Magicite
avatar 12/10/2023 @ 22:39:49
Cela commença exactement comme cela finit. Une longue journée de travail dans le vaste hangar et ses grappes de postes éclairés au néons blanc. Il y avait une liste de noms, des prospects et des valeurs ajoutées mais pour l’essentiel c’était de l’ennui et pire que tout de l’ennui qui doit feindre l’enthousiasme. Heureusement tout se faisait en vocal sauf cas particulier et seule la voix devait avoir l’air enjouée et enjôleuse. Pour le reste tout tournait autour du temps comme disait l’un des slogans de la boîte. Il y a une œuvre monumentale au milieu des bureaux en open space représentant le modèle YXZ 80, la fameuse montre à cadran rouge iconique de la marque Roxle trônant sur la sculpture de son bracelet cranté de rectangles épais en guise d’assise. Immense elle inclue un mécanisme indiquant de la petite aiguille les recettes validées et de la grande les objectifs. Tout le monde pouvait la voir en levant les yeux de l’écran et voir que le temps c’est de l’argent, chacun faisait attention à ne pas être en retard.
C’est en rentrant chez lui qu’il passa un sale moment.
Tout d’abord il faisait sombre et sa main droite était poisseuse sans qu’il se rappelle comment ni quoi en était responsable. Ensuite il cherchait ses clés et la lumière était basse, sa porte d’entrée solidement fermée. Les vapeurs d’alcool qui embrumait son esprit et sa vision n’aidait pas mais expliquent peut-être pourquoi sa main est poisseuse. Il fouilla l’intérieur de ses poches mais pas de clé et seul résultat le textile intérieur devint collant et gras à son tour.
_’Beu buh bon bé’ marmonna t-il promptement pour lui même ce qui se traduit en langage plus civilisé par: ‘Où bien ai je puis mettre mes clés si elle ne sont pas dans mes poches, il faudrait que je retrace mon trajet depuis mes premiers pas.’
Parfois la pensée est concise.
Il y avait aussi cette sacoche qui contenait quelques feuilles de ses documents du boulot aussi. Bien qu’après une fouille fastidieuse et plus longue que prévue il n’y avait pas de clé de la porte d’entrée. Les fermetures à zip se révélèrent de plus rudes défis qu’il ne peut en apparaître.

Alors après être sortis du pub on était allé...
En sortant du boulot on avait décidé d’aller au pub, peut-être pour manger mais surtout pour boire.
Visiblement cela avait bien été le cas.
Puis on était aller prendre l’apéro chez quelqu’un. Il y avait des poutres au plafond et d’autres gens qui arrivaient à rester debout. Le canapé sentait un peu le chien et le rhum des Antilles. Où alors c’était moi qui sentait le rhum.
Monologua t-il intérieurement en l’espace d’un éclair éthylique.

Mais oui et après on avait vu rentrer en brouette en passant devant le magasin d‘outillage sauf que quelqu’un avait crié qu’on avait pas les clés pour démarrer la brouette.
Nonobstant le froid plus moite que gênant surtout en étant imbibé c’est de rentrer, peut-être se désinfecter la bouche et se doucher et s’allonger dans son lit qui l’attirait le plus.
Mais pour cela il devait retrouver le chemin de ses clés et des idées où regarder.
Il y avait cette stridence de chant d’insecte dans un coin de sa tête qui disait ‘bin mince alors, pas de veine.’
En passant devant le bois il inspecta le sol, forant et forçant des yeux pour déchiffrer l’ombre hasardeuse à la recherche de son précieux sésame.
Il se rappelle dans l’autre sens avoir sautiller en arrivant au pont et virevolter comme une ballerine à la joie d’être bientôt arrivé. Maintenant il a envie de cracher des insanités sur le monde pour curer sa frustration. Sa hâte, désespoir et hargne le dessaoulent partiellement et il inspecte où il pense ses traces penché comme un gorille les bras ballants et le dos voûté.
Que nenni.
Mais s’il continue et que ses clés ont sautés de sa poche ici? Là bas? Sous le rebord du pont?

Magicite
avatar 12/10/2023 @ 22:40:19
Il se s’incline au bord du pont en se penchant sur la loi de Murphy. Tout ce qui peut tourner mal peut tourner mal, les objets perdus sont toujours dans les recoins les plus improbables et si on doit tester 10 fils pour trouver le bon ce sera toujours le dernière testé.
L’eau bruisse bruyamment, les feuilles des arbres du bois immobiles rendent l’obscurité encore plus noire en pochoir céleste.
Et c’est sombre sur le bord, encore un peu en se penchant sur la pointe des pieds il peut voir si un objet métallique et brillant..
et
Pouf
Il tombe, dérape tandis que son corps rote sur un axe improbable, sa tête heurte le parapet et l’entraîne comme dans un drap de velours de nuit sous le pont.

‘srevne ud rocéd’ est gravé au dessus de sa tête dans un linteau de pierre.
Les effets de l’alcool semblent totalement dissipés. Par contre il a l’impression d’être en pleine gueule de bois tellement sa nuque le tire et ses yeux semblent vouloir tomber de leurs orbites, métaphoriquement.
L’endroit où il est est assez étrange. Comme un noir et blanc tout autour de lui est en nuance de gris. Bon c’est la nuit et l’éclairage pas fameux surtout sous ce ...pont.
Au dessus de la voûte de pierre coule la rivière.
Normalement les rivières ne flottent pas dans le ciel au dessus de la tête même avec un gros mal de crâne. Seul élément n’ayant pas un éclat noir, gris ou blanc uniquement l’eau semblait irisée et irréelle. Le petit monsieur ventru porte un complet élégant noir et blanc et le fixe.
Son visage poudré et sa moustache en forme de M (ou peut-être de W) lui donne une allure fantastique que ne dément pas un haut de forme gonflé comme un soufflet sorti du four. Son badge, en lettres sérigraphiées noires sur blanc, indique ‘Lucien à votre Service’.
Il faisait tout à fait chaud dans la pièce. Le noir des marbres du sol et le blanc des pierres de tailles des murs sales de gris semblait comme un fond de poêle à frire chauffé.
Haha. Le personnage distingué en complet anachronique s’approcha de son oreille et lui souffla quelques mots. Et un jour éclatant éclata. Une poussière blanche explosa tandis qu’il s’éclate sur des sacs de plâtre entassés sous le pont.

Le reste de la nuit il pensa boire. Il y avait des lumières floutées et dansantes comme des mirages.
Il se rendit partout suivant chacun de ses pas à rebours, ante-chronologiquement.
Puis l’heure avançant et ses chaussures lui endolorissait les pas.
Il était couvert de plâtre et l’eau du ruisseau avait séché en lui donnant une apparence entre une momie de carnaval et un clochard en costume de ville.
Quand il réussit à rentrer par dessus la taule du hangar il trouva les lieux silencieux et vides. La lumière des néons n’était pas encore allumée et le bruit qui l’alerta était celui de ses pas renversant un bureau et une chaise sur son passage claudiquant. Puis une alarme qui se déclencha. Dans la demi pénombre du jour se levant il se renversa sur la chaise à son poste matricule 78954.
L’ordinateur ronronna de ses ventilateurs tandis que les écrans s’illuminaient conjointement.
Posé à côté de sa souris l’unique clé enclenchant sa serrure.

Il y avait une liste de noms, des prospects et des valeurs ajoutées mais pour l’essentiel c’était de l’ennui et pire que tout de l’ennui qui doit feindre l’enthousiasme. Heureusement tout se faisait en vocal sauf cas particulier et seule la voix devait avoir l’air enjouée et enjôleuse.

Spirit
avatar 13/10/2023 @ 07:37:28
He bein ! tu en fait voir à ton personnage, quand ça part mal ça part mal.
J'aime bien tu fait bien ressentir les affres de ton héros, ce n'est pas les jours qui sont roses.
Très bien et tu écrit une bonne longueur, c'était pas évident.

Lobe
avatar 13/10/2023 @ 16:59:23
Il est pas passé loin de son dernier jour, ton (anti)héros ! Ça faisait longtemps que je n'avais pas lu un de tes textes, il y a toujours cet univers où le bas le haut se mêlent, les pensées s'emberlificotent, la brume du cerveau fait monter des sensations peu communes. C'est toujours un voyage, cette fois entre deux mondes.

Cyclo
avatar 13/10/2023 @ 18:57:17
Belle suite d'une cuite qui me rappelle un peu la nuit blanche que j'avais passée dehors à errer après minuit quand j'avais dix-neuf ans. Au début je croyais qu'on allait être dans de la science-fiction !

Cyclo
avatar 13/10/2023 @ 19:00:12
Et c'est plutôt du fantastique !

Nathafi
avatar 13/10/2023 @ 22:32:01

Aïe, bobo la tête ton gars !
L'angoisse quand tu ne sais plus ce que tu as fait de ta soirée, la sensation de planer, voire d'être à bord d'un bateau avec les inconvénients qui suivent...
Magicite et ses univers, pour le coup celui-ci je l'ai compris :-)
Et je trouve ton écriture plus limpide et moins chargée qu'avant, plus aisément compréhensible.

Tistou 14/10/2023 @ 02:49:32
Alors moi je ne bois que du jus d'orange et de l'eau. C'est dire que la sensation d'ivresse m'est passablement étrangère (encore que... quand j'assiste en direct à bel essai, là, juste devant ma tribune ... (c'est du rugby, ne cherchez pas !)).
Oui, du fantastique. Et encore une fois pas gai gai. (on n'a pas idée de boire tant non plus !)
Par contre on prend du plaisir à lire cette histoire des plus improbables et qui m'évoque les centres d'appel qui me harcèlent régulièrement et auxquels je ne prends plus la peine de répondre. Ben s'ils sont comme ça, en même temps, m'étonne pas que je les envoie bouler ! Z'ont qu'à moins boire !
Oui j'y ai pris plaisir et la longueur de ton texte dans le court laps de temps imparti est impressionnant. Je note que tu as toujours des soucis ponctuels de concordance des temps. J'ai sursauté 2 3 fois. Sinon ...

Pieronnelle

avatar 15/10/2023 @ 12:07:40
Belle description de moments de la vie qui vous la pourrissent cette vie, comme la perte ou l"oubli de clés...mais ,ce n'est pas le pire !
Intrigant ce mélange de réalisme et de fantastique ! Au fur et à mesure que je lisais je me demandais bien pourquoi le tout début dans ce hangar par rapport au reste , mais il revient à la fin pour essayer de donner une explication ! ...qu'on ne peut saisir puisque il a été précèdé d'un délire fantastique....Du coup ça fait un mélange déconcertant et attirant, j'ai adoré certains passages :
"Son visage poudré et sa moustache en forme de M (ou peut-être de W) lui donne une allure fantastique que ne dément pas un haut de forme gonflé comme un soufflet sorti du four. Son badge, en lettres sérigraphiées noires sur blanc, indique ‘Lucien à votre Service’.
Du Alice au pays des merveilles! :')
Belles sensations dans l'inquiétude, et le plongeon sous le pont (bien différent de celui de Cyclo!) une belle trouvaille pour se retrouver dans l'Autre monde, pas le définitif heureusement...
Oui une écriture plus claire mais un monde toujours aussi déjanté :-)

Magicite
avatar 16/10/2023 @ 11:17:34
Merci de vos lectures.

La partie "fantastique"(ou plutôt le coup à la tête?) j'aurais du la virer parce que je n'ai pas pu développer où je voulais en venir.
C'était dans l'idée de base d'inclure une discussion avec Lucien(inspiré ici de Lux ferre un personnage des fables abrahamiques) sur le "pari" du mathématicien, philosophe et apologéte chrétien Pascal.
Mais bon l'élision est une bonne technique pour laisser à chacun voir ce qu'il veut voir et par manque de temps...c'est devenu un chuchotement mystérieux dans l'oreille.

Belle suite d'une cuite qui me rappelle un peu la nuit blanche que j'avais passée dehors à errer après minuit quand j'avais dix-neuf ans. Au début je croyais qu'on allait être dans de la science-fiction !

Intéressant que tu ais vu de la S-F. Le temps est une des clés que j'ai utilisé, dans une boucle et ma phrase/contrainte était pas si ingénue parce que j'avais une idée en tête avant de rejoindre l'exo ce soir là, chose que j'évite d'habitude pour garder la spontanéité.
Inconsciemment en décrivant la montre géante je pensait à Brazil de Terry Gillian ou plutôt aux machines bizarres de sa contre utopie totalitaire industrielle.
Mais c'est le film de Martin Scorcese After Hours qui donne la trame du récit, l'histoire des péripéties et rencontres hautes en couleurs d'un informaticien dans les quartiers populaires de New York et qui au bout de la nuit finit couvert de plâtre et par retourner à son boulot pour commencer une journée de travail.

Pour le reste c'est évidemment une réflexion sur l'aliénation du travail(et sa vacuité dans certains postes) en opposition à la désinhibition et une certaine joie que procure l'alcool. Une expérience à dormir devant mon boulot de sondage téléphonique n'y est peut-être pas étrangère, c'est horrible d'être déranger par le démarchage téléphonique(sondage = souvent publicité déguisé ou statistiques bidonnées pour le parti des Lepen, en tout cas dans la boîte où j'étais) mais encore plus horrible d'être la personne qui le fait.
Pas appuyé par manque de temps tout comme l'élision du reste de la soirée jusqu'au petit matin où je prévoyait un quiproquo avec un tueur en série à la hache suivie par une poursuite cocasse avec des policiers. Peut-être je compléterait un jour, maintenant que je n'écris pas ou quasiment pas (je lit beaucoup plus par contre) je suis bien heureux des Exos poussé par notre maître de cérémonie volontaire + Spirit.
J'ai retrouvé moi aussi ma clé 2 jours après être rentré par la fenêtre à 4h du mat ;)

Magicite
avatar 16/10/2023 @ 11:32:17
La concordance des temps foireuse passé/présent/imparfait est un de mes marottes qui est devenue erreur au fil du temps. Ici c'est plus ou moins voulu pour maltraiter le repère temporel(décaler certains passages pour les mettre hors du temps) même si c'est sur une base cyclique comme l'évoque les aiguilles de la montre mais avec plus de relectures que la seule rapide pour finir à +10min j'ai déjà corrigé un peu ça.
Je comprends que ça puisse choquer.

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