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Forums  :  Vos écrits  :  Laos. Luang Prabang

Tistou 13/09/2014 @ 14:31:34
Des coups sourds, réguliers, d’une basse profonde, nous saisissent du fond de notre sommeil encore fragile, décalage horaire oblige. Le réveil avait été réglé pour 5h45. Pourtant un coup d’œil laborieux à ma montre n’indique que 4h. Et les coups, encore et encore, à fréquence régulière. Non, décidément, ce n’est pas un mauvais rêve. Un coin de rideau soulevé montre que c’est encore la nuit, une nuit laotienne. Mais ces coups proviennent indéniablement du Wat Sene Soukharam, un des innombrables temples bouddhistes de Luang Prabang. Le Wat Sene Soukharam fait face à notre chambre. Nous finirons par comprendre que c’est l’énorme tambour suspendu qui est frappé par les moines et que ce serait comme le signal du repas, ou du réveil, pour les moines bouddhistes et les novices.
Mauvais réveil, difficile ré-endormissement, sentiment confus de situation non maîtrisée.
5h45, réveil, l’officiel. Les moines vont se mettre en branle et défiler à la queue leu leu – et des moines et des temples, il y en a pléthore ici, dans cette capitale du Nord Laos – pour le Tak Bat, l’aumône des moines. Moines et novices, en robe safran, vont remonter la rue principale du vieux quartier de Luang Prabang, la rue Sisavang Vong, et, sébile à la main, recueillir l’offrande alimentaire des fidèles (d’ailleurs, dans l’esprit, davantage un service rendu aux dits fidèles - l’occasion de donner à manger à des hommes pieux comme d’autres, en leur temps, ont pu donner à manger à Bouddha – qu’une véritable quête alimentaire), une offrande de riz le plus souvent.
5h50, habillé en automate, les yeux encore tirés vers le bas, je jette un œil par la fenêtre. Dans le silence le plus complet, des cohortes de moines, les uns derrière les autres, pieds nus, cheminent devant des fidèles assis, à genoux ou accroupis, qui versent à chaque passage une poignée de riz (le riz gluant, sticky rice, si populaire au Laos) dans leur sébile. Tout juste le moine ralentit-il. Il y a quelque chose d’indéfinissable à ce spectacle silencieux dans la petite aube encore naissante qui fait songer à une version de cinéma muet en noir et gris. La rue est déserte, toutes échoppes closes. Seuls les fidèles, à terre, devant lesquels passent en file indienne ces hommes, jeunes hommes, moins jeunes, même des enfants, tous vêtus de la tunique safranée, crâne rasé et sébile à la main, qui semblent indifférents, notamment aux touristes, parsemés le long de la rue.
Dehors la chaleur nous saisit. Le décalage encore, thermique cette fois-ci, pas vraiment assumé. Toujours pas de bruit, et cette avancée, régulière, inexorable, des hommes en safran qui s’en vont gagner progressivement leurs temples respectifs. Et les gestes répétitifs, de femmes pour la plupart, puisant dans la réserve de riz, contre elles, et déposant une poignée dans chaque sébile.
Dans cet air déjà chaud d’une aube pas franchement décidée, je suis tétanisé et ne sais quoi faire de mon appareil photo. S’approcher, certains le font, je le sens comme un sacrilège en quelque sorte … De toutes façons la lumière est trop blafarde, surtout pour ces silhouettes en mouvement continu. Ils défilent, regroupés temple par temple probablement. Ce sont plusieurs centaines de moines/novices qui vont passer devant nous, comme dans un rêve qu’on ne saurait maîtriser. Ceux qui ont une épaule découverte sont les novices. Ils représentent indéniablement la majorité, 90% peut-être. Les plus jeunes sont réellement de tout jeunes garçons. Leur crâne rasé, le dénuement de leur tenue, la dignité avec laquelle ils cheminent, regard fixé devant, incite au respect.
Déjà ils sont tous passés. Ils ont dû entamer le Tak Bat significativement avant 6h. Les fidèles se redressent, époussettent leurs vêtements. Des touristes parmi eux, qui s’étaient joint aux donateurs, achetant le riz pour l’aumône à quelques marchandes venues spécialement malgré les mises en garde distribuées par tracts pour tenter d’éviter un détournement purement touristique de cette cérémonie. Il y est écrit :
« Observez en silence et ne faites cette offrande que si elle correspond pour vous à une démarche religieuse personnelle que vous êtes capable de pratiquer avec dignité. »
Il est vrai qu’un touriste, laotien par exemple, qui viendrait se planter devant l’autel en pleine messe et voudrait participer à la communion ferait désordre ! Les marchandes venues profiter de cette aubaine sont particulièrement pointées du doigt.
Ca y est, ils ont tous tourné le coin de la rue. La vie semble reprendre un cours qui aurait été suspendu. On se surprend à reparler normalement, à s’ébrouer. Il y a comme un sentiment de vacuité maintenant que les moines ont diparu.
Demain, demain j’irai plus tôt …

Magicite
avatar 13/09/2014 @ 16:25:18
Hé bien, ça donne envie tout ça.

Joli dépaysement, voyage et carte postale d'un pays qui sait rester en marge.
Comme un photo reporter, un journaliste de voyage tu sait nous montrer plus que l'image arrété d'un cliché instantané, tu nous montre le sillon de ton doigt sur la surface liquide d'un autre continent, d'un autre pays, d'un autre monde.

Et si la réussite n'était pas que d'avoir un gros P.I.B., beaucoup d'industrie et des grands immeubles.
On m'a dit que les montagnes du Laos sont hautes, cela incite probablement à l'humilité et rends impossible de faire des gratte-ciels qui seraient ridicules de toutes façons face aux sommets alentour.

Et si les paysans et les campagnards(ces hurluberlus qui font tâche pour l'empire et sa suprématie de consumérisme) respectent et entretiennent leur particularité, leur culture, leur dignité mieux que les masses broyées par des états infantilisant et dirigés par de cupides et bornés seigneurs de l'économie et du progrès factice de l'abêtissement individuel au profit du profit et d'une fringale de posséder...

Enfin je m'égare et rêve du Laos, de l'odeur un peu rance d'un pied qui transpire de son riz de montagne gluant, des sourires d'inconnus et de leur vie d'habits et d'échanges colorés.

Lobe
avatar 13/09/2014 @ 17:50:47
Après le Laos jaune, les novices safranés. Harmonie du pays. Et bien, j'ai été encore plus sensible à cette atmosphère de tout petit jour aperçu depuis les brumes du sommeil, de cette procession pas guindée, pas à pas. Rituel vénérable.

Demain, demain j'irai plus tôt...

Tu y es allé?

Joueur25 15/09/2014 @ 02:40:25
Un detail : les moines laotiens sont reveilles a 5h du matin et non a 4h comme tu l`ecris plus haut.
Il y a 10000 fois plus de details sur le Laos et ses coutumes sur Internet.
Ecrire un texte aussi pauvre sur un pretendu sejour au Laos est tres suspicieux.
As-tu vraiment ete au Laos?
Moi, j`en doute fort.

Tistou 18/09/2014 @ 14:15:32
Hé bien, ça donne envie tout ça.

Joli dépaysement, voyage et carte postale d'un pays qui sait rester en marge.
Comme un photo reporter, un journaliste de voyage tu sait nous montrer plus que l'image arrété d'un cliché instantané, tu nous montre le sillon de ton doigt sur la surface liquide d'un autre continent, d'un autre pays, d'un autre monde.

Et si la réussite n'était pas que d'avoir un gros P.I.B., beaucoup d'industrie et des grands immeubles.
On m'a dit que les montagnes du Laos sont hautes, cela incite probablement à l'humilité et rends impossible de faire des gratte-ciels qui seraient ridicules de toutes façons face aux sommets alentour.

Et si les paysans et les campagnards(ces hurluberlus qui font tâche pour l'empire et sa suprématie de consumérisme) respectent et entretiennent leur particularité, leur culture, leur dignité mieux que les masses broyées par des états infantilisant et dirigés par de cupides et bornés seigneurs de l'économie et du progrès factice de l'abêtissement individuel au profit du profit et d'une fringale de posséder...

Enfin je m'égare et rêve du Laos, de l'odeur un peu rance d'un pied qui transpire de son riz de montagne gluant, des sourires d'inconnus et de leur vie d'habits et d'échanges colorés.

Effectivement il y a un peu de tout ça, Magicite, et je m'en rends compte davantage maintenant que j'ai repris une vie ... j'allais écrire "civile", disons d'ici.
Par contre, considérant les ouvertures diverses (du marché, du ciel, de la libre circulation) qui sont programmées dans le cadre de l'ASEAN (un peu l'équivalent en Asie du Sud-Est de notre Union Européenne), j'ai peur pour eux avec les "tigres" qui les entourent -et je pense particulièrement à la Thaïlande, au Vietnam, pour ne pas citer la Chine ... Il est possible que le mode de vie "sous-vitaminé" de nos amis laotiens ait comme un "choc de culture". Je leur souhaite de conserver toute la "zénitude" du monde mais ..., inquiet je suis.

Tistou 18/09/2014 @ 14:15:53
Après le Laos jaune, les novices safranés. Harmonie du pays. Et bien, j'ai été encore plus sensible à cette atmosphère de tout petit jour aperçu depuis les brumes du sommeil, de cette procession pas guindée, pas à pas. Rituel vénérable.

Demain, demain j'irai plus tôt...

Tu y es allé?

Pour sûr !

Tistou 18/09/2014 @ 14:16:43
Après, il y d'autre commentaire auquel on ne peut même pas répondre ...

Tanneguy 18/09/2014 @ 14:56:24
Cette évocation du Laos me touche personnellement et me rappelle particulièrement Auguste Pavie (natif de Dinan) qui a exploré longuement ce pays à la fin du XIXème siècle ainsi que Yersin, de l'équipe de Pasteur, qui a contribué à extirper de ces pays plusieurs maladies qui les ravageaient.

Pieronnelle

avatar 25/10/2014 @ 17:20:26
Moment presque magique que ce long défilé de moines....je suppose que cet instant fera partie de ceux qui te resteront toujours en mémoire , plus que les beaux paysages. Tu n'as pas pu prendre de photos et je te comprends mais la photo tu nous l'as offerte en écrits si évocateurs que l'on y est, oui, j'y étais et j'ai vraiment ressenti l'émotion teintée d'un sentiment quasi religieux dû à cette dignité et le recueillement de ces hommes qui semblent représenter la Paix, intérieure et autre peut-être...Une bien belle parenthèse au petit matin !

Tistou 27/10/2014 @ 18:19:02
Cette évocation du Laos me touche personnellement et me rappelle particulièrement Auguste Pavie (natif de Dinan) qui a exploré longuement ce pays à la fin du XIXème siècle ainsi que Yersin, de l'équipe de Pasteur, qui a contribué à extirper de ces pays plusieurs maladies qui les ravageaient.

Je n'ai pas trouvé trace d'Auguste Pavie mais à Don Kong, une des 4000 îles à l'extrême sud du Laos je logeais près de l'ancienne maison de Paul Doumer, alors administrateur colonial. Entre parenthèses, je mesure les difficultés terribles que ce devait être à l'époque que de voyager dans toute l'Indochine, de passer du Laos au Cambodge, au Vietnam. Pas simple !
Je viens de lire la biographie d'Auguste Pavie et certains noms de lieux ont résonné en moi. Autres temps ...

Tistou 27/10/2014 @ 18:21:38
Moment presque magique que ce long défilé de moines....je suppose que cet instant fera partie de ceux qui te resteront toujours en mémoire , plus que les beaux paysages. Tu n'as pas pu prendre de photos et je te comprends mais la photo tu nous l'as offerte en écrits si évocateurs que l'on y est, oui, j'y étais et j'ai vraiment ressenti l'émotion teintée d'un sentiment quasi religieux dû à cette dignité et le recueillement de ces hommes qui semblent représenter la Paix, intérieure et autre peut-être...Une bien belle parenthèse au petit matin !

En mémoire, longtemps, oui. Mais surtout ce qui domine mon souvenir maintenant, plus que quand j'étais immergé là-bas, c'est cette sérénité, cette "coolitude" du pays. Et singulièrement à Luang Prabang. Et qui contraste singulièrement avec l'atmosphère et les moeurs urbains connus à la fin du voyage à Bangkok !

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