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Forums  :  Vos écrits  :  MM2: Episode 32 et fin.

Sahkti
avatar 01/02/2005 @ 00:09:58
L'atmosphère était tendue. Chacun dévisageait l'autre sans prononcer un mot. Pour Amélie et Augustave, il était hors de question de passer à côté de cette possibilité de nouvel amour. Des enfants pas encore nés? Amélie en aurait d'autres, encore plus beaux, plus intelligents que les jumeaux, elle se sentait pousser des ailes grâce à Cupidon. Jamais elle ne sacrifierait une vie si prometteuse pour un vieux fou délirant autour d'un ascenseur rouillé.
Euphrosyne avait le cœur en berne, elle enviait cette passion naissante et regardait avec mélancolie sa peau devenue fripée que le teint velouté et lisse d'Amélie reléguait au second plan. C'était fini pour elle. Elle avait 96 ans, quel bonheur pouvait-elle encore espérer sur cette terre qui s'était montrée bien ingrate dans ses sentiments…
C'est alors qu'un frisson lui parcourut le dos, son cerveau partait dans tous les sens, elle se mit à trembler, ses yeux à pétiller, elle regarda sa sœur et lui murmura "Viens… Nous ne mourrons pas ici, jamais!" Elle se précipita dans l'ascenseur en tirant Lucette par la main, les deux sœurs se mirent à rire, leur joie avait la saveur de l'éternité.

Nicéphore en eût le souffle coupé, il se retourna bouche bée vers Esther mais celle-ci semblait plongée dans d'obscures pensées. C'est qu'elle seule connaissait la vérité sur la conception "concrète" de Charlotte. Les autres habitants avaient eu vent de ses moments d'égarement avec Sways, de ses voyages au septième ciel en compagnie du pilote, mais ignoraient que Charlotte avait été conçue avec rage et passion dans cet ascenseur une nuit d'ivresse. Charlotte, l'ascenseur, le mécanisme tordu…, il y avait certainement encore des cellules ADN qui se promenaient dans l'ascenseur. Et si un vieux chewing-gum mâchouillé donnait naissance à deux êtres issus d'un autre siècle, que risquait-il de se produire si la machine se déréglait définitivement? Une seconde Charlotte? Plus de Charlotte du tout? Incapable de peser sereinement le pour et le contre de sa démarche, Esther se dit que le seul moyen d'éviter tout drame était de se glisser dans l'ascenseur. Contenant une personne dont l'âge et la nature n'avaient pas été récemment modifiés, peut-être se bloquerait-il sans causer de nouveaux soucis, tout rentrerait dans l'ordre. Esther ne voulait pas courir le risque qu'il arrive malheur à sa fille, elle s'engouffra dans la cage métallique et se colla aux deux sœurs Milmin.
- Esther, ma tendre amie, que faites-vous donc?!, s'écria Nicéphore éberlué.
- Je sauve ma fille!
Pris de panique, Nicéphore courut la rejoindre et referma derrière lui la grille de l'ascenseur qui emprisonnait désormais quatre personnes prêtes à tout.

Ce qui devait se produire arriva. La régulation de l'espace temporel annoncée peu avant par Nicéphore provoqua l'effondrement de l'ascenseur. Dans un fracas épouvantable et un épais nuage de poussière, la machine se mit en branle et sursauta, d'horribles grincements métalliques résonnèrent dans tout l'immeuble, ce fut le chaos, un bruit assourdissant puis le silence… les montants de l'ascenseur gisaient sur le sol du rez-de-chaussée, l'appareillage était entièrement disloqué, courroies et poulies jonchant le carrelage 1900. Au centre des décombres, rien. Personne. Plus personne!
Penchés au dessus de la rambarde, Amélie et Augustave contemplaient le désastre. Ils ne comprenaient rien à ce qui venait d'arriver mais leur bon sens leur suggérait que tout cela n'était pas normal et qu'il valait mieux quitter le plus rapidement cet immeuble qui tombait en miettes.
A peine Augustave saisit-il le bras d'Amélie qu'il se sentir tourbillonner, son esprit défaillait, ses membres ne répondaient plus.
-Amélie, je ne me sens pas très bien, je…
L'ex-future Madame Prauvice n'eût que le temps d'écarquiller les yeux avant de disparaître à son tour, obéissant ainsi à la logique des choses, ne pouvant plus exister sans la présence de l'ascenseur miraculeux. Les prédictions funestes de Nicéphore n'étaient pas billevesées.

Pendant ce temps, enfonçant leurs pieds nus dans le sable mouillé d'Ostende, Charlotte et Lucette exposaient en silence leur visage au vent du nord. L'air frais et vif les empêchait de réfléchir. Que c'était bon de ne plus penser à rien, de se laisser bercer par le murmure des vagues et le cri des mouettes. Lucette prit Charlotte par l'épaule, la serra contre elle, chantonna machinalement les mots de Léo Ferré qui avaient bercé leur voyage jusqu'à la côte. Ha si la vie pouvait toujours être aussi douce, si les images qui se succédaient dans sa tête pouvaient conserver cette beauté marine et ces tons émeraude qui l'hypnotisaient, si il suffisait de claquer les doigts pour que tout s'arrête sur cette image du bonheur, si… les pensées de Lucette l'enivraient, elle regarda Charlotte, le visage blême de sa compagne l'effraya, elle lui demanda si tout allait bien, Charlotte ne répondait pas, ne disait plus rien, son regard était figé, elle ouvrit la bouche puis s'effondra, avant de rejoindre le sable et la poussière originelle.
Lucette ignorait le drame qui s'était joué rue Sous l'Eau, elle ne pouvait comprendre que si Esther n'existait plus d'un strict point de vue temporel, sa fille ne pouvait à son tour demeurer objet de la création.
Lucette s'écroula sur le sable, ferma les yeux, implora n'importe quel créateur de la galaxie, même un subalterne, de venir la récupérer dans les meilleurs délais…

Un an plus tard, la matinée s'étirait grassement à la clinique des Coquelicots. L'endroit était douillet, ancienne maison de maître reconvertie en centre psychiatrique niché au milieu d'un immense parc verdoyant où les oiseaux s'en donnaient à cœur joie.
Lucette regardait par la fenêtre. C'était le dernier jour. Le terme de douze mois passés dans cet écrin coupé du reste du monde. Le professeur Jung lui avait remis son autorisation de sortie la veille, un sourire de satisfaction aux lèvres, la joie du devoir accompli et des progrès observés. Il avait qualifié l'état de Lucette de névrose obsessionnelle. La jeune femme se demandait parfois si il avait jamais cru un mot de son histoire.
Mais peu importe, elle allait sortir, faire à nouveau face au monde extérieur, commencer une autre vie, se prendre en main, partir loin d'ici, tout cela se bousculait dans sa tête. On frappa à la porte. C'était le Docteur Hauser, l'assistant de Jung, il venait la chercher, l'accompagner jusqu'au portail du centre, une immense grille de fer forgée qu'elle avait franchi une seule fois, le premier jour.
Arrivés au bout du couloir, Lucette et le médecin s'immobilisèrent devant l'ascenseur. Elle prit sa respiration et se répéta mentalement les phrases qu'on lui avait apprises en thérapie. Elle entra d'un pas décidé dans l'espace réduit, suivie d'un Hauser volubile qui commença à lui expliquer que cet ascenseur était d'origine, les boiseries étaient en parfait état, seuls les mécanismes avaient dû récemment être changés, qu'ils étaient anciens (la bâtisse avait plus de 100 ans) mais que par chance, la société de maintenance de l'hôpital avait pu récupérer des pièces d'occasion dans un immeuble en ville, un ascenseur qui s'était écroulé. Le bâtiment, une vieille demeure qui se trouvait rue Sous l'Eau si ses souvenirs étaient bons, devait être démoli pour être remplacé par un building de dix étages, c'était une chance que le système mécanique de l'ascenseur ait pu être récupéré.

Le Docteur Hauser referma la grille de l'ascenseur et appuya sur le bouton, Lucette ferma les yeux, elle entendit le cliquetis, ce bruit qu'elle pensait avoir oublié…

Sibylline 01/02/2005 @ 12:57:32
Je n'aime pas beaucoup la première partie (rue Sous l'Eau). Il me semble qu'il y a des enchaînements qu'on pourrait contester.
J'aime bien la partie plage d'Ostende.
J'adore la chute!
Bravo Sahkti pour nous avoir si bien fini motre petit MM chéri.
:-)))

Olivier Michael Kim
01/02/2005 @ 13:26:52
Bien ! J'ai trouvé le texte facile à lire. Il fait la part belle à un narration bien menée avec des dialogues insérés avec justesse.

J'apprécie dans la construction de ton récit, la cassure de temps entre les 2 parties. Les épisodes du MM2 ténaient souvent du théâtre avec une unité de lieu et d'action. Dans ton récit tu as osé la césure qui relève l'intérêt de cette fin. Oui, c'est une belle fin avec une belle chute.

Saint Jean-Baptiste 01/02/2005 @ 18:46:35
C'est superbe ! C'est sublime ! Mais que c'est triste ! J'ai beaucoup pleuré, mais maintenant ça va mieux. ;-))
Vraiment Sahkti, quelle imagination, ça m'épate (et pourtant il en faut beaucoup pour m'épater.)
Mais dis donc, est-ce que cette fin n'annoncerait pas une suite, genre Lucette Le Retour ? (non c'est pour rire !)
En tous cas, merci et bravo à tous les participants, on s'est bien amusé, on a bien rigolé, ce jeu d'écriture est bien dans l'esprit de CL me semble-t-il, et la qualité était toujours au rendez-vous !
Et vive le prochain numéro !

Kilis 01/02/2005 @ 18:49:23
Je dis Bravo Sahkti!
Parce que terminer un Millemain aux détours infiniments complexes et parfois carrément loufoques était une tâche particulièrement ardue. Tu as pris le parti de boucler les parcours de chaque personnage et c'est courageux. Mais, comme Sib, je trouve la deuxième partie du texte beaucoup plus passionnante et agréable. Et la chute est étonnante et bien menée.

Yali 01/02/2005 @ 19:01:18
Moi j'ai pas envie de me la jouer Pro, et puis je suis éreinté pour faire dans l'analytique même bas de gamme, alors voyons comment formuler ça… : bien, oui, elle fonctionne bien cette fin, elle est dans le ton de l’ensemble et c’est plaisant, car après tout, et puisque l’on cause machine à tripatouiller du temps, le mieux était bien de faire une fin début, bien vu !

Tistou 01/02/2005 @ 20:34:56
C'est bien vrai, tu n'avais pas la tâche la plus facile SAHKTI, et tu t'en es superbement sortie. Ce qui est fascinant, c'est de penser qu'on a tous, à un moment marqué de notre sensibilité un bout de cette histoire, et que ça en fait néanmoins un truc qui se tient, et on ne s'est même engueulés! Et SAHKTI la finit comme ça, et Kicilou l'aurait fini autrement et Olivier aussi ... Ca c'est troublant.
Sortis, nous sommes sortis du MM2. Ouh! un petit état de manque quand même! La vie après MM2? A découvrir.
Faudrait qu'on se félicite tous quand même! Je pense qu'on l'a bien mérité. Ce qui serait sympa, c'est qu'on se congratule ensemble, pour de vrai. Je connais un endroit, un vieil immeuble ... Oh rassurez vous les paresseux, il y a un ascenseur. Un vieil ascenseur ...

Sahkti
avatar 02/02/2005 @ 21:34:29
mon chez moi genevois, c'est un tout vieil immeuble sans ascenseur (hélas!!), mais les nouveaux proprios parlent d'en mettre un, me réjouis de voir ce que ça va être en espérant qu'ils vont nous installer un petit truc grinçant et grimaçant comme dans les vieux palais romains, ça cadrerait bien avec le style de l'immeuble et il y a juste la place pour une personne dans la cage d'escalier... et par superstition "MM2", je me demande si je n'y collerai pas un bubble-gum paumé dans un coin caché :)))

Sahkti
avatar 03/02/2005 @ 17:13:57
En parlant d'ascenseur, il y a quelques pages délirantes dans "Le Troisième policier" de Flann O'Brien.
On y parle d'un ascenseur qui conduit directement vers l'éternité. Non pas le paradis ou la demeure d'un vieux barbu, mais un endroit étrange, genre maison abandonnée, dans laquelle il ne se passe rien point de vue temporel. Tu entres rasé de près, tu en ressors quinze jours plus tard, ta barbe n'a jamais poussé, car le temps n'existe plus. Idem pour la vieillesse, la faim, la soif, la dégradation de la nourriture et du corps, etc.
C'est assez génial, tant pour l'idée que la manière dont O'Brien en parle!

Sibylline 03/02/2005 @ 18:19:47
Oui, mais comment y entre-t-on et comment en sort-on? Le mouvement, c'est une coordination du lieu et du temps, non?
Ca devient rapidement difficile à gérer ce genre de fiction.

Sahkti
avatar 03/02/2005 @ 18:26:16
On y entre après un long cheminement en forêt, une forêt qui devient de plus en plus touffue et habitée de grands arbres. Au centre, une vieille demeure abandonnée, toute petite, dont le sans d'entrée est enr éalité cet ascenseur. Ensuite un long voyage interminable qui te mène on ne sait où point de vue géographique. Les gens savent que le temps ne passent pas à cause de la barbe qui ne pousse pas, de la cigarette qui ne s'éteint jamais, de la faim qui ne vient pas, des vêtements qui ne s'usent pas, etc.
Une seule condition pour que l'ascenseur fonctionne au retour en te ramenant au point de départ: peser exactement le même poids à la sortie qu'à l'entrée (il y a un endroit où se peser, un mécanisme assez loufoque digne de Prauvice!).
Comment grossir me diras-tu si tu n'as pas faim? Parce que dans cette maison, qui est dédiée à l'imaginaire, tu peux créer ce qui te passe par la tête, des tonnes d'or ou de confiture à la fraise par exemple et remplir tes poches de tout ce que tu veux. Seulement si tu décides de sortir avec un sac plein de breloques, ton poids total aura été modifié et l'ascenseur t'envoie dans un espace spatio-temporel totalement inconnu dont personne n'est revenu.

Sibylline 03/02/2005 @ 18:32:29
Ben dis donc!!!! Je suis épatée. C'est plein de contresens, mais très passionnant aussi, tout ça. La SF, parfois, c'est génial. Ca peut-être de la poésie qui fait de l'activisme. :-)

Sahkti
avatar 03/02/2005 @ 18:40:40
punaise les fautes qu'il y a dans mon texte!!!

Kicilou 03/02/2005 @ 20:05:03
Très belle fin Sahkti! Je suis un peu en retard pour les congratulations mais elles sont là quand même. Je pourrais répéter tout ce qui a été dit, que tu as réussi à clore l'histoire de chaque personnage et à inventer une fin qui nous tient en haleine, qui ne laisse pas retomber le soufflé (au fromage), etc... Mais comme ça a déjà été dit, je ne vais pas en remettre une couche mais je n'en pense pas moins!
Bref, une conclusion à la hauteur d'un MM2 de grande qualité (congratulation générale à tous les participants).
A quand le MM3?? (il fallait bien que quelqu'un la pose cette question!!) :-)

Tistou 04/02/2005 @ 09:28:56
A quand le MM3?
Et si on se penchait déja sérieusement sur l'"exercice" en cours pour vendredi 11/02? On t'y attend Kicilou.

Lyra will 04/02/2005 @ 19:23:25
pffff... je reste sans voix.
J'ai été complétement hypnotisée du début à la fin !
C'était superbe, vraiment superbe, très bien écrit, et il fallait la trouver cette fin !
C'était très visuel, surtout sur la plage d'Ostende, je trouve. Mais j'ai tout aimé.

Vraiment je ne sais pas quoi dire mais j'ai beaucoup aimé, j'ai adoré.
Et la pauvre Lucette décidement...

Merci pour cette fin Sahkti :0)

Bluewitch
avatar 05/02/2005 @ 21:29:56
Sahkti, ta fin est épatante. Tout se termine comme dans un écrin de velours (en contraste avec ta première partie un peu plus « délirante »). Un lien tissé, une fin qui reste sobre mais très originale, beaucoup d’émotion. Je ne pense pas qu’on ait pu souhaiter mieux pour tourner la dernière page de ce MM2…

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