Mitzuko
avatar 01/12/2004 @ 23:52:04
Son Orpheline.(suite des Iris Blancs)

Anna habite face au conservatoire de la ville depuis quelques années, elle y enseigne le piano. Mais elle n’écoute de musique que très rarement. Elle préfère l’imaginer.
L’improvisation silencieuse d’une orpheline.
Les variations l’accompagnent à chaque seconde, fougueuses ou fragiles. Mais sa vie suit toujours la même partition. Les jours sont des calques des précédents… des copies toujours plus fades chaque nuit passée.

Elle cultive des rituels comme on cultive des plantes médicinales, pour se rappeler qu’elle existe encore.

Quand elle met son couvert unique, elle se plait à placer la fourchette à droite et le couteau à gauche.
Ses deux bustes africains sont fait pour être disposés côte à côte, elle se félicite de les avoir placer face à face.
Dans ses cadres, des photos retournées montrent des visages blancs.
La famille d’une orpheline.
Des bandes de papiers collées sur la tranche des livres, dissimulent leurs titres.
Elle s’endort les cheveux mouillés, et ne tient jamais sa tasse par la hanse…
Elle aime aller au cinéma, regarder la moitié du film, puis fermer les yeux pour se laisser imaginer la fin. Enfin, s’éveiller au générique final en observant l’ombre des spectateurs filer dans l’obscurité jusqu’à la sortie, la fée verte éclairant leur profil de sa lumière.
Elle achève toujours la lecture des romans sur la même musique. La sonate pour violoncelle de Brahms l’accompagne ainsi pour chaque dernière page. ...avec la sensation étrange, qu’elle continue l’histoire sans la lire: que le livre vit indépendamment de ses iris. Sa lecture terminée, elle va jusqu’à la gare regarder les voyageurs et les trains passer.
N’ayant prit le train que deux fois, ce va et vient anonyme et bruyant la fascine.
C’est le bruit de la liberté, sa liberté d’orpheline.

Dix ans qu’elle ne pense à personne en jouant. Dix ans qu’elle vit face au conservatoire. Et face à son voisin.
Dix ans qu’elle passe devant sa boite aux lettres et dix ans qu’elle ne retient que son prénom : Adam. Un aveugle d’une discrétion et d’une solitude absolue. Elle ne l’a jamais vu de près.
Dix ans qu’elle vit ici. Et ses petits actes de fantaisie ne lui suffisent plus ; Ainsi prit-elle la décision de déménager. Déménager pour quitter ou pour rencontrer, elle fuyait la question tout comme la réponse.
Ranger, trier, emballer, empiler, mais…ne rien jeter.

Le jour du départ avance, mais n’est pas proche.

Les préparatifs sont presque achevés. Pour ce dernier soir, le cliquetis de la canne blanche raisonne dans le couloir.
Dix ans qu’elle vit ici et que ce cliquetis sursaute enfin à ses oreilles, comme un bémol survenu dans cette partition de vie parfaitement maîtrisée.
A plusieurs reprises, elle aurait souhaité rencontrer cet homme, présent de sa fenêtre à chaque cours dispensé au conservatoire. Elle avait le sentiment que même de loin, même privé de vue, il pouvait suivre ses mains caresser les blanches puis les noires, et l’observer de son oreille attentive.
Elle voulait se faire connaître, se dévoiler, confronter leur solitude et lui confier que sa présence là derrière la fenêtre au loin, l’avait tant de fois rassurée.

Pour ce dernier soir, Brahms et la dernière page.
Il est tard. Et le cliquetis bat la mesure.
Le voir avant de partir.
Elle ouvre la porte soudainement, comme pour ne pas se laisser le temps de ne pas oser.
Le bruit de la fermeture de la porte d’Adam masqua l’ouverture de la sienne.
Elle resta immobile un instant sur le pas de la porte et profita de cet élan.
Malgré la lecture du dernier mot, le roman s’achèvera à la gare, comme il se doit.

Comme dans une partition, le silence annonce la reprise,
‘Quand le temps s’arrête, il devient lieu’. (Chawi Abdelamir, poète irakien)

Kilis 02/12/2004 @ 10:53:33
Encore une fois, je suis séduite, Mitzuko.

J'adore ton raffinement. On dirait que tu pèses chaque mot, chaque image dans une balance d'alchimiste.... et tu parviens à en faire de l'or.
Bravo.

Tistou 02/12/2004 @ 11:49:49
D'accord avec Kilis, c'est d'une beauté particulière, même si cette suite m'a moins laissé impressionné (au sens pellicule photo) que le premier. Compliquée quand même la Anna.
"La hanse" de la tasse. Il y a une volonté là dedans, ou tu voulais dire l'anse?

Mitzuko
avatar 02/12/2004 @ 14:44:15
Oui je vois que j'ai fais quelques fautes.
Vos commentaires me sont chers, ils "aiguisent " mes relectures. Merci.

Yali 02/12/2004 @ 20:16:32
C'est de l'ambiance dont je suis amoureux. On sent qu'on a le temps, posément, d'aller vers quelque chose de grand parce qu’humain. Impressions…

Mitzuko
avatar 03/12/2004 @ 14:42:18
Oui, en effet, Anna est un brin compliquée. Elle n'est pas tactile. (D'ailleurs, pour Adam, elle est parfum).Je crois qu'elle accorde aux choses des valeurs inhabituelles. Sa force réside dans son refus d'être résignée.Cette forme de spontanéité m'a déroutée. C'est un personnage difficile à cerner, à canaliser. Alors je l'ai laissée libre d'être.

Kilis 06/01/2005 @ 18:03:34
Je pense vraiment qu' il faut lire ou relire ce très beau texte.

Balamento 06/01/2005 @ 22:35:00
Oui, en effet, Anna est un brin compliquée. Elle n'est pas tactile. (D'ailleurs, pour Adam, elle est parfum).Je crois qu'elle accorde aux choses des valeurs inhabituelles. Sa force réside dans son refus d'être résignée.Cette forme de spontanéité m'a déroutée. C'est un personnage difficile à cerner, à canaliser. Alors je l'ai laissée libre d'être.


Ca veut dire quoi pour une femme n'être pas tactile ??? J'avour être un peu égaré par cette explication. Sinon, quant au texte, je ne sais pourquoi, je lui déniche (mais je suis un méchant mauvais lecteur) un rien de pompeux... style et tableaux de personnages mêlés. Mais c'est là une critique qui signifie aussi par son exigeance, la qualité du texte ;-) ;-)

Si j'osais je poserai la question : pourquoi cet évitement, tableaux de personnages et style confondu, de la simplicité ?

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