Tistou 25/01/2019 @ 22:41:26
Jimmy tournait et retournait l’enveloppe barrée d’un monumental « Destinataire inconnu à l’adresse indiquée » écrit à l’encre rouge que venait de lui remettre la factrice. Ses espoirs venaient de se prendre une claque, c’était son échec marqué au fer rouge.
Il s’assit sur une souche au bord du chemin – chemin ? sentier plutôt - qui menait aux prés. Réfléchir. Ne dit-on pas que quinze ans est l’âge de raison ? C’était bien pour ça, pour cette raison, qu’il l’avait écrite cette lettre. C'est vrai, en réalité il n'avait pas tout à fait quinze ans. Plutôt douze. Mais il se trouvait plutôt mûr pour son âge et il prétendait facilement avoir quinze ans.
Bien sûr, il avait d’abord envisagé se rendre en personne là-bas, à Lorette, comme l’indiquait le drapeau porté en tête de leur cortège ; « Compagnie des majorettes de Lorette ». Il avait un bon coup de pédale et son vélo était opérationnel, mais Lorette ça ne lui disait rien. Non, vraiment il ne voyait pas où ça pouvait se trouver.
Cette lettre, c’était pour déclarer son amitié profonde et désintéressée – même s’il avait un doute sur les termes « amitié » et « désintéressée » - à cette majorette devant laquelle il était resté foudroyé quand il l’avait vu défiler l’autre semaine, devant son collège, dans la rue pavoisée pour la commémoration du Saint local.
Elle était … spéciale. Pourquoi n’avait-il vu qu’elle parmi toutes celles qui, comme elle, levaient les genoux en cadence faisant tournoyer un bâton. Ce n’était pas le costume qui la distinguait. Elles portaient tous le même. Ce n’était pas sa taille, elles avaient toutes une taille similaire. Ce n’était pas une dextérité particulière. Au grand désespoir des spectateurs aucune n’avait fait tomber son bâton (c’est pour les majorettes comme pour les dompteurs, jamais ceux-là ne se font bouffer par leurs fauves. Et pourtant … on va bien au cirque, non ?).
Non, non, il n’y avait rien de particulier. Et pourtant c’était elle qu’il avait vu. Elle et pas les autres.
Si, il y avait bien, quand même, ses cheveux. Un incendie fait majorette. Une tignasse d’un roux flamboyant sous le képi à visière kitchissime. C’est bien d’ailleurs ce qui lui avait permis d’expédier la lettre …
Les ombres des nuages passaient au ralenti, devant lui. Plus loin, au bout du sentier, dans le grand pré en pente, juste avant que la forêt plante ses premiers chênes, les vaches meuglaient. Sans illusion, sans conviction. Elles espéraient manifestement qu’il était venu pour remplir la veille baignoire émaillée qui servait d’abreuvoir. C’était l’heure d’ailleurs.
Les coudes sur les genoux, tête baissée, il comatait. La lettre était tenue du bout des doigts mais, fugace, le parfum dont il avait imprégné la lettre montait jusqu’à lui. C’est ce parfum qui lui fit couler quelques larmes. Qui tombèrent sur la lettre, sur l’adresse. Le nom « La majorette rousse » commençait à devenir indéchiffrable avec l’encre qui s’étalait de partout. Seul le reste de l’adresse : Compagnie des majorettes de Lorette, à Lorette, restait lisible …

Magicite
avatar 26/01/2019 @ 19:06:56
Lorette... il me semble que ça existe bien (je ne sait pas non plus où ça peut se trouver), ville, village ou lieu dit. Un lieu que tu connais Tistou? Et cette majorette? C'est appréciable le soucis que tu mets dans les détails même si l'histoire peut paraître simplette je suis rentré dedans : Compagnie des majorettes de Lorette, à Lorette, la majorette rousse. On imagine la tête du facteur et les émois de Jimmy facilement.
Bravo pour les détails, j'adore "... jamais ceux-là ne se font bouffer par leurs fauves. Et pourtant … on va bien au cirque, non ?)." entre autres.

Cyclo
avatar 27/01/2019 @ 08:55:14
"c'était elle qu'il avait vue. Elle et pas les autres", comme le Mathias de mon histoire. Drôle comme les idées semblables arrivent (réminiscence de la rencontre Tony / Maria au bal dans "West side story" ? En tout cas, c'est à ça que j'ai pensé)...
C'est vrai que le costume des majorettes est kitchissime ! Et l'idée du parfum venant du garçon qui imprégnait la lettre, alors qu'en général on associe l'idée du parfum aux filles ! Et le nom mis sur l'enveloppe ("laBelles idées et joliment mises en scène ! majorette rousse") qui explique le "Destinataire inconnu à cette adresse" dès le début de l'histoire, alors que nous l'avons presque tous mi vers la fin...

SpaceCadet
avatar 27/01/2019 @ 11:57:45
Lorette... si l'on se fie à Wiki, ça serait soit dans la Loire, soit au Manitoba (Canada)... M'est avis qu'on serait plutôt dans la Loire... ;-)

On retrouve ici cette qualité visuelle que j'apprécie chez Tistou. Voici un texte qui m'a semblé mettre en relief une certaine gaucherie et surtout une innocence sur le point de basculer dans... l'âge de raison... Le tout servi non sans un brin d'humour (le traitement de la contrainte 'amitié désintéressée' m'a fait sourire en tout cas!) et de légèreté. On peut penser que Jimmy s'en remettra...

Pieronnelle

avatar 28/01/2019 @ 15:22:12
Beaucoup d'humour, j'ai bien ri surtout avec le "Au grand désespoir des spectateurs aucune n’avait fait tomber son bâton (c’est pour les majorettes comme pour les dompteurs, jamais ceux-là ne se font bouffer par leurs fauves. Et pourtant … on va bien au cirque, non ?)." !
Oui coup de foudre à la West side story comme le souligne Cyclo, la tignasse incendie , c'est tellement visuel !
Mais là où je me suis bien amusée c'est avec les vaches :"Sans illusion, sans conviction. Elles espéraient manifestement qu’il était venu pour remplir la veille baignoire émaillée qui servait d’abreuvoir" ; la tête ailleurs le garçon, plein de nostalgie voire de désespoir puisque les larmes en viennent à effacer le nom et l'adresse inscrits sur la lettre, pff...mon avis est qu'il aurait dû utiliser le vélo-coptère de notre ami Magicite, ç'aurait été plus sûr pour trouver Lorette, juste à côté de la Maison de pain d'épices...
Un moment de gaité ! Pas de refus par les temps qui courrent !

Nathafi
avatar 29/01/2019 @ 20:22:32
Ton texte m'interpelle sur le choix que nous faisons de LA personne, parmi toutes c'est celle qu'il a choisie, hélas pour lui le fluide n'est pas passé. Un petit texte amusant, léger et frais, qui t'a permis d'inclure des contraintes un peu "étriquées", il est vrai que les pistes étaient réduites, mais c'est le jeu !
Bon voyage Tistou !

Fd
avatar 30/01/2019 @ 09:59:13
Les contraintes moins contrastées ont rendu nos textes plus finement écrits et au fond tout aussi intéressant que celui de Tistou. Que d'imagination ; "Une tignasse..., et les "vaches" c'est rigolo. Je pourrais en citer bien d'autres, preuve de l'intérêt porté. C'est super ces exos !

Lobe
avatar 07/02/2019 @ 16:15:50
Quand on voit le nombre de lettres adressé au bon endroit, au bon destinataire, qui nous reviennent dans les mains, ce n'est guère étonnant que cette tentative naïve et enthousiaste ne porte pas ses fruits...

Oui, c'est malin de désamorcer dès le début cette contrainte pesante (j'aurais pu mieux la choisir tout de même, mais c'est que... eh bien, bigre, elle était sur ma table, cette enveloppe Destinataire inconnu à l'adresse indiquée!!!). Moi je suis sure que les hormones vont faire qu'il va se ressaisir, ton larron. Qu'il va trouver un guide de la région et chercher bien attentivement où se trouve ce Lorette, qui le mènera par ricochet à sa... Laurette?

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