Charles 04/02/2005 @ 12:16:20
Salut à tous,

j'avais fait une brève incursion dans ce forum courant octobre 2004 pour poster 2 textes. J'ai eu par la suite très peu de temps pour revenir sur ce forum...

et donc, mieux vaut tard que jamais, je remercie ceux qui ont pris le temps de les commenter : Yali, Benoit, Tistou, St Jean Baptiste ...

Je vais maintenant également pouvoir lire leurs textes et donner mon avis. Encore merci à eux. Et pour mon retour, je reposte le début de mon roman mais cette fois un peu plus "long".


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I.



J’ai choisi le premier train du matin. Toute ma vie dans un sac, j’ai choisi de tout effacer, de repartir à zéro. Ma nouvelle vie débute, une vie sans enfance, une vie qui commence à trente ans. Ca n’existe pas les deuxièmes chances. J’ai perdu trente ans, il m’en reste une cinquantaine au maximum pour espérer mieux, même si quoi qu’il arrive, les anciennes douleurs seront toujours là pour gâcher les utopiques bonheurs à venir.


La brume automnale pour seule compagne, j’ai attendu longtemps sur ce quai de banlieue. Quelques voyageurs encore endormis étaient adossées aux murs grisâtres, espérant échapper à l’humidité et à la fraîcheur du jour naissant. Ils semblaient tous avoir la bouche tombante des figures tristes dessinées par les enfants. Depuis quand n’étaient ils plus heureux, peut être depuis plus longtemps que moi ! Je ne me souviens plus quand cela avait commencé. Une progression lente, insidieuse, la morosité des jours identiques, l’érosion des pleurs, l’usure morale, la perte de l’innocence et surtout la lassitude, la fatigue et son ami, le stress qui s’installe et qu’on accepte peu à peu comme un parasite indissociable.


Un haut parleur fatigué a soudain crachoté quelques mots inaudibles, nous prévenant de l’arrivée de mon passeur vers une vie nouvelle. Le train entra en gare à sept heures, soulevant papiers et pages de journaux, emballages et mégots. Je m’assis au hasard dans un wagon à compartiment usé par le poids des âmes errantes.


Ce fut d’abord les zones grisâtres de la ville qui s’éveille, les vieux immeubles du centre où quelques grandes fenêtres éclairées laissaient entrevoir des intérieurs bourgeois tous identiques. Puis venaient les zones de banlieues dites défavorisées, les quartiers dits difficiles. Ici, beaucoup de monde était déjà au travail, peu de lumière, juste des mères amenant leur progéniture bruyante à l’école de l’individualisme et de la dureté.


Enfin, ce fut les zones industrielles, les métalliques locaux inondés de lumière où des dizaines d’hommes et de femmes épuisaient leur énergie sur des machines vertes. Quelques visages aperçus, un regard saisi, des dos courbés par les années de labeurs mécaniques et la campagne arriva, s’ouvrit devant moi, les champs à perte de vue. Quelques arbres bordant la voie brisèrent mon regard et m ‘emplirent de cette douceur intemporelle propre aux voyages ferroviaires. Je me souviens avoir eu envie de fumer, comme un dernier relent d’autodestruction, j’ai eu envie de contempler le tabac rougeoyant, de sentir cette toxine âcre tapisser ma gorge.


Le train filait à bonne allure, transperçait les gares désertées. Tout comme on oublie son prochain, désormais les trains oublient les isolés, pour ne s’intéresser qu’à cette masse informe des marionnettes rentables. Les autres n’ont qu’à les rejoindre… Mais ici, la nature reprenait le dessus sur ces ruines en devenir, s’ immisçait dans le béton d’un quai, le serpentant de ses racines, usant les murs de ses pluies, frappant les toitures de ses vents.


*******


A 9 heures, nous nous arrêtâmes dans une grande gare moderne, quelques personnes montèrent dans le train, l’éternel militaire, les deux couples de retraités qui sillonnent la France à la recherche de leur jeunesse, d’un dernier éclat de vie, et bien sûr, la belle solitaire au visage fragile qui semble n’être qu’une apparition de notre subconscient, celle qu’on s’attend pendant tout le voyage à voir surgir dans notre compartiment, celle qui dans les romances faciles va révolutionner l’univers du « héros ».


En guise de passion promise, le contrôleur fut ma seule visite. Après son passage, j’abaissai un peu la fenêtre et la réalité s’engouffra bruyamment dans l’espace confiné. Je me levai pour aller marcher un peu.


Les rideaux des autres compartiments tous tirés, quelques têtes parfois appuyées contre les vitres rayées, mon ange avait disparu. La vie ne fait pas de tel cadeau, la chance se mérite, s’apprivoise. Je retournai donc à ma place, l’air de novembre me fit un accueil glacial et je ressentis enfin cette piqûre salvatrice, la gifle annoncée éveillant la lucidité. Je pris conscience de mon état, de cet apitoiement dégueulasse et facile qui m’avaient empli.


Je pensais alors à mon grand père, Charles, et j’eus honte. Il avait toutes les maladies de la Terre et pourtant, il nous renvoyait toujours l’image de quelqu’un de beaucoup plus fort que nous, quelqu’un qui avait compris qu’il ne sert à rien d’étaler ses pitoyables et dérisoires malheurs. La tristesse, c’est contagieux. Ca gagne ceux qui la côtoient. Il aurait eu le droit de se plaindre, il ne l’a jamais fait, pour nous préserver, alors évidemment, moi, je n’en ai pas le droit. Ce serait manquer de respect à cet homme qui m’a tant impressionné.


*******


Il me manque mais en ce jour, je sens sa force en moi. C’est ce qui me pousse à tout recommencer plutôt que d’abandonner et c’est ce qui, je le sais maintenant, va donner un sens à ma nouvelle vie.

Dans quelques heures, la mer sera sous mes yeux. J’irais à la recherche de cette rue de Marseille où tu étais boulanger et je reconstituerais ta vie pour la figer à jamais sur ce papier. J’irais chercher ta force à sa source et te rendrais immortel.



II.


Au sortir de la gare, ébloui par le soleil méridional encore généreux, je cherche les stations de bus. Finalement, je préfère me renseigner auprès d’un passant à la peau halée. Souriant et plus affable qu’un vieil ami, il m’indique même le véhicule à choisir pour arriver au vieux port. Car c’est bien là qu’elle se trouvait, cette boulangerie qui aurait dû faire ta fierté. J’imagine le bonheur que ça avait dû être d’arriver dans cette grande ville. Un couple heureux, trois jeunes enfants, des passages réussis dans plusieurs petits bourgs provençaux et puis la grosse affaire, faire le pain aux marseillais.


Le soleil était il présent le premier jour, ce jour où tu avais présenter le vieux port à tes enfants, à ma mère. Ont ils fermés les yeux, la main en porte-à-faux pour se protéger des reflets du soleil sur la mer ? As tu dû les rassurer, avaient ils peur, n’étaient ce pas le meilleur moment de ta vie, le point culminant, celui de tous les bonheurs et de tous les espoirs ?


*******

Etait elle vraiment là cette boulangerie ? Dans cette rue bruyante et ombragée. Je vois bien le cinéma qui est censé l’avoir remplacé, les façades de verres teintés ont chassé les vieilles pierres massives de cette rue passante. Je m’imagine cinquante ans plus tôt devant une même vitre qui, au lieu de me renvoyer mon regard s’ouvrirai sur un magnifique présentoir de pâtisserie, une vitrine souriante alléchant les promeneurs et captivant quelques enfants qui jouaient au ballon sur la route. Souriant, tu passais quelquefois dans la boutique pour croiser quelques habitués à la visite journalière fixe et ton bon cœur te soufflait « d’accord, vous me paierez demain ou dès que possible ». Et oui, les temps étaient difficiles et les yeux pleins de rêve de bonheur et de reconstruction, tu ne voyais pas le mauvais sort te rattraper.

Et maintenant, ces quelques clinquants néons annoncent quelques mauvais films à l’affiche là où ton nom peut être trônait sur une façade fraîchement repeinte. Si tout s’était bien passé, peut être qu’elle existerait toujours cette boulangerie et je serais derrière le four chaque matin, travaillant fièrement ton héritage.

Killgrieg 04/02/2005 @ 12:41:58
Ben toi tu sais écrire!

La force des images, les descriptions soignées, l'état d'esprit chagrin, cette personne qui file avec le train vers, le passé d'abord, un ailleurs différent sûrement...
Nostalgie, regrets et renaissance... Un bon thème bien porté par une écriture fluide et agréable. Bravo.

PS: j'espère que l'histoire se déroule il y a quelques années, sinon il faut que tu reprennes le train pour Marseille... Longs wagons, tous les passagers alignés, air conditionné et fenêtres bloquées...

Charles 04/02/2005 @ 13:40:53
Merci Killgrieg ! sympa comme réaction.

Et oui effectivement, il ne s'agit pas du tgv méditérrannée ;-)

Charles 04/02/2005 @ 13:42:37
Merci Killgrieg ! sympa comme réaction.

Et oui effectivement, il ne s'agit pas du tgv méditérrannée ;-)

Benoit
avatar 04/02/2005 @ 19:07:32
J'ai relu avec beaucoup de plaisir la première partie! Et la nouvelle est d'aussi bonne qualité! On sent la morosité du narrateur dans ton écriture! Et tout s'enchaîne facilement, aucun cahot dans la lecture... Du grand Art! Encore, encore!

Kilis 05/02/2005 @ 18:40:27
J'aimais déjà beaucoup le début posté en octobre et j'aime aussi le texte complet: l'écriture et l'atmosphère qu'il dégage.

Chouette! pour le moment sur le forum, souffle une espèce de bourrasque de qualité et ça réchauffe bien.

Mae West 06/02/2005 @ 10:04:33
Splendide, le voyage en train, ..tout est là ;
Pour la deuxième partie : Marseille : la recherche du grand père sonne très juste ;
pour donner un peu plus "de corps" au au récit, si tu veux, je peux t'aider pour des descriptions de la ville , que j' ai bien connue (j'y habitais il y a 25 ans).
Par exemple, la sortie de la gare St Charles, avec ses escaliers, je crois qu'aucun voyageur ne peut zapper le torrent d'impressions qu'on avait au sortir de cette gare du temps des trains à compartiments, et je pense que ça reste magique , même de nos jours ; Il faudrait aussi choisir un quartier pour la Boulangerie, tout en restant dans le vague, pas forcément trop pittoresque, ( le vieux port et le "panier" à éviter) ..bon c'est des idées comme ça .
et puis tu as quelques petites fautes d'ortho à corriger, des bricoles .
Sinon, c'est super !continue ton histoire, elle est bien partie! c'est un très beau sujet en tous cas.

Saint Jean-Baptiste 06/02/2005 @ 22:26:09
Je me souvenais très bien de la première partie ; pourtant c'était en octobre et Dieu sait le nombre de récits qui ont défilés depuis lors !
Je me souvenais du train qui partait pour des jours meilleurs. C'est un très beau thème qui demande à être traité avec doigté : pas trop de guimauve, pas de tarte à la crème !
Pas de complaisance dans la nostalgie, pas de volupté dans la mélancolie ! Bref, un genre ou l'erreur ne passe pas !
C'est très difficile mais jusqu'à présent ça marche et ça marche même très bien !

Yali 06/02/2005 @ 23:11:28
J’approuve tout ce qui est dit ci-dessus, oui, « qualité »et en même temps j’émets une réserve et pas des moindres, si ceci est un roman, ben, m'en manque un sacré bout pour pouvoir ne serait-ce que dire ce que finalement j’en pense, ce que j’en retire, c’est-à-dire : s’il me trottera dans la tête après lecture, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… Un roman tient dans l’ensemble ou ne tient pas, et je serais curieux de savoir si celui-là ? Alors, à partir de là on fait quoi ?

Charles 07/02/2005 @ 09:21:00
Merci à tous pour cet accueil très sympa. En vrac, je réponds à 2 ou 3 questions/remarques.


Pour Mae West, malheureusement, c'est bien dans une rue annexe du vieux port que je pensais mettre cette boulangerie. Tout simplement parce que ce récit est plus ou moins inspiré par la vie de mon propre grand père. Quelques éléments de sa "biographie" que j'accomode librement en brodant autour ... Et il a effectivement eu une boulangerie dans une rue annexe ... Mais le narrateur ne va pas rester longtemps à Marseille.

Pour Yali, effectivement, un roman se juge dans sa globalité. Je vais essayer de continuer à poster la suite sur le forum. un morceau de temps en temps ...

merci encore d'avoir pris le temps de lire et réagir.

Tistou 07/02/2005 @ 09:21:48
Eh bien Charles, te voilà accueilli de la meilleure des façons pour un retour! Tout le monde aime apparemment. Moi aussi. Il y a de la chair et du coeur dans ton écriture, suffisamment pour qu'on en sente la sincérité. On te lit sans décrocher malgré l'inconfort de la lecture à l'écran. On te lit sans décrocher parce que ton histoire a un sens, le sens de l'humain.

Saint Jean-Baptiste 07/02/2005 @ 22:34:24
Alors, à partir de là, on fait quoi ? demande Yali.
Ben, comme tout le monde: attendons la suite et on verra !
Jusque maintenant, c'est bon, pourvu que ça dure !

Benoit
avatar 22/02/2005 @ 21:59:26
Je le remonte pour toi, Bala!

Balamento 22/02/2005 @ 22:22:54
Bon, moi, je suis le méchant ici... celui qui critique sans srcupules.

Alors, donc, pas assez envolé, pas assez lâché, trop anodinement descriptif, lent, désinvesti par pans entiers...

Mais c'est un début et sans doute, la suite peut elle donner des variations de rythme. En tout cas il y a plaisir d'écrire, et ça c'est bien, parce qu'on le sent.

En tout cas, il y a du pin sur la planche, et ayant lu quelques lignes de butor, il n'y a pas si longtemps, le thème du train, n'est pas le plus facile ;-)

Euh... faut pas m'en vouloir, je donne mon avis inéclairé de lecture, sans aller chercher plus loin ;-)

Charles 23/02/2005 @ 09:23:54
Bon, moi, je suis le méchant ici... celui qui critique sans srcupules.

Alors, donc, pas assez envolé, pas assez lâché, trop anodinement descriptif, lent, désinvesti par pans entiers...

Mais c'est un début et sans doute, la suite peut elle donner des variations de rythme. En tout cas il y a plaisir d'écrire, et ça c'est bien, parce qu'on le sent.

En tout cas, il y a du pin sur la planche, et ayant lu quelques lignes de butor, il n'y a pas si longtemps, le thème du train, n'est pas le plus facile ;-)

Euh... faut pas m'en vouloir, je donne mon avis inéclairé de lecture, sans aller chercher plus loin ;-)



Non, ce n'est pas méchant, c'est franc et j'apprécie. Merci pour tes commentaires.

pour le train, j'ai adoré la modification de Butor mais évidemment, je souffre beaucoup de la comparaison. Mais promis, pour ce roman, il ne s'attardera plus dans le train.

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