Tistou 19/04/2017 @ 22:41:40
… Bang ! … Le choc nous fit sursauter. Il s’ensuivit un grondement assourdi, répercuté par les parois, et lentement un sérac du petit glacier qui surplombait ce petit lac de montagne tout rond, s’ébranla, se coucha à l’horizontal et plongea dans le lac, provoquant des remous somme toute limités. Quelques vaguelettes vinrent s’échouer à nos pieds, donnant l’impression que la peau du lac tremblait, de froid probablement, fissurant allègrement les hautes parois environnantes qui se reflétaient dans les eaux.

Je connaissais mal le lieu, mais il m’avait été recommandé comme un but peu fréquenté et particulièrement saisissant. Saisissant, il l’était. Les sommets de 2 500 à 3 000 mètres qui enchâssaient ce petit lac de fonte de glacier ne permettaient pas au soleil d’éclairer longtemps les eaux émeraude du petit bijou. Guère plus que deux heures avant et après le zénith. Et le glacier qui le surplombait directement, vers le sud, donnait l’impression d’un gros morceau de sucre prêt à tomber dans un diabolo menthe. Stupide ! Qui rajouterait du sucre à un diabolo menthe ?!

Le vieux se tenait devant moi, il pleurait, mais son visage avait l’air de rire. Il faut dire qu’il n’avait pas chaussé de lunettes de soleil et la réverbération intense de la glace, face à nous, conjuguée à cet air vif qui nous fouettait le visage et nous refroidissait à grande vitesse, justifiaient amplement ses larmes rares qui roulaient sur les rides creusées. C’est lui qui m’avait guidé jusqu’ici et manifestement la beauté du site, pour lui, c’était comme la première fois …

Si on le veut on peut réussir sa vie, d’une façon ou d’une autre … (qui est-ce qui m’avait mis cette phrase dans la tête, la veille ? et pourquoi ?) Manifestement le bloc de glace ne réussissait pas la sienne. Déjà il était englobé, incorporé dans les eaux glacées, et seule une faible épaisseur de sa face la plus grande, qui flottait, émergeait. L’essentiel était caché, flottant entre deux eaux. Mon compagnon le fixait, impassible. Un nuage passait devant le soleil faisant courir lentement une tâche noire sur la surface émeraude. Justement la tâche atteignait la rupture de surface et mettait comme un coup de projecteur sur ce bloc de glace qui reprenait une teinte blanche, tranchant sur l’eau brusquement devenue noire …

« Quand même, il aurait pu faire un effort … » souffla le vieux au visage ridé, le visage tourné vers les eaux. Je le regardais interloqué. Et compris qu’il parlait du sérac tombé du glacier et devenu vulgaire glaçon. Même pas fichu d’émerger de manière visible. Allongé qu’il était dans l’eau, il avait perdu noblesse et existence. Il n’avait pas fait l’effort.
Il finit par se tourner vers moi et nous nous sourîmes. Un frisson nous prit. Le soleil venait de passer derrière un 3 000 et c’en était fini de la lumière dorée pour la journée. C’en était fini, le petit miracle du lac émeraude était terminé pour aujourd’hui et la redescente nous attendait …

SpaceCadet
avatar 20/04/2017 @ 07:48:20
On assiste ici à un moment, un court moment je crois et c'est l'ambiance qui prend les devants de la scène. En accord avec le contenu, les aspects visuels et sensoriels sont particulièrement soignés. Les sons (il y en avait dans ton dernier texte aussi) passent très bien et ajoutent au ressenti que l'on a des lieux. Je relève ces deux images qui m'ont plu: '...donnant l'impression que la peau du lac tremblait...'; '...l'impression d'un morceau de sucre prêt à tomber dans le diabolo menthe...'. Bref, question ambiance, description des lieux, ça fonctionne bien.

Le personnage du vieux est bien amené, sa présence est presque plus sentie que celle du narrateur. Quelques remarques personnelles de la part de ce narrateur auraient peut-être donné plus de poids à l'expérience qu'il décrit.




Cyclo
avatar 20/04/2017 @ 11:06:11
C'est sec, clair et net, sans fioritures. Faire d'un sérac un héros, fallait y penser ! Et d'un petit vieux un guide, pourquoi pas ? Quand j'ai participé aux 100 km de Millau en 1978, il y avait dans les participants un certain Marcel Ichac, alors âgé de 72 ans, alpiniste et cinéaste dont le docu "Les étoiles de midi" avaient enthousiasmé l'ado que je fus vers la fin des années 50;;;
petit problème d'orthographe : La "tâche" ne serait pas La "tache", par hasard ?

Pieronnelle

avatar 20/04/2017 @ 11:39:04
On sent que l'homme (Tistou là) est un connaisseur de ces montagnes...!
Extrêmement bien construit ce texte et plein de sensations très ressenties à partir d'un court instant, celui de la chute d'un petit sérac qui apparemment aurait mal «réussi sa vie» :-) Pas si sûr ! N'est-ce pas son destin ,et surtout n'est-ce pas de l'eau avant tout ?
Belle introduction du vieil homme qui pleurait tout en riant, le rire étant la grimace liée à la réverbération...En plus plein de jolies choses comme le lac qui tremble de froid, le sérac qui n'a pas fait un effort (quelle trouvaille!).
Belle réussite, qui coule, comme le sérac au fond du lac...
Et bien heureusement que je l'avais choisi ce lac :-)

Tistou 20/04/2017 @ 19:25:05
" La "tâche" ne serait pas La "tache", par hasard ?"

Ben oui tiens ! Je vais le copier X fois !

N...ajat

avatar 21/04/2017 @ 12:42:07
Toujours fidèle à toi même, tu fais comme d'habitude dans la dentelle. ;-)
Ranimer un sérac tout en nous offrant une véritable immersion avec un gout de menthe sous la langue, alors là bravo !
Dans ton texte, les phrases imposées étaient essentielles et représentent un socle à ton écrit. Le personnage du vieux reflétait bien la rudesse des lieux et a donné une force supplémentaire à ton récit.
Merci pour cette petite escapade à la montagne.
Mission accomplie, comme d'habitude.
Merci de m'avoir accordé la première dance :)

Nathafi
avatar 22/04/2017 @ 10:23:10

J'aime beaucoup quand on prête vie à un objet, une chose... Là c'est très réussi, belle idée que tu as eue là Tistou, et sans difficulté apparente tu cases les cinq phrases de manière cohérente. Il me semble qu'il est plus simple de jouer avec les phrases qu'avec d'autres contraintes, non ? Ou alors celles-ci n'étaient pas assez loufoques pour apporter de la difficulté :-)

Lobe
avatar 23/04/2017 @ 20:44:10
Sérac, mot inconnu au bataillon (à mon bataillon je veux dire!) jusqu'alors. Donc: très belle observation que celle d'un sérac en chute (en chute, j'ai dit, en chute). Toujours de la précision dans la description, une belle manière de dresser le cadre. Un sport différent de d'habitude, l'alpinisme. Différent le sport, mais pas la façon de nous y amener: des mots bien choisis, bien sentis. Juste peut-être l'adjectif "petit" un chouïa trop répété dans les deux premiers paragraphes. Ou alors tu voulais vraiment suggérer que c'est un vraiment un diabolo menthe, ce lac?!? Enfin, on sait que ce type de redondance est sutout issue d'une histoire de timing serré, parce que timing respecté!

L’essentiel était caché, flottant entre deux eaux.


Belle morale, je la fais mienne ce soir. Et troubles, les eaux.

Aparté: il y a une très belle exposition sur la montagne dans la BD au (très chouette) Musée de l'Ancien Évêché de Grenoble, jusqu'au 30 avril. Si tu ne l'as pas encore faite, je te la recommande...

Tistou 24/04/2017 @ 11:12:28
Sérac, mot inconnu au bataillon (à mon bataillon je veux dire!) jusqu'alors. Donc: très belle observation que celle d'un sérac en chute (en chute, j'ai dit, en chute). Toujours de la précision dans la description, une belle manière de dresser le cadre. Un sport différent de d'habitude, l'alpinisme. Différent le sport, mais pas la façon de nous y amener: des mots bien choisis, bien sentis. Juste peut-être l'adjectif "petit" un chouïa trop répété dans les deux premiers paragraphes. Ou alors tu voulais vraiment suggérer que c'est un vraiment un diabolo menthe, ce lac?!? Enfin, on sait que ce type de redondance est sutout issue d'une histoire de timing serré, parce que timing respecté!

L’essentiel était caché, flottant entre deux eaux.



Belle morale, je la fais mienne ce soir. Et troubles, les eaux.

Aparté: il y a une très belle exposition sur la montagne dans la BD au (très chouette) Musée de l'Ancien Évêché de Grenoble, jusqu'au 30 avril. Si tu ne l'as pas encore faite, je te la recommande...

Une Montpelliéraine qui doit m'indiquer une expo à Grenoble ! Mais où va-t-on .? Où va-t-on ??
Non, pas vue. Il me reste 6 jours mais le plus probable est que je ne la verrai pas ; en vadrouille dans la semaine, parti le week-end ...

Tu ne connaissais pas le mot "sérac" ? Je le croyais plutôt banal ...

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