Minoritaire

avatar 12/07/2017 @ 23:54:55
Annemie ralluma son portable en sortant de sa séance. Derechef, celui-ci entonna « La flute enchantée », musique qu’elle avait exclusivement attribuée aux appels de son amoureux, Simon.
« - Annemie, enfin, tu décroches !
- J’étais en…
- Je sais ! Il faut que tu viennes tout de suite aux fouilles !
- Mais ? Il est cinq heures. Le temps que j’arrive…
- Prends un taxi ! Le directeur paiera la course.
- Tu peux m’expliquer ?
- Non, sauf que c’est la chance de notre vie. Viens ! »

Jamais Annemie n’avait connu Simon si fiévreux, si excité. Ils échangèrent encore deux ou trois mots, mais elle sentait bien qu’il se retenait de lui raccrocher au nez. Ce fut donc elle qui rompit la communication par un « Je t’aime ; j’arrive aussi vite que possible » avant de se mettre en quête d’un taxi prêt à une course de 70 km.

Le chantier de fouilles où travaillait Simon avait été ouvert quelques mois auparavant ; un site gallo-romain avait émergé sous le soc d’un tracteur, et l’agriculteur gaumais n’avait pas été dur à convaincre de louer sa parcelle pour le temps estimé des recherches. Le directeur des fouilles ayant été son professeur, il avait immédiatement pensé à Simon pour l’assister. Aux yeux de tous, le jeune chercheur en archéologie était promis à un brillant avenir. Pour celui-ci, c’était son premier « vrai » travail, sur le terrain, avec la possibilité de découvertes importantes. Il apprenait à diriger et coordonner les équipes de bénévoles, il traçait les plans, répertoriait les trouvailles. Il ne ménageait ni son temps ni son énergie, au point qu’Annemie lui reprocha un jour de la laisser seules avec ses nausées.

Elle l’eut quand même rien que pour elle pendant trois jours en août grâce à une insolation qui l’avait cloué au lit, grelotant de fièvre : le soleil est lourd au corps de celui qui travaille en plein air. Mais en dehors de ça, même les samedis et dimanches étaient consacrés à la rédaction de ses rapports. Elle se consolait en mettant ses congés à profit pour augmenter ses présences au sein de l’orchestre amateur où elle tenait une des flûtes

Le site avait mis au jour les fondations d’une villa, avec ses multiples dépendances : fermes, ateliers, lieux de séjour… De nombreuses pièces de céramique et de métal avaient été soigneusement exhumées. Rien de révolutionnaire dans tout cela, alors qu’est-ce qui justifiait une telle excitation de la part de Simon ? pensa Annemie, alors que le taxi abordait l’autoroute. Et que venait-elle faire elle, dans cette histoire ? « En quoi la paléontologie peut-elle bien être utile sur un site gallo-romain ? ».

Tout de même, elle était curieuse. Elle avait essayé de rappeler Simon, mais il ne répondait pas. La curiosité la gagnait. « Vous ne pourriez pas aller plus vite, s’il vous plait ? » demanda-t-elle au chauffeur, mais celui-ci était déjà à 120. il se contenta de maugréer : « le GPS indique que vous serez arrivée dans 27 minutes. » Elle écoutait la réponse de ce satellite lointain quand elle sentit au plus profond d’elle-même des coups qu’elle reconnut comme un signal impérieux : le temps était compté. « Je ne sais pas s’il va pouvoir attendre 27 minutes » fit-elle. Sa mère lui avait souvent raconté – et d’autant plus depuis qu’elle était enceinte- comment son propre accouchement s’était passé « comme une lettre à la poste. Tu verras, je suis sûre que tu ne le sentiras pas passer »
« Maman ! Si tu avais pu te passer de jouer les bons augures ! »

« -Si vous ne voulez pas que je salisse votre taxi, il va falloir accélérer ! »
Un coup d’oeil dans le rétro convainquit le chauffeur que sa passagère ne plaisantait pas, et il appuya sur la pédale, négligeant les alarmes qui signalaient son « comportement inadéquat », comme disait l’ordinateur de bord. « Vous roulez à 155 km/h, veuillez ralentir. » « La ferme ! » répondit-il. Il l’aurait volontiers déconnecté, mais il avait besoin de lui pour le conduire à bon port. En quittant l’autoroute, il restait 14 km de routes campagnardes à rouler. Ils furent expédiés en 10 minutes pendant que l’ordinateur débitait ses leçons de morale et qu’Annemie s’efforçait de garder la porte fermée. Elle pensait que le chantier disposait d’une infirmerie bien équipée. Il fallait espérer que la toubib serait encore là. Entre deux contractions, elle guida le chauffeur à travers les tentes et le fit s’arrêter devant le dispensaire.

Dans le soir tombant, il freina sec et sorti en criant à l’urgence. Aussitôt, Annemie fut prise en charge par la doctoresse et transportée sur un lit. Simon arriva quelques secondes plus tard, quelques seconde avant cet invité surprise, arrivé « comme une lettre par la poste » sans même que les « poussez, poussez, poussez… Expirez » qu’Annemie avait si bien répétés ces dernières semaines eussent été de la moindre utilité.

« - C’était quoi, cette urgence ? » demanda-t-elle à Simon ?

Minoritaire

avatar 13/07/2017 @ 01:04:07
Une suite en guise de fin. Meilleure ?


.../...
Simon béait devant le spectacle qui lui était offert. Son regard allait d’Annemie au bébé qui reposait sur son ventre. C’est à peine s’il avait vu le ventre de sa compagne s’arrondir au cours de ces derniers mois et il se sentit soudain coupable et pris d’une peur rétrospective d’avoir failli manquer l’accouchement. La main d’Annemie se tendit vers lui, mais les siennes étaient encombrée d’une grosse boite en carton.
« - C’était quoi, cette urgence ? » répéta-t-elle.
Simon sortit un objet de sa boite. Il souffla : « Tu reconnais ça ? », il approcha l'objet du lit afin qu’elle pût l’observer de près. Annemie toucha, fit tourner ce qu’elle avait identifié comme une dent et murmura : « Mammut americanum... »
« - Vous n’avez pas trouvé ça sur le chantier, c’est impossible ! C’est… Je veux voir l’endroit ! »
Elle fit mine de se lever, mais son mouvement réveilla le bébé qui se rappela à eux; qui les rappela à la réalité : « Non, ça peut attendre » firent-ils d’une même voix. La camionnette de l'association les conduisit à la maternité, en roulant doucement.
Oui, les éléphants préhistoriques et les villas gallo-romaines attendraient bien un peu.

Pieronnelle

avatar 13/07/2017 @ 12:00:58
Une vraie histoire ! Et une vraie naissance...et une dent d'éléphant dans un site gallo-romain !:-) l'imagination était débridée ce soir ! Tout se tient bien et je comprends le besoin de prolonger...tu as gardé la main Mino !

Pieronnelle

avatar 13/07/2017 @ 12:04:03
Ah et puis Annemie c'est un prénom que je n'ai entendu qu''en Belgique ! :-)

Lobe
avatar 13/07/2017 @ 14:44:27
J'aime bien la première fin, parce que la référence à la paléontologie (et le personnage manquant) suggère déjà la chute. J'aime bien le fait qu'à l'accouchement symbolique d'un chercheur sur le terrain (qui trouve une dent qui aidera sa compagne) se double la mise au monde réel d'un petit bébé d'homme... Qui sait, la suite de l'histoire dira peut-être que c'était une dent de lait de mammouthon?

Ravie de savoir qu'Annemie est un vrai prénom, je me suis donc fourvoyée en lisant "Anémie" tout le texte... oupsi!

Minoritaire

avatar 14/07/2017 @ 12:09:33
Annemie est un prénom assez courant dans la communauté flamande. Il faut, pour l'apprécier, mettre l'accent tonique sur le A. :-)

La deuxième fin vient de mon besoin obsessionnel de logique: il fallait que cet appel urgent du début eût une raison d'être. Et puis, je voulais placer toutes les contraintes, dont l'éléphant. :-)

Darius
avatar 17/07/2017 @ 13:43:35
J'ai bien aimé les conversations du début... j'ai toujours du mal à inventer un dialogue... mais partir ainsi en taxi juste sur le point d'accoucher, çà je ne ferai jamais... et en plus insister pour accélérer, encore moins... mais je suis une trouillarde... :-(

Et le papa Simon, il est bien inconscient de ne pas avoir remarqué le ventre de sa compagne qui grossissait...

mais bon il fallait bien pouvoir les placer ces contraintes.. :-) un éléphant çà aurait été plus simple qu'un heureux événement... mais je crois que perso, j'aurai imaginé un autre événement heureux, mais apparemment tout le monde s'est imaginé "une naissance d'enfant"...

Bravo en tout cas pour avoir relevé le défi..

Tistou 17/07/2017 @ 16:57:04
Heureux évènement, c'est ... heureux évènement, quoi ! Y'a pas de doute.

Gonflé quand même le Simon de faire venir en express sa dulcinée dans cet état. Gonflé ! (bon, en même temps, laisser accoucher la sienne au milieu des lianes et des ruines d'Angkor ... c'est vrai que ...)
Mais tu voudrais nous faire croire qu'on peut exhumer une dent de lait de mammouthon sur un site de fouilles gallo-romain ? Ben voyons, tu n'as pas peur des failles temporelles, toi, Minoritaire !

Bon, sinon, jolie histoire et information sur l'existence du prénom d'Annemie. Moi aussi je lisais Anémie !! Comme quoi ...

Ce n'était pas si pénible ou dificile que ça, apparemment Minoritaire ? Allez, on va dire que tu es rentré dans le circuit !!

" « Non, ça peut attendre » firent-ils d’une même voix." Le bon sens près de chez vous ...

Minoritaire

avatar 17/07/2017 @ 20:20:01
Bah ! On disait que le petit bout était un peu prématuré. :-D
Et question subsidiaire : à partir de combien de semaines de grossesse devient-il déraisonnable de prendre un taxi pour visiter un chantier de fouilles ? :-)

@ Darius, "l'heureux événement" est une contrainte liée à la défection-surprise de Sissi sur l'exercice pour cause -précisément- d'heureux événement.

Cyclo
avatar 25/07/2017 @ 18:57:28
Formidable suspense, presque angoissant. Un accouchement, comme dans mon histoire.
Et j'ai pensé à la naissance de ma fille en 1986 qui est arrivée... comme une lettre à la poste. J'ai à peine eu le temps de voir qu'elle a jailli comme une fusée ! J'en étais ébahi, en pensant au long et laborieux accouchement de mon fils quatre ans auparavant.
Et on ne sait toujours pas pourquoi il fallait qu'elle vienne si vite, sauf pour accoucher et peut-être faire accoucher son mari de sa découverte...

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