et elle est restée dans l'espace du 4 novembre 57 au 14 août 58 (Spoutnik II désintégré ce jour-là: http://www.asc67.net/article15.html). Pas sûr que son long voyage à elle ait été aussi sympa que celui auquel tu nous convies ici.

Sibylline 05/02/2005 @ 14:35:53
Je viens de me payer une grosse bouffée de douce nostalgie en voyageant grâce à toi. Très joli.
Une bête remarque inutile tout de même: la chienne s'appelait plutôt Laïka et elle est restée dans l'espace du 4 novembre 57 au 14 août 58 (Spoutnik II désintégré ce jour-là: http://www.asc67.net/article15.html). Pas sûr que son long voyage à elle ait été aussi sympa que celui auquel tu nous convies ici.

Laïka était morte avant que Spoutnik ne se désintègre. Elle était morte de faim et de soif et c'est bien ce qui était prévu. Je n'ai jamais pu accepter cette idée. Les hommes font de drôles de choses.

Sibylline 05/02/2005 @ 14:40:59
Ceci dit, Mae, c'est d'autre chose que tu parles et tu en parles fort bien. J'ai lu ton texte avec plaisir. J'ai été épatée par l'ampleur du vocabulaire. J'ai été emportée par la spirale du récit et du temps.
Très bien fait.

Tistou 05/02/2005 @ 14:50:27
Il y a comme un soupçon de nostalgie dans tout ça. Nostalgie mêlée aux dernières découvertes astronomiques, au Big Bang. Ca aurait pu s'appeler Heidi et le Big Bang, tu l'as intitulé plus sobrement. On retrouve à te lire une émotion qui sourd de tes pensées. Car ce sont tes pensées, sans nul doute. Tu ne racontes pas une histoire. Tu nous fais partager de tes émotions. Et moi j'aime bien.

Mae West 05/02/2005 @ 15:14:52
Merci à tous d'avoir écrit, et le meilleur pour moi, c'est quand vous dites avoir éprouvé du plaisir à la lecture, et même un peu plus que ça : comme si des pensées positives avaient flotté dans l'air ;
Eh zut, j'ai oublié de corriger le nom de la chienne : c'était dans le premier jet et j'avais pourtant vérifié, et constaté mon erreur !

et cette triste fin, pauvre Laïka, je ne savais pas ! :-( ça jette un voile de tristesse sur ce texte que j'aurais voulu résolument gai :
comme quoi rien n'est jamais gagné en ce monde !

merci encore à tous, pour les commentaires

Mae West 05/02/2005 @ 15:16:06
J'aime bien la morale et la scène avec la petite fille.
Le début m'a paru trop historico-restrospectif pour coller avec l'opposition "vie de l'univers" et "vie quotidienne".

J'ai lu ton texte d'une traite , sans accorcs aucun.

l'Entropie, c'est quoi déjà? Mes profs de physique n'ont jamais réussi à me le faire comprendre. Si on veut bien m'expliquer, je serais attentif à vos explications ;-)

Mae West 05/02/2005 @ 15:28:00
J'aime bien la morale et la scène avec la petite fille.
Le début m'a paru trop historico-restrospectif pour coller avec l'opposition "vie de l'univers" et "vie quotidienne".

J'ai lu ton texte d'une traite , sans accorcs aucun.

l'Entropie, c'est quoi déjà? Mes profs de physique n'ont jamais réussi à me le faire comprendre. Si on veut bien m'expliquer, je serais attentif à vos explications ;-)


L'entropie c'est le processus de destruction de la matière, la montagne qui se délite, la tasse qui se casse, le corps qui vieillit : tout ça ne revient pas en arrière, la ride ne se déride pas (enfin, il y a bien le botox ..) les cailloux ne remontent pas sur la montagne, la tasse cassée ne retourne pas se poser sur le guéridon en s 'autoréparant : le chemin da destruction se fait dans un sens uniquement, même si le temps absolu n'est pas linéaire .
c'est cette loi de l'entropie qui empêche d'accréditer la théorie du cône inversé, selon laquelle nous nous acheminerions du big crunch vers le big bang, tout en croyant l'inverse;
Enfin, ce que je dis là n' est probablement pas très satisfaisant pour un vrai scientifique, mais globalement c'est à peu près ça

Yali 05/02/2005 @ 17:06:57
Très agréable Mae, très. C'est drôle tant de technique appliquée pour au fond distiller une sorte d'insouciance gaie, presque innocente. Très agréable oui !

Kilis 05/02/2005 @ 18:12:39
Mêmes souvenirs…
Forcément, ça me parle.
Mais en plus j’apprécie beaucoup ta manière d’écrire, la façon que tu as de créer des raccourcis, d’aller à l’essentiel mais avec légèreté, et pourtant tout est là dans l’image, rien ne manque.

Et puis, cette sensation presque palpable de ressentir l’espace-temps quelquefois est joliment et justement dite.

Lyra will 05/02/2005 @ 18:23:55
J'ai bien aimé, comme Sib, très épatée par tout ce vocabulaire, mais ça, je l'avais déjà remarqué dans tes sonnets :0)
Ton texte me plait, autant sur le fond que sur la forme.

Fee carabine 06/02/2005 @ 22:22:15
D'abord, le texte...

Je l'ai lu avec grand plaisir, mêlée de nostalgie (pourtant les sixties je n'étais pas née... mais Tintin et la fusée à carreaux rouges et blancs et Milou dans son scaphandre spécial-toutou... ça, c'est toute mon enfance...)
Et puis, il y a beaucoup de poésie, d'émotion et même - dirais-je - d'émerveillement dans ton voyage stellaire (Non, ne me dis pas que tu n'as pas fait le voyage... Sinon, comment pourrais-tu en parler si bien?) Et il me semble que ce n'est vraiment pas évident de faire passer cette poésie en employant un vocabulaire tout de même très "technique". Mais tu y parviens très bien.

Et puis, j'aime vraiment beaucoup beaucoup la conclusion, et cette idée que certaines expériences trouvent très difficilement leur place (ou même ne la trouvent pas) dans notre vie de tous les jours sur le plancher des vaches....

Et puis, l'entropie... Et là, Mae, comme tu le dis toi-même, ton explication n'est pas vraiment satisfaisante pour un scientifique...
Mais je peux essayer d'en proposer une présentation un peu plus rigoureuse - mais qui reste "simple" - pour ceux que cela intéresse.

D'après la thermodynamique classique (La thermodynamique étant la science qui étudie les transformations de l'énergie), on peut interpréter l'entropie comme une mesure de la qualité de l'énergie, où l'on comprend par "qualité de l'énergie" la capacité que nous avons d'utiliser cette énergie pour fournir un travail utile (pex: faire briller une lampe, faire avancer une voiture...).

Mais ce sera sans doute plus clair si on prend l'exemple d'un caillou qui se trouve au sommet d'une colline. A ce moment, le caillou possède une certaine énergie potentielle (notons la E) qu'on peut calculer comme:

E=m*g*h avec m: la masse du caillou; g: l'accélération de la pesanteur (=9.81 m/s2) et h: la hauteur de la colline.

Supposons maintenant que notre caillou commence à descendre la colline, son énergie potentielle (E) va être transformée en énergie cinétique , càd. liée au mouvement (notons la K) et qu'on peut calculer comme:

K=(m*v2)/2 avec m: toujours la masse du caillou, et v: sa vitesse.

L'énergie totale du caillou est conservée, mais cette énergie change de forme (de "potentielle", elle devient "cinétique").

Mais ce n'est pas fini!

Pendant que notre pauvre caillou roule sur sa mauvaise pente, il est soumis à l'action de forces de frottement, exercées par le sol de la colline. Suite à l'action de ces frottements, le caillou va s'échauffer, ou en d'autres termes son énergie cinétique va à son tour se transformer en chaleur .

Au fur et à mesure de ces transformations, on dit que l'énergie du caillou se dégrade parce qu'elle prend des formes telles qu'il est de plus en plus difficile de l'utiliser pour effectuer un travail utile.
Si on prend l'exemple (fréquent dans les centrales électriques) d'un flux d'eau chaude ou de gaz chauds, on peut récupérer la chaleur de cette eau ou de ces gaz pour produire de l'électricité, mais comme la chaleur est une forme très dégradée de l'énergie, le rendement de cette récupération sera très faible (rendement théorique et "idéal" de l'ordre de 30%, mais en réalité plutôt 10 à 15 % - et oui, elles ne sont pas brillantes nos centrales électriques...)

Et pour en revenir à l'entropie, elle augmente à mesure que l'énergie se dégrade... Et l'énergie de l'univers se dégrade, ce que le second principe de la thermodynamique formule comme "L'entropie de l'univers tend vers un maximum".

Une autre formulation du second principe de la thermodynamique est "Il n'y a pas de mouvement perpétuel de 1ère espèce ", ou en d'autres mots, on ne peut pas concevoir un mouvement qui s'entretiendrait de lui-même sans apport extérieur d'énergie.
Si on applique cela à notre pauvre caillou au bas de sa colline, cela signifie qu'il ne remontera pas en haut tout seul.
Mais si ce brave Sisyphe vient justement à passer par là, il peut très bien remonter le caillou en haut de la colline. Mais pour ce faire, il doit dépenser de l'énergie = apport extérieur d'énergie pour faire remonter le caillou en haut de la colline.

Bon, voilà, ça c'était pour l'interprétation de l'entropie en terme de qualité de l'énergie.


Passons au point de vue de la matière maintenant.
Mae, je n'aime pas du tout l'explication que tu donnes en terme de "destruction" de la matière. A strictement parler, la matière est conservée, ou en tout cas, les atomes qui la constituent sont conservés. Si on prend l'exemple que tu donnes de la tasse cassée, la matière qui constituait la tasse départ est toujours là, seulement elle se présente sous une forme plus "désordonnée". Et en fait, on peut interpréter l'entropie comme une mesure du désordre dans la matière. Pour donner un exemple un peu plus scientifique, si on mélange un paquet d'atomes A avec un paquet d'atomes B, l'entropie du mélange sera petite si les atomes A, d'une part, et les atomes B, d'autre part, ont tendance à rester agglutinés ensemble. Si les atomes A et les atomes B se mélangent de façon tout à fait aléatoire, le désordre augmente et l'entropie aussi.

Bon, voilà, c'est un peu plus rigoureux comme ça, et j'espère que je n'ai pas fait trop compliqué...

Et heu... merci quand même à ceux qui ont tout lu ;-).

Yali 06/02/2005 @ 23:24:52
Fée,
Merci, grâce à toi, le monde me semble un peu plus confus que ce matin, un peu plus insaisissable, plus flouter, une vrai merveille de sfumato. Peut-être que je saisirais plus nettement si ce de caillou éprouvait en X un peu d’amour pour cette jolie montagne, car sitôt que je perds la dimension de ce que nous sommes, chaire et sentiments, pulsions impulsions, atomes mais aimants, je m’y paume total ;-)

Fee carabine 07/02/2005 @ 00:42:26
Heu... C'est flou alors... Bon, le flou a son charme aussi après tout, la séduction du mystère... Cela ne compte pas pour rien dans l'attrait de la recherche scientifique, en tout cas pour moi...

Et puis, j'aurais peut-être dû préciser qu'il faut imaginer Sisyphe heureux de faire remonter le pauvre petit caillou en haut de sa jolie colline toute ronde toute douce dont il n'aurait jamais dû descendre, et c'est la seule chose qui compte finalement... Voilà donc une omission qui est heureusement réparée ;-).

Yali 07/02/2005 @ 01:46:36
Et puis, j'aurais peut-être dû préciser qu'il faut imaginer Sisyphe heureux de faire remonter le pauvre petit caillou en haut de sa jolie colline toute ronde toute douce dont il n'aurait jamais dû descendre, et c'est la seule chose qui compte finalement... Voilà donc une omission qui est heureusement réparée ;-).

Là, j'adore. Un Sisyphe fou d'amour pour son caillou ;-))))

Mae West 07/02/2005 @ 08:58:30
Oui oui, l'entropie comme mesure du désordre de la matière, ça me va .

Merci pour tes précisions !
et pour Sisyphe ! mais l'usure du rocher dans tout ça , hein ? à la fin, il ne devrait plus avoir qu'un tout petit caillou qui tient au creux de sa main ?
voilà pourquoi nous sommes devenus si paresseux de nos jours ...on accuse le progrès, la vie facile et les machines à corvées qui font tout : mais c'est l'entropie du caillou qu'est la cause de tout !
;-))

Mae West 07/02/2005 @ 09:00:05
Et puis, j'aurais peut-être dû préciser qu'il faut imaginer Sisyphe heureux de faire remonter le pauvre petit caillou en haut de sa jolie colline toute ronde toute douce dont il n'aurait jamais dû descendre, et c'est la seule chose qui compte finalement... Voilà donc une omission qui est heureusement réparée ;-).

Là, j'adore. Un Sisyphe fou d'amour pour son caillou ;-))))


Il avait peut-être les formes de Marylin, le caillou ?

Charles 07/02/2005 @ 11:01:35
J'ai lu, j'aime.

La 1ère partie m'a moins touché mais j'ai adoré la facilité avec laquelle tu est passé d'Hubble à Heidi. En deux phrases, sans sauter du coq à l'âne, avec tant d'aisance que ça semble logique ...

j'ai beaucoup aimé également la rencontre avec Heidi et ses phrases faussement naïves.
Comme titre, j'aurais bien vu "Heidi et les dinosaures"

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