Nathafi
avatar 12/10/2023 @ 22:36:11
Cela commença exactement comme cela finit…

C’était par un beau jour d’été, Lucien se promenait dans les rues de Paris, il essayait ses nouvelles chaussures… des Italiennes, que sa mère lui avait offertes pour ses vingt-cinq ans. Il faut dire qu’il en était fier, avec le costume que son oncle Emilio lui avait donné, après l’avoir peu porté, il battait pavé fièrement, le buste droit, la tête haute. Un sourire se dessinait sur son visage, il allait revoir bientôt Clara, son amie de toujours. On dit de toujours, mais c’était sans compter les années qui les avaient séparés, quand Clara était partie suivre ses études à Paris, il y a sept ans. Ils s’étaient écrit souvent, au début, et téléphoné beaucoup. Elle lui parlait de l’Université, des copines, des copains, de ses amoureux. Lui n’avait pas grand-chose à raconter, dans son petit village de Toscane, il ne se passait pas grand-chose. Il n’osait pas lui dire combien elle lui manquait, mais c’était cela pourtant, il avait ressenti un gros pincement au coeur quand il l’avait accompagnée à la gare pour son départ, et quelques larmes lui avaient mouillé les yeux quand le train s’était éloigné.

Il fit un geste de la main devant ses yeux, chassant ces images douloureuses.

Il avait pensé qu’elle reviendrait de temps en temps au village saluer ses parents, sa famille, ses amis. Mais non, elle était presque devenue parisienne et appréciait la vie mondaine. Quand elle voulait s’évader un peu, elle partait avec des amis à Deauville, Trouville, Granville, tous ces endroits qu’il n’avait jamais vus. Peut-être l’y emmènerait-elle lors de son séjour en France ?
Les lettres et les coups de fil s’étaient espacés, de plus en plus. La dernière lettre qu’il avait envoyée était restée sans réponse, et après plusieurs messages laissés sur son répondeur, il avait baissé les bras. Résigné, il avait pensé l’oublier, c’était la meilleure solution. Mais elle revenait toujours par les interstices de sa mémoire, il s’en voulait mais ne pouvait lutter.
Deux mois auparavant, il était allé chez les parents de Clara pour leur demander de ses nouvelles. Sa mère lui avait donné son numéro de portable et lui avait proposé de l’appeler. Longtemps il avait tenu le papier dans sa main… Et il avait enfin osé lui envoyer un message. Il fallait bien faire le premier pas !!!
Elle l’avait rappelé en soirée, semblait heureuse de l’entendre, et avait poussé des cris de joie quand il lui avait annoncé qu’il viendrait bientôt passer quelques jours à Paris. A son arrivée, Clara lui avait donné rendez-vous sur le Pont Alexandre III dès le lendemain, à midi.
C’est ainsi qu’il avançait tranquillement, mais commençait à regretter de s’être ainsi accoutré, la température montait, et l’air ambiant devenait étouffant. Il n’imaginait pas une telle chaleur à Paris !
Il pensait à ce qu’il lui dirait, en la voyant. La serrerait-il dans ses bras ? Non, il n’oserait pas, sa légendaire timidité prendrait le pas. Mais pourtant, il fallait qu’il s’engaillardisse, sinon…
Sinon elle ne saurait toujours pas ce qu’il avait au fond du coeur depuis toutes ces années, et elle le quitterait à nouveau, comme il y a sept ans, d’un petit signe de la main.
Lucien – de son vrai prénom Luciano – avait pressé le pas, se rendant compte que l’heure approchait et que le Pont était encore loin. A flâner dans la ville, avec son esprit qui gambadait, il prenait le risque de louper le rendez-vous !

Les dorures du Pont majestueux l’éblouirent bientôt. Il était 11h50, plus que quelques enjambées et il emprunterait le monument, assez long du reste. Son regard se perdait, les nombreux touristes l’empêchaient d’apercevoir Clara de loin. Il avançait gauchement, jetait un oeil à droite, puis à gauche, puis se sentait perdu… Il aurait du lui demander de quel côté la rejoindre. Il fut pris bientôt d’un malaise, le sol se dérobait sous ses pieds, la sensation de tomber lui fit perdre ses moyens et des touristes l’empêchèrent de chuter. Reprenant son souffle, l’air hagard, il répétait « Clara » sans arrêt.
Une dame l’aida à retirer sa veste et lui tendit une bouteille d’eau, un attroupement s’était formé autour du jeune homme.

Il était déjà 12h30. Point de Clara à l’horizon. Après avoir remercié les passants qui l’avaient aidé, il reprit la traversée du Pont, en aller-retour, deux fois, puis trois… Mais elle n’était pas là. Il l’appela, en vain, et ses messages restèrent sans réponse.

Humilié, il repartit à l’hôtel, maudissant son costume, ses chaussures italiennes et Paris tout entière. La colère lui montait, il s’en voulait tant d’avoir cru rattraper le temps perdu. Que ferait une fille comme Clara avec un pauvre type comme lui ? De jurons en insultes, il boucla sa valise et quitta l’hôtel, en quête du premier avion vers l’Italie, pour enfin rejoindre son village.
Dans le taxi qui l’emmenait à l’aéroport, Lucien vit soudain sur son portable un appel de Clara. Il ne répondit pas.

Spirit
avatar 13/10/2023 @ 08:01:14
Triste histoire d'amour, très bien rendu. On se sent solidaire du héros et en même temps on se dit que l'on aurait peut être pas agie comme lui, peut être pas mais...
J'aime beaucoup ton texte

Lobe
avatar 13/10/2023 @ 11:00:17
Oh non, je ne m'attendais pas à ce dénouement qui fait un nœud au ventre ! Joie du texte : y trouver le verbe "s'engaillardir". C'est drôle, j'ai cru longtemps que c'était un texte du XXème siècle, sans doute l'effet des lettres et des coups de fil. Est-ce que l'effet était voulu ? En tout cas, c'est le signe pour Lucien de tourner la page, et d'aller vers le réel plutôt que les fantasmagories. C'est normal que ça lui fasse un coup de chaud !

Cyclo
avatar 13/10/2023 @ 20:17:41
A la recherche du temps perdu et des amours de jeunesse, on ne gagne pas toujours, il est vrai (cf le beau film de Yolande Moreau qui vient de sortir hier, et qui a été applaudi dans la salle où j'étais, ce qui est assez rare au cinéma).
Moi, j'ai plutôt été du genre dans mes amours juvéniles à rompre le premier, et j'en suis pas très fier. Mais ici l'histoire de Luciano m'a profondément ému, et j'ose espérer qu"il a répondu au second coup de téléphone de Clara ! J'écris l'histoire dans ma tête, car à mon âge, j'ai acquis le droit d'être fleur bleue !

Radetsky 13/10/2023 @ 20:53:26
Ça me tord mes boyaux d'ours. Mauvais souvenirs...
Mais je m'y croyais Nath, fortiche !

Pieronnelle

avatar 14/10/2023 @ 00:45:55
Donner rendez-vous sur un pont, surtout à Paris, c'est trés romantique...elle a eu tout faux cette Clara...quoique, il y a bien eu un appel...mais si on suit bien la première phrase , vu que l'histoire amoureuse n'avait pas commencée elle ne pouvait que finir de la même façon ! Dommage que tu aies eté prisonnière de cette phrase car on les voyait bien se retrouver ces deux là ! :-)
Jolie histoire triste bien racontée...

Tistou 14/10/2023 @ 02:24:51
Troisième texte que je lis, après Spirit et Cyclo, et troisième coup de blues. L'actualité mondiale ne vous réussit pas mes gaillards (euh gaillardes aussi !) !
C'est assez visuel, on suit bien le cheminement et le processus de pensée de Lucien. Jusqu'au coup de pied de l'âne final. Tendance radical le gars. Mais il a peut-être raison. Cela dit, la Clara c'était peut-être simplement qu'elle est incapable de respecter un horaire ? J'en connais des comme ça. Ah mais non, je viens de relire et de comprendre qu'il avait cherché à la joindre ...
Bon ben ... aller simple pour la Toscane. C'est joli la Toscane ...

Magicite
avatar 14/10/2023 @ 23:09:45
J'ai bien aimé surtout la fin qui donne tout son sens parce que le reste était un peu moux mais la fin géniale.
Une belle illustration de la "cristallisation amoureuse" attribué à Flaubert quue de nombreuses personnes ont pu connaître.
Après ça prouve bien que la communication entre les sexes pose parfois un probléme que les téléphones portables ne résolvent pas.
Un vaste sujet et j'aime bien ce prisme que tu prends pour ce le théme du naïf confronté à la réalité. Avec son flou "artitique" qui laisse à chacun le soin de faire son avis magnifié par l'opposition province/capitale:
Quoi Clara lui aurait posé un lapin? Trop occupée pour lui répondre et pour elle ce n'était pas un rencard? etc...
On n'a que les pensées de Lucien dont forcément il en manque un bout.

Une chose est sûre pour moi: se faire habiller par maman et tonton et pas la meilleure idée pour tomber l'élue de son coeur.
Elle est là aussi l'oppositon d'un passé rétrograde pour les relations amoureuses face à la libération des moeurs progressistes.
Et si comme pour Lucien et Clara la réponse n'était dans aucun de ces deux absolus, faux tout les deux car ne permettat pas les nuances comme connaître l'autre plus que l'idéaliser a contrario si on perds la partie idéalisation totalement l'amour me paraît est bien fade...
Vaste sujet et un beau texte doux amer comme l'est souvent la réalité face à nos espérances et à prioris.

Nathafi
avatar 15/10/2023 @ 20:47:00
Oh non, je ne m'attendais pas à ce dénouement qui fait un nœud au ventre ! Joie du texte : y trouver le verbe "s'engaillardir". C'est drôle, j'ai cru longtemps que c'était un texte du XXème siècle, sans doute l'effet des lettres et des coups de fil. Est-ce que l'effet était voulu ? En tout cas, c'est le signe pour Lucien de tourner la page, et d'aller vers le réel plutôt que les fantasmagories. C'est normal que ça lui fasse un coup de chaud !


Pas d'effet vol, c'est ven naturellement :-)
Et "s'engaillardir" convenait tout à fait à ce pauvre Lucien un peu gauche !

Merci pour vos commentaires,j 'avais craint que ce texte ne soit un peu trop fleur bleue pour vous, mais il vous a touché(e)s et/ou rappelé des souvenirs !


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