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Forums  :  Vos écrits  :  MM2 : épisode 21

Yali 29/12/2004 @ 09:45:30
   La maison avait une sale gueule, l’une de celle à remporter le casting pour « Psychose » les yeux fermés, enfin les volets fermés… Elle perchait en hauteur, s’extirpait à coup de tourelles sombres d’une orgie végétale : débauche de verdure entrelacée, et, bien sûr, n’y menait aucun chemin carrossable.
   Une demi-heure déjà que Charlotte et moi avions délaissé la voiture devenue inutile. Une demi-heure que nous marchions courbées comme des damnées sous un soleil de plomb.
   Le propriétaire, c’était certain, n’encourageait pas à la visite. Pas plus d’ailleurs, qu’il ne s’occupait de défricher son foutu sentier.
   Nous gémissions tour à tour, jurions tout pareillement, et soufflions, de temps en temps, pendant de courtes pauses où la Junkie s’agenouillait pour, en prière, cracher ses poumons au précipice. Puis, bon gré mal gré, nous reprenions notre escalade dans un concert de râles.
   Enfin, moi je ne râlais pas, non, moi je marmonnais des trucs du genre :
   « Mais quelle foutue envie d’emménager j’ai eu devant ce putain d’immeuble à la con. Merde… sûrement qu’en ce bas monde n’existe qu’un ascenseur à tripatouiller du temps, un seul dans tout l’univers à se foutre des saisons, un seul cerné par une bande de psychopathes et il est pour moi ! » … et ainsi de suite…
   J’en étais à m’en prendre à Dieu soi-même, à une tripotée de ses Saints, à casser de l’Ange à qui mieux mieux, lorsque enfin, daigna se présenter une grille de fer forgé.
   Elle était chargée de lierre comme un œuf de sa coquille.
   Je supposais un instant que nul ne vivait ici, voire que nul n’y avait jamais vécu. Je supposais encore que Charlotte aurait une idée sur la question. Je me retournais donc, sauf que de Charlotte y’en avait plus, et pas trace non plus qu’il y en ait jamais eu.
   « Aux fraises la Charlotte » j’ai pensé, puis j’ai eu envie de pleurer un bon coup.
   Je ne l’ai pas fait, le lierre et sa grille s’ouvraient dans un chuintement au diapason de la baraque… lugubre.
   Derrière la grille, il n’y avait personne.
   C’est dingue le nombre de jours à pas de chance que compte une vie, fou ce qu’ils sont plusieurs ceux-là. « Quasi la majorité », je me disais, traversant l’allée de gravier gris conduisant à une porte d’entrée qui m’avait l’air totalement dépourvue d’amabilité. Une porte comme une arche gothique, en bois, et sur laquelle s’alambiquaient des arabesques sculptées, grotesques, mathématiques.
   Elle s’ouvrit.
   Derrière il y avait quelqu’un.
   Et ce quelqu’un faillit ne plus être tant il fut surpris de me trouver là.
   La vérité, c’est que le pauvre homme en resta bouche bée, porta la main à son cœur et l’y laissa tandis que, psalmodiant je ne sais quoi, il s’asseyait sur une chaise de vestibule.
   — Mr Prauvice je suppose, m’enquis-je.
   Bon, à sa façon d’opiner du chef, c’était lui. En sale état mais bel et bien lui.
   Je le laissais reprendre ses esprits, son souffle, ce qu’il voulait. Et pour passer le temps, je me mis à arpenter ledit vestibule.
   Et l’arpentant, observant les toiles cernées de cadres enrichies à l’or et efflanquées de personnages en pieds et en costume, je pensais que, très justement, des vestibules, ben c’était la première fois que j’en arpentais un. Et si la chose me saisit à ce point, c’est qu’enfant, j’étais infoutu de distinguer un vestibule d’un hall.
   L’auriez-vous pu vous ?
   Enfant, je réfléchissais à ça souvent. Assis sur mon perron* par les chaudes mâtinées d’été, j’y réfléchissais. Quelle pouvait être dans le fond, la différence entre un vestibule et un hall ?
   Il est des enfants aux préoccupations plus en adéquation avec l’idée que l’on se fait de l’enfance, ce n’était pas mon cas, non, moi je pensais « Vestibule » et « Hall » et surtout « Différence ».
   Faut dire qu’en ce temps-là, mon voisin d’en face et « petit ami » disait en posséder un de vestibule. Il avait douze ans, j’en avais onze. Il possédait un vestibule, nous avions un hall. Il ne m’a jamais invité à arpenter le sien, il a toujours refusé d’arpenter le mien. J’avais par conséquent un tas de bonnes raisons de m’interroger.
   Le vestibule : c’est un hall pour riches !
   Je venais de comprendre ça, ou plutôt : je venais d’admettre ce que je comprenais depuis tout le temps, lorsque Mr Prauvice se leva d’un coup, main tendue, vraisemblablement plus vivant que précédemment, et décidément tout prêt à interrompre mes rêveries d’enfance.
   — Prauvice & Prauvice, il a dit, en attrapant ma main et en la secouant frénétiquement..
   — Lu7, j’ai balbutié.
   — Nous sommes enchantés de vous rencontrer !
   — Heu… tout pareil.
   — En quoi pourrions-nous vous être utiles, bien que nous soyons déjà fort pressés ?
   — Nous ?
   — Un appel au secours. Un ascenseur récalcitrant. Un très beau mécanisme mais capricieux, si vous saviez… Vous disiez ?
   — Heu… tout pareil.
   — Vous savez conduire ?
   — Je …
   — Fort bien ! Nous vous précédons !
   Ce qu’il fit. Enfin ce qu’ils firent, puisque devant lui, — paraît-il — marchait d’un pas gaillard l’autre Prauvice, le &, qui se prit de plein fouet et dans la tronche une porte colossale et gothique poussée par une Charlotte toute guillerette d’avoir retrouvée son chemin.
   L’invisible, quelquefois, se prend la réalité en pleine poire.
   Et, — paraît-il — que le double Prauvice, le &, alla valdinguer sur le tapis et mis un temps infini à se remettre de l’impact. Au dire de son frère, — que lui seul voyait — il était salement amoché le jumeau & !
   Charlotte patientait en observant les toiles encadrées d’or, haussait des épaules, arpentait le vestibule.
   Je la regardais, pensais qu’une génération dans le fond, c’est pas grand-chose pour oublier qu’il existe une différence entre un vestibule et un hall.
   Prauvice ventilait son frangin, enfin il semblait que Prauvice ventilait &. Il en avait les gestes.
   Il était temps d’y aller !
   Prauvice portait son frangin, enfin, il semblait que Prauvice portait &. Il en avait les gestes…
   Nous marchâmes, descendîmes, longtemps.
   Plus tard, dans la pénombre d’un hangar planqué sous végétation, je démarrai une DS, tandis que Prauvice & Prauvice s’asseyaient sur la banquette arrière.
   Charlotte, elle, prit place à mes côtés. Au passage, elle m’adressa une moue perplexe.
   Je la lui rendis.
   Sans blague, c’est pas tous les jours qu’on assied un savant et son frère ectoplasmique, ou en tout cas pas de ce monde, ou pas visible pour le commun des mortels, ou… peu importe, mais à l’arrière d’une caisse antique.
   Une caisse rutilante.
   Je ne sais pourquoi je n’ai pas pensé à récupérer la mienne : de caisse.
   Même en passant devant.
   Peut-être parce que c’était plaisant de conduire une antiquité, plaisant de traverser la nuit désormais tombée et étoilée.
   Silence ou presque.
   Prauvice discutait avec son frangin, enfin, il semblait que Prauvice discutait avec &, mais à voix basse. Charlotte était plongée dans ses pensées, son regard fixait le pare-brise comme il aurait fixé tout autre chose : un peu là, un peu perdu, entre-deux…
   Je pensais à l’immeuble, à ses locataires… des fous !
   Je pensais à Selim.
   Je pensais qu’avoir envie d’un nouveau-né ou quasi, c’était sûrement pas bien.
   Je pensais à un tas de choses : que tout s’arrangerait ; que le monde, — pourquoi pas — redeviendrait comme hier ; que tout se remettrait en place. Je recevrais mon Mac, travaillerais tranquille, puis, parce que j’aurais envie d’un café, j’irais le boire en face, alors forcément, je rencontrerais Selim et tout recommencerait mais en mieux, mais en normal.
   Le monde, je le voyais presque parfait lorsque Prauvice a dit :
   — Je crois que mon frère a une idée.
   Puis charlotte a rajouté :
   — Écoutons-le. Qu’est ce qu’on a à perdre…
   En effet, nous n’avions rien à perdre :
   « Pour ma part, je ne saurais trop vous prévenir du danger qu’il y a à manipuler ce genre d’engins en dehors de leur destination initiale. Il faut savoir que les ascenseurs (et autres monte-charge) sont l’équivalent fractal des trous de ver (canaux sub-quantiques reliant les feuillets spatio-temporelles d’un même univers, et comme les trous de ver, ils sont affectés d’aberrations spatio-temporelles aléatoires, et donc imprévisibles, per modum conseqentiae. C’est pourquoi introduire un être normalement constitué dans un ascenseur à propension quantique lui fait courir un grave danger, pour sa santé en général, et sa santé mentale en particulier. Il peut ainsi se trouver aspiré par le vortex relativistequi constitue en fait la gaine extra matériel de l’ascenseur), et devenir ainsi complètement siphonné ! » Affirma & par la bouche de son frère.
   — Il a dit quoi ?
   — Aucune idée, j’ai répondu.
   Et la route défilait.



   * Perron : à ne pas confondre avec une terrasse, une véranda, et surtout pas avec un escalier, même en bois, même s’il conduit à une terrasse ou à une véranda ou encore à une galerie. Ben non, ce serait trop simple.

Yali 29/12/2004 @ 09:48:13
Désolé de ne pas commenter vos textes, mais il me faut 1 minute pour afficher une page et donc, des que j'ai une connexion propre, je reviens.

Tistou 29/12/2004 @ 10:18:36
Oh, oh! On change radicalement de décor, de dimension, de ...
Un détour par une montagne hostile, limite Carpathes et ses autochtones. Un plain-pied dans l'irrationnel (faut dire!) avec l'invisible. Et les leçons scientifiques du bon Docteur Provis bien adoptées et recyclées.
Yali, on t'a reconnu! Pas de doute c'est toi qui l'a écrit. Ca ne serait pas signé qu'on le reconnaitrait quand même!
Tu as pris le parti de déborder des classiques 3 000 signes environ. Il fallait ça pour installer ton épisode.
Bravo!
Je suis curieux de voir la suite!
Le Hall et le vestibule? C'est toi petit, ça?

Kilis 29/12/2004 @ 11:15:51
Epatant, Yali pour ne pas dire éclatant !
Et ça s’applique au fond tout autant qu’à la forme.
Intelligent aussi : l’emploi du & pour le jumeau fantôme, la délicieuse digression sur vestibule, l’intégration parfaite du texte de Provis…
Et le style… éh bien, la Yali’s touch, of course...

Bluewitch
avatar 29/12/2004 @ 15:32:34
J'aime beaucoup cette plongée dans une autre dimension, le petit côté Alice au Pays des merveilles. Ca déborde d'idées, vraiment!! Le tout bien mené, parfois un peu trop même. ;o) J'aime bien cet endroit, j'espère qu'on y reviendra.
Bravo, Yali, un petit coup de coude dans la monotonie du paysage, ça fait du bien.

Kicilou 29/12/2004 @ 17:11:10
C'est vraiment un très bel épisode, un style d'écriture époustouflant, on change radicalement de style mais c'est tellement beau que même la longueur est la bien venue.

MAIS! (oui, il y a un mais...) ... c'est moi qui vais devoir passer après ça!!!!!! :-( (au secours!! comment faire le poid face à un tel épisode...?)

Tistou 29/12/2004 @ 17:18:26
Tu pèses combien Kicilou?

Lyra will 29/12/2004 @ 18:32:21
Oui, c'est sûr que là, Yali, même si tu voulais rester anonyme, ce serait fichu !
On reconnait ton style dès les premières lignes :0)
L'épisode est trés différent des autres, peut être à cause du changement de lieu, je ne sais pas, mais ça ne pose pas de problème, (pour moi) d'autant plus qu'il est fait trés intelligement.
Voilà, j'ai bien aimé cet épisode, et je ne m'en fait pas pour Kicilou, je suis certaine qu'elle s'en sortira trés bien.

Saint Jean-Baptiste 29/12/2004 @ 22:53:00
C'est du super Yali ! Débordant de trouvailles et d'imagination !
Epoustouflant !
Du Yali à la puissance quatre !

Saint Jean-Baptiste 29/12/2004 @ 22:53:53
Tu pèses combien Kicilou?

Ca, c'est la bonne question ! ;-)

Olivier Michael Kim
30/12/2004 @ 00:13:07
J'ai bien aimé. J'ai trouvé ton texte très bon.

Sibylline 30/12/2004 @ 15:35:13
J’ai adoré ton épisode, Yali et il est extrêmement bien écrit.
Pour le vestibule et le hall, moi, ce que j’ai surtout aimé, c’est le « perron* » et son renvoi. Ca, c’est le nec plus ultra, la finesse, le second degré. Mais tu as raison, il y a beaucoup plus de différence entre un vestibule et un hall (pas du tout la même chose !) qu’entre un vestibule et une entrée. 
J’ai apprécié aussi, bien sûr : « L’invisible, quelquefois, se prend la réalité en pleine poire » parce que c’est bien là que tu nous as conduits, hein ? On risque un petit rappel des bêtes réalités de la vie.
L’action, sur cette branche de notre arbre, a considérablement avancé grâce à toi et tout ce petit monde est en voie de se retrouver au pied du défunt ascenseur. (Si le frère invisible retourne au néant, à la suite d’une nouvelle fausse manœuvre, je n’ose imaginer le cumul…)

Provis

avatar 30/12/2004 @ 16:49:46
Et si la chose me saisit à ce point, c’est qu’enfant, j’étais infoutu de distinguer un vestibule d’un hall.
Vestibulum, –i 1. Cour devant une maison 2. Vestibule, partie de la maison romaine qui sépare la porte d’entrée de celle qui donne sur l’atrium. 3. Seuil, entrée, approches, abords, banlieue. 4. Exorde, préambule.
Pfffff .. Yali !!
les chaudes mâtinées
C’est quoi ça ??! Un fantasme ? Un programme ?
L’invisible, quelquefois, se prend la réalité en pleine poire.
De la maison de Prauvis,
C’était au frontispice ?
Et, — paraît-il — que le double Prauvice, le &, alla valdinguer sur le tapis et mis un temps infini à se remettre de l’impact. Au dire de son frère, — que lui seul voyait — il était salement amoché le jumeau & !
Des jumeaux ??!! Prognates ??
Un temps infini ?? dans son propre référentiel alors ??
je démarrai une DS
La DS n’existait pas encore en ce temps-là, il n’y avait que l’idée (tu suis ?)
les feuillets spatio-temporelles d’un même univers,
T’aurais pu corriger les fautes d’orthographe !!

Faut bien que je trouve des choses à redire, non ?? ..(:-).. Car sinon, justement, tout le monde est d'accord, c'est super à tout point de vue. On attend vraiment le suite !! A mon aviss, l'ascenseur y peut surement se réparer, Provis ça rime avec tourne-vis..

Saint Jean-Baptiste 30/12/2004 @ 19:02:46
Quelle est la différence entre le vestibule et le corridor ?
A mon avis le vestibule c'est plus classe et le corridor c'est plutôt moyen.
Et entre un vestibule et un hall ? Toujours à mon avis, le hall c'est plus chic (surtout si on prononce hhhaôôôl).
Je crois que Lu7 s'en laissait mettre plein la vue par son petit ami, probablement parce qu'il avait un an de plus qu'elle.
Mais elle a bien changé depuis !

Sahkti
avatar 04/01/2005 @ 23:39:07
Y a pas à dire, le style Yali reconnaissable et plein de talent, en particulier pour les monologues intérieurs qui disent tout en quelques phrases.
Un petit hic cependant, il me semble que le tempérament de Lucette en a pris un coup cette fois. De la combattante rageuse décrite par Kilis, nous voici face à une Lucette résignée et abattue. Changeante la pauvre Lucette, faut pas nous la fragiliser comme ça :)
J'aime beaucoup la fin, j'ai vraiment eu l'impression de voir l'incompréhension qui se dessine sur leurs visages!
Par contre, l'histoire du vestibule, c'est un peu comme la torture du vide-ordures sous les escaliers tout au début, j'ai pas tout compris. Y a un fantasme universel mais inconnu de moi sur les halls qui se déguisent en vestibules et vice-versa, une référence à truc connu? Quid??

Benoit
avatar 06/01/2005 @ 19:26:09
Zut! J'ai pas accroché à ton texte! Et pourtant, il est bourré d'ingéniosité, d'humour... Peut-être que la fameuse Yali's touch n'a plus son effet magique sur moi! Et re-zut!!!

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