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Falgo 17/04/2024 @ 09:23:51
Orwell : Notice Librairie « Å la Page » – Samedi 16 Mars 2024 18 h.00
Biographie rapide.
N.B. : tous les ouvrages et écrits cités le sont dans leur traduction française.
George Orwell est un journaliste, écrivain et penseur anglais. Il est né au Bengale le 23 juin 1903 et mort de tuberculose à Londres, à 46 ans, le 21 janvier 1950. Comme le dit un de ses éditeurs français ses deux livres « La ferme des animaux » et «1984 » sont connus d’un large public, mais lui-même en tant qu’auteur reste peu connu. Comme 2024 est le quarantième anniversaire du titre de son œuvre majeure « 1984 », mon intention est de vous le faire mieux connaître. Comme vous le verrez il exerce encore une influence notable sur l’époque contemporaine, même si nous ne nous en rendons pas toujours compte. Son œuvre écrite est considérable, remplissant une vingtaine de volumes en langue anglaise. Les traductions en français ne sont souvent venues que tardivement.
Orwell est un personnage particulier. Penseur de notre monde contemporain, il n’est pas un théoricien et a toujours préféré l’expérimentation à la réflexion théorique.
Il est né, comme il l’écrit, dans la couche inférieure de la moyenne bourgeoisie et a toujours fréquenté des écoles (Saint Cyprian, Eton) où il a vécu parmi des élèves issus de familles plus fortunées que la sienne, le plus souvent boursier alors que les autres ne l’étaient pas. Il en a conçu une sorte d’aigreur qui lui a fait remarquer l’hypocrisie régnant dans ces écoles où les fils de riches étaient moins sanctionnés et battus que les autres. Une part de son caractère critique et de son socialisme vient probablement de là. Å sa sortie d’Eton, il s’est engagé dans la police britannique en Birmanie, alors colonie britannique, et y a passé cinq années avant de démissionner en 1927-8. Sa démission est dictée par un double mouvement : le refus de poursuivre ce métier de policier dans un contexte impérialiste et colonial et la vocation depuis longtemps affirmée de devenir un écrivain.
Dès son retour en Angleterre, il s’installe dans l’East End de Londres pour enquêter sur les conditions de vie des pauvres et des exploités. Expérience qu’il poursuit à Paris pendant environ deux années où il commence son métier de journaliste et écrit deux romans non-publiés et, hélas !, perdus. De retour à Londres il exerce divers métiers, écrit plusieurs textes et publie en 1933 chez Victor Gollancz son premier livre « Dans la Dèche à Paris et à Londres ». Il poursuit pendant plusieurs années son activité de journaliste et d’écrivain, publiant d’innombrables essais et articles ainsi que des recensions de livres montrant l’étendue de sa connaissance de la littérature anglaise. Sur la commande de Victor Gollancz, il réalise une enquête sur la condition ouvrière dans les mines du Nord de l’Angleterre.
En 1936/37 il rejoint la guerre civile espagnole, s’engage dans la milice du P.O.U.M (Partido Obrero de Unificacion Marxista). Il fait la guerre, est blessé puis, poursuivi par les communistes, rentre en Angleterre. Il y restera jusqu’à la fin de ses jours, hors un court séjour au Maroc et une période de journaliste pur l’Observer en Allemagne et en France, tenant un poste à la B.B.C. pendant deux ans, écrivant des centaines d’essais, articles, recensions et lettres et publiant plusieurs livres.




Bibliographie. (Livres publiés du vivant de l’auteur)
• Dans la Dèche à Paris et à Londres (GB 09/01/1933 Victor Gollancz, EU 30/06/1933 Harpers)
Il s’agit du récit des mois passés volontairement par Orwell pour connaître dans la réalité les conditions de vie des miséreux français et anglais. Å Paris il fait l’expérience du manque d’argent, de la recherche obstinée d’un emploi et du métier de plongeur dans un grand hôtel où la saleté des lieux d’office permet le luxe accordé aux clients. Å Londres il mène la vie d’un vagabond errant d’asile de nuit en asile de nuit. Il rencontre dans les deux cas des personnages hauts en couleur et nourrit ainsi sa connaissance du monde.
• Une histoire birmane (EU 23/10/1934 Harpers, GB 24/06/1935 Victor Gollancz).
Roman décrivant de manière très critique la vie coloniale, le comportement des anglais expatriés et leurs relations avec la population colonisée. Orwell l’a réécrit plusieurs fois en raison des craintes de censure gouvernementale. C’est un excellent livre sur la colonisation, ses méfaits et le comportement curieux des occupants, qui a permis à Orwell de comprendre les mauvaises conséquences de l’exercice d’un pouvoir à la légitimité douteuse.
• Une fille de Pasteur (GB 11/03/1935 Victor Gollancz, EU 17/08/1935 Harpers)
J’ai peu apprécié ce livre hors une description ironique de la pauvre vie de la fille d’un pasteur anglican et du milieu social dans lequel elle évolue. Par la suite le récit se perd dans plusieurs étapes qui n’apportent que peu par rapport aux descriptions directes des voyages de l’auteur.
• Et vive l’Aspidistra (GB 20/04/1936 Victor Gollancz).
L’aspidistra est une plante verte dont Orwell fait le symbole de la petite vie bourgeoise anglaise. Son héros refuse la civilisation des loisirs et de la réussite sociale et économique jusqu’au moment où une surprenante réussite poétique lui permet de rentrer dans le rang par la paternité.
• Le quai de Wigan (GB 08/03/1937 Victor Gollancz et Left Book Club).
Ce texte est la conséquence d’une commande de l’éditeur Victor Gollancz. Une description des conditions de vie des ouvriers des mines du Nord de l’Angleterre. Orwell s’acquitte de la commande en parcourant cette région, logeant dans des familles ouvrières, restituant les terribles modes de logement, se pliant en quatre pour visiter des mines et observer le travail des ouvriers. La première partie du livre restitue avec un effarant réalisme ses constatations. Une deuxième partie, mal reçue par l’éditeur, comporte une réflexion sur l’exercice du pouvoir pour prôner sa définition du socialisme qu’il défend comme un idéal de justice et de liberté. Ce livre est une étape essentielle pour la compréhension de la formation intellectuelle d’Orwell qui va aboutir à ses deux chefs d’œuvre écrits contre toute forme de totalitarisme.
• Hommage à la Catalogne (GB 25/04/1938 Warburg).
En 1937 Orwell se rend en Espagne pour participer à la guerre civile. Ce livre est une sorte de compte rendu de ses faits et gestes et de ses observations. Plusieurs autres textes publiés dans des journaux et magazines le complètent. Il consacre une large part de cet ouvrage à réfléchir sur le rôle des communistes dans le gouvernement espagnol et la liquidation du P.O.U.M. à Barcelone ainsi que sur les poursuites dont il est l’objet. Cette expérience sensible conforte en lui son adhésion au socialisme et son rejet de tout totalitarisme.
• Un peu d’air frais (GB 12/06/1938 Victor Gollancz).
Probable dernier écrit d’Orwell avant la seconde guerre mondiale, ce livre est une sorte de biographie d’un anglais de classe moyenne qui constate les dégradations progressives de son environnement et aspire à une plus profonde respiration au-delà de son médiocre destin. Cela lui permet d’aborder une large variété de sujets et d’exprimer ainsi son opinion sur la marche du monde.

• Dans le ventre de la baleine (GB 11/03/1940 Victor Gollancz).
Ce recueil d’essais publiés de 1931 à 1943 donne au lecteur l’occasion de suivre les évolutions de la pensée d’Orwell pendant toutes ces années. Il permet de comprendre en quoi ses multiples expériences et lectures ont façonné sa manière de considérer le monde et construit sa méthode intellectuelle.
• Le lion et la licorne (GB 19/02/1941 Warburg).
Ce texte, soigneusement ignoré par ses admirateurs de droite, contient une définition programmatique de sa conception du socialisme. Il y répète que « L’inefficacité du capitalisme a été démontrée partout en Europe ». Mais y défend un patriotisme farouche qui fait l’originalité de sa pensée contre les penseurs certifiés de gauche dont il se rapproche par sa définition du socialisme : « justice et liberté ». Il ne rentre malheureusement pas dans le débat : le capitalisme est-il un système économique condamnable ou incontournable dont il importe de réguler les excès ?
• La ferme des animaux (GB 17/08/1945 Secker and Warburg, EU 26/08/1946 Harcourt, Brace).
Ce texte prend la forme d’une fable mettant en scène la révolte des animaux d’une ferme contre la sorte de dictature que leur impose le fermier. Parti comme un mouvement collectif respectant chacun, il dérape progressivement vers un régime totalitaire où une classe (ici les cochons) domine les autres (certains sont plus égaux que d’autres). Les moyens utilisés sont analysés : la propagande (Brille-Babil ou Le Brailleur, selon les traductions) et la manipulation de la pensée, l’annihilation des besoins et envies individuels, le déversement de fausses statistiques, la violence, le rôle du Dictateur et de la maîtrise du pouvoir, la montée des haines. Il est inexact de n’en faire qu’une critique du système soviétique, même s’il l’est effectivement. Il est celui de tout système totalitaire et en décrit bien les mécanismes rejoignant en cela, par delà le temps « Le Discours de la servitude volontaire » d’Etienne de la Boétie (1555 ?), mécanismes qui seront décrits plus humainement dans « 1984 ».
Les bonnes ventes de ce livre ont, enfin, permis à Orwell de sortir des difficultés financières qui l’ont accompagné pendant la majeure partie de sa vie.
• Essais Critiques (GB 14/02/1946 Secker and Warburg, EU 29/04/1946 Reynal and Hitchcock).
Livre non traduit directement en français, mais dont on peut trouver les textes dans les divers ouvrages publiés chez Ivrea.
• Tels, tels étaient nos plaisirs (GB 1947).
Il me faut reprendre ici le livre publié par Ivrea qui comporte plusieurs essais(15) dont « Tels, tels étaient nos plaisirs » publié par Orwell en 1947. Ce texte décrit les « mauvais » souvenirs, probablement exagérés, qu’il garde de ses années à Saint Cyprian. Mais c’est cette impression qui nous importe. Orwell s’est senti déclassé parmi des élèves provenant de familles plus fortunées que la sienne, mieux traités que lui en raison de la fortune des parents. Une de raisons de son socialisme est sans doute né dans ses années d’école où il a pu constater l’hypocrisie d’un système fondé sur une hiérarchie des classes, alors très présente en Angleterre
• 1984 (GB 06/1949 Secker and Warburg, EU 06/1949 Harcourt, Brace).
Ce roman est l’aboutissement de toute une vie d’expériences et de réflexion. De nombreux lecteurs ont été déçus par le style de l’œuvre et le caractère très conventionnel de l’intrigue. Il n’empêche qu’il s’agit dune œuvre visionnaire, un roman terrifiant qui décrit un monde gouverné par un parti ultra majoritaire, la « Police de la Pensée » (la propagande) et « Big Brother ». Il décrit avec un extraordinaire sens de l’anticipation (même s’il prend comme modèle l’Union Soviétique de Staline) le pouvoir dictatorial, les rôles du mensonge, de la réécriture de l’histoire, de la violence de l’État qui façonnent les modes de pensée (invention de la « novlangue ») de la population. La leçon que comporte le roman n’a pas été appliquée avec suffisamment de constance et de précision pour nous garantir à tout moment de la survenue de ce monde. Il existe malheureusement de nombreux exemples de son implantation dans divers pays, quelle qu’en soit la cause majeure. Il donne une dimension « humaine » aux concepts de « La ferme des animaux » et en prolonge « ad nauseam » chez les humains les conséquences.


Bibliographie (suite). (Livres non publiés du vivant de l’auteur).
• J.J.West. The War Broadcasts, The War Commentaries, Pantheon Books, 1986. Cet universitaire anglais a exhumé du fonds de la BBC les transcriptions d’émissions de radio faites à la section indienne de la BBC par Orwell d’août 1941 à novembre 1943 avec divers interlocuteurs. Elles montrent le mûrissement de la pensée d’Orwell et constituent le chaînon manquant entre ses premières publications et ses chefs d’œuvre : « La ferme des animaux » et « 1984 ».


Publications en français.
Deux éditeurs se sont partagé l’essentiel des ouvrages d’Orwell : Gallimard et Ivrea. D’autres éditeurs ont aussi assuré des publications, souvent avec des traductions différentes qui compliquent un peu ou précisent la lecture.
Chez Ivrea. (1 Place Painlevé Paris 75005) on trouve :
• La ferme des animaux
• Hommage à la Catalogne
• Dans la dèche à Paris et à Londres
• Le quai de Wigan
• Et vive l’aspidistra
• Un peu d’air frais
• Une histoire birmane
• Chroniques du temps de la guerre
• Dans le ventre de la baleine
• Tels, tels étaient nos plaisirs
• Essais, articles, lettres Volume I
• Essais, articles, lettres Volume II
• Essais, articles, lettres Volume III
• Essais, articles, lettres Volume IIII



Chez Gallimard :
• Pourquoi j’écris (Folio, 2020). Rassemblement de textes publiés par ailleurs, montrant la vivacité d’Orwell à défendre une orientation démocratique contre tout totalitarisme, comme Camus, Koestler, Chalamov, Arendt et quelques autres l’ont fait avec des destins variables.
• La ferme des animaux, en plusieurs présentations et traductions
• 1984, en plusieurs présentations et traductions
• La Pléiade (2020) : 70 ans après la mort de l’auteur ont été nécessaires pour voir apparaître un volume comprenant plusieurs ouvrages dans de nouvelles traductions (y compris pour les titres). Il contient :
o Chronologie et note sur la présente édition
o Dans la dèche à Paris et à Londres
o En Birmanie (Une histoire birmane).
o Wigan Pier au bout du chemin (Le Quai de Wigan)
o Hommage à la Catalogne
o La ferme des animaux
o Mil neuf cent quatre-vingt-quatre (1984)
o Croquis et essais (1931-1948)
o Notices et notes ; bibliographie.

Ouvrages généraux sur George Orwell.
• Bernard Crick, George Orwell une vie, (Balland 1982, Seuil-Points, 1984)
L’étendue de la perspective, la précision des détails et l’empathie de Crick pour Orwell donnent à cette biographie une qualité saluée par tous les commentateurs. Crick fournit les clefs pour comprendre la formation de cet esprit et ses évolutions qui le conduisent à ses deux chefs d’œuvre, tant par le suivi de ses expériences que par une lecture attentive et prudente de ses nombreux écrits.
• George Orwell devant ses calomniateurs (Ivrea, 2017)
Ayant dénoncé les méfaits de la propagande idéologique et totalitaire, Orwell se doutait sans doute qu’il en serait également victime. «D’indécrottables staliniens lancèrent puis exploitèrent une rumeur » (Leys), largement reprise, qu’il était un indicateur de police. Le texte d’Ivrea analyse avec pertinence les mensonges et les demi-vérités dont se sert la propagande. Ce petit opuscule est d’une rare intelligence et salubrité.
• Simon Leys, Orwell ou l’horreur de la politique, (Hermann, 1984 - Flammarion, Champsessais, 2006-2014)
Ce grand esprit a retenu deux aspects, parmi d’autres, de la pensée d’Orwell. Le premier est son attachement constant depuis l’Espagne à un socialisme conçu comme une somme de justice et de liberté. D’où sa haine du régime totalitaire soviétique et son appel aux prolétaires (common decency) que l’on retrouve dans « 1984 ». Le second est sa constante recherche visant à faire de l’écriture politique un art. Sa culture littéraire le rend attentif à toutes les manières d’exprimer une observation. Orwell a fourni un énorme travail pour que la transcription à l’écrit lui permette de donner un sens à ses observations.
• Jean-Claude Michéa, Orwell Anarchiste Tory (Flammarion-Climats, 1995)
Michéa est un philosophe de gauche et il a eu raison d’appeler l’attention sur les multiples écrits d’Orwell publiés dans différents journaux et magazines anglais et américains et tardivement publiés en France par Ivrea. Son intention est de mettre en valeur l’attachement d’Orwell au socialisme, conçu comme un anticapitalisme, et d’accompagner une pensée en constante évolution. Malheureusement il utilise une phraséologie complexe qui rend la lecture difficile pour un non philosophe.
• Jean-Claude Michéa, Orwell Éducateur (Flammarion-Climats, 2003)
Michéa se livre ici à un « démontage élémentaire de l’Imaginaire capitaliste », reprenant une pensée d’Orwell assimilant le fascisme au capitalisme et le rejoignant dans sa critique des dirigeants socialistes qui de reculade en reculade ont fini par accepter le système capitaliste et y adhérer. Il revient vers une forme abandonnée du socialisme telle que présentée par Marcel Mauss et l’économie du don, qui correspond à ce que Orwell nomme « common decency » telle que présente dans « 1984 » par l’appel aux prolétaires.
• George Woodcock, Orwell à sa guise (Lux, 2020)
George Woodcock est un bourlingueur canadien, très littéraire, qui s’est lié d’amitié avec Orwell en 1942 et est resté son ami jusqu’à sa mort. Il a publié ce livre en 1966, ayant vraisemblablement tout lu chez Orwell. Il montre une grande capacité pour mêler souvenirs personnels, lectures, mise en relation des personnages des romans et événements de la vie d’Orwell. Il en résulte un texte d’une importance majeure pour entrer dans l’intimité de la pensée d’Orwell.
• Adrien Jaulmes, Sur les traces de George Orwell (Équateurs, 2019)
Ayant publié dans « Le Figaro » une série d’articles, Adrien Jaulmes les a regroupés dans ce livre. Il suit une démarche originale, consacrant un chapitre à chaque lieu qu’a fréquenté Orwell durant sa vie. Cela l’a aidé à comprendre les évolutions d’Orwell et il en donne un tableau intéressant.
• Kévin Boucaud-Victoire, Orwell Écrivain des gens ordinaires (Éditions première Partie, 2018)
L’auteur a plus lu les commentateurs qu’Orwell lui-même. Soulignant sa proximité avec Simone Weill, il occulte d’autres dimensions. C’est en fait un travail journalistique typique.
• Natacha Polony et les orwelliens, Bienvenue dans le pire des mondes (Plon-J’ai lu, 2016)
Ce texte me paraît plus important que sa, faible, réputation. Il a été écrit par 9 auteurs coordonnés par Natacha Polony, faisant une référence explicite à la pensée d’Orwell. Leur thèse est que le monde est soumis, hors les pays clairement sous régime totalitaire, à un « soft totalitarisme ». Celui-ci est imposé par le système capitaliste et reçoit insidieusement l’adhésion muette et satisfaite des populations concernées. On retrouve de nouveau ici la proximité avec le « Discours de la servitude volontaire » de La Boétie. Cette thèse me paraît devoir être beaucoup plus analysée et discutée qu’elle ne l’est actuellement.

Commentaires personnels.
Ce qui me frappe c’est que plus de 70 ans après sa mort Orwell soit toujours présent dans l’esprit de ceux qui réfléchissent à l’état actuel et futur du monde. Encore le 03/02/2024 sur LCP un universitaire français a cité Orwell lors d’un débat consacré à Simon Leys, « Le réel contre l’idéologie ». Cet intitulé correspond assez bien, à mon sens, à la position d’Orwell qui s’est toujours méfié des idéologies et leur a constamment préféré l’expérimentation directe. Il faut aussi rappeler qu’un des essais les plus marquants sur Orwell est celui de Leys « Orwell ou l’horreur de la politique ». Ce n’est pas un hasard. Dans ce court essai pénétrant Leys restitue, sans doute grâce une parenté vivante, l’essentiel de la vie et de la pensée pourtant complexe d’Orwell.
Orwell présente plusieurs caractéristiques :
• C’est un artiste littéraire. Il a une connaissance approfondie de la littérature anglaise et-américaine et son objectif est de créer un art politique, c’est dire la capacité de donner par l’art un sens à l’observation des faits. Pour lui l’imagination est au service de la réalité et lui permet de donner aux faits un sens politique qu’ils n’ont pas par eux-mêmes. « La ferme des animaux est le premier livre où je me sois, en pleine connaissance de cause, efforcé de fondre en un même projet l’art et la politique. » (Pourquoi j’écris, 1946) Je vais vous en donner un exemple. Il a tenu un journal de son séjour dans le Nord de l’Angleterre, le 15 Février 1936 il y écrit :
« En passant devant une ruelle sordide, vu une femme, encore jeune mais très pâle, l’air défait qu’elles ont toutes ici, à genoux dans le ruisseau devant une maison, occupée à enfoncer un bâton dans le tuyau de vidange en cuivre partant de l’évier, pour le déboucher. Je pensais à l’affreux destin qu’est celui de devoir, par un froid glacial, se mettre à genoux dans une ruelle de Wigan, pour curer avec un bout de bois un tuyau bouché. Juste à ce moment elle leva la tête et croisa mon regard avec une expression de désolation que je n’avais jamais vue. Je me dis fugitivement qu’elle devait avoir en tête exactement la même chose que moi. »
Dans « Le quai de Wigan » publié en 1937 il écrit (p.21-22) :
« Alors que le convoi traversait lentement les faubourgs e la ville, je découvrais des rangées de petites maisons grises s’alignant à angle droit le long de la voie. Derrière une des maisons, une femme, jeune, était à quatre pattes sur la pierre, enfonçant un bâton dans le tuyaude vidange en cuivre partant de l’évier. Celui-ci devait sans doute être bouché. J’eus le temps de détailler cette femme – son tablier informe, ses grosses galoches, ses bras rougis par le froid. Elle leva la tête au passage du train, et je pus presque croise son regard. Elle avait un visage rond et pâle, le visage las d’une fille de vingt-cinq ans et qui en paraît quarante, après une série de fausses couches et de travaux harassants. Et, à la seconde où je l’aperçus, ce visage était empreint de l’expression la plus désolée, la plus désespérée qu’il m’ait jamais été donné de voir. Je compris soudainement l’erreur que nous faisons en disant que « pour eux ce n’est pas la même chose que pour nous », sous-entendant que ceux qui sont nés dans les taudis ne peuvent rien imaginer au-delà des taudis. Car ce que j’avais reconnu sur ce visage n’était pas la souffrance inconsciente d’un animal. Cette femme ne savait que trop ce qu’était son sort, comprenait aussi bien que moi l’atrocité qu’il y avait à se trouver là, à genoux dans le froid mordant sur les pierres glissantes d’une arrière-cour de taudis, à fouiller avec un bâton un tuyau de vidange nauséabond. »
• Ce sens politique est toujours celui du refus de l’autorité illégitime et au plus haut point de tout type de totalitarisme. Pensée qui parcourt tous ses écrits et a donné naissance à ses trois chefs d’œuvre : « Hommage à la Catalogne », « La ferme des animaux » et « 1984 ». Il s’exprime ainsi à propos de lui-même (Pourquoi j’écris, 1946) : « Et lorsque je considère mon travail, je constate que c’est toujours là où je n’avais pas de visée politique que j’ai écrit des œuvres sans vie, que je me suis laissé prendre au piège des morceaux de bravoure littéraire, des phrases creuses, des adjectifs décoratifs, de l’esbroufe pour tout dire. »
• Les faits. Cet esprit libre et indépendant de tout parti politique a toujours été à la recherche de l’exactitude des faits qui, pour lui, est le fondement de la vérité. Son expérience du totalitarisme et l’aversion conçue contre ce programme politique l’ont conduit à questionner ce que les traducteurs français nomment « nationalisme », à la suite du terme anglais, défini comme fondé sur un désir de puissance, contrairement à patriotisme, vocable auquel je préfère celui d’ « idéologie ». Orwell lui impute la source de la falsification des faits (récriture de l’histoire, etc.) pour des raisons de défense d’une position. Il note cependant que nombre de faits se déroulent sous nos yeux et que nous ne les voyons pas. De là découle cette nécessité, pour lui essentielle, de rester constamment vigilant. Il en marque cependant les limites : « Cette incertitude générale quant à la réalité des faits favorise le désir de se cramponner à des convictions irrationnelles » (Note sur le Nationalisme, 1945)
• Il a confirmé, depuis l’Espagne, un attachement au socialisme, conçu comme un idéal de justice et de liberté. Il en vient à assimiler fascisme et capitalisme pour rejeter ce dernier en préconisant un socialisme dont il définit les conditions, parmi lesquelles un recours constant à la « common decency » qu’il tente de faire tenir dans un recours aux prolétaires, comme cela reste une voie de sortie de la dictature de « 1984 ».
Ce, très, rapide résumé de la pensée de George Orwell ne rend pas compte de la multiplicité des sujets abordés pendant sa vie par le biais de ses essais, articles et lettres publiés de son vivant. Je vous en donne deux exemples significatifs :
o En 1944 Orwell a publié une sorte de recension de l’autobiographie de Salvador Dali (The Secret Life of Salvador Dali, Dial Press, New York) intitulée « L’immunité artistique » dans laquelle il traite d’un sujet analogue à celui qui a agité le milieu artistico-politique en France sur l’affaire Depardieu. Pour Orwell, les défenseurs de Dali, comme ceux de Depardieu excipent d’une « sorte d’immunité artistique. L’artiste doit être exempté des lois morales qui pèsent sur les gens ordinaires » Il argumente contre ce point de vue et conclut : « Dali est un bon dessinateur et un être humain répugnant… un artiste est aussi un citoyen et un être humain…nous avons affaire ici à un esprit malade ». Å mon sens tout était dit depuis 1944 et je m’étonne qu’aucune référence à ce texte n’ait été citée.
o Le 19 octobre 1945 Orwell, quelques semaines après Hiroshima et Nagasaki, publie un essai dans « Tribune » intitulé « La bombe atomique et vous » dans lequel il rappelle que le coût de fabrication d’une bombe est extraordinairement élevé et demande une exceptionnelle capacité industrielle. Pour lui donc seuls deux ou trois pays sont capables de concevoir une telle arme et « s’engagent, par un accord tacite, à ne jamais l’utiliser », entrant ainsi dans une « situation de guerre froide avec ses voisins… perpétuant indéfiniment une paix qui n’est pas la paix. »
L’utilisation du terme « guerre froide » est destinée à parcourir le monde pendant des décennies et rejoint l’autre invention sémantique d’Orwell « Big Brother » présente dans « 1984 ».

Daniel MICHEL
2 rue du Casino 03200 Vichy
Tel : 0683537082

Falgo 17/04/2024 @ 13:20:45
Saule: merci. Falgo

Falgo 22/04/2024 @ 08:29:01
Orwell et Camus. Jean-Claude Michéa exprime l'opinion (Orwell, Anarchiste Tory,,p.94) selon laquelle ".. la parenté avec Camus est assez évidente et explique peut-être en partie les efforts de la gauche officielle pour marginaliser les deux écrivains." Un déjeuner entre les deux a d'ailleurs été prévu en 1947 ou 48, auquel Camus, malade ce jour là, n'a pas pu participer

Vince92

avatar 22/04/2024 @ 10:04:39
Merci Falgo, c'est très intéressant et cette note met la lumière sur un écrivain que je considère comme un véritable prophète avec son 1984 (que j'ai lu il y a bien longtemps maintenant et qui mériterait une revisite).
Je connais mal son oeuvre, j'ai deux de ses livres en attente mais je dois absolument m'y pencher sérieusement!...

Falgo 23/04/2024 @ 10:36:07
Vince92. Merci pour ton intérêt. Bon courage pour te mettre à la lecture d'Orwell. Les recueils d'articles réunis par Ivrea sont très intéressants .

Falgo 23/04/2024 @ 10:40:12
Orwell et Camus. Je réalise qu'ils sont tous deux décédés à 46 ans, évidemment dans des circonstances complètement différentes. Au-delà de leurs enrichissantes différences, leurs voix nous manquent après la date de leur décès. Ils n'ont pas, à mon avis, été remplacés.

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