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Forums  :  Forum général  :  Style et séduction

Lucien
avatar 08/10/2004 @ 17:42:28
J'avais d'abord placé ces lignes dans le forum "Sur Sartre" mais ça n'a plus tellement de rapport avec Sartre alors voilà :

« Laquelle de ces deux entames a le plus de chances, stylistiquement parlant, de séduire une majorité de lecteurs adultes ? » demandait à peu près Balamento à propos d’extraits de Sartre et Camus.
Pourquoi ne pas poser la question à propos d’autres débuts de romans, comme ces deux premiers paragraphes. Ce pourrait être intéressant de comparer, plus que ces extraits, nos conceptions de ce qui « a le plus de chances, stylistiquement parlant, de séduire une majorité de lecteurs adultes ». A supposer que « séduire une majorité de lecteurs adultes » soit un objectif aussi louable pour l’écrivain que pour le créateur de séries télévisées…

Voici ces deux extraits (Jules, tu vas tout de suite reconnaître le B, mais ne le dis pas, je t’en prie ; ne le dis pas…) :

A. Le soleil ne s'absentait que la nuit, en ce mois d'août sec comme une patinoire. La petite famille roulait depuis midi, ils avaient fait des pauses mais le père penchait vers son volant, de son pied endormi laissait filer l'automobile. La mère changeait les cassettes en s'efforçant de rester éveillée, tandis qu'Otto et Nathala, bien dessinés sur la banquette arrière, discutaient sans pouvoir être entendus par leurs parents. Le monospace filait également du point de vue d'un gendarme caché derrière son radar, qui ne manqua pas d'épingler ces ahuris à la sortie du péage. Le père éteignit la musique, sortit une fiole d'eau-de-vie de son vide-poches et la but d'un trait, avant de se garer face à la loi. La mère trépignait.

B. Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.

Bluewitch
avatar 08/10/2004 @ 17:52:17
Moi parcontre, j'ai reconnu le premier! ;o) Beaucoup de mal à donner mon point de vue quant aux probabilités de séduction de ces débuts, étant moi-même séduite par les deux, pourtant stylistiquement bien différents.
Difficile donc de prendre du recul... Je pense que c'est une question de sensibilité individuelle mais peut-être est-ce simplement parce que je suis incapable de voir au-delà.
J'attends aussi avec curiosité l'opinion générale...

Bolcho
avatar 08/10/2004 @ 18:17:25
La majorité adulte qui est parfois en moi a préféré l'extrait 2, mais il est connu et donc reconnu. Les belles phrases de la littérature nous font le même effet que les belles phrases de la musique: les plus connues parlent le mieux à notre rythme interne, nous avons le plaisir supplémentaire d'en deviner le dévidement en quelque sorte. Cela dit, je suis comme Bluewitch et l'autre extrait me plait suffisament pour me donner l'envie de connaître la suite.

Sibylline 08/10/2004 @ 18:40:30
Je suis incapable de choisir entre ces deux extraits, ce qui m'amènerait à penser que le "stylistiquement différent" ne suffit pas. Peut-être même n'est-il pas déterminant,en tout cas pour moi, sauf cas extrêmes où cela me semble illisible. Mais j'ai toujours dit que, sans être insensible au style, loin de là, je privilégie l'histoire; et je ne dois pas être la seule.
Je suis curieuse, moi aussi, de connaître les autres réponses.

Balamento 08/10/2004 @ 19:47:09
Je ne sais dire de qui sont ces deux paragraphes. Le style du deuxième s'impose largement pour moi. Et, malformation sans doute, sans employer le mot "séduction" (l'avais je employé? alors ça n'était peut-être pas le mot juste), mon plaisir de lecture étant plus grand quant au style du second extrait, c'est celui dont je peux me dire que j'ai le moins de chance de l'abandonner aux environs de la cinquantième page (mais je n'ai pas une grande culture littéraire, alors ça excuse un peu ;-)).

Benoit
avatar 08/10/2004 @ 20:19:50
Moi aussi, impossible de choisir entre l'un et l'autre, parce qu'aucun des deux ne m'attire. Les deux styles ne me conviennent pas :

A. en ce mois d'août sec comme une patinoire.
de son pied endormi laissait filer l'automobile.
du point de vue d'un gendarme

Ces trois expressions me font dresser le poil sur la peau!!

Quant au second texte, trop ampoulé avec trop d'adjectifs à mon goût!

Cependant, je dois avouer que si j'ai remarqué ces petits désagréments, c'est peut-être dû au fait que les passages sont courts. Peut-être que dans la longueur, je m'habituerais à ces différents styles et qu'à la fin, je les apprécierais beaucoup.
Bref, à la lecture de ces courts extraits, je ne suis pas client, mais tout pourrait changer si jamais en main le texte entier.

Balamento 08/10/2004 @ 20:31:11
Moi aussi, impossible de choisir entre l'un et l'autre, parce qu'aucun des deux ne m'attire.


Oui mais bon... là il n'est que question de préférer l'un à l'autre (même sans apprécier ni l'un ni l'autre). Euh... Tout se vaut-il quand on apprécie pas? Allez, allez ! ;-) ;-)

Lucien
avatar 08/10/2004 @ 22:52:39
Merci pour ces réactions si diverses. Je dévoilerai les bouteilles dégustées à l'aveugle (et mon avis personnel) d'ici peu. Une certaine égalité semble s'installer, ce qui devrait réjouir l'un des auteurs...
A bientôt!

Yali 08/10/2004 @ 23:17:36
Merci pour ces réactions si diverses. Je dévoilerai les bouteilles dégustées à l'aveugle (et mon avis personnel) d'ici peu. Une certaine égalité semble s'installer, ce qui devrait réjouir l'un des auteurs...
A bientôt!

Oui, le premier sûrement. Quant au second, ben m'est avis qu'aujourdhui, il s'en fout un peu. Sans vouloir accuser personne, bien sûr ;-)

Marick 09/10/2004 @ 07:45:31
Je suis beaucoup plus sensible au style du .deuxième paragraphe dont j'aime l'ambiance feutrée.Le premier me fait l'effet d'une première scène de film que je regarde d'un oeil distrait.

Alcofribas nasier 09/10/2004 @ 07:51:35
Je n'ai pas identifier l'auteur du premier, en revanche le second est l'incipit de Germinal de Zola.
A ce titre et à bien d'autres, mais à celui là seul, c'est, des deux extraits, celui vers qui mon coeur balance.
Zola soignait particulièrement le début de ses oeuvres. Il y "posait" les principaux personnages ainsi que le cadre de son roman. Voir, par exemple le début de Nana ou du Ventre Paris.

Sébastien

Bluewitch
avatar 09/10/2004 @ 10:31:45
Ah! Mais tu as vendu la mèche! Fallait pas... ;o) Même si tout le monde avait reconnu ce second extrait.

Lucien
avatar 09/10/2004 @ 11:20:54
Ben oui, Alco a vendu la mèche! Alors autant aller jusqu'au bout.

En fait, le but était d'"opposer" l'ancien (Zola, Germinal) et le moderne (Otto le Puceau, de mon ami Christophe Spielberger, dont Bluewitch a fait une excellente critique sur ce site).

Après avoir failli s'enliser dans son champ de betteraves, Zola décolle. Ce n'est plus dans une vaste plaine agricole que marche Etienne Lantier. C'est qu'intervient la métaphore filée de la mer, qui fait appareiller grâce au petit mot magique "comme". S'ensuit une rafale de mots marins ("mer", "jetée", "embrun"). Le ton est lancé. C'est celui d'un vaste poème épique, zoliste ou "hugolien" (c'est le reproche que lui adressaient ses adversaires). Démodé? Efficace en tout cas. Comme on parle de "politique politicienne", on pourrait parler de "littérature littérarienne", d'écriture ostentatoire. Nous sommes plongés dans la mer de l'écriture, jusqu'au cou, et la plupart d'entre nous se disent qu'il fera bon s'y laisser emporter.

Spielberger étonne d'emblée par cette première phrase digne de Boris Vian : "Le soleil ne s'absentait que la nuit, en ce mois d'août sec comme une patinoire." Ici encore, la baguette magique du "comme" suffit à créer le littéraire... Mais Lautréamont et les surréalistes sont passés par là et nous ont enseigné "l'écart". Le grand écart parfois, qui peut nous déstabiliser, rebuter notre logique, notre raison. Je pense que, de même que notre oreille a été formée musicalement par Bach et Mozart plus que par Boulez ou Stochhausen, notre goût littéraire a été forgé par des instituteurs qui avaient l'amour du "beau style". D'où notre difficulté d'adhérer à une écriture moderne, dérangeante, subversive comme celle de Spielberger. La suite du paragraphe est du même couteau terriblement aigu, avec ces silhouettes qui imposent d'emblée leur étrangeté même si chaque phrase commence sagement par un groupe nominal sujet. La subversion est ailleurs... Quant à la lecture du roman complet, elle offre un dépaysement garanti!
J'ajoute que Christophe Spielberger, en plus de ses romans, crée un excellent site web : www.spielberger.net

Sibylline 09/10/2004 @ 11:23:39
Bravo Lucien! Qui aura la force de ne pas lire Spielberger après cette présentation frappante? Pas moi, en tout cas.

Yali 09/10/2004 @ 12:43:33
Pour ma part je ne connais pas Christophe Spielberger, mais, vrai, ça donne envie. Merci Lucien.
Bon, je ne résiste pas à poursuivre «l’exercice ».

A :
   J'ignorais, cet après-midi là, que la terre attendît de se changer à nouveau en tombe quelques brèves journées plus tard. Dommage que je n'aie pu arrêter la balle dans sa course et la remettre dans le chargeur et se resolidarise avec la douille, se conduise enfin comme si on ne l'avait jamais tirée ni même chargée dans la carabine. Je voudrais bien que cette balle rejoigne dans sa boîte ses quarante-neuf autres frères et soeurs de balles, que la boîte soit de nouveau en sécurité sur l'étagère de l'armurerie, et m'être contenté de paser devant la boutique en cet après-midi pluvieux de février sans jamais y pénétrer.
   Je voudrais bien avoir eu envie d'un hamburger au lieu de balles. Il y avait un restaurant tout à côté de l'armurerie. On y faisait de très bons hamburgers, mais je n'avais pas faim.
   Je songerai à ce hamburger le restant de mes jours."

B :
   A travers la barrière, entre les vrilles des fleurs, je pouvais le voir frapper. Ils s’avançaient vers le drapeau, et je les suivais le long de la barrière. Luster cherchait quelque chose dans l’herbe, près de l’arbre à fleurs. Ils ont levé le drapeau et ils ont frappé. Et puis ils ont remis le drapeau et ils sont allés vers le terre-plein et puis il a frappé, et l’autre a frappé aussi. Et puis, ils se sont éloignés et j’ai longé la barrière et ils se sont arrêtés, et nous nous sommes arrêtés aussi, et j’ai regardé à travers la barrière pendant que Luster cherchait dans l’herbe.

Bluewitch
avatar 09/10/2004 @ 13:11:11
Bravo Lucien! Qui aura la force de ne pas lire Spielberger après cette présentation frappante? Pas moi, en tout cas.


Tu as bien raison de te laisser séduire par cette présentation, en effet!
Spielberger, c'est le percutant, le dérangeant, l'îmaginaire, l'osé, le dit, envers et contre tout,... A conseiller à tout lecteur curieux de découverte.

Nirvana 09/10/2004 @ 17:49:01
Pour l'exercice de Yali, j'ai trouvé l'extrait 2!
Mais j'ai lu ce roman il y a trois mois à peine, donc ça m'est resté en mémoire.
Pour ne pas dévoler la réponse, je peux laisser un indice?
Pour le 1 par contre, je sèche...

Sibylline 09/10/2004 @ 18:09:55
¨Pourtant....

Laure256 09/10/2004 @ 18:41:17
j'arrive après la fin du premier jeu, mais je préfère Spielberger, même si comme Benoit, le sec comme une patinoire m'agace beaucoup. Quant au Zola que je n'avais pas reconnu, peut-être est-ce parce que je ne suis jamais allée au bout d'un Zola, qui me tombait des mains, malgré un cursus très littéraire.
Oui, moi aussi maintenant je vais avoir envie de lire Spielberger, exercice malin et réussi !

Yali 09/10/2004 @ 19:43:26
Pour l'exercice de Yali, j'ai trouvé l'extrait 2!
Mais j'ai lu ce roman il y a trois mois à peine, donc ça m'est resté en mémoire.
Pour ne pas dévoler la réponse, je peux laisser un indice?
Pour le 1 par contre, je sèche...

OUi un indice !!!

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