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Forums  :  Forum général  :  A propos de Sartre

Vincent 07/10/2004 @ 23:23:12
Jules, je ne pense pas qu'on puisse blâmer la négation du rapport Kroutchev à l'époque, et je ne pense pas que ça fasse de Sartre un staliniste, je sais que tu ne l'as pas dit, mais le sous entendu est trop litigieux.
Un philosophe aurait peut être du avoir le recul nécessaire sur la situation pour ne pas s'emporter, mais je l'excuse d'être humain.
Tout un idéal tant aimé, enfin réalisé par l'URSS, démoli par un bout de papier, il y a de quoi tomber dans le négationnisme idiot, ce fût le cas d'énormément de communistes.
Sartre n'accepte pas l'asservissement d'un peuple, il le rejette. Il n'est pas un communiste acceptant le rapport de kroutchev : il le refuse.

Pour ce qui est de se salir les mains, le compromis joue beaucoup dans la pensée de Sartre, notamment dans les Mains Sales, justement, que tu as d'ailleurs très bien disséqué. Je ne pense pas que le compromis interdise toute philosophie, bien au contraire, il permet de faire avancer les choses, au prix de l'action et des mains sales, mais certainement pas du Stalinisme.
Quand à la vie, Sartre l'aime, veut aller de l'avant, puisqu'il empêche l'Homme de naître héros ou misérable.
Je ne trouve pas de point de vue philosophique plus optimiste. Que ses idées ne soit pas étayées par une plume plus lisible, je suis prêt à l'en excuser.
Je ne m'intéresse pas (encore) au style d'écriture de l'écrivain, mais à ses idées, c'est peut être pour cela que sa lecture ne m'est pas pénible, et que Camus ne me transporte pas comme il le devrait.
Enfin, tout ça est très nuancé, je suis fasciné par le détachement du narrateur de l'Etranger, reste que je n'en suis sorti que révolté contre l'aveuglement des Hommes, mais ça, c'était déjà fait avant.
Je pense qu'il faut aborder les deux auteurs de façon différente, mais pas nécessairement d'un point de vue aussi catégorique, informatique que :
'Sartre' == 'Idées'
'Camus' == 'Style'.
N'en déplaise à badalamento, le style de Sartre a aussi ses amateurs, même si il est définitivement moins romanesque.
Et, s'il te plait, badalamento, ne compare pas le style d'un livre comme les Mots, qui est loin d'être un roman, à un Camus, ça ne joue pas dans la même cour.

Balamento 07/10/2004 @ 23:56:05
N'en déplaise à badalamento, le style de Sartre a aussi ses amateurs, même si il est définitivement moins romanesque.
Et, s'il te plait, badalamento, ne compare pas le style d'un livre comme les Mots, qui est loin d'être un roman, à un Camus, ça ne joue pas dans la même cour.


Il n'était donc pas utile que je prenne précaution oratoire d'interdire ce faux argument qui est de dire qu'entre deux "romans" (et je ne vois rien de péjoratif dans le mot roman, mais en ai plutôt une acceptation étendue : "les mots" étant aussi un roman, autobiographique certes, mais un roman tout de même), qu'entre deux romans, entre deux "n'importe quoi" racontant une histoire, toute comparaison de style serait impossible.

Je ne me place là évidemment que sous l'angle du simple plaisir de la lecture. J'ai noté ce mot, d'un certain del castillo : "Contrairement à ce que l'on imagine, l'idée de la modernité n'est pas liée au tricotage de la prose. Fond et forme sont inséparables, écrire plat, c'est écrire faux."

Bref, bref... de toute façon s'il n'est pas imaginable de comparer deux styles entre eux, quelque soit le contenu et le sens, je crois que la discussion effectivement tourne court ;-)

Balamento 07/10/2004 @ 23:57:41
Je jure que je ne me lève pas pour aller à ma bibliothèque et je parie que ces lignes sont les premières de la première nouvelle de "L'exil et le royaume" de Camus


Bingo ! sans tricher ? Vrai de vrai ? Alors vraiment félicitations ! ;-)

Jules
08/10/2004 @ 09:38:32
Oui, je ne me suis vraiment pas levé ! Mais mon mérite n'est pas si grand: je l'ai relu en février 2002 pour en faire la critique sur le site...

D'accord que le débat peut sembler tourner en rond, mais il n'empêche que de nouvelles idées sont lancées.

A la différence de Lucien, j'étais un passionné de Sartre quand il l'était de Camus. J'ai découvert Camus quelques mois après Sartre et, à part "La peste" et "L'étranger" je n'en connaissais pas encore d'autres. L'engagement de Sartre me plaisait.

Lucien a tout à fait raison quand il dit qu'un écrivain ne passe à la postérité que s'il possède un vrai style. Céline disait 'Le style avant les idées" et Dieu sait que j'aime Céline. Il est vrai qu'avec le style, viennent souvent les idées.

Sartre a du style et Camus aussi cela me semble indiscutable.

Mais je reste cependant convaincu que, de ces deux auteurs, c'est quand même Camus qui célèbre le mieux la vie. Oui, Sartre donne la liberté à l'homme (Camus aussi) mais il reste davantage un théoricien de la vie. Il lui manque un petit rien d'hédonisme que l'on retrouve chez Camus.

Lucien se demande pourquoi opposer ces deux auteurs. Ma réponse serait qu'ils l'ont fait avant nous et sans se gêner. Les articles de presses ont volé entre eux à l'époque et ils étaient loin d'être tendres !...

En outre, indépendamment de leur style respectif, ce sont deux penseurs et il ne me semble pas idiot d'étudier leurs pensées et de pencher pour l'une ou pour l'autre.

Si j'étais trop jeune au moment de Berlin et Budapest, je ne l'étais plus dans les dernières années de la guerre d'Algérie, ni au moment de l'écrasement de la révolte de Prague. J'ai même fait ma thèse universitaire sur ce sujet en 1969.

Quand un auteur, et surtout un philosophe, prend des positions politiques, il sait qu'elles seront décortiquées et que ses prises de positions auront une influence. Il se sert d'ailleurs volontairement de l'influence qu'il a.

Nier des faits au nom d'une volonté dogmatique, de la part d'un philosophe cela me gêne. Je préfère la position plus pragmatique d'un Camus ou d'un Aron.

Justifier les attentats FLN contre des civils à Paris et qualifier celui qui ne les accepte pas de "belle âme" du haut de son mépris me gêne. Surtout dans la bouche d'un philosophe.

Pour tenter de nous rapprocher ne pourrions-nous pas dire que Sartre et Camus ont tous les deux du style et sont donc de bons écrivains ? Que Sartre était meilleurs philosophe ("L'être et le néant") que Camus ? Mais la vérité m'oblige à dire que "dans la vie" et les faits, Sartre s'est beaucoup trompé alors que Camus nettement moins !

En conclusion je dirais comme Antonio Munoz Molina qu'il ne faut pas juger un écrivain sur l' homme et sa vie mais bien uniquemment sur ses livres. J'ajouterais que c'est plus difficile quand il se mêle de politique, en fait dans la presse et dans la vie. C'est ce qu'ils ont pourtant fait et dès lors ils se prêtent aux jugements.

De là nait l'opposition que l'on a tendance à faire entre l'un et l'autre.

Lucien
avatar 08/10/2004 @ 16:59:32
Pour Jules : évidemment, l'opposition. Mais c'est le manichéisme qui m'agace. L'axe du bien contre l'axe du mal, si tu veux. Un truc que je ne partage pas avec Perec, c'est de classer l'humanité en deux catégories suivant le seul critère du "J'aime/Je n'aime pas". Moi aussi, je suis plus séduit par la vie de Camus, par la belle gueule, le gardien de but, le nageur de Tipasa, l'homme des planches, l'ami de Casarès, qui en plus a la chance de mourir à 46 ans contre un platane. Mais j'aurais tendance à prendre la défense de Sartre quand on lui impute le délit de sale gueule...

Pour Balamento : je n'ai sans doute pas bien compris. D'abord, tu nous demandes de comparer deux extraits dont l'un démontre de manière évidente, d'après toi, que le style de Sartre est ennuyeux, pas celui de Camus; puis, tu nous dis qu'il est impossible de comparer deux styles, non? Tu rectifies si j'ai mal entendu?
D'autre part, et sans retomber sur l'éternel débat objectif/subjectif (n'est-ce pas, Pendragon?), je crois que dire "ce style est ennuyeux" est abusif. Dire "ce style m'ennuie", d'accord. Mais généraliser... En ce qui me concerne, et très sincèrement, le début des Mots, que tu cites, m'émoustille beaucoup plus que l'extrait de L'exil et le royaume.
Enfin, il me semble particulièrement vain de parler du "style" de Camus. Le style de Proust, de Céline, de Colette, d'accord. Mais Camus a changé d'écriture dans chaque livre, suivant les besoins de la narration. "Degré zéro" dans L'Etranger (sauf dans l'admirable délire central au moment du meurtre), poésie tellurique dans Noces, "chronique" dans La Peste, cynisme lancinant dans La Chute, etc. Alors, désolé mais le style de Camus, je ne sais pas ce que c'est.

Lucien
avatar 08/10/2004 @ 17:31:48
« Laquelle de ces deux entames a le plus de chances, stylistiquement parlant, de séduire une majorité de lecteurs adultes ? » demandait à peu près Balamento à propos d’extraits de Sartre et Camus.
Pourquoi ne pas poser la question à propos d’autres débuts de romans, comme ces deux premiers paragraphes. Ce pourrait être intéressant de comparer, plus que ces extraits, nos conceptions de ce qui « a le plus de chances, stylistiquement parlant, de séduire une majorité de lecteurs adultes ». A supposer que « séduire une majorité de lecteurs adultes » soit un objectif aussi louable pour l’écrivain que pour le créateur de séries télévisées…

Voici deux extraits (Jules, tu vas tout de suite reconnaître au moins l'un des deux, mais ne le dis pas, je t’en prie ; ne le dis pas…)

A. Le soleil ne s'absentait que la nuit, en ce mois d'août sec comme une patinoire. La petite famille roulait depuis midi, ils avaient fait des pauses mais le père penchait vers son volant, de son pied endormi laissait filer l'automobile. La mère changeait les cassettes en s'efforçant de rester éveillée, tandis qu'Otto et Nathala, bien dessinés sur la banquette arrière, discutaient sans pouvoir être entendus par leurs parents. Le monospace filait également du point de vue d'un gendarme caché derrière son radar, qui ne manqua pas d'épingler ces ahuris à la sortie du péage. Le père éteignit la musique, sortit une fiole d'eau-de-vie de son vide-poches et la but d'un trait, avant de se garer face à la loi. La mère trépignait.

B. Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.

Balamento 08/10/2004 @ 20:08:23
Pour Balamento : je n'ai sans doute pas bien compris. D'abord, tu nous demandes de comparer deux extraits dont l'un démontre de manière évidente, d'après toi, que le style de Sartre est ennuyeux, pas celui de Camus; puis, tu nous dis qu'il est impossible de comparer deux styles, non? Tu rectifies si j'ai mal entendu?
D'autre part, et sans retomber sur l'éternel débat objectif/subjectif (n'est-ce pas, Pendragon?), je crois que dire "ce style est ennuyeux" est abusif. Dire "ce style m'ennuie", d'accord. Mais généraliser...


Oui, j'ai du mal m'exprimer... Je répondais à une opposition stipulant qu'il était impossible de comparer les deux extraits présentés du point de vue du style. Ce que je ne crois pas. Jules d'ailleurs place un bel argument sur la confrontation possible et a posteriori lorsqu'elle a eu lieu du vivant des auteurs.

Sinon, non, il n'est pas abusif de dire que tel ou tel serait plus ennuyeux qu'un autre du point de la forme. L'avis donné n'a pas besoin d'être timorée et de préciser sans cesse "moi je"... non, non, je ne crois pas que ça mène à quoi que ce soit d'interessant ça.

Quant à opposer un "ça n'est pas comparable" parce que Camus aurait changé plusieurs fois de style et pas Sartre, là je ne vois pas... La comparaison ne serait elle possible qu'entre écrivains pratiquant toujours à l'identique ? Non, je ne vois pas...

Balamento 08/10/2004 @ 20:11:42
En conclusion je dirais comme Antonio Munoz Molina qu'il ne faut pas juger un écrivain sur l' homme et sa vie mais bien uniquemment sur ses livres.


Pour ma part, j'adhère complètement à ça... Et il est facile de constater que la dérive est facile d'en venir à parler, commenter ou discourir sur l'homme plutôt que de s'en tenir à l'essentiel... ce qui est dans les bouquins ;-)

Jules
09/10/2004 @ 14:56:27
Désolé mais je me suis trompé: ce n'est pas Antonio Munoz Molina qui disait qu'il ne fallait pas juger l'homme mais bien ses écrits, c'était Antonio Lobo Antunes dans sa seconde chronique.

En outre, j'ajoutais aussi que cela ne pouvait être vrai à partir du moment ou un auteur faisait réellement de la politique, ce qui était le cas de tous les deux ici puisque l'un en faisait dans sa revue "Les temps modernes" et l'autre dans ses articles ou éditoriaux dans "Combat", "Le Figaro" ou "L'Express"

A Lucien:

Mais je n'aimerais pas non plus te laisser sans réponse à propos du "délit de sale" gueule que tu évoquais.

Cela ne pourrait en effet être un argument ! Et je n'y pensais pas.

D'accord que j'ai critiqué beaucoup de livres de Camus, mais je voudrais aussi rappeler que j'en ai fait pas mal aussi sur des livres de Sartre. Je crois donc que j'ai également manifesté mon intérêt pour lui.

Le problème est vraiment ailleurs et je dois bien admettre qu'il est partiellement émotionel.

A seize ans j'adorais Sartre bien plus que Camus et cela surtout à cause justement de son engagement. En 1960 mon rêve était de le rencontrer un jour et de pouvoir lui parler... On rêve beaucoup quand on est jeune et qu'on sait qu'il était énormément aux "Deux Magots"

Par contre, à partir de 1962/63 ce désir est devenu bien moins grand, car je commençais à découvrir ce qu'avait été Staline et ce qu'était le régime soviétique en réalité. Enfermer les Allemands de l'Est derrière un mur ne me semblait vraiment pas acceptable ! Par la suite, l'écrasement par les chars du "Printemps de Prague" m'a tout à fait révolté et quand Sartre a tenté de le justifier cela m'a vraiment terriblement déçu. J'ai étudié tout cela de très près car j'ai fait ma thèse de fin d'études sur ce sujet.

De ce moment je l'ai vraiment senti comme un homme aveuglé par ses choix politiques, comme ayant perdu toute liberté de pensée.

Je m'en suis donc écarté d'autant plus fort que je l'admirais beaucoup auparavant, presque d'un amour d'adolescent.

Être de gauche, oui, mais pas pour n'importe quelle gauche !

Bon, tout cela n'empêche pas qu'il était bon écrivain et bon philosophe dans un livre comme "L'être et le néant".

Mais à nouveau, ayant fait des choix politiques des plus clairs, ayant utilisé son influence en faveur de ses choix, j'estime qu'il s'est volontairement livré au droit de critique. Comme Camus de son côté d'ailleurs pour ceux qui n'auraient pas été d'accord avec lui. Et il y en avait...

Voilà, ce n'est donc pas du tout un problème de "délit de sale gueule" et je tenais à te le dire car je n'aurais pas aimé que tu gardes cette idée.

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