Eric Eliès
avatar 19/08/2017 @ 23:04:41
Je ne regarde jamais la chaîne Numéro 23 mais en zappant d'une chaîne à l'autre j'ai eu la surprise de tomber ce soir sur un excellent reportage consacré aux pièces de Molière, dont l'écriture doit visiblement beaucoup à Pierre Corneille. Le documentaire est orienté car, tout en donnant aussi la parole à la partie opposée, le réalisateur est clairement convaincu que Corneille a - au minimum - fortement contribué à la rédaction des grandes pièces de Molière. J'ai trouvé que les arguments, de diverses natures (biographies comparées des deux hommes, études des textes, commentaires des contemporains, etc.), étaient plutôt convaincants. Etant un grand amateur de l'œuvre de Pierre Louÿs (auteur génial iconoclaste mais un peu déjanté sur certains aspects) qui fut le premier à jeter le pavé dans la mare, j'avais déjà entendu cette hypothèse mais je ne savais pas qu'elle avait été récemment reprise par des universitaires qui considèrent que les preuves sont désormais suffisantes pour l'affirmer de manière catégorique. En tout cas, pour plusieurs universitaires qui ont mené l'étude comparée des textes, il n'y a aucun doute pour 19 pièces !

Feint

avatar 20/08/2017 @ 01:45:24
Si je me souviens bien il y a une pièce (j'ai oublié laquelle, pas une des plus célèbres) pour laquelle Corneille aurait été sollicité pour la transcription en vers (ce qui n'est pas grand-chose à une époque où tout les gens un peu cultivés savent versifier). Je n'ai pas vu l'émission mais cette rumeur récurrente m'a toujours fait penser au monstre du Loch-Ness. Ce qui vaudrait une étude, c'est ce qui pousse à l'imagination de ces controverses (les cas sont nombreux et variés : Shakespeare évidemment, dont la controverse sert de modèle à celle sur Molière, mais aussi Louise Labé, les Lettres portugaises, évidemment Homère, et plus près de nous même Anne Frank). C'est aussi révélateur du caractère essentiel que revêt la paternité de l'oeuvre aux yeux du public, alors même que ça devrait une question peut-être pas secondaire mais tout au moins annexe.

Eric Eliès
avatar 20/08/2017 @ 08:37:51
Je suis d'accord avec ta conclusion : l'œuvre elle-même importe plus que la paternité de l'œuvre. Cela dit, il y a des auteurs (même décédés) que j'apprécie ou admire, en tant que personnes et en tant qu'hommes tout simplement, au-delà de leurs œuvres, et il ne m'est pas indifférent de connaître les difficultés qu'ils ont rencontrées et, d'une manière générale, ce qui définissait leur rapport au monde. Concernant la polémique Corneille/Molière, c'est par rapport à Pierre Louÿs et par rapport à la "légende nationale" qu'elle m'intéresse le plus :
* Je suis entré (via Robert Fleury, avec qui j'ai même échangé il y a de nombreuses années) dans le détail de la biographie de Louÿs, que je trouve à la fois génial (sensibilité poétique, puissance intellectuelle, humour féroce et iconoclaste, etc.) et odieux (obsédé sexuel, homophobe radical, etc.), et il ne m'est pas indifférent de savoir s'il a eu raison seul contre tous. A l'époque, on ne lui a pas fait de cadeau... Il avait déjà mystifié les universitaires en leur faisant gober que les chansons de Bilitis étaient authentiquement antiques ; l'affaire Molière n'a pas arrangé son cas auprès d'eux !
* La pièce dont tu parles, où la collaboration avec Corneille est avérée, est "Psyché" car elle résulte d'une demande de Louis XIV qui avait demandé à Molière de produire une pièce dans un délai intenable. Cette pièce, évoquée dans le reportage, est la seule attestant officiellement l'implication de Corneille. Néanmoins, toujours d'après le reportage diffusé hier, Molière n'était pas tenu, jusqu'au 18ème siècle, comme un écrivain. Il était connu comme acteur, directeur de théâtre, metteur en scène et aussi homme d'affaires. Ce serait à la Révolution et au 19ème siècle qu'un mythe Molière (un peu comme un mythe Jeanne d'Arc) aurait été forgé pour mettre en avant le génie d'hommes issus du peuple. A ce titre, il ne m'est pas non plus indifférent de savoir si nous sommes captifs d'images et de légendes forgées sur mesure pour idéaliser le grand roman national... L'affaire Molière/Corneille ne serait pas, en ce cas, une controverse mais une sorte de démystification. D'après les universitaires qui ont mené des études intertextuelles via informatique, les faisceaux de concordance entre certaines pièces de Corneille et certaines pièces de Molière prouveraient indubitablement que l'auteur est unique. Comme il est certain que Molière n'a pas écrit les pièces de Corneille, ils en déduisent que c'est bien Corneille qui a écrit ces pièces... Il ne s'agirait donc pas, comme le disent les biographes de Molière, de réminiscences (Molière jouait des pièces de Corneille et les connaissait très bien !).

Saint Jean-Baptiste 20/08/2017 @ 11:28:08
. C'est aussi révélateur du caractère essentiel que revêt la paternité de l'oeuvre aux yeux du public, alors même que ça devrait une question peut-être pas secondaire mais tout au moins annexe.

Je suis aussi d’accord avec cette conclusion mais c’est quand même intéressant de savoir.
(Ça ne concerne évidemment pas le plagiat qui lui, est absolument condamnable.)
Il paraît qu’on peut mettre un texte sur ordinateur et déceler qui a écrit quoi. Par exemple, les discours de De Gaulle étaient écrits par Malraux mais quand il improvisait, l’ordinateur le voit immédiatement.

Eric Eliès
avatar 20/08/2017 @ 12:12:16
. Il paraît qu’on peut mettre un texte sur ordinateur et déceler qui a écrit quoi. Par exemple, les discours de De Gaulle étaient écrits par Malraux mais quand il improvisait, l’ordinateur le voit immédiatement.


C'est ce que disent les universitaires qui ont mené informatiquement l'étude comparée des textes de Corneille et de Molière, en superposant les textes pour définir un niveau de similitude (longueur des phrases, récurrence des mots, maniérismes d'écriture, etc.). Après je ne sais pas la confiance qu'on peut accorder à une étude informatique (il faudrait connaître les taux d'incertitude liés aux paramètres de comparaison...)

Feint

avatar 20/08/2017 @ 16:28:40
J'ai énormément de mal à croire à ces arguments statistiques. Je me suis déjà amusé à en faire par occurrence de mots et même de lettres pour mes propres livres : à les en croire il est évident que mes livres n'ont pas été écrits par le même auteur.
Et puis quand on connaît un peu les deux auteurs, et notamment les comédies de Corneille, ça paraît encore plus saugrenu (autant Marivaux est héritier de Corneille, autant il ne l'est pas de Molière).
Je ne crois pas du tout que cette thèse soit généralement admise par les universitaires, je crois que c'était Forestier que j'entendais sur France Culture il y a un mois ou deux ; il n'y croit pas un instant.

Eric Eliès
avatar 20/08/2017 @ 18:01:59
Je suis allé voir sur internet ce que disaient les universitaires et écrivains invités à s'exprimer dans le documentaire que j'ai regardé hier. J'ignorais à quel point la dite "affaire" déchaîne les passions !!! C'en est presque risible et il y aurait de quoi faire un remake des précieuses ridicules à partir des arguments échangés ! C'est chaud bouillant et j'ai dû arrêter de peur de cramer mon ordi... En tout cas, il y en a un bon paquet qui devraient prendre une douche froide !!! Je ne sais pas si les chercheurs universitaires ont une fâcheuse tendance à s'enfermer dans leur monde et à faire monter en sauce des polémiques qui ne devraient dépasser la simple discussion d'experts mais on a l'impression que les grands auteurs sont des idoles placés sur un piédestal dont les universitaires sont les gardiens et les dévots, chacun dans son camp...

Concernant M. Forestier, que tu cites, on trouve sur internet certains propos qui lui sont prêtés. Je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est de la diffamation mais s'il a vraiment déclaré en 2007 que « se demander si Corneille n’a pas écrit les pièces de Molière revient à se demander si les chambres à gaz ont bien existé ! C’est du révisionnisme ! », je ne sais pas quel crédit on peut apporter à ce genre de parti-pris... En tout cas, il est effectivement clair qu'il n'y croit pas !!!

Feint

avatar 20/08/2017 @ 18:57:35
Il ne faut pas perdre de vue que ce genre de thèse n'est pas inutile dans une carrière universitaire, c'est aussi pour ça que j'ai toujours eu du mal prendre pour argent comptant ces scoops. J'ai eu parmi mes professeurs celui qui a "trouvé" l'auteur des Lettres portugaises, et celle qui a "prouvé" l'inexistence de Louise Labé. Je n'ai pas d'avis arrêté sur ces cas-là mais il est clair que pour la carrière, c'est bien.
Concernant la controverse Molière-Corneille, j'ai l'impression que ce n'est que la transposition en France de l'affaire Shakespeare, qui nous manquait (j'ai beaucoup de mal aussi à croire que les pièces de Shakespeare ne soit pas de lui, en fait).

Eric Eliès
avatar 20/08/2017 @ 19:30:42
Oui mais dans ce cas-là l'affaire a été lancée par Pierre Louÿs, qui était hors du système universitaire, et n'avait rien à gagner dans cette controverse (sauf éventuellement le plaisir de foutre la pagaille, ce dont il était bien capable... et, en ce cas, ça a bien marché !!!). En tout cas, il n'a jamais cherché la reconnaissance des notables du système et sa connaissance immense de la littérature classique alliée à une puissance de travail et une perspicacité sidérantes (cf. par exemple le décryptage des manuscrits Legrand) m'incitent à le prendre au sérieux (même s'il est bien sûr pas infaillible)

Clé des songes 07/09/2017 @ 10:30:46
Bonjour à toutes et tous,


personnellement, je crois qu'on aime bien créer des polémiques, peut-être pour mettre un peu de piment dans des études tranquilles -D, je serais plutôt de l'avis de George Forestier, même si je ne suis qu'une modeste lectrice; En tout cas, pour ceux que le sujet intéresse, on peut trouver ce site pour faire un peu le point sur la question :

http://moliere-corneille.paris-sorbonne.fr/index.p…

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