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Forums  :  Vos écrits  :  MM2 : épisode 5

Sibylline 19/11/2004 @ 17:42:05
Benoît se retourna, (assez lentement d’ailleurs, car une médiocre pratique de l’exercice physique ne lui avait pas encore permis de reprendre totalement son souffle), et vit… deux pieds et deux demi mollets.
Peu après, une tête, pratiquement à l’envers (cheveux en bas) vint les rejoindre. Heureusement pour lui, ce jour-là, Benoît n’avait pas taquiné la gueuse –ce n’est pas de la dame que je parle- et il comprit presque aussitôt qu’il avait devant lui une personne entière, mais pas dans le bon ordre. Il posa l’encombrant paquet et s’approcha de l’ascenseur.
- Votre Mac ? fit-il
- Oui, mon Mac. Vous êtes le livreur, je suppose.
Benoît, un peu abasourdi, acquiesça d’un signe de tête.
- Vous êtes muet ?
- N.. non, non.
- Ah ! Enfin ! Et pas sourd non plus ?
- N.. non, non.
- Encore mieux ! Cher Monsieur, il se trouve que je suis coincée dans cet ascenseur depuis des heures. Je commence à me lasser. Pourriez-vous faire en sorte de me sortir de là ?
- …
- Vous seriez bien aimable.
- Votre Mac ?
- Oui, mon Mac. Mais je vous assure que ce n’est pas cela qui me tracasse le plus pour l’instant. Bien sûr, au prix où je l’ai payé, je suis bien heureuse de le voir enfin, et je n’aurais jamais donné une telle somme si je ne tenais pas énormément à cet engin, mais pour l’instant… j’ai d’autres priorités.
- Oui…
Benoît était un homme simple et droit. Cette histoire de bonne femme qui refusait de sortir de son ascenseur ne lui semblait pas très catholique. Il réfléchit un instant.
- Et vous habitez où ?
- Mais ici, Monsieur, au quatrième.
- Et vous vous appelez ?
- Lucette Millemains.
- C’est bien cela, confirma-t-il après un coup d’œil sur son bordereau, mais madame vient de me dire que c’était sa sœur qui s’appelait ainsi.
- Certainement pas !
Pendant ce temps, la vieille dame, qui ne s’était même pas aperçue que quelque chose bloquait son livreur, était entrée dans l’appartement et avait regagné sa cuisine où elle avait déjà mis de l’eau à bouillir pour le thé. Elle ne traînait pas. Ces livreurs, toujours pressés. Pas un qui s’attarda auprès de la théière. Ils sifflaient leur tasse d’un trait au risque de se brûler ou repartaient assez prestement après y avoir à peine trempé leurs lèvres. Mieux valait ne pas le faire attendre dès le début. Elle se retourna, mais il n’était pas là. Qu’est-ce qu’il faisait, en plus ? Elle passa la tête à la porte et appela
- Monsieur ! Monsieur !
- Oui, répondit Benoît
- Venez par ici, le thé est prêt.
- Oui… Mais….
Il entra.
Benoît n’était pas fou du thé, il préférait, à l’occasion, un petit calva des familles, mais on ne pouvait pas non plus espérer que cette pauvre vieille… Déjà qu’elle ne lui offrait pas de chit-citron, c’était bien. Il pénétra dans le salon, évitant de son mieux napperons et porcelaines, et rejoignit précautionneusement un fauteuil crapaud d’assez bonne allure, mais qui se révéla fort décevant à l’usage. (Le ressort rebelle qui marqua tout de suite l’arrivée du postérieur de Benoît, ne devait plus se laisser oublier.)
Benoît espérait que cette corvée du thé n’allait pas se prolonger trop longtemps et il se sentait extrêmement mal à l’aise dans cette atmosphère étrange d’appartement de vieux. Sa profession de livreur de machines Hight-Tech, ne l’avait pas tellement habitué à ce type de décor. Il avait, pour l’instant, vu davantage de murs blancs et meubles minimalistes que de napperons au crochet et de lévriers en porcelaine. Tout, ici, lui semblait extrêmement fragile, et à la merci de la moindre de ses maladresses, à commencer par la propriétaire elle-même.
Et à propos de propriétaire, qu’avait-elle dit, l’autre, là, dans son ascenseur ? Que le Mac était à elle ? Attention, c’était l’histoire de plusieurs centaines d’euros cette affaire là. Benoît ne rigolait plus. Livrer l’appareil au mauvais endroit revenait à le perdre. Le perdre revenait à devoir le rembourser et, il était le premier à le regretter, mais il n’en avait pas les moyens.
C’est donc un Benoît très préoccupé qu’Euphrosyne retrouva, recroquevillé dans le fauteuil crapaud qu’elle ne conservait qu’en souvenir de son pauvre père qui… mais bref.
- Oh, vous n’auriez pas dû prendre celui-là, fit-elle
- Celui-là quoi ?
- De fauteuil.
-Ah. Oui, tant pis, ça va. De toute façon, je ne peux pas rester. Connaissez-vous la dame qui se trouve dans l’ascenseur ?
Euphrosyne avait ouvert le tiroir de la table du téléphone et en avait sorti un petit appareil couleur chair qu’elle introduisit dans son oreille. C’était pourtant vrai qu’elle devenait sourde. Elle ne s’en souciait pas trop à vrai dire, ayant assez à penser sans s’occuper de toutes ces fadaises qui se disaient autour d’elle. Mais, pour une fois qu’elle avait un invité, elle pouvait bien faire un effort.
- Oui ? Interrogea-t-elle, une fois l’appareil mis en place.
- Connaissez-vous la dame qui se trouve dans l’ascenseur ?
- La dame ? Dans l’ascenseur ? Je n’ai vu personne. Je ne vois pas d’ailleurs qui pourrait se risquer là-dedans… Nous avons perdu l’habitude d’utiliser cet engin qui vous coince entre deux étages, pratiquement une fois sur deux, vous savez. Qui avez-vous vu ?
- Il y a une dame, dans l’ascenseur qui m’a dit que le Mac était à elle.
- Vous êtes sûr ? répondit Euphrosyne regrettant déjà d’avoir introduit chez elle cet homme dont elle ne savait rien et qui lui tenait maintenant des propos si étranges. Une jeune femme rousse ?
- Non, une dame, et pas rousse, ajouta-t-il se souvenant des cheveux à l’envers, mais bruns.
- Je ne vois vraiment pas, il n’y a personne dans l’immeuble qui ressemble… Vous savez, ma sœur ne va pas tarder à rentrer, s’empressa-t-elle d’ajouter afin que cet individu n’aille pas s‘imaginer qu’elle était seule, à sa merci.
- C’est elle qui a acheté le Mac ?
- Oui.
Enfin, je le suppose. Vous comprenez, c’est un cadeau d’anniversaire, elle n’allait pas me dire…
- Quand va-t-elle rentrer ?
- Mais, d’un instant à l’autre, bredouilla Euphrosyne, regrettant amèrement que Lucette soit partie pour le week-end fleurir la tombe de son dernier mari.
- Et vous ne savez pas où elle a rangé la facture ?
- Bien non. Elle ne m’en a pas parlé, bien sûr.
- Bon. Conclut Benoît qui ne voyait plus d’autre solution que d’attendre le retour de la seconde vieille dame.
A moins que l’autre, celle de l’ascenseur ait un papier à lui présenter qui règlerait la question.
- Excusez-moi, fit-il et, quittant sans regret le crapaud et son ressort, il retourna à l’ascenseur, interroger l’autre propriétaire potentielle, au sujet de titres probants qu’elle pourrait avoir à lui présenter.

Mais, sur le palier, rien.
Ni pied, ni demi mollets, ni cheveux. Ni ascenseur non plus d’ailleurs!
Un instant immobile et perplexe, Benoît se pencha du plus qu’il put et vit, tout en bas le toit bardé de câbles de l’antique engin. Il descendit l’escalier quatre à quatre.

Sahkti
avatar 19/11/2004 @ 17:58:09
Un régal Syb!
J'aime beaucoup ce personnage de Benoit à qui tu as véritablement donné vie! On entend les rouages de son cerveau qui se mettent en marche dans tous les sens et tu entretiens savamment les malentendus sans que ce soit trop lourd. C'est une belle suite!

Benoit
avatar 19/11/2004 @ 18:38:22
Essai transformé, Sib!! Bravo, bravo! Ah le chit-citron.... Un vrai bonheur ton texte!!

Tistou 19/11/2004 @ 18:59:32
Très mignon ta suite Sibylline! Et tu n'osais pas?
Jolie description d'un appartement d'une ... plus tout à fait jeune. Bonne mise en situation du Benoit (tu me confirmes d'ailleurs qu'il manque d'exercice_ Dis Benoit tu peux nous donner ta taille et ton poids stp, on en a besoin pour la suite!). Et Lucette Miilemains apparemment délivrée. Je suppose que notre allumé de Nicéphore a poursuivi son ascension vers le nirvana (ou le placard à balais)?
tiens c'est qui la suite?
Il me semble que tu t'en es très bien tirée. Non?

Tistou 19/11/2004 @ 19:02:06
C'est Blue! Elle va nous faire un coup de sorcière?

Bluewitch
avatar 19/11/2004 @ 21:24:10
Je vais surtout essayer d'être à la hauteur de tout ce qui me précède, Tistou! ;) Ce serait ça, le coup de sorcière!

Benoît, enfin, Benoît, faut te secouer un peu, mon bonhomme! J'aime bien le côté un peu lent et naïf du personnage. Celui filou de notre Euphrosyne qui s'ennuie et attire le livreur dans ses filets, au prix de quelques malines "omissions".
Sib, il n'y avait pas de quoi hésiter... j'aime ton texte.

Kilis 19/11/2004 @ 22:19:14
Franchement bon,Sib, cet épisode, très subtil.
Et, mystère... qu'est-il advenu de Lu7?

Lyra will 20/11/2004 @ 11:21:26
C'est vrai ça, Blue qu'est ce que tu vas faire de Lucette?un petit indice? non?tant pis... ;0)
Autrement Sib, trés bonne suite, j'aime aussi le portrait que tu fais de Benoit, c'est bien de axer les épisodes sur un personnage comme ça; merci Sib.

Yali 20/11/2004 @ 11:30:53
Tu t'en sort bien Sib. Je viens de le relire (j’avais lu hier mais fort tard, mais après être sorti d’une dégustation) et donc, je n’avais pas saisi en plein. Ce matin, je le trouve beaucoup mieux ce texte, oui, et je tremble pour Lucette, dégringoler de trois étages ?! Allez Blue !!!

Lyra will 20/11/2004 @ 11:43:09
"d'axer", pardon

Kicilou 20/11/2004 @ 12:31:13
Tu n'osais pas te lancer? Et bien moi je trouve ça très bien! Benoit a pris de l'épaisseur (pas du poid hein! de la personnalité).
Je pense pas qu'Euphrosyne fasse tout ça par filouterie, elle croit sincèrement que le Mac est pour elle non? Mais j'aime le fait qu'elle s'inquiète un peu d'avoir ouvert sa porte à Benoit que nous, lecteurs, découvrons comme très gentil.
Maintenant, vivement la suite! Qu'est devenue Lu7? Et Benoit va-t-il attendre Lucette qui n'a pas l'air près de rentrer?

Mitzuko
avatar 20/11/2004 @ 18:00:47
Les dialogues sont excellents. J'ai passé un très bon moment en ta compagnie.
A bientôt de te lire....

Sibylline 21/11/2004 @ 20:22:52
Merci à tout le monde pour toutes les gentillesses qui ont été dites.

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