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Forums  :  Vos écrits  :  MM2 : Episode 6

Bluewitch
avatar 21/11/2004 @ 17:47:03
Depuis quatre minutes, Nicéphore avait le regard fixé sur la porte, le judas à hauteur du menton. Il sentait la sueur perler à la racine de ses cheveux et se concentrait sur les étoiles de peinture écaillée disséminées autour de l’œil déformant. Œil par lequel sa chère Esther l’apercevrait dès qu’il se serait décidé à mettre le doigt sur le bouton jauni de la sonnette. Il sourit, sourcil levé. Mais pour ça, il devait reprendre le contrôle de lui-même, sûr que oui. Cinquième étage, cinq fois plus de temps pour dompter son souffle et la charge héroïque de ses battements de cœur. De l’autre côté de cette porte se trouvait la beauté féline dont il voyait les contours à chaque détour de pensée. Il n’allait pas surgir les joues pourpres et le nez brillant ! Manquerait plus que de bafouiller son nom, tiens… Métiste, Métrique, Métisse ?
Et puis… peut-être n’était-elle pas seule ? Non, pas ça, ce garçon dans l’ascenseur voulait certainement le décourager, poussé par sa convoitise de cette chevelure rutilante dont lui-même rêvait la caresse… Ce poltron ! Mais si c’était vrai ? S’il surgissait en pleine scène d’amour matinale ? Si son orgueil prenait la marque de l’humiliation ? Son sourire se fripa comme un linge chiffonné et son sourcil perdit de l’altitude. Tous ses principes tombaient à l’eau, sa confiance en premier, lestée d’une tonne de plomb. Lui, en décalage avec cette époque qu’il avait décidé de renier, s’y sentait comme goutte dans un désert. Il pensait avoir trouvé celle qui s’emboîterait si bien à ses émotions, qui mettrait en lumière ses zones d’ombres et dépoussièrerait sa solitude. Et puis quel corps, bon Dieu ! Quelle incarnation admirable ! Mais se battre avec le doute, c’est se battre avec le vent. Et Nicéphore s’engluait. Il voulait… Il espérait…
Oh, mais reprends-toi Nicéphore ! Où est ton cran, ton audace ? Pourquoi cette femme te fait-elle trembler les genoux ? Pourquoi, d’un coup, ton assurance devient-elle aussi chancelante que la surface d’une mare où l’on a jeté un caillou ? Lève les yeux, respire un bon coup, et sonne sur le champ !
Sur la porte apparurent les images de ses souvenirs, couleur sépia: les sourires à la douceur de plume voletant vers lui, mine de rien, ces joues devenues roses par l’effleurement persistant de son regard, à lui, pendant que le sien à elle se posait et s’envolait comme un moineau farouche.
Le soleil bouscula le nuage de ses hésitations. Gonflé de la certitude désormais que ce pleutre de l’ascenseur lui avait menti, il redressa son chapeau haut de forme, redressa le menton, redressa les épaules et, bref, redressa sa confiance. Il tendit une main allègre vers la sonnette mais… jamais ne l’atteignit. Un son avait interrompu son geste en même temps que sa respiration.
Il venait d’entendre un gémissement, un cri léger mais indiscutablement féminin, percer la porte pour l’atteindre en plein estomac... La main suspendue au temps, au vide, il demeura immobile attendant que le rouleau compresseur du désespoir ait terminé de le réduire à une piètre enveloppe humaine. S’en aller, c’était mieux. Et d’un mouvement lent et léger, ses doigts se posèrent sur la porte où ses ongles gravèrent une nouvelle étoile dans la galaxie d’Esther…


« Pour être belle il faut souffrir ». Cette phrase ridicule, elle l’entendait résonner alors qu’elle se torturait avec plus de volonté que jamais. Plus qu’une seule bande de cire, Esther. La dernière ! Elle serra les lèvres et inspira avant de l’arracher sauvagement. C’en était trop, elle ne put plus retenir ce cri qui tournoyait dans sa gorge sans avoir jusque là trouvé la sortie. Un juron se précipita à sa suite mais entra en collision frontale avec ses dents. De justesse.
Elle avait chaud et resta immobile quelques instants, à observer sur la cire ce qui lui avait causé tant de douleur. Dégoût. Nez qui se retrousse. Elle méritait bien encore un petit café, après ça… Et puis la douche. Quelques gouttes d’eau fraîche sur le visage, sourire, pieds nus sur le plancher qui grinçait un peu.
« A l’aide !! »
Après le vide-ordure, elle supposa que son plancher n’appelait pas au secours, non plus. Un claquement brusque venant de l’extérieur cingla le silence et la curiosité d’Esther se précipita vers la porte. Qui résista, comme toujours. Esther y mit toute sa force, grogna inconsciemment contre le propriétaire. La porte céda, s’ouvrit en grand.
Stupéfaction. L’homme au chapeau haut de forme, échappé de son XIXe siècle pour atterrir sur son pallier, le regard défait. Elle ne chercha pas à comprendre. Le cri ? Oublié ! Le claquement ? Effacé ! Dans un sursaut, elle s’empressa de nouer son kimono et de rejoindre ses lèvres écartées par l’étonnement.
Ce fut cette fois l’escalier qui prit la parole :
« Jeune homme ! Jeune homme ! Où êtes-vous ? Vous n’avez même pas bu votre thé ! »

Kilis 21/11/2004 @ 18:07:14
Waouw, Blue, ça ébranle!
Touffu, cet épisode.
Beaucoup, beaucoup d'images, trop à mon goût car il y a quelques perles qui s'en trouvent un peu étouffées.
J'aime beaucoup notamment:
"Son sourire se fripa comme un linge chiffonné et son sourcil perdit de l'altitude"
et,
"Pourquoi, d'un coup, ton assurance devient-elle aussi chancelante que la surface d'une mare où l'on a jeté un caillou?"
Bravo Blue.

Yali 21/11/2004 @ 18:33:20
Un bel épisode empreint d’une agréable langueur.
Et de souffrance aussi. Et à ce propos : respect, car tout de même, quel courage il faut pour s’épiler de la sorte (rien que d’y penser ça me fout les jetons).
Cela dit Blue, voilà le bémol : le sens de l’entame d’un paragraphe m’échappe tout à fait : « Stupéfaction. L’homme au chapeau haut de forme, échappé de son XIXe siècle pour atterrir sur son pallier, le regard défait. »

Sahkti
avatar 21/11/2004 @ 18:52:57
J'aime bien. Ce personnage de Nicéphore prend enfin corps!
Petit bémol cependant, la cassure de rythme. Le début prend du temps, semble laborieux, mais traduit bien les mécanismes qui tournent dans la tête du pauvre Nicéphore (il me fait pitié cet homme, je ne sais pas pourquoi). Puis ça s'accélère. Esther ouvre la porte, on entend à l'aide... Je ressens comme un trop grande accélération, je crois que j'aurais bien aimé que l'arrivée d'Esther soit plus détaillée, qu'on se plonge aussi un peu dans sa caboche. Faire durer le plaisir quoi :)

Lyra will 21/11/2004 @ 18:56:51
Bluewitch, j'aime le style, les images;
ton écriture me plait beaucoup ;0)
Merci.
l'épisode progresse...Alors qu'est ce qu'il se passe dans l'immeuble?
Et Lucette, elle est toujours en vie au moins?

Sibylline 21/11/2004 @ 20:46:19
Bravo. Voilà donc ce qui se passait chez Esther alors que Benoît avait ses soucis de Mac !
Bien, mais donc, le prochain, à savoir Polochon, doit trouver comment l’ascenseur est descendu et ce qu’ont alors fait Lucette, Benoît et Nicéphore qui sont tous les trois en train de cavaler dans l’escalier.
Ouai. Fastoche..

Tistou 22/11/2004 @ 09:23:28
Ben moi, tout me va, à part que palier ne prend qu'un l.
Que Nicéphore fasse pitié, ça me parait dans la logique des choses.
Que Esther s'épile, ça c'est de la folie. Comme le dit Yali.
Et puis la suite? Ben il y a les autres. Polochon si je ne m'abuse.
Ce n'est jamais qu'un samedi, matin jusqu'ici, ensoleillé comme on en a entre printemps et été. Et encore n'a-t-on pas inventorié toutes les possibilités que laissent 5 étages. Je suis sûr qu'on aura tous droit au moins à un second tour.
Bel épisode de plus Bluewitch.

Sibylline 22/11/2004 @ 12:58:41
Que Esther s'épile, ça c'est de la folie. Comme le dit Yali.
.


Quelle hypocrisie! Le jour où les hommes se mettront à apprécier le poil aux pattes chez leurs compagnes, nous, on arrêtera. La balle est dans votre camp.

Benoit
avatar 22/11/2004 @ 19:07:00
Je trouve la première partie sur Nicéphore un peu longuette (et quelques courts passages sont parfois indigestes pour moi)... Peut-être parce que les épisodes précédents m'ont habitué à plus d'action!
Mais dans l'ensemble, c'est pas mal. Bravo!!

Tistou 22/11/2004 @ 20:10:38
Que Esther s'épile, ça c'est de la folie. Comme le dit Yali.
.


Quelle hypocrisie! Le jour où les hommes se mettront à apprécier le poil aux pattes chez leurs compagnes, nous, on arrêtera. La balle est dans votre camp.

Oh oh! Aurais-je dit une bêtise?

Tistou 22/11/2004 @ 20:12:41
Mais dans l'ensemble, c'est pas mal. Bravo!!

Je me demande s'il ne faut pas le prendre comme un compliment de la part de Benoit, Bluewitch?

Manandra 22/11/2004 @ 21:29:35
je découvre les épisodes 5 et 6 maintenant et je les trouve vraiment très réussi moi... quelques descritpions intérieures des personnages (benoit et Nicéphore) qui les rendent plus constitants, et une action qui avance tout de même! Bravo!

Polochon 23/11/2004 @ 11:58:00
Bien, bien que dire d'autre? Je suis là sans être là, je vous ai tous lus, pas commentés, j'en suis désolée.

Je vais essayer de boucler mon épisode pour jeudi... La suite au prochain épisode donc. Ha ce sera le mien? Ben zut alors, déjà? Relecture de tous les épisodes aujourd'hui et merci tous les écrivains de me laisser une si belle histoire.

Tistou 23/11/2004 @ 14:12:05
Aux intervenants de MM2, petite question sur Invitation6. Le canal de réponse étant évidemment Invitation6.

Bluewitch
avatar 23/11/2004 @ 17:55:43
Mais dans l'ensemble, c'est pas mal. Bravo!!

Je me demande s'il ne faut pas le prendre comme un compliment de la part de Benoit, Bluewitch?

Sais pas Tistou. ;o) Quoi qu'il en soit, j'ai encore du boulot!

Felixlechat

avatar 26/11/2004 @ 00:46:13
Trés bon texte qui montre ce que peut faire le doute dans un esprit. Sombrer dans le doute, c'est la défaite assurée. L'acteur de cette scène s'est perdu. Il a oublié son intuition. Sa raison lui a fait oublier ce qui pouvait lui être utile.
Il pensait à une incarnation admirable, il entend un cri, son imagination le trompe et il recule. Sa raison est trop forte, il s'en va.
La belle de ses rêves est toute seule avec sa cire qui lui arrache un cri.
Cri qui éloigne l'homme raisonnable et bête.

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