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Forums  :  Vos écrits  :  L'ado d'Outremeuse

Catinus
avatar 14/08/2014 @ 08:37:26
Je ne sais pas si je vous ai déjà causé de l’ado d’Outremeuse.

Voici une histoire bien étrange qui m’est advenue l’année dernière. J’habite dans le quartier Sainte-Barbe qui, comme vous le savez, se situe au pied du pont Maghin. Je viens d’avoir trente, je suis célibataire et il est plus qu’évident que la vie en couple ne me convient pas du tout (c’est pas faute d’avoir essayé). Je n’ai d’ailleurs plus aucune relation quelle qu’elle soit. Je supporte difficilement de travailler plus d’un an à la même place et, de surcroît, il me faut du neuf. Ainsi, j’ai bossé au nouveau musée Curtius, à la nouvelle gare, dite Calatrava trala-la-lère aux Guillemins, à la Médiacité et a c’t’heure au néo-Valdor. J’ai une sainte horreur des bagnoles (et des vélos), aussi je fais tous mes chemins pédibus ou en bus (dont j’exècre la promiscuité- et j’suis pô l’seul). Pour les ceuses qui connaissent un peu Lîdge, chaque matin, je démarre de chez moi via les quais ( des Tanneurs, De Gaulle) > boulevard Saucy ( où je suis né) > Puits-en –Sock, > pont d’Amercoeur et rue Basse-Wez.

C’est au mois de juin que le rencontrai pour la première fois ce gosse, rue Puits-en-Sock.
« Nous nous sommes déjà vu à la mer « qu’il me dit comme ça.
Possible, j’y vais souvent le week-end ou lors de mes jours de congé quand il fait beau temps.
« Blankenberge, vous aimez marcher, seul, le long de l’eau et manger des dames blanches aux terrasses « qu’il continue le gosse ».
Bien vu !
« Et sur le train, où vous faites des sudokus, fit-il pour conclure « .
L’a pas ses yeux en poche , ce moutard.
« Je vous vois passer tous les jours. Où travaillez-vous, m’sieur « .
Au Valdor, fis-je.
« Moi, j’suis étudiant au collège Saint-Servais »
. O-ho !
« J’fais aussi du rugby « .
C’est pas un sport pour fillettes, bravo, mec !
Le lendemain, je le croise à nouveau sur le pont d’Amercoeur.
« Aïe-aïe ! J’me suis bien fait arrangé au rugby, un sale coup d’vache lors d’un mêlée. «
Il m’explique que ce n’est pas trop grave mais qu’il devrait suivre des séances de kiné. Son problème c’est que sa mère veut qu’il aille chez une cousine qui est kiné mais que lui, il sait pas la voir même en peinture.
« C’est con parce que moi j’en connais une de masseuse…. enfin de kiné, une jeune qui sait y faire mais ça coûte bonbon … ».
Ce p’tit pépère me demande si je ne saurais pas lui prêter 50 euros qu’il me rendrait à la fin de vacances vu qu’il ira bosser tout un mois au Colruyt. « Faut pas l’dire à ma mère surtout ! «
Bon va, je lui refile le billet.
Deux jours plus tard, rebelote : « Mon oncle m’avait promis qu’il me donnerait un peu d’la tune mais bernique ! «
Je lui demande combien elle demande la kiné.
« 150 euros pour un premier soin «. Après on verra …
Je lui donne encore 50 euros en lui faisant comprendre que ce sont les derniers. Pas de souci, qu’il me répond « Et vous tracassez pas, je devrais me faire 700 ou même 900 en août, et puis grâce à vous, je pourrais me réaligner au rugby, merci beaucoup, m’sieur, Dieu vous bénisse, Allah Akhbar qu’il dit en pouffant. »
Deux jours plus tard, rebelote : « Pas moyen de trouver les 50 roros pour faire la somme à la kiné, misère ! «
J’aime pas trop ça car, par les temps qui courent, refiler du fric à un illustre ado de 14 ans quasi inconnu, c’est plus que louche (si vous voyez ce que je veux dire …) . Mais son toupet me plaît trop.

Si je suis un vrai Liégeois ( mais pas un Principautaire), je suis également un Outre-Meusien vu que, comme dit plus haut, je suis né boulevard Saucy. Autant dire que je ne louperais les fêtes du 15 août pour tout l’or du monde. C’est lors du cortège que je tombai nez à nez avec mon rugbyman en herbe. Il voulut absolument m’offrir un verre et l’on trouva, ô miracle !, une table pour deux. A la serveuse il demanda « Un verre de bière ! «. Il me parla un peu de sa famille . Il a un frère cadet, Christian, je crois. Sa mère loue des chambres pour étudiants qui sont tous à l’unif et tous étrangers : Polonais, Russes, etc. Il me demanda où j’habitais, où j’étais né , quel était mon âge. Lui, Jojo – « appelez-moi Jojo comme le font tous mes potes « est né rue Léopold, sur la rive gauche, un 13 février. Il me faisait rire car il était déluré, ne cessait de faire des réflexions salaces sur toutes les femmes qui passaient et encore un peu, je me serais pris d’affection pour lui.
Je ne le revis plus dans le quartier. Ce n’est qu’au mois d’octobre que je commençai à m’inquiéter. Non pas pour le fric, vous vous en doutez bien, mais pour lui-même. Je menai ma petite enquête dans le voisinage et chez les commerçants.
« Jojo ? Qui est à St-Servais et qui fait du rugby ? C’est pas Jojo, son vrai prénom, c’est Georges. Ca nous change un peu de Kévin et Jonathan, mais quelle idée aussi d’aller appeler son gosse « Georges «, un peu vieillot quand même «
« Le père de Jojo ? Il travaille dans un bureau d’assurances du côté des Guillemins. C’est pas Désiré son prénom ? »
« La mère de Jojo. Oui ! Elle loue bien des chambres pour étudiant, rue de la loi . «
Je suis allé rue de la Loi , au numéro 53 . Il n’y avait pas de dame qui louait des chambres aux étudiants. Je suis allé au collège Saint-Servais : il n’y avait pas d’étudiant qui s’appelait Georges et qu’on surnommait Jojo.
Je suis allé rue de Campine au numéro où Jojo m’avait dit qu’il était allé chez une kiné pour se faire soigner des coups reçus au rugby mais pas de kiné, juste une « masseuse «, de celles qui exercent le plus vieux métier du monde …
Je suis allé à la tour de l’adminsitration communale et l’on m’a répondu qu’il y avait bien eu dans le temps une dame qui louait des chambres à des étudiants et dont le mari travaillait dans une agence d’assurances, même qu’il s’appelait Désiré, et qu’ils avaient deux enfants : Georges et Christian. Mais que cela faisait belle lurette qu’ils n’habitaient plus là…

C’est depuis lors que je lis, en boucle, tous les bouquins de Georges Simenon. Sans doute pour tenter de retrouver mon ami.


Catinus

Lobe
avatar 30/08/2014 @ 16:29:28
Ah j'aime! Déjà parce que ça me fait voyager dans un lieu qui ma foi n'est pas si loin de chez moi (même que dans mon village mosellan il y a un Colruyt!) mais dont je ne connais pas grand chose, pas même le quartier Sainte-Barbe qui se situe au pied du pont Maghin.
L'histoire est bien troussée, du vrai? Le côté dégingandé de l'écriture aussi, ça swingue.

Antinea
avatar 30/08/2014 @ 17:43:59
Chronique urbaine. ça a l'air très ancré dans une région particulière, que je ne connais pas, d'où parfois un sentiment que cela ne s'adresse pas à moi. Mais il a l'air plein de ressource cet ado, il a même un côté fantômatique. Je ne sais quoi déduire de la fin...

Joueur25 30/08/2014 @ 20:58:02
Histoire sympa assez bien raconte genre d`histoire a ne pas vous laisser ronfler assis.
Reelle ou non, le lecteur digerera l`histoire tout en forcant un sourire amuse.
Merci.

Catinus
avatar 31/08/2014 @ 23:20:21
Merci pour vos commentaires !

L'histoire demande une explication que voici :
Jojo, c'est en fait Georges Simenon, né à Liège en 1903 et où il a vécu toute son adolescence jusqu'en 1922. Donc le narrateur rencontre Georges Simenon, ado de 14 ans, dans le quartier d'Outremeuse à Liège

Joueur25 01/09/2014 @ 01:52:39
Merci pour vos commentaires !

L'histoire demande une explication que voici :
Jojo, c'est en fait Georges Simenon, né à Liège en 1903 et où il a vécu toute son adolescence jusqu'en 1922. Donc le narrateur rencontre Georges Simenon, ado de 14 ans, dans le quartier d'Outremeuse à Liège


Merci pour cette explication.
Que vient faire le Allah Akhbar? et le rugby (a verifier).
Cela dit, le texte est globalement bon. Quelques petites retouches et le voila parfait ou presque.

Tistou 04/09/2014 @ 15:43:11
Liège revient nous voir.
Et c'est avec un texte aux franges étranges. Avec ce qu'il faut de non-dit, de petites pistes jetées comme par inadvertance pour nous laisser imaginer que ..., et une fin toute en étrangeté. Après j'ai du mal aussi à rattacher Georges Simenon, et le rugby ? Tiens, Simenon a-t-il touché au rugby ? Le rugby à Liège ça doit être plutôt élitiste, je devine ?

Bon en fait, Catinus, tout indique que tu as eu affaire à un fantome. Ca n'arrive pas à tout le monde !

De manière générale j'aime bien ta façon de partir un peu tout à trac dans des détails saugrenus au sein de tes textes ...

Catinus
avatar 05/09/2014 @ 10:11:06

Tiens, Simenon a-t-il touché au rugby ? Le rugby à Liège ça doit être plutôt élitiste, je devine ?





J'imagine assez bien que si Jojo ( Simenon) vivait en 2014, il ferait du rugby...
N'est-il pas un tantinet " élitiste " not ' Georges ne fut-ce que dans les choix de ses amis : Fellini, Gide, Chaplin, des médecins ,des psys, ...

Catinus
avatar 05/09/2014 @ 10:55:51
Je m’appelle Jamal, j’ai 14 ans et j’habite rue Sainte-Marguerite à Liège avec mes parents. Nous sommes des Irakiens-Nestoriens. C’est un peu comme qui dirait des chrétiens. Nous avons fui notre pays et voici sept ans que nous vivons ici. Je suis enfant unique. Mon père travaille en ville dans un magasin de plomberie-sanitaire. Il y est ouvrier. Je lui dis : « Pourtant tu es comme qui dirait ingénieur ». « - Oui, il me répond, ingénieur mais ici il y en a des paquets, des ingénieurs, et un étranger comme moi, il est bien content de travailler comme ouvrier. Mon père il travaille beaucoup beaucoup, même souvent le samedi et pour des taches que beaucoup ne veulent plus faire, comme déboucher les cabinets ou les fosses sceptiques. Ma mère, elle, était, dans le temps, comme qui dirait institutrice mais ici y en a des tas d’institutrices et des plus malignes qu’elle. Alors, comme elle sait bien se débrouiller en français et en english, elle accompagne les femmes du quartier, nouvelles arrivantes, dans des écoles de devoir.

Je vais dans une école qui se trouve dans ma rue, c’est facile. J’adore les maths et pas trop le français et les langues. Tous mes potes sont des gosses qui viennent de l’étranger. Je vais pas te citer toutes les nationalités, on n’en finirait pas. Mon père il dit : « Tous des « pas bien vus « ou « pas bienvenus «, je ne sais plus maintenant. Nous, on s’est fou. En gros, on s’entend bien entre nous, les étrangers, les « pas biens vus « .

J’ai une grosse tête, c’est comme ça que je suis fais. Quand ils ne me connaissent pas, les gens ils me regardent drôledement. Tu connais la blague de Toto qui dit : « Maman, c’est vrai que j’ai une grosse tête ? « « -Mais non, qu’elle dit la maman. Va donc à la cave et ramène moi 10 kilos de patates, tu les mettras dans ta casquette. « Ha-ha-ha ! J’ai les cheveux courts, en brosse. La mode, à mon âge, c’est de se raser la boule à zéro. Moi j’aime pas trop. Rapport à ça, je te raconte. L’autre jour, à la piscine du Saint-Sépulcre, Zoubida m’a vu en slip et en a parlé à Yasamin qui est ma meilleure amie. Zoubida lui a dit ceci : « Jamal, il est poilu comme un ours. Et en plus, il a des poils sur le dos, c’est hôôôôrrrible ! Yasamin, dis lui de se raser et s’il est aussi poilu du sexe, hop il faut qu’il enlève tout ça. C’est trop hôôôôrrrible ! « Question hygiène, il parait. Et puis les filles n’aiment pas les poilus comme des ours, t’as qu’à voir ! Elle m’a donné de la crème dépilatoire de chez Veet. Yasamin m’a aidé surtout pour les poils dans le dos, normal ! « . Mais voilà que j’en parle à Youssef : « T’es pas bien, qu’il me dit : tes poils vont repousser drus et dans un an, ils ressembleront à du fil barbelé et toi à une brosse de chien dents ! «

Ici, tout le monde m’appelle « le doyen «. J’explique. Comme je te l’ai dit plus haut, nous sommes des chrétiens, comme religion. Et il m’est venu une idée : devenir doyen. C’est un beau métier, on est souvent dans les églises et puis ya tous les honneurs qui vont avec, c’est très classe. Voici quelques mois, j’ai rencontré le nouvel évêque de Liège , monsieur Jean-Pierre Delville, même que c’était le seul jour de l’hiver où il avait fait assez froid. Je me présente à lui et dis « Ca pince, Monseigneur ! « . « Ha-ha-ha « , qu’il fait l’évêque, « de circonstance et de bon aloi, Jamal ! ». Il m’explique que maintenant à Liège, il n’y a plus que deux doyens, un sur la rive gauche et l’autre sur la rive droite. Et bien je veux devenir le prochain de la rive gauche.

Si tu veux devenir « doyen « tu dois montrer que tu as certaines aptitudes. Et déjà se faire un nom, se faire connaître. Aussi, avec mon vélo, je parcours toutes les églises. Je vais pas toutes te le citer on n’en finirait pas - paraît qu’il y en a eu 116, rapport au livre de monsieur Robert Ruwet que ma mère m’a offert pour mon anniversaire-.

J’aime d’abord et avant tout la basilique Saint -Martin, la plus belle de toutes et de loin ! Je vais également souvent à l’église de Sainte –Marguerite qui est assez jolie à l’intérieur. Sainte Catherine est adorable ; St-Nicolas en Outremeuse me plaît assez surtout autour du 15 août ; à St-Remacle, j’y ai découvert la statue de Saint-Julien l’hospitalier, tu sais, celui de la légende racontée par monsieur Flaubert que je connais quasiment par cœur, t’as qu’à voir ! ; St-Louis, rue Grétry, est l’église qui résonne le plus, même quand tu sors de d’là, t’a le bourdon qui sonne dans ta tête ; je vais chaque semaine écouter les vêpres des sœurs bénédictines sur le boulevard d’Avroy et au moins une fois par mois, j’enfourche ma bécane et je fonce sur le ravel et hop, je grimpe à l’abbaye de Brialmont à Tilff, prier dans le parc ou dans l’église.

« T’es juste trop mystique, toi ! « qu’ils disent mes potes.
Sur ce, je vous bénis !

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