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Forums  :  Vos écrits  :  MM2 : épisode 27

Yali 18/01/2005 @ 17:00:03
   Victor expira sur parquet ciré dans une larme pas même salée. Aucune sirène ne déchira la nuit, ne nagea à son secours. « Autant être pas né » fut l’ultime réflexion du poisson.

   L’étage plus haut, Charlotte débarquait d’avoir « enfin » endormie les mômes et tombait sur l’attroupement devant ascenseur. Elle ouvrit les bras comme pour raconter, expliquer, rationaliser un peu, retrouver ses marques, faire quelque chose, n’importe quoi pourvu que ça marche et que l’on en revienne À-CETTE-PUTAIN-DE-RÉALITÉ. Mais un instant plus loin, son regard rencontrait celui d’un autre siècle, dévisageait une revenante fringuée comme bigote, et encore plus loin, dans un costard d’outre-tombe, Augustave souriait de toutes ses dents.
   Son cerveau hésita, puis refusa l’analyse des données. Alors, mollement, comme deux ailes se rangent, ses bras rejoignirent son corps et le tout haussa des épaules avant que de déclarer qu’un café lui ferait du bien, « Le plus grand bien même, si toutefois, elle dégotait un cafetier en age de se servir d’un percolateur ? ».
   Mais elle ne bougea pas.
   L’ascenseur grinça
   — Elle ne se sent pas bien ? demanda la première des sœurs Noël
   — Où suis-je ? fit une voix
   — Elle me semble un peu « stressée », répondit la seconde des sœurs Noël
   —Stré… quoi ? Demanda la voix
   — Anxieuse, précisa Esther
   — Ah ! fit la voix
   — Rassurez-vous, dit Augustave, je n’y comprends rien non plus.
   — Ah, refit la voix
   — Ni moi !
   — Idem
   — Itou
   —Ah, re-refit la voix.
   Et l’ascenseur grinça.
   J’allais rajouter que moi non plus, j’y entravais que dalle à leurs conneries, et que de toute façon, c’était décidé, je déménageais illico. Non, mieux : j’avais déjà déménagé et d’ailleurs, jamais on ne s’était rencontré ni même jamais aperçu.
   L’ascenseur grinça.
   Un ange passa
   Victor en profita pour, dans son sillage, regagner le paradis des poissons morts sur parquet ciré.
   Tous comptes faits, j’ai résumé l’idée en un simple « Fait chié ! », puis j’ai attrapé Charlotte par le bras, et, ensuite…
   Ensuite c’est flou. Nous avons bousculé les sœurs Noël, dévalé les escaliers, traversé le hall et l’on s’est jeté dehors.
   En passant, j’ai pensé « Un hall, rien à voir avec un vestibule, une galerie, une entrée, ni même avec un corridor, un couloir, un passage, un portique, et encore moins avec une véranda, un perron, une terrasse ou autres varangues ».
   Une fois dans la rue Charlotte a demandé « Où ? »
   J’ai dit « Loin »
   Charlotte a rajouté « Très loin alors ! »
   Et vu que j’avais laissé les clefs dessus, on a fauché la DS

   Rouler dans la nuit, j’aime ça. Perdre son regard derrière les carreaux, le gaver de ténèbres et ne plus penser à rien qu’au noir qui vous envahit … Se laisser bercer par l’amicale suspension, le doux roulis de la machine et se perdre dans un siège…
   Charlotte conduisait et son visage reflétait une sorte de béatitude concentrée. Les lueurs des lampadaires défilant sur pare-brise donnaient à son visage des accents angéliques, orangés, quasi mystiques…
   Elle a viré à droite
   Puis à gauche
   Je m’éteignais, le front posé contre la vitre, lorsqu’elle a dit :
   — T’as vu, y’a un lecteur CD ?
   Non, j’avais pas vu
   — J’ai des CD dans mon sac. Je l’ai jeté sur la banquette arrière je crois… T’y va ?!
   J’ai plongé pour récupérer ledit sac ressemblant à tout autre chose qu’à un sac. Sans blague, ça existe ça ? Ah bon ! Dedans il y avait un bordel phénoménal et quelque part entre, se nichaient une dizaine d’albums. La plupart inconnu et Un qui semblait ne pas être de son âge. J’ai pris le Un et l’ai enfilé dans le lecteur.
   Quelques minutes plus tard, on gueulait en cœur :
   « Ni gris ni verts, ni gris ni verts
   Comme à Ostende et comm' partout
   Quand sur la ville tombe la pluie
   Et qu'on s'demande si c'est utile
   Et puis surtout si ça vaut l'coup
   Si ça vaut l'coup d'vivre sa vie »

   Et encore :

   Oui ça pleuvait, oui ça pleuvait
   Comme à Ostende et comm' partout
   Quand sur la ville tombe la pluie
   Et qu'on s'demande si c'est utile
   Et puis surtout si ça vaut l'coup
   Si ça vaut l'coup d'vivre sa vie

   La voix de Léo Ferré s’est éteinte, sa musique, les mots de Cossimon se sont tus. Le silence s’est installé, un peu, puis Charlotte a dit :
   — J’y ai jamais foutu les pieds !
   — À Ostende ?
   — Jamais !
   — C’est triste.
   — Ostende ?
   — Non que tu y sois jamais allé.
   Elle s’est mordu les lèvres, a esquissé un sourire peu aprés, puis elle a demandé :
   — Ostende, c’est par là ?
   — Pile de l’autre côté, j’ai fait.
   — Bon.
   Elle a fait demi-tour : dérapage semi contrôlé, crissement de pneus, odeur de caoutchouc en enfer, appel de phares d’automobilistes pas content, clackson, insultes appuyée de gestes sans équivoque… et l’on s’est retrouvé dans la direction d’Ostende.
   Elle souriait comme une enfant, alors soudain, j’ai eu envie d’avoir son âge :
   — Je te l’offre, j’ai dit.
   — Quoi donc ?
   — Le petit-déjeuner devant la mer du Nord.
   — C’est loin ?
   — Un peu.
   — Tant mieux. J’ai besoin de réfléchir.
   — À cette allure, nous y serons à l’aube.
   — Parfait
   Sa frimousse se tendit, elle sembla se concentrer. Puis non :
   — Je me souviens d’un film comme ça. Un film où deux filles s’enfuyaient à bord d’une caisse antique, sauf que la leur était rose.
   — Une Cadillac décapotable
   — Je ne sais plus trop comment ça s’appelait ?!
   — À la fin, elles se jetaient d’une falaise, corps et âmes, et voiture.
   — Y’a des falaises à Ostende ?
   — Aucune idée. Tant qu’il n’y a pas d’ascenseur, pour moi ça ira…
   — Et pas de mômes !
   — Et pas de mômes, j’ai répété.
   Puis, comme elle se calait confortablement dans son siège, j’ai pensé « Roulez jeunesse ! ».

Kilis 18/01/2005 @ 18:32:41
Bon…comment je vais exprimer ça ? Voilà, ici on est dans le cadre d’un exercice et qui plus est d’un exercice collectif. C’est vrai que chacun le fait avec cœur et y apporte de plus en plus une contribution de qualité.
Mais, ce que Yali parvient à faire, c’est de donner cette impression que l’épisode ferait partie d’un roman complet qu’il aurait écrit. Je ne sais pas… c’est traversé par un souffle…

« Rouler dans la nuit, j’aime ça. Perdre son regard derrière les carreaux, le gaver de ténèbres et ne plus penser à rien qu’au noir qui vous envahit … Se laisser bercer par l’amicale suspension, le doux roulis de la machine et se perdre dans un siège…
Charlotte conduisait et son visage reflétait une sorte de béatitude concentrée. Les lueurs des lampadaires défilant sur pare-brise donnaient à son visage des accents angéliques, orangés, quasi mystiques…
Elle a viré à droite
Puis à gauche
Je m’éteignais, le front posé contre la vitre, lorsqu’elle a dit :
— T’as vu, y’a un lecteur CD ?"

Bluewitch
avatar 18/01/2005 @ 19:59:32
Pas triste de cet épisode "Charlotte et Lu7 sur la route"... non non! On sort de l'ascenseur poussiéreux, on prend le large, on se redécouvre. Ah, et Ostende! Je la respire déjà... ;o)
C'est vrai qu'il y a un souffle, dans ce texte, un côté "l'air de rien", naturel, de quelqu'un qui aurait vu quelque chose qui nous aurait échappé... Les petits détails, ce qui fait beaucoup. Atmosphère, atmosphère...

Olivier Michael Kim
19/01/2005 @ 08:13:42
C'est bien. Serait-ce le début d'un road-novel ? ;)

Saint Jean-Baptiste 19/01/2005 @ 11:37:46
Sensationnel ! Encore une fois, c'est du super Yali ! Je dois le relire parce que c'est trop bien, c'est trop marrant !
La mort du poisson Victor sur parquet ciré. (De Profundis !)
Charlotte et son percolateur !
Le brave Augustave qui nous rassure : je n'y comprends rien non plus !
Et puis le morceau d'anthologie : la traversée du hall par Lu 7, et le changement de cap sur Ostende, tout est sensationnel, inventif, bien écrit, marrant, du vrai roman, quoi !

Lyra will 19/01/2005 @ 14:28:42
Le coup de la sirène, c'est très bien trouvé.
Et le pas né, ce n'estpas très gentil, Yali, un peu de respect pour feu Victor ;0))

Ca aussi, c'est vraiment très bon ! :

"Rouler dans la nuit, j’aime ça. Perdre son regard derrière les carreaux, le gaver de ténèbres et ne plus penser à rien qu’au noir qui vous envahit … Se laisser bercer par l’amicale suspension, le doux roulis de la machine et se perdre dans un siège…"

Yali, ton texte est très bon, et beau aussi, c'est d'une qualité !
J'espère juste qu'elle ne finiront pas au pied d'une falaise comme T & L !
Il est plein d'humour ce texte, et d'émotion.

Sahkti
avatar 19/01/2005 @ 14:54:42
hé bé je vais sans doute être la seule à mettre un tout petit bémol, mais si j'ai retrouvé les idées lumineuses de Yali, j'ai tout de même ressenti (et c'est très rare avec les textes de Yali!) une impression de bâclé ou de vitesse. Quelques maladresses, des cassures, une ambiance qui va et qui vient... J'ai un peu moins accroché au style cette fois-ci.
Ce qui ne m'empêche pas de trouver plein de bonnes idées dans ce texte, surtout cette virée au grand large qui apporte une bouffée d'air frais bienvenue, notamment après la grande confusion qui règne parmi les habitants de l'immeuble des fous au début de l'ascenseur. Sur ce point, les courtes phrases traduisent à merveille cette impression de malentendu général où chacun se prend la tête, c'est très réaliste et visuel.
Petit sourire aussi devant Lucette et son obsession des halls! :) Et son affectivité fugace, elle qui abandonne déjà mentalement Selim Baby à la fin de l'épisode avec son "Et pas de mômes!" Ô femme cruelle!

Tistou 19/01/2005 @ 23:43:57
Merci Yali d'avoir embrayé si vite et si facilement. Je peux te dire un truc ; je n'aurais pas fait comme ça, ... et ça n'aurait pas été aussi bien, ... et ça aurait eu une tonalité plus morose. Bref c'est très bien ton épisode. Moi, rouler à la nuit, pour laver la tête, ça me va assez bien. Et je suis d'accord avec Kilis, un souffle traverse tout ça. Si tu étais un guitariste, tu serais plus Hendrix que Keith Richard. De la folie, des allers-retours dans les sentiments, des notes ébouriffées sorties de nulle part, ... C'est tout toi.

Tistou 20/01/2005 @ 00:59:06
Après Yali c'est Kicilou. Puis-je me réinsérer entre Kicilou et Sibylline? Sibylline, merci de ta réponse.

Kicilou 20/01/2005 @ 15:50:15
C'est du beau, du très beau, du Yali quoi! J'avoue que je préfère la fin, j'ai eu du mal à tout comprendre sur le début... Mais cette atmosphère que tu sais donner à tes épisodes Yali, c'est innimitable!
Et puis je vais faire court, les autres ont déjà tout dit. Et je vais me mettre à la suite... Donc commencer par chercher Ostende dans un atlas, des fois que ça m'inspire! ;-)

Provis

avatar 20/01/2005 @ 18:48:15
C'est du Yali ! On n'est pas pris par la main, on est emporté par le flot ! Dès le poisson panné, on en est selle, et hue cocotte !! Ca démarre, ça avance, c'est drôle et fort, Yali est parti dans sa douce folie !
Mais à "l'amicale suspension", on voit bien que Yali a vraiment roulé dans une DS .. :o)

Benoit
avatar 01/02/2005 @ 19:33:00
Je l'aimais bien, moi, cette atmosphère de fous près de l'ascenseur. Je me demande bien sur quoi cela va déboucher...

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