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Guérison
Je suis seule, si seule pensait Ludmila dans sa petite chambre mansardée, et pour oublier, elle se mit à boire la moitié d’une bouteille de champagne. Puis de l’ivresse provoquée par l’alcool, émergèrent de son cerveau des alexandrins, qu’elle se mit à transcrire. Ecrire lui permettait d’atténuer quelque peu ses idées noires.
Très bonne joueuse de tennis et grande lectrice, elle n’avait pas vraiment d’ami(e)s )à qui se confier et passait son temps à rêver, folâtrer et à lire des romans classiques. Des paroles de Diderot étaient gravées sur son abat-jour, Hermann Hesse lui parlait de son prochain roman. Se consoler en correspondant avec les morts illustres lui permettait de tenir face à cette solitude qui la rongeait. Fille de divorcés à l’âge de 6 ans, et voyant peu son père loin d’elle et même sa mère obligée de travailler toute la journée, elle s’était renfermée sur elle-même. Une certaine sauvagerie s’était emparée d’elle. Heureusement, le tennis lui procurait des amphétamines dont elle avait besoin et lui donnait la force de combattre. Et puis même si la souffrance était présente pas question de se laisser aller.
Une nuit, vers deux heures du matin, envahie par le mal-être, elle se mit à penser aux Mousquetaires vainqueurs de la Coupe Davis et inspirée imita l’un d’eux. Raquette de tennis en main, elle se mit à faire les gestes du coup droit, du service et de la volée tout en trottinant. Plutôt imaginative, elle se voyait donner des cours de français à Djokovic et lui apprendre qui était Oscar Wilde en lui faisant visiter les endroits de Paris où cet écrivain avait vécu. Cela lui faisait du bien de penser à ce genre de situation et de mieux accepter ce milieu du tennis dans lequel elle gravitait mais qui ne la rendait pas heureuse. Autant, elle aimait s’éclater sur un court de tennis, autant elle se sentait comme une étrangère parmi les joueurs et joueuses de tennis. Tout lui semblait si creux, si vide et pour vraiment goûter au plaisir de faire un revers, il lui fallait trouver une autre motivation : le rêve et son alter ego l’imagination.
Obtenant de brillants résultats en juniors, elle fut sélectionnée par la fédération française de tennis et partit avec l’équipe de France en Angleterre. L’hôtel était confortable et les parcs londoniens lui donnèrent envie d’aller se balader et d’ errer en compagnie des noctambules anglais. Tout était éteint à l’exception d’une jolie maison dont la porte d’entrée était ouverte. Piquée par la curiosité elle se rapprocha, écouta. Etonnée, il lui sembla entendre des bruits de balles de tennis au son d’une musique tzigane. Elle décida de franchir la porte et quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un salon où des acrobates s’activaient avec pour thème le tennis. Les uns jonglaient avec des balles, d’autres faisaient virevolter des raquettes de tennis en feu, une jolie russe animait l’ambiance en dansant et dansant. Des vêtements de tennis étaient en vente et les spectateurs en profitaient pour en acheter à petit prix. Une sorte de braderie…
Ludmila dopée et envahie par la grâce se mit doublement à rêver et eut le sentiment que des elfes et des lutins défilaient habillés en joueurs de tennis et récitaient des poèmes en vieux français de Ronsard, Villon … Soudain communiquant par la pensée avec son père écrivain et poète reconnu, elle entendit une voix qui récitait le poème paternel sur le tennis. C’était la voix de son géniteur. La musique s’était arrêtée et elle prêta l’oreille pour mieux entendre :
MISS AND RACKET
Rapide, la raquette aux mains de la rieuse,
Renvoie éperdument la balle vers l’azur,
Puis retombe, repart, virevolte, railleuse
Comme écrivant dans l’air un texte clair-obscur
Blonde avec des yeux bleus, joueuse lumineuse
Ivre que son propre geste ait été le plus sûr,
Lise court, et son âme à la gaîté poreuse
Laisse filtrer le rire à ses dents d’un blanc pur.
De bondir à la fin et charmée et lassée,
Elle laisse plus mol son bras vif s’infléchir ;
Elle jouera longtemps par terreur de finir
Mais, grave tout à coup, par le bonheur blessée,
Elle aime abandonner ce qu’elle aima choisir,
Et sent l’amer regret d’un oublié désir
C’est alors qu’elle fut envahie par un mauvais souvenir qui l’avait marquée à vie : la venue exceptionnelle de son père destinée à la voir combattre lors d’un match de tennis. Emue, et point habituée à sa présence, elle rata complètement son match. Une véritable déception pour les deux, et plus jamais son géniteur n’assista à ses compétitions tennistiques. Une absence qui fut le plus grand regret de sa vie de joueuse. Et lorsqu’elle entendit ce poème, elle pensa à l’un des siens qu’elle se récita intérieurement. Il était bien différent du précédent mais parlait également de tennis, ce sport devenant prétexte à une symbiose intellectuelle imaginaire avec son père. Ressentir cette complicité virtuelle lui donna tellement de joie que ce fâcheux épisode se dissipa soudainement. L’amour d’une fille envers son père et vice-versa avait triomphé. Elle était guérie…
Agnes Figueras-Lenattier
Je suis seule, si seule pensait Ludmila dans sa petite chambre mansardée, et pour oublier, elle se mit à boire la moitié d’une bouteille de champagne. Puis de l’ivresse provoquée par l’alcool, émergèrent de son cerveau des alexandrins, qu’elle se mit à transcrire. Ecrire lui permettait d’atténuer quelque peu ses idées noires.
Très bonne joueuse de tennis et grande lectrice, elle n’avait pas vraiment d’ami(e)s )à qui se confier et passait son temps à rêver, folâtrer et à lire des romans classiques. Des paroles de Diderot étaient gravées sur son abat-jour, Hermann Hesse lui parlait de son prochain roman. Se consoler en correspondant avec les morts illustres lui permettait de tenir face à cette solitude qui la rongeait. Fille de divorcés à l’âge de 6 ans, et voyant peu son père loin d’elle et même sa mère obligée de travailler toute la journée, elle s’était renfermée sur elle-même. Une certaine sauvagerie s’était emparée d’elle. Heureusement, le tennis lui procurait des amphétamines dont elle avait besoin et lui donnait la force de combattre. Et puis même si la souffrance était présente pas question de se laisser aller.
Une nuit, vers deux heures du matin, envahie par le mal-être, elle se mit à penser aux Mousquetaires vainqueurs de la Coupe Davis et inspirée imita l’un d’eux. Raquette de tennis en main, elle se mit à faire les gestes du coup droit, du service et de la volée tout en trottinant. Plutôt imaginative, elle se voyait donner des cours de français à Djokovic et lui apprendre qui était Oscar Wilde en lui faisant visiter les endroits de Paris où cet écrivain avait vécu. Cela lui faisait du bien de penser à ce genre de situation et de mieux accepter ce milieu du tennis dans lequel elle gravitait mais qui ne la rendait pas heureuse. Autant, elle aimait s’éclater sur un court de tennis, autant elle se sentait comme une étrangère parmi les joueurs et joueuses de tennis. Tout lui semblait si creux, si vide et pour vraiment goûter au plaisir de faire un revers, il lui fallait trouver une autre motivation : le rêve et son alter ego l’imagination.
Obtenant de brillants résultats en juniors, elle fut sélectionnée par la fédération française de tennis et partit avec l’équipe de France en Angleterre. L’hôtel était confortable et les parcs londoniens lui donnèrent envie d’aller se balader et d’ errer en compagnie des noctambules anglais. Tout était éteint à l’exception d’une jolie maison dont la porte d’entrée était ouverte. Piquée par la curiosité elle se rapprocha, écouta. Etonnée, il lui sembla entendre des bruits de balles de tennis au son d’une musique tzigane. Elle décida de franchir la porte et quelle ne fut pas sa surprise de découvrir un salon où des acrobates s’activaient avec pour thème le tennis. Les uns jonglaient avec des balles, d’autres faisaient virevolter des raquettes de tennis en feu, une jolie russe animait l’ambiance en dansant et dansant. Des vêtements de tennis étaient en vente et les spectateurs en profitaient pour en acheter à petit prix. Une sorte de braderie…
Ludmila dopée et envahie par la grâce se mit doublement à rêver et eut le sentiment que des elfes et des lutins défilaient habillés en joueurs de tennis et récitaient des poèmes en vieux français de Ronsard, Villon … Soudain communiquant par la pensée avec son père écrivain et poète reconnu, elle entendit une voix qui récitait le poème paternel sur le tennis. C’était la voix de son géniteur. La musique s’était arrêtée et elle prêta l’oreille pour mieux entendre :
MISS AND RACKET
Rapide, la raquette aux mains de la rieuse,
Renvoie éperdument la balle vers l’azur,
Puis retombe, repart, virevolte, railleuse
Comme écrivant dans l’air un texte clair-obscur
Blonde avec des yeux bleus, joueuse lumineuse
Ivre que son propre geste ait été le plus sûr,
Lise court, et son âme à la gaîté poreuse
Laisse filtrer le rire à ses dents d’un blanc pur.
De bondir à la fin et charmée et lassée,
Elle laisse plus mol son bras vif s’infléchir ;
Elle jouera longtemps par terreur de finir
Mais, grave tout à coup, par le bonheur blessée,
Elle aime abandonner ce qu’elle aima choisir,
Et sent l’amer regret d’un oublié désir
C’est alors qu’elle fut envahie par un mauvais souvenir qui l’avait marquée à vie : la venue exceptionnelle de son père destinée à la voir combattre lors d’un match de tennis. Emue, et point habituée à sa présence, elle rata complètement son match. Une véritable déception pour les deux, et plus jamais son géniteur n’assista à ses compétitions tennistiques. Une absence qui fut le plus grand regret de sa vie de joueuse. Et lorsqu’elle entendit ce poème, elle pensa à l’un des siens qu’elle se récita intérieurement. Il était bien différent du précédent mais parlait également de tennis, ce sport devenant prétexte à une symbiose intellectuelle imaginaire avec son père. Ressentir cette complicité virtuelle lui donna tellement de joie que ce fâcheux épisode se dissipa soudainement. L’amour d’une fille envers son père et vice-versa avait triomphé. Elle était guérie…
Agnes Figueras-Lenattier
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