Les forums

Forums  :  Vos écrits  :  Tirage au sort : Napoli

Tistou 19/06/2014 @ 22:55:53
J’avais fini par découvrir le marché qui allait bien. Un marché au poisson. Le plus beau marché au poisson de Napoli. Qui pourtant n’en manque pas, de marchés.
C’était une matinée comme on en rêve ; 25°C, pas un nuage, le vent doux de la mer pour apaiser … J’avais descendu la Via Benedetto Croce, puis la Via San Biagio dei Librai, partant de notre appartement en face de Santa Anna dei Lombardi. Je balançais mon panier, me faufilant entre les passants, les motos, dans ces vias plutôt de la largeur d’une ruelle. Il faisait bon et je me sentais bien. Le petit espresso pris au détour d’une place sur une terrasse encombrée de voitures mal garées et de napolitaines volubiles m’avait fortifié. C’est qu’ils sont sacrément ristretto les espressos. (Je n’ose imaginer les ristrettos !) Mon italien est également sacrément ristretto. Et les Napolitains sacrément pas polyglottes : français ou anglais, connaissent pas. Mais les sourires, les gestes, le gloubi-boulga de français, d’anglais et d’italien, ça vous décante une situation …
Et donc, quittant ma terrasse, un peu plus loin, juste avant de passer une vieille porte qui devait marquer une entrée de la ville ancienne, là, à main droite, les premiers étals, les premières émotions. Des poissons qui vous disaient bonjour tant ils étaient frais, des coques, des palourdes – pour mes spaghettis du midi – des sourires, du bruit, des couleurs …
Le Napolitain est très accueillant sitôt que vous vous intéressez à sa ville. Mais d’abord il faut dépasser l’aspect stressant d’une primo-arrivée en voiture à Naples. C’est sale, tagué de partout, les poubelles traînent. Et les manœuvres au fil des vias, toujours plus petites, toujours plus étroites, toujours plus encombrées … oui, c’est stressant l’arrivée en voiture. Le mieux c’est de ne pas arriver en voiture. Et puis une voiture, c’est pas le tout mais … il faut la garer. Et des places, vous croyez que ça existe, vous, à Napoli ? Bien sûr que non ! Il avait fallu que Sonia, chargée de nous accueillir et de nous remettre les clés de l’appartement, joue les entremetteuses. C’est elle qui m’avait introduit auprès de Paolo. Paolo gère un parking dans une cour intérieure d’un vieil immeuble, une cour dans laquelle tout Parisien sensé rangerait … allez, 8 véhicules ? Mais à Napoli, on serre, on force … et on laisse les clés à Paolo, ce grand gaillard au ventre bien rebondi, encore jeune, parlant magnifiquement le Napolitain mais c’est bien le tout ! Et Paolo peut entasser les voitures- il y en avait bien une quinzaine -, les déplacer à sa convenance. Et Paolo sourit sitôt que vous lui faites confiance et que vous lui souriez aussi. Et Paolo, c’est un miracle à lui tout seul …
Donc oui, vous stressez à l’arrivée. Et vous vous remémorez tout ce qu’on raconte sur Napoli et ses habitants : ville pauvre, sale, camorra, les voleurs à l’arraché, la police corrompue, … C’est vrai, ça y ressemble bien à l’arrivée. Mais très vite, si vous vous laissez porter par l’ambiance générale, Napoli c’est … la vie, franche et généreuse. Des alentours d’une beauté à se damner avec le Vésuve qui vous surveille, là-bas un peu plus loin, mais une ville qui se découvre à pied, une ville à flâner. Le genre de ville qui vous fait regretter de ne pas l’avoir connue plus tôt. Vous voyez ?
Mais je m’égare. Le marché aux poissons. Un rêve de marché aux poissons. Et même des prix affichés ! Pas chers les prix ! (la vie est Napoli n’est vraiment pas chère m’a-t-il semblé). J’avais déambulé entre les étals, jaugeant d’un œil incrédule la fraîcheur des rougets, le modeste prix des petites soles, les daurades au ventre arrondi, des variétés de coques, palourdes avec tous les intermédiaires possibles ; des coquo-palourdes aux palourdo-coques, … Une orgie !
Mon panier ne se balançait plus. Il s’était rempli et je prenais doucement le chemin du retour, conscient du devoir accompli et du succès de l’opération. Je les voyais déjà mes spaghettis aux coques ! Et puis, au détour d’une via, débouchant sur une petite place – la place où j’avais pris mon espresso, tiens – une fontaine, que je n’avais pas remarquée – on ne remarque pas tout du premier coup d’œil, surtout dans un monde comme celui de Napoli - et assis sur la margelle, comme isolés du monde, une très jeune fille et un adolescent de son âge, qui avait entouré ses épaules de son bras et tentait manifestement de la consoler. Et elle, inconsolable, ne semblait plus savoir où elle était. Et lui, n’ayant rien connu encore du monde et de ses crasses, avait bien du mal.
La fontaine cascadait doucement, les Napolitains vociféraient sauvagement autour, des scooters pétaradaient à trente centimètres mais les deux-là, effondrés sur la margelle, avaient un problème qu’ils ne savaient manifestement pas résoudre. Une bulle ne les aurait pas mieux isolés. Il me semblait lire en eux comme dans un livre ouvert. Et leur solitude dans ce monde restreint bruyant était vraiment impressionnante.
A ce point du récit, il me faut être clair. En toute logique, plutôt que mes deux romantiques perdus, j’aurais dû vous placer un ermite et un animal de compagnie. (Si, si, relisez mes contraintes !)
C’aurait été jouable. Mais ils m’avaient tellement impressionnés ces deux-là isolés dans leur détresse au milieu du capharnaüm apparemment indifférent que je m’étais dit, en m’éloignant, que je le raconterai. Allez placer un ermite avec un animal de compagnie après ça ! Ou alors si, j’aurais pu tenter une comparaison à la gomme ; « ils étaient isolés du monde comme un ermite le serait avec son animal de compagnie » (qu’est-ce que ça peut avoir comme animal de compagnie un ermite ? Un rat ? Blanc. Un chat galeux ? Un chien du même acabit ? Un corbeau à une patte ?)
Non, non, je ne veux pas le savoir. C’était elle et c’était lui. Full stop.
Qu’ajouter ?
Que les spaghettis aux coques furent à la hauteur.
Que probablement je retournerai à Napoli.
Que j’espère qu’ils ont trouvé LA solution.

Tistou 19/06/2014 @ 23:06:25
Ah oui ! Mes contraintes étaient celles ci :

Tistou : de nos jours, la place du marché, un ermite, un animal de compagnie, situation heureuse

Tistou 19/06/2014 @ 23:07:08
Qui a parlé de "tiré par les cheveux" ? D'abord j'ai plus (beaucoup) de cheveux !

Garance62
avatar 20/06/2014 @ 08:36:46
Extra !!!

Napoli je n'y suis pas encore allée mais avec ce texte je me promets d'aller la voir, et comment donc !! Tes mots Tistou, je les ai lus à la vitesse à laquelle Paolo doit ranger les voitures comme les sardinières d'autrefois dans les boites de sardines, vite et bien.

C'est magnifique de lire un texte comme ça au petit matin un peu entamé, avec un soleil qui fait un clin d'oeil comme pour dire, ici c'est bien mais là-bas....

Il faut aussi dire que l'étal de poissons avec du soleil c'est encore mieux, et puis ces tourtereaux, et puis l'humour, et puis... en fait tout ! J'ai tout aimé dans ton texte (sauf les fôtes !! Tistou !! :)).

Mais il y a tout de même une faute qui est délicieuse, faute qui n'en n'est pas, qui est juste un lapsus inattendu :

"la vie est Napoli".....
Merci Tistou, moi aussi j'ai passé un délicieux petit moment à te lire !
Buana giornata !

Magicite
avatar 20/06/2014 @ 14:48:04
La tête toujours dans tes voyages Tistou,
et c'est tant mieux tu nous fait voyager avec toi.
C'est une idée ça: je vais y retourner, passer la frontière toute proche de chez moi, pour l'Italie et ses marchés d'aliments frais et colorés, ses boutiques de tissus et d'habits à moindre prix.
Tu me ferait presque aimer les italiens(je peut les critiquer j'ai des origines de là bas) et leur caractère braillard et vantard.
Pour les adolescents n'oublie pas que ce sont eux qui ont inventé la comedia dell'arte alors la vie est une scène quel que soit leur âge à ces italiens.
Trêve d'à priori, ton récit montre bien de ne pas s'attarder aux clichés, stéréotypes, qui sont forcément superficiels.

Quelques belles trouvailles comme le poisson qui dit Bonjour tellement il est vrai, des descriptions qui mette le sourire et une envie de manger des spaghettis aux palourdes.. et dire que je ne sait pas cuisiner le poisson mais je m'améliore.

Pieronnelle

avatar 21/06/2014 @ 15:55:27
Oh comme j'aurais aimé le connaître ce Napoli que tu racontes si bien. Tu l'as vu ce marché hein, pas possible d'inventer ?! Cette contrainte était donc comme une confiture sur une tartine :-)
Et ce panier qui se balance au rythme de la joie du Tistou à découvrir ces saveurs (tu salives d'avance en pensant à tes spaghettis aux palourdes) couleurs, odeurs...J'ai pu constater dans tes écrits sur tes voyages à quel point les marchés te sont chers...
Les amoureux isolés qui auraient pu ressembler à un ermite alors là fallait oser le faire ! Ça c'est une pirouette encore pire que celle de Garance!!!
Finalement je l'ai bien aimé mon kit de sauvetage je frémis à l'idée de ce que tu aurais pu me concocter !:-)
Promis je reviendrai à Napoli pour une expérience plus heureuse que la mienne mais j'ai déjà la tienne et tu m'en a mis plein les yeux !

Nathafi
avatar 22/06/2014 @ 08:47:39
Très visuel et sensoriel ton texte ! Une petite promenade "à l'oeil" que tu nous fais partager, ça sent le vécu. Tu balaies les à-priori pour nous offrir un autre regard sur cette ville qui t'a séduit, façon carnet de voyages.

Quand nous feras-tu une compil ? :-)

Lobe
avatar 23/06/2014 @ 18:28:07
Une chronique comme tu sais si bien les dérouler. Pas celle d'un touriste au sens commun, mais d'un observateur. A la fois des choses immuables, bâtiments, rendu, aspect. Et du passager, l'atmosphère, la foule, et ce couple. La situation n'est pas à proprement parler heureuse, ou du moins n'exprime pas un bonheur commun, mais tu prends tellement de plaisir à la rendre qu'on te sent, toi l'observateur, profondément et sincèrement heureux dans la mise à l'écrit de ce moment. J'apprécie beaucoup l'honnêteté de la pirouette par laquelle tu esquives les personnages imposés. Ton texte en impose, et nul besoin de dire qu'on a très envie de Napoliter sur le champ!

Sissi

avatar 25/06/2014 @ 18:29:05
Aaaaaah c'est malin, j'ai super faim d'un coup et je rêve d'un plat de spaghetti alle vongole, c'est trop bon!!
C'est vrai qu'il donne envie d'y aller, à Naples, et de déambuler dans les rues, de boire un café ristretto.
Une belle chronique comme dit Lobe.
Et j'adore la fin.
En point négatif je dirais que tu triches, un peu, et qu'il ne faudrait pas abuser du "je suis en train d'écrire tel texte et j'y arrive pas", tu as déjà usé de ce procédé plusieurs fois, alors l'effet de surprise fonctionne moins.
J'ai faim...(j'ai bien les spaghetti, mais j'ai pas de coques!!!)

Sissi

avatar 25/06/2014 @ 18:30:30
Ce que je m'auto-énerve...c'est vrai qu'il donne envie d'y aller, à Naples, ce texte!

Antinea
avatar 11/07/2014 @ 23:04:08
Mais comment fais-tu pour adapter les contraintes dans ta carte postale napolitaine ? ;) Tu aimes découvrir les pays, ça se sent.

Tiens ça me fait penser : à Paris je connais un bon resto vraiment napolitain (si, si, j'y suis allée avec une connaisseuse), donc si tu repasses par là...

Tistou 17/07/2014 @ 00:12:28
Oh comme j'aurais aimé le connaître ce Napoli que tu racontes si bien. Tu l'as vu ce marché hein, pas possible d'inventer ?! Cette contrainte était donc comme une confiture sur une tartine :-)
Et ce panier qui se balance au rythme de la joie du Tistou à découvrir ces saveurs (tu salives d'avance en pensant à tes spaghettis aux palourdes) couleurs, odeurs...J'ai pu constater dans tes écrits sur tes voyages à quel point les marchés te sont chers...
Les amoureux isolés qui auraient pu ressembler à un ermite alors là fallait oser le faire ! Ça c'est une pirouette encore pire que celle de Garance!!!
Finalement je l'ai bien aimé mon kit de sauvetage je frémis à l'idée de ce que tu aurais pu me concocter !:-)
Promis je reviendrai à Napoli pour une expérience plus heureuse que la mienne mais j'ai déjà la tienne et tu m'en a mis plein les yeux !

Alors oui, ce marché, j'y suis allé et oui aussi je m'aperçois que les marchés me sont chers dans les contrées que je traverse. Ca dit beaucoup un marché. On ne se cache pas. Et puis quel meilleur moyen de faire le point sur les ingrédients de base locaux. C'est que j'aime la cuisine, et la faire aussi, moi !
Ce qui m'inquiète, c'est que je ne fréquente pas vraiment celui de ma ville, le dimanche matin ... Je ne l'aime pas trop.

Tistou 17/07/2014 @ 00:13:45
Aaaaaah c'est malin, j'ai super faim d'un coup et je rêve d'un plat de spaghetti alle vongole, c'est trop bon!!
C'est vrai qu'il donne envie d'y aller, à Naples, et de déambuler dans les rues, de boire un café ristretto.
Une belle chronique comme dit Lobe.
Et j'adore la fin.
En point négatif je dirais que tu triches, un peu, et qu'il ne faudrait pas abuser du "je suis en train d'écrire tel texte et j'y arrive pas", tu as déjà usé de ce procédé plusieurs fois, alors l'effet de surprise fonctionne moins.
J'ai faim...(j'ai bien les spaghetti, mais j'ai pas de coques!!!)

C'est vrai que je triche de plus en plus ...

Tistou 17/07/2014 @ 00:15:08
Mais comment fais-tu pour adapter les contraintes dans ta carte postale napolitaine ? ;) Tu aimes découvrir les pays, ça se sent.

Tiens ça me fait penser : à Paris je connais un bon resto vraiment napolitain (si, si, j'y suis allée avec une connaisseuse), donc si tu repasses par là...

Tout disposé à le découvrir, Antinea. Faut juste que je passe à Paris et couramment j'évite soigneusement (dans le cadre du travail) ... mais je vais y penser ...

Page 1 de 1
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier