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Spirit
avatar 14/10/2023 @ 18:44:56
LE SORT




Henri

Henri s'éveilla en râlant sur son radio réveil qui, comme chaque matin à six heures, lançait les informations pour lui rappeler qu'il était l'heure de se lever. Il maudit une fois de plus l'appareil ,feignant d'oublier que c'était là son unique utilité. Henri se retourna deux ou trois fois dans son lit avant d'en sortir d'un bond comme s'il était muni d'un ressort. Il n'écoutait pas les informations, une fois levé il se dirigeait vers la salle de bains et la douche. Pendant que l'eau chauffait il en profitait pour se regarder dans le miroir et constater les affres du temps, pas brillant mais ni plus ni moins que la veille. Il entra dans le bac et se laissa pénétrer par la chaleur de l'eau. Dix minutes, pas plus, mais dix minutes volées au temps, dix minutes où il se décrassait de sa vie d'hier et se préparait à celle d'aujourd'hui. Quand il sortit il se brossa les dents et posa un regard vers son rasoir puis vers sa barbe et choisit d'en rester là. Nu, il gagna sa chambre, où le radio réveil débitait cette fois un débat, et s'habilla avant de gagner la cuisine. Il faisait encore sombre en cette saison et il appuya sur l’interrupteur. L'ampoule, trop forte, lui fit cligner des yeux. Il mit la cafetière en marche et se beurra une demi baguette de pain qu'il prit dans le huche ( le petit déjeuner était le repas le plus important lui disait toujours sa mère ). Le café passé il s'en servi un bol et, après s'être assis, y trempa sa baguette, il faisait parti des « trempeurs » depuis toujours et ne concevait pas que l'on fasse autrement. Une fois le tout ingurgité il se leva et déposa bol, cuillère et couteau dans l'évier. L'horloge au dessus du frigo marquait six trente, l'heure de partir, il embauchait à sept heures mais le chantier n'était pas loin de chez lui pour une fois.
L'air vif à l'extérieur le fit frissonner ; il trottina jusqu'à sa voiture et s'engouffra à l'intérieur. Dix minutes de trajet et il se garait devant l'immense édifice où il travaillait. Il salua les collègues et après avoir enfilé son bleu et son casque il montait dans les étages prendre son poste, au cinquante et unième niveau, le dernier. Il déposa sa sacoche d'outils et se rendit sur les échafaudages pour finir de déboulonner les tubes qui leurs servaient de sécurité.


François

François, architecte de son état, s'était préparé de pied en cape pour recevoir le propriétaire de l'immeuble. Il avait mis tous les atouts de son coté pour présenter l'ouvrage à son destinataire. Sa première livraison en quelque sorte. Costume, eau de toilette tout était prêt pour la réception de l'ouvrage et voilà que monsieur Lopez descendait de sa voiture et se dirigeait vers François qu'il avait eu l'occasion de rencontrer tout au long du chantier. Mr Lopez tendit une main franche vers François en lui donnant du Mr Racine par là et du mon cher François par ici. Ils s’approchèrent de l’ascenseur et pénétrèrent à l'intérieur. François pris sur lui de décider de l'étage «  dernier étage Mr Lopez ? De la-haut vous aurez une vue magnifique, par contre il vous faut un casque car les ouvriers sont en train de défaire l'échafaudage ». L’ascenseur les mena tout en haut et ils gagnèrent le balcon qui faisait le tour de l'édifice. Un peu ému François se pensa obligé de faire l'article en ventant les lieux, « d'ici, comme vous pouvez le constater, vous avez une vue imprenable sur la ville.A droite la basilique, sur votre gauche, le grand canal et en face l'avenue. Ce serait un endroit parfait pour un bureau de direction et une salle de réunion ». Ils firent le tour du balcon tout en discutant de l'édifice. Au dernier angle ils croisèrent un ouvrier qui ne put que se faire tout petit sachant qu'il n'était pas à sa place dans cette visite. Ce faisant il poussa du coude sa pince qui tomba dans le vide. François n'en fit pas cas et poursuivit la visite par l'intérieur du bâtiment. « et donc comme vous le souhaitiez vous avez pour votre entreprise les deux derniers étages, les autres étages seront réservés à la location ».

Carole

Carole sort de son immeuble précédé de choupinette qui tire sur sa laisse, c'est un pur bâtard tout petit avec un nœud vert accroché au collier. Carole descend les trois marches et prend à gauche de la rue principale tout en parlant avec sa petite chienne qui se contente de tirer tout ce qu'elle peut comme si la laisse allait céder sous la traction. Carole n'est pas une femme au foyer, c'est une femme qui ne travaille pas, laissant ce rôle à son businessman de mari. Carole à des gens de maison pour s'occuper de son intérieur qui se situe au dernier niveau de son immeuble. Deux employées qu'elle traite comme des moins que rien et qui pourtant lui fond la cuisine et nettoient son appartement pendant qu'elle se rend au salon de thé, pas très loin de chez elle, prendre son petit déjeuner avec deux de ses amies : Françoise et Mireille, deux femmes de businessmen comme elle. Carole marche d'un pas apprêté mais suffisamment lent pour gêner les passants qui se rendent a leurs occupations et assez vite pour ne pas être ni la première ni surtout la dernière au rendez-vous. Carole résiste au tiraillement de sa chienne du mieux qu'elle le peut pour ne pas paraître ridicule de suivre ainsi un si petit animal. Carole n'aime pas les gens, à part ses amis et encore, elle pense que ce sont tous des assistés pas bon à grand chose. Oh ! Bien sûr il faut entretenir une certaine relation avec les dites personnes mais juste ce qu'il faut pour ne pas montrer ce qu'elle est et paraître se qu'elle pense être. Carole porte un manteau qu'elle croit être en vrai fourrure parce que son époux le lui à offert comme tel, en fait du synthétique pur jus. Carole n'aime pas les autres mais avant les autres il y a ces gens assis par terre qui quémandent quelques pièces et qui vous agressent si vous ne leurs donnez rien : les SDF. Carole frisonne rien que d'y penser et sait, elle sait très bien que sur son chemin elle va croiser l'un de ceux là. Tous les jours c'est la même chose et en plus il lui donne du Mme Carole. Comment diable connaît-il son prénom ? Mais ces gens ont les oreilles qui traînent partout où il ne faut pas. Carole le voit d'ailleurs là-bas un peu plus loin. Il l'a vue et commence à se lever pour se rendre à son niveau. Carole prépare dans sa main de la menue monnaie pour rester le moins de temps possible en contact avec cet individu.


Alphonse


Alphonse, Al pour les amis, il bat le pavé de la ville depuis trente années, par tous les temps, crise ou pas crise, covid ou pas covid. Il s'assoit sur son carton à différents endroits suivant l'heure et il tend la main prenant un air triste qu'il ne mime d'ailleurs plus tellement la misère est ancrée en lui. Les personnes qui passent devant lui donnent ou pas selon leur humeur du moment. Mais ils ne le regardent à peine, de peur que ...ça s’attrape, le sort est si facétieux. Mais il ne faut pas dire que du mal ; certains sont humain. Mr Henri par exemple, c'est un ouvrier et bien il lui achète tous les matins une baguette de pain et un croissant, il est chouette pour ça Mr Henri et toujours un p'tit mot gentil sur le temps, les actualités. Al voit les gens passer comme un fleuve qui changerait de débit suivant l'heure : plein pot le matin, c'est l'heure du taf. les passants sont pressés. Puis le flux se ralentit, ce sont les touristes, les dames qui font leurs courses ; puis il y a le rush du midi, tout le monde part manger à droite, à gauche et à toute vitesse. Vient l’après-midi qui apporte son indolence pour un peu on se tremperait les pieds dans l'eau mais il n'y a pas d'eau. Par contre le soleil est bien là qui vous frappe la tête comme avec un marteau. Pour finir vient la nuit. Al se trouve un coin de porte ou une cage d'escalier et s'installe dans le froid et la noirceur. Seul. Il a froid, tellement froid qu'il le ressent au plus profond de ses vieux os qui craquent et coincent comme une vieille machine de jadis, les rouages de son corps sont grippés. Il sent la fin mais elle vient lentement, à petit pas, pour faire durer le plaisir sans doute. Mais pour l'instant il est sur l'avenue et il voit au loin Mme Carole, il aime bien la faire chier la bourgeoise avec son clebs, il en fait des tonnes. Il se délecte du moment qu'il va lui faire passer, il se frotte les mains de jubilation, un des rares plaisirs de la journée.


Carole+Alphonse


Carole ralentissait, inconsciemment, au fur et à mesure que la distance entre elle et Al diminuait. Ce qui eut pour résultat de voir Carole stopper sa marche juste devant Al. Sans aucun calcul de part et d'autre. Al vit le moment propice pour attaquer : «  B'jour M'dame Carole ! Beau temps aujourd'hui, hein ? Vous auriez bien qu'eque p'tites pièces dans l'fond d'vote poche, non ? ». Carole devint livide parce qu'elle avait ouvert la main qui tenait les pièces, les laissant se disperser dans le fond de sa poche, au milieu des tickets de caisses. Il lui fallait maintenant regrouper toutes ces rondelles afin de les donner au SDF, qui occupait la largeur du trottoir lui et son caddie plein de vilaines choses puantes, et l'empêchait de passer. Elle essaya de l'éviter : «  Écoutez mon brave monsieur aujourd'hui je n'ai rien mais demain, promis, je me rattraperai » C'était une manière qui en valait d'autres sauf qu'elle ne convaincu pas le moins du monde Al et sa sagacité :  « Oh ! M' dame Carole, faites un petit effort c'est maintenant qu' j'ai faim, moi. Bientôt l'heure de manger un p'tit casse-croûte. R'gardez dans v'ote sac, suis certain qu'y a un p'tit qu'eque chose pour moi ». Carole de plus en plus paniquée renonça au contenu de sa poche et ouvrit son sac en cuir et plongea sa main pour prendre son porte monnaies. Al sembla le moment opurtum de férer sa proie et d'ajouter :  «  Voyez qu'on peut toujours faire un truc, on est entre gens bien s'pas ? ». Carole frisant l'hystérie appuya trop fort sur son sac et le regarda choir sur le trottoir éparpillant son contenu. Elle se baissa aussitôt pour réparer les dégâts et Al voulut lui donner un coup de main mais s'en était trop pour Carole qui prit dans son porte monnaie un billet de dix et le donna à Al en lui disant : « Et maintenant s'il vous plaît laissez moi tranquille, retournez sur votre carton et laissez moi ramasser tout ça ». Al se releva illico et recula comme s'il se trouvait devant un policier :  « Faut pas vous mettre dans tout vos états ni la rate au court bouillon, y'a pas mort d'homme. Bon, bein j'vous laisse alors, grand merci et bonne journée. Je r'tourne sur mon carton comme vous avez dit ».
Carole poursuivait le ramassage de ses affaires sans s'occuper du SDF et craignant pour le reste de la journée au vue de son commencement.


Henri+Carole+Alphonse

Carole tout à son rangement, et pourquoi l'aurait-elle fait, ne prit pas la peine de lever la tête. Ce qu'Henri n'avait pas prévu et il le regretta par la suite, était de suivre la descente de sa pince. Pince qui, quelques secondes plus tôt se trouvait en haut de l'immeuble, termina sa chute sur la tête de Carole qui, sous les yeux ébahis de Al, s'écroula sur le trottoir, morte sur le coup, d'un concours de circonstance et d'un manque certain de chance. Il y eut bien un attroupement au cri de Carole mais il était trop tard : une flaque de sang baignait maintenant ses cheveux et son cœur n'émettait aucun battement. Est-ce à dire que la générosité ne paie pas ou que l'imprudence est mère de tous les accidents? Toujours est-il que l'histoire fit trois lignes dans les colonnes faits divers des journaux du lendemain.

Nathafi
avatar 21/10/2023 @ 09:46:33

Ah oui, pas de chance ! Je n'ai pas vu arriver la chute, bravo !
Dis donc Carole est bien antipathique, pour rester poli :-)

Le déroulé de ton histoire est bien amené, c'est original.

Par contre pour les trois lignes dans les faits divers, dans la vraie vie je pense que les responsabilités seraient recherchées. Et c'est François qui trinquerait le plus, sûrement, architecte, maître d'oeuvre peut-être et responsable par conséquent de ce fait.

Tistou 30/10/2023 @ 01:32:59
J'aime bien cette forme de récit, polyphonique. Ca me rappelle un exercice d'ampleur réalisé dans le passé "Bohain", où chacun avait la voix d'un personnage différent pour, in fine, raconter une histoire.
Bon, je l'ai vu tomber la pince, je ne savais juste pas à qui elle était destinée ; le chien ? Carole ? Al ?
C'est finalement Carole qui remporte le gros lot, félicitations !
Gros effort de rédaction et surtout de corrections de ta part, bravo !
Le sort mériterait indéniablement davantage de lecteurs. De lecteurs-commentateurs.

Spirit
avatar 05/11/2023 @ 15:53:04
Merci à tous les deux pour vos commentaires!. Une bise en plus pour Nath

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