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Thomasdesmond
avatar 27/07/2004 @ 15:48:01
LA VILLE ENDORMIE

Cette traversée des Etats-Unis dont Christopher avait toujours rêvé s'était jusqu'à présent bien déroulée, et tout l'argent qu'il avait mis exprès de côté pendant ses trois années d'études se révélait bien suffisant pour couvrir ses frais de nourriture et d'hébergement le long des divers states Nord-Américains. Il avait de temps en temps son père au téléphone, quand son portable captait, ce qui était rare dans des régions comme l'Arkansas ou l'Oklahoma. La France ne lui manquait pas et il se sentait bien dans ces contrées hors du temps dont il avait toujours rêvées.
Trois semaines après son départ de Philadelphie en auto-stop, il avait échoué dans une ville au nom imprononçable, dont l'existence n'était même pas mentionnée sur sa carte. Le routier ricain qui l'avait largué là avant de prendre une autre direction lui avait assuré qu'il y trouverait un hôtel pour pas cher, mais son accent du sud avait sûrement masqué certaines nuances que Richie, en bon français, n'avait pas saisies.
Accueilli par une pluie battante et quasi-huileuse, il longea l'interstate 48 jusqu'à un panneau grisâtre où était inscrit en anglais : " Bienvenue à Brijeklort - 25 habitants - Son étang - Sa tannerie ".
Brijeklort, ça sonne plutôt suédois, s'est dit Christopher, tout en continuant sa route sous la pluie. Son imper commençait à prendre l'humidité et il s'inquiétait pour le contenu de son sac à dos.
Un pick-up blanc poussiéreux le doubla mais il ne put distinguer le visage de son conducteur, masqué par des vitres apparemment vierges de tout nettoyage. Les phares du pick-up se noyèrent très vite dans le déluge, mais éclairèrent un bref instant les premiers bâtiments qui lui apparurent à travers un rideau d'eau obscurcit par le jour déclinant. Il s'essuya les yeux et les plissa tout en marchant. Il distingua quelques commerces qui longeaient la route : un café-restaurant toutes lumières éteintes, un motel à l'enseigne clignotante, deux ou trois masures grisâtres et une sorte de grand entrepôt désaffecté aux proportions assez étonnantes pour un trou pareil.
Un vrai trou perdu en plein désert, pensa-t-il avec un mélange d'excitation et d'inquiétude. Il avait traversé plusieurs villes et hameaux atypiques depuis le début de son périple mais celle-ci semblait différente. Il eut soudain l'impression d'être enfin rentré dans un film, où l'étrange n'est pas un décor mais la réalité, et qu'il peut arriver n'importe quoi d'extraordinaire. Il sourit intérieurement en essayant de faire abstraction de la pluie.
A l'horizon, là où l'interstate rejoignait le ciel boueux, un éclair éclata et illumina un bref instant le centre-ville de Brijeklort. Christopher frissonna à la vue de ce qu'il se rappelait avoir vu dans un épisode de la Quatrième Dimension : une ville fantôme où des buissons d'herbes du désert possédés étaient emportés par des vents contradictoires, pourchassant les inconscients qui s'étaient égarés dans ce lieu maudit. Il sourit intérieurement à cette idée et continua de marcher droit devant lui. Il aperçut au loin le pick-up, qui ne s'était apparemment pas arrêté en ville.
Christopher atteignit le Café-restaurant et s'abrita sous un haut-vent vert passé et couvert de chiures d'oiseaux où l'on pouvait encore lire Big Dog Coffee. Il enleva sa capuche et s'épongea le visage avec un mouchoir en papier. Il commençait à faire sombre.
Il se retourna et se rapprocha de la baie vitrée qui longeait la salle de l'établissement. Il ne distingua rien d'autre que du mobilier de restaurant poussiéreux mais en bon état. Il alla à la porte d'entrée où un petit écriteau rectangulaire scotché à la vitre indiquait Ouvert. N'osant pas entrer, il frappa trois coups secs et attendit nerveusement de voir apparaître quelqu'un. Au bout de vingt secondes sans réponse, il refrappa, plus fort, mais personne ne vînt.
Il se détourna de la vitrine, quand une ombre passa à l'extrémité de son champs de vision, dans le bar. Il sursauta et se retourna, manquant glisser sur le sol trempé. Il plissa les yeux mais plus rien ne bougeait derrière les vitres sales. Sûrement un chat, pensa-t-il, le cœur battant.
Christopher remit sa capuche en place et franchit la rue pour rejoindre l'entrée du motel. En plein milieu de la chaussée gisait une étrange charogne informe dont le processus de décomposition semblait avoir été accéléré par la pluie. Sûrement un chat sauvage, pensa Christopher avec dégoût.
Le bâtiment gris s'étalait sur une longueur d'environ cinquante mètres, avec des petites fenêtres aux volets abîmés et tous fermés. Une enseigne lumineuse indiquait en clignotant un approximatif "Rose Day Inn motel - 12 chambres", dont le mot Day restait éteint. Sur la façade qui aurait bien eu besoin d'un ravalement, un carillon en forme d'écureuil marron trônait au-dessus de la porte de l'accueil. Il tira sur une chaîne rouillée et l'écureuil se mit à osciller de gauche à droite. Une mélodie assourdie et désaccordée suinta de l'immonde animal en plâtre, ce qui mit Christopher mal à l'aise. Cette musique hideuse n'avait rien à faire dans cette ville déserte, elle semblait prendre trop de place, comme si tout d'un coup mille sirènes avaient explosé en un vacarme capable de réveiller un mort. Il se hissa sur la pointe des pieds et immobilisa le carillon. La musique stoppa net. Sa sensation d'être dans un film s'accentua mais cela commençait à le mettre sérieusement mal à l'aise.
Il attendit quelques instants puis essaya d'ouvrir la porte, qui se révéla fermée. A côté, il jeta un coup d'œil à travers les fentes d'un volet mais tout était noir à l'intérieur.
Déçu et de plus en plus trempé, il partit en direction des quelques maisons, son espoir de rencontrer quelqu'un s'amenuisant petit à petit. La nuit commençait à tomber et Christopher se mit à craindre de devoir passer la nuit dehors, dans cette sinistre ville déserte et plongée sous le déluge.
Il retraversa la chaussée et se rapprocha de la première maison. La pluie dégoulinait le long des murs décrépis, laissant de blafardes traces du toit jusqu'aux fenêtres aux volets fermés. Des bacs à fleurs étaient renversés à même le sol et commençaient à être envahis de mauvaises herbes. Les quelques couleurs des fleurs subsistantes semblaient noyées dans des flaques d'eau sombres ou grouillaient de petits moucherons.
Christopher monta les trois marches qui menaient à la porte d'entrée et sonna. Un son de cloche synthétique assourdi retentit dans la maison. La peur s'insinua dans son esprit et il se demanda s'il voulait vraiment voir quelqu'un lui ouvrir la porte de cette triste maison. Il résista de toutes ses forces pour ne pas prendre ses jambes à son coup. Il souffla un coup pour se donner du courage et peignit sur son visage un sourire jovial.
Un nom presque effacé était inscrit sur la sonnette : "M. et Mme Turkley". Il se demanda où diable ces gens étaient passés.
Il entendit un craquement à l'intérieur qui le fit sursauter, faisant resurgir sa peur. Il étouffa un petit cri et recula de deux pas. C'est là qu'il vit le paillasson, où était inscrit un Bienvenue masqué par de sombres taches séchées.
– Y a quelqu'un ? dit-il d'une voix enrouée et asséchée. Il s'avança doucement et donna trois petits coups sur la porte.
– Hé Ho ! Y a quelqu'un ? Il attendit, tendu. Un bruit étrange lui parvint de la porte. Il se rapprocha et colla son oreille contre le panneau de bois humide et sursauta : on grattait le battant de l'autre côté. Pris d'une peur acide, il sauta les marches d'un bond et regarda la maison tout en reculant sur la route, où il faillit trébucher sur un morceau de bois. Etonné, Il le ramassa et sa peur grandit quand il se rendit compte qu'il tenait dans les mains une croix formée de deux bâtons noués en leur point de jonction par une ficelle pendante. Il jeta le curieux bout de bois au loin et s'éloigna de la maison à pas vifs, tout en jetant des regards en arrière tous les deux mètres. Il y avait bien quelque chose dans cette maison, ou quelqu'un, mais il avait tout sauf envie de rencontrer des gens qui grattaient aux portes en guise d'accueil.
Une sourde peur au ventre, il décida de reprendre l'interstate jusqu'à la prochaine ville, préférant mille fois marcher de nuit plutôt que rester dans ce trou affreux. Il sortit son portable de la poche intérieur de sa veste et l'alluma, pour voir que bien sûr, il n'y avait pas de réseau, et il le remit dans sa poche. Il aurait bien aimé avoir quelqu'un au téléphone, ne serait-ce que pour se sortir de cette état d'angoisse qui lui donnait des sueurs froides, accentuant la sensation d'humidité qui commençait à lui coller au corps.
Toujours sous la pluie, il arriva à hauteur de l'entrepôt désaffecté, imposant et peu accueillant. De grandes vitres opaques verticales longeaient toute la façade, et laissaient entrevoir de l'intérieur des formes floues et fantomatiques. Il se rappela du panneau qu'il avait vu à l'entrée de la ville " Bienvenue à Brijeklort - 25 habitants - Son étang - Sa tannerie ". Un tannerie ! Voilà qui ajoutait au charme pittoresque de cette mignonne bourgade, pensa-t-il sarcastiquement. Il se força à détourner le regard du bâtiment, mais son attention fut attirée par une faible lueur derrière les vitres de la tannerie. Il s'arrêta et plissa les yeux. Le ciel tirait sur le gris sombre et la pluie n'arrangeait pas la visibilité déclinante. Une timide lumière brillait à l'intérieur de l'entrepôt, comme si une ampoule était restée allumée dans l'abandon général.
Mettant sa peur de côté, il quitta la chaussée, sauta par dessus un petit fossé plein d'eau croupie, et franchit ce qui devait autrefois être le parking de l'entreprise, une zone en falun à la surface inégale et jonchée de grandes flaques de boue.
Il se rapprocha des grandes vitres et essaya de voir si il y avait quelqu'un à l'intérieur. Il sentit soudain l'atroce odeur qui régnait aux alentours de la tannerie, agressant et réduisant à néant toutes les autres parfums environnants. Richie se boucha le nez et réprima un haut-le-cœur. Sûrement des peaux laissées en l'état, pleines de mouches et d'asticots, pensa-t-il avec dégoût. Soudain à l'intérieur du bâtiment, une ombre passa fugitivement devant la lueur qu'il fixait. La peur le reprit instantanément, et il se dit qu'il ferait mieux de reprendre sa route au plus vite. Il fit demi-tour et manqua basculer de surprise devant une soudaine apparition qui lui fait sentir le poids de son urine dans sa vessie.
A quatre mètres de lui, de l'autre côté du petit fossé de plus en plus inondé, se tient une sorte de chien-loup aux babines découvertes et aux yeux brûlants de haine. Christopher a le souffle coupé à la vue de ce cerbère dégoulinant d'eau, macabre imitation d'un berger allemand. Il remarque avec horreur les blessures purulentes et béantes qui jonchent le pelage cramoisi de la bête. Sans s'en rendre compte, il recule, redoutant plus que tout de se faire attaquer. Avec une allure pareille, il a sûrement la rage, pense Christopher avec effroi. Je vais me faire bouffer là, dans ce trou pourri, par une saloperie de clébard qui a dû se nourrir et s'intoxiquer avec les peaux pourries de cette satané tannerie, se dit-il en une fraction de seconde.
Le chien s'est mis à grogner, une langue déchirée pendant entre ses crocs démesurés et plein de morceaux de chairs sanguinolentes.
– Tout doux, tout doux, le chien ! bredouille Christopher d'une voix d'enfant. Gentil, gentil... Le chien se met à grogner de plus belle et saute par-dessus le petit fossé, apparemment décidé à réduire en charpies le morceau de viande qui recule en tremblant devant lui.
Christopher se plaque à toute vitesse contre le mur trempé de la tannerie. Il a juste le temps de voir le monstre s'approcher de lui, grondant plus fort que jamais et ouvrant une gueule démesurée. Il ferme les yeux de toute ses forces, se repliant sur lui-même et se protégeant le visage des mains, ne pouvant croire que tout ceci est réel, qu'il va se faire dévorer vivant par un chien enragé sous une pluie battante.
Il revoie fugitivement son père évoquer les dangers d'un pareil voyage dans les contrées désolées de l'Amérique.
Un coup de feu retentit, très proche, presque en même temps que le hurlement de douleur du monstre.
Christopher ouvre les yeux et voit avec stupéfaction le chien écrasé par terre à un mètre cinquante de lui, la moitié de la gueule arrachée. Il est toujours en vie et semble prendre un sadique plaisir à se lécher avec ce lui reste de langue les restes sanguinolents de son museau, tout en alternant gémissements et grognements.
– Reste pas là, viens, dépêche-toi, VITE, avant que les autres arrivent, lui crie une voix à sa droite, rauque et assourdie par la pluie.
Christopher se relève difficilement de la boue où il était accroupi, essayant de s'écarter au maximum du chien mourant qui se rapproche centimètres par centimètres de lui, les yeux toujours féroces. Il se tourne vers la voix qui l'appelle et aperçoit malgré l'obscurité une silhouette d'homme d'un certain âge, coiffé d'un chapeau de cowboy ruisselant d'eau. L'homme tient un fusil encore fumant entre ses mains. Christopher le rejoint tout en jetant de rapides regards dans son dos pour voir si le chien ne s'est pas relevé pour le suivre.
– T'occupes pas de lui, les autres vont venir le chercher. Christopher perçut dans le regard de l'homme une haine froide dirigée directement au monstrueux chien gisant au sol.
– Faut s'grouiller là mon gars, on peut pas rester dehors une fois la nuit tombée. L'homme attend que Christopher l'ait rejoint, puis tourne les talons et part d'un pas vif vers le restaurant.
– Hé, attendez, c'est quoi ce délire, vous pou... Il s'interrompt : l'homme au fusil vient de se mettre à courir.
– Suis-moi, crie l'homme, ILS ARRIVENT !!
Pétrifié, Christopher ne sait pas ce qu'il doit faire : courir ? Suivre l'homme ? Un sifflement aigu et rouillé jaillit derrière lui. Il se retourne et voit une des portes de la tannerie s'ouvrir. Plusieurs silhouettes noires en sortent à toute vitesse, dont deux qui se jettent tout de suite sur l'horrible chien blessé et semblent le dévorer. Le chien hurle abominablement, et Christopher se rend compte que les autres ombres se dirigent vers lui. Pris de panique il se met à courir tout en hurlant à plein poumons. Il entend l'homme au fusil qui hurle.
– COURS ! COURS ! ILS SONT DERRIERE TOI !!
Christopher manque glisser dans une flaque boueuse mais se récupère au dernier moment. Il a la vision fugitive d'un écran de télévision, le sien, dans sa chambre à Paris, et il se dit que ça y est, il est dans le film, et que ce n'est pas si drôle que ça.
Un cri aigu retentit derrière lui quand éclate un nouveau coup de fusil assourdissant ! Il jette un regard fou en arrière et voit deux silhouettes accroupis en train de dévorer furieusement celle qui venait sûrement de se faire tirer dessus. Il rattrape enfin l'homme et pénètre avec lui à l'intérieur du restaurant. Ce dernier referme la porte et tourne les trois verrous à toute vitesse. Dehors, les silhouettes se dirigent vers le restaurant. Christopher, incrédule, observe ces curieuses silhouettes sorties d'un cauchemar. Il tente de fixer son attention sur une et distingue un bras tordu, un visage voilé de noir, un bout de jambe bizarrement tordue, mais rien qui ressemble vraiment à un être humain.
– Qu'est ce que c'est qu'ce ...
– Des zombies, enfin ça y ressemble, commenta l'homme tout en sortant un gros trousseau de clés de sa poche, et pas des petits morts-vivants comme t'as du en voir à la télé ou... Il poussa un cri et bondit en arrière : un des monstres venait de se jeter contre la porte vitrée du restaurant, suivi de près par d'autres de ses semblables. Christopher resta pétrifié devant l'horreur qui se tenait là à deux mètres de lui : pressés à la porte comme des sangsues, des êtres difformes à la peau craquelée et noirâtres montraient des dents longues et effilées, se mordant mutuellement dès qu'ils en avaient l'occasion. De loin Christopher les avait crus de noir vêtu mais en fait ils étaient presque nus et recouverts de sang noir séché. Mais le pire était les flammes dans leurs yeux, les mêmes que celles dans les pupilles du chien qu'il avait eu le plaisir de rencontrer quelques secondes auparavant. L'homme quant à lui, est resté figé d'horreur à la vue d'une des abominables créatures affamée qu'il croit reconnaître.
– C'est pas vrai, c'est un rêve, c'est...
– Vite on dégage de là ! L'homme le prit par le bras et l'attira vers le fond de la salle au pas de course, renversant au passage plusieurs chaises. Il poussa une porte à double-battant et ils pénétrèrent dans une cuisine puante plongée dans l'obscurité. Toujours tenu par l'homme, Christopher se laissa conduire jusqu'à une lourde porte de métal, une réserve comprit-il. Ils s'y engouffrèrent à toute vitesse et l'homme lui lâcha le bras. Il alluma une lampe et s'accroupit au milieu de la pièce au sol sale. Il attrapa la poignet aplatie d'une trappe que Christopher n'avait pas vue.
– Mais où est... Un bruit de verre cassé explosa dans la salle du restaurant, le faisant à nouveau crier.
– Faut descendre, VITE !! L'homme leva la trappe qui semblait assez lourde et s'engouffra à toute vitesse dans ce qui semblait être une cave secrète. Christopher cru y distinguer des lumières et des visages, alors qu'à quelques mètres, les étranges créatures venaient de pénétrer en hurlant tels des hyènes dans le restaurant, se déchirant les bras sur les morceaux de verre encore fixés à la porte d'entrée.
Christopher s'accroupit et posa un pied dans le trou. Il sentit des marches sous ses pieds.
– Dépêche-toi ! Sinon on va tous y passer ! lui cria une voix en bas.
Il se hâta de descendre alors que les bruits de meubles renversés se faisaient de plus en plus proches et forts. Au comble de la terreur et de l'excitation, il sentit quelque chose le coincer dans son dos : son sac à dos. Il cria de dépit et força de toutes ses forces pour le faire passer dans le trou. Alors que le sac était sur le point de passer, un des zombies jaillit de la porte de la chambre froide, et se jeta sur le bras de Christopher qui se tenait encore au rebord de la trappe. Il sentit une énorme et affreuse pression sur son poignet, comme si un python venait de lui gober le bras et comptait bien remonter jusqu'à l'épaule. Il cria d'horreur et aperçut une bouche pleine de crocs se diriger vers ses veines et fut brusquement tiré vers le bas. Un nouveau coup de feu retentit et il entendit des hurlements avant de perdre connaissance.

– Hé ho, mon gars, tu te réveilles ? dit une voix dans un recoin de son esprit, coupant le flots d'images et de flashs qui le parasitaient.
Christopher sent une main lui tapoter la joue. Il ouvre avec difficulté les yeux, alors que plusieurs voix semblent voleter autour de lui. Il veut se redresser mais n'en a pas la force. Il sent comme une douloureuse plaque de fer coincée dans le haut de son crâne qu'il tente d'atteindre avec sa main, mais son bras est lourd, trop lourd, et il sent comme un lien noué autour des veines de son poignet gauche.
On pousse contre sa bouche un bout de plastique et quelqu'un lui soutient la nuque de la main, une main fine mais qui lui fait mal. De l'eau jaillit sur ses lèvres qui se sont entrouvertes, mais il s'étouffe et recrache le liquide. Il ouvre plus grand les yeux et distingue trois visages : un homme - son sauveur, pense-t-il instantanément - , une jeune femme assez jolie et une petite fille aux longs cheveux blonds d'environ six ans qu'elle tient par la main. Il referme les yeux un instant et les ouvre de nouveau. Au-dessus des visages scintille une ampoule qui lui pique la rétine. Il lève difficilement sa main droite et cache la lumière. Il se rend soudain compte qu'il a très soif.
– J'ai... J'ai soif réussit-il à articuler. La main fine soutient de nouveau sa nuque, et il pousse de toutes ses forces pour se redresser. Une main plus puissante plaquée contre son dos l'aide à se mettre en position assise. Il se frotte les yeux des mains et contemple avec étonnement les lieux.
– C'est où ici ? demande-t-il doucement d'une voix qui lui semble étouffée.
– C'est la cave du restaurant, ou plutôt une remise, lui répond une voix masculine, celle de l'homme au fusil, comprend-il.
En effet Richie remarque les cagettes pleins de légumes et les fûts de bierre empilés contre un des murs de pierre taillée. Le sol est recouvert d'une terre brune et humide qui colle aux semelles et des filets d'humidité coulent le long des murs, où sont plantés par endroits des crochets ou pendent de longues grappes de gousses d'ail séché. L'ampoule fixée au plafond n'éclaire que très peu la cave et tous les coins sont plus ou moins plongés dans une semi-obscurité. Une odeur de moisi s'accroche aux narines et s'insinue dans les sinus.
– C'est vous qui avez tiré des coups de fusil tout à l'heure, non ? dit Christopher tout doucement.
– Oui c'est moi, vous vous rappelez ce qui s'est passé ? Le chien, les zombies, la course ? Demande l'homme gentiment, anticipant la réaction incrédule de son interlocuteur. Ce dernier prend un air pensif et fronce les sourcils tout en secouant la tête.
– Des zombies ? Mais j'ai... J'ai pris un coup sur la tête, j'ai dû voir des choses bizarres...
– Non mon gars, t'as pas imaginé tout ce merdier. T'étais bien là-haut prêt de la tannerie prêt à te faire croquer par le clébard de Mme Turkley, enfin ce qui l'en reste, dit-il en jetant un discret coup d'œil dans le fond non-éclairé de la cave. On t'avais entendu appeler dans la rue et cogner à la porte. T'as eu de la chance que je sois sorti voir si c'était des secours sinon tu serais en train de faire une promenade dans le tube digestif de je ne sais quelle saloperie.
Christopher réfléchit à ce que venait de dire l'homme dont le chapeau de cowboy commençait à sécher. Il se rappela du routier barbu à l'accent quasi-incompréhensible, puis la pancarte bizarre, des choses qui grattaient aux portes et là tout lui revint : les ombres fugitives, la maison des Turkley, l'horrible chien, le coup de feu, les silhouettes noires... Les monstres... les... Les Zombies !!
L'homme perçu la lueur dans les yeux de Christopher.
– Ça y est ? Ça te reviens petit gars ? Mon nom est Glenn, Glenn Chambers, lui dit l'homme tout en lui tendant la main, qu'il sert faiblement en essayant de sourire.
– Merci pour tout à l'heure... Je... Il voit la jeune femme se rapprocher de lui, souriante, et tenant toujours la petite fille.
– Moi c'est Madeleine Stowe, et voici Lily Straug, lui dit-elle, caressant de sa main gauche la belle chevelure de l'enfant. Dis bonjour au monsieur. L'enfant secoue la tête et recule de deux pas.
– Allez Lily, dis-lui bonjour, il n'est pas méchant ! lui dit Madeleine, étonnée par l'attitude craintive de la fillette. Cette dernière recule de plus belle et semble apeurée, et part finalement dans le coin sombre de la pièce quand Madeleine lui lâche la main. C'est là que Christopher aperçoit une quatrième personne, un homme, assis par terre dans un coin, les genoux repliés sous le menton. L'homme ne bouge pas et semble fixer le sol.
Glenn remarqua le regard étonnée de Christopher.
– Son nom est Ernie Cupperball, il ne dit plus rien depuis qu'ils ont eu sa femme et ses trois fils, dit Glenn avec tristesse et respect.
L'homme nommé Ernie releva la tête, captant l'attention de tous.
– Et toi, quel est ton nom ? demanda l'homme dont Christopher ne distinguait pas les traits du visage.
– Christopher, dit-il en essayant au mieux d'imiter l'accent américain.
– Français ? demanda l'homme, soudainement intéressé.
– Oui, je suis français. Je traverse les USA en auto-stop, se rappela-t-il à haute voix.
– Alors bienvenue à Brijeklort, ami français ! dit Ernie d'une voix faussement joviale, qui trahissait son désespoir et sa résignation. Plus que quatre habitants sur vingt-six mais si le coin te botte, on va passer à cinq bédouins, de quoi repeupler ce bled pourri, ironisa-t-il. Il ricana et ramena sa tête contre ses genoux tout en tapotant le sol de terre noir du pied sur un rythme régulier.
– Ernie a été très choqué, comme nous tous... dit Madeleine. Elle semblait à bout de nerfs et ses yeux témoignaient de son manque de sommeil. Sur son uniforme de serveuse était épinglé un badge où était cousu le nom du Café-Restaurant où il se trouvait. Le Big Dog Coffee.
– Qu'est-ce qui s'est passé ici, commença Christopher, c'est... C'est quoi ces trucs là-haut, des vampires ? demanda-t-il.
Glenn sorti un paquet de Pall Mall de sa poche, prit une cigarette qu'il mit directement entre ses lèvres. Il hésita à remettre le paquet dans sa poche et le tendit à Christopher.
– Tu fumes ? Lui demanda-t-il ?
– Merci, répondit simplement Christopher, en prenant une cigarette dans le paquet. Glenn sortit un briquet orné d'un aigle d'une autre de ses poches et alluma tour à tour les deux cigarettes. Il tira une grande bouffée, puis s'accroupit pour être à la hauteur de Christopher.
– Ce que je vais te dire va te paraître dingue, Christopher, mais garde en mémoire les horreurs que tu as vu là-haut tout à l'heure : tout ceci était réel... Au-dessus de leur tête des mains se mirent à gratter et à taper furieusement sur la trappe, en hurlant des mots dans une langue inconnue si c'en était bien une. La petite Lily Straub revint se blottir contre Madeleine, qu'elle serra très fort en gémissant.
– Ça gratouille là-haut, dit Ernie tout bas tout en rigolant doucement dans son coin sombre.
De la poussière ou peut-être de la pierre effritée tomba du plafond.
Glenn récupéra son fusil qui était posé contre le mur derrière Christopher. Il sortit deux cartouches de la poche intérieure de sa veste et les chargea dans son arme. Puis, après avoir jeté un rapide coup d'œil en l'air vers la trappe, il reprit sa position accroupit à côté de Christopher, retira une longue latte sur sa cigarette et commença son récit.
– Avant-hier, c'était mardi je crois...


... Colin le cadet d'Ernie disparut en plein après-midi, alors qu'il jouait dehors avec ses deux frères Brad et Steven aux alentours de la tannerie. Elle a été fermée voilà deux mois. Des types de la capitale en costards sont passés et ont mis des scellés partout, à cause d'un problème d'hygiène apparemment. Il paraît qu'ils ont trouvé des peaux pourries dans des containers grouillant de rats et de bêtes rampantes. Richie Stomp, le patron, a donné son solde à chacun de ses huit employés, tous originaires de Decomera, une ville au nord de l'interstate. Ça a été un sale coup pour Brijeklort : le restaurant et le motel ont perdu pas mal de leurs meilleurs clients. Cette foutue tannerie était là depuis le début du vingtième siècle et on peut dire que Brijelkort s'est bâtie petit à petit autour d'elle. J'y ai moi-même travaillé de 1984 à 1996, jusqu'à la retraite. Sacré boulot... Bref, d'après Brad, l'aîné des fils Cupperball, Colin a disparu dans le bâtiment lors d'une partie de cache-cache. Les deux gosses affolés sont allés prévenir leur père qui parti d'abord seul chercher son gamin, pendant que sa femme Jennifer allait demander de l'aide au restaurant. Ernie fit trois fois le tour de la tannerie en appelant son fils et ne trouva aucun passage qui aurait permit au gosse de passer à l'intérieur.
Vers 16h30 nous étions huit à cherche Colin : Ernie et sa femme Jennifer, leurs deux fils de neuf et sept ans Brad et Steven, Jack et Pauline les patrons du du restaurant, ainsi que ma femme et moi. Ernie avait prévenu la police de Decomera qui devait arriver d'une minute à l'autre. On força une des portes de la tannerie et on entreprit de la fouiller de fond en comble. Une odeur pestilentielle avait investi les lieux et l'on comprit très vite que le patron Richie Stomp avait mis la clé sous la porte sans même prendre le temps de se débarrasser de toutes les peaux accrochées dans la salle de traitement. Une odeur acide et empoisonnée nous attaqua les narines dès notre entrée dans le bâtiment. Des centaines de milliers de mouches grosses comme des frelons bourdonnaient dans tous les sens et recouvraient les peaux tendus, les habillant d'une enveloppe noire effervescente, et créant une sorte de fond sonore qui couvrait nos voix et mêmes nos cris. Le sol graisseux collait à nos pieds et grouillait de vers luisants et gras qui tombaient par grappes des peaux où de gigantesques banquets avaient été improvisés. On aperçut de gros rats qui trottinaient dans tous les sens, des morceaux de viande pourries coincés dans leurs museaux voraces. Les femmes restèrent à l'extérieur et Paul Straug ne put avancer bien loin, écœuré par l'immonde atmosphère de la tannerie. Je connaissais bien l'odeur des peaux en décomposition depuis l'époque où j'avais travaillé à la tannerie, mais jamais je n'avais senti pareille puanteur. Ernie, les larmes aux yeux, appela son fils de toutes ses forces mais l'infernal boucan des mouches était tel que même lui n'entendait pas le son de sa voix stridente. Nous inspectâmes toutes les salles et les bureaux de la tannerie en criant le nom de Colin, mais ne le trouvâmes point. Ernie commençait à perdre son sang froid et c'est en courant qu'il descendit les larges marches usées qui menaient au sous-sol, où toutes les peaux en attente de préparation étaient normalement stockées. Je n'osais pas descendre à l'idée de l'enfer qui devait bouillonner là, en-bas, si les peaux n'avaient pas été enlevées depuis la fermeture de la tannerie. Arrivé à la moitié de l'escalier, l'odeur était insoutenable, et semblait attaquer directement notre estomac qui se débattait en nous pour échapper aux effluves atroces de ce lieu. Ernie vomit contre un mur et je faillis tomber dans les pommes. Dans les vapes, je trouvais quand même du bout des doigts l'interrupteur mais hésitais à éclairer l'horreur tapie devant nous. J'allumais finalement quand trois policiers de Decomera en uniforme et l'arme au poing passèrent en trombe devant nous, des mouchoirs plaqués contre leurs visages. La lumière qui jaillit nous laissa tous bouche bée devant l'incroyable spectacle : aucun cinéaste n'aurait pu retranscrire avec les meilleurs effets spéciaux la vision terrifiante et répugnante du charnier qui s'offrit à nous, où grouillaient des millions de monstruosités, dévorant minutieusement les restes des peaux en décomposition. Les trois policiers furent stoppés net dans leur course par cette soudaine vision terrifiante, et ne descendirent pas les dernières marches. La brusque luminosité sembla gêner la majorité des rongeurs qui levèrent tous le museau et semblèrent renifler l'air, les moustaches frétillantes. Ils étaient aussi gros que des teckels et semblaient affamés. En bas des marches, les trois flics soudain très pâles semblèrent se concerter d'un regard et décidèrent de faire demi-tour, poussant Ernie de force qui hurlait le nom de son fils...
Interrompant son récit, Glenn jeta un regard vers Ernie, toujours prostré et silencieux dans un coin de la cave, et reprit son récit après s'être allumé une nouvelle cigarette.
– Ils firent boucler le périmètre autour de la tannerie et effectuèrent des recherches sur toute la zone de Brijeklort, sans succès. On ne retrouva pas Colin. Le lendemain matin, c'était hier, nous fûmes réveillé très tôt ma femme Kathleen et moi par Madame Turkley, notre voisine de soixante-quinze ans, qui m'affirma que son chien Winjim, le vieux berger allemand de son mari décédé avait disparu dans la nuit. Nous l'aidâmes à chercher avec ma femme derrière la maison en appelant le chien quand le téléphone sonna. Ernie m'affirma d'une voix blanche que ses deux autres fils avaient disparus dans la nuit, alors qu'il avait verrouillé toutes les portes et fenêtres du motel. Il avait déjà appelé la police et les trois mêmes policiers de la veille revinrent à Brijeklort sur le coup de neuf heures du matin. Ils descendirent de nouveau dans le sous-sol de la tannerie avec des masques à gaz et de gros fusils automatiques, nous interdisant de pénétrer dans le bâtiment.
Ils ne remontèrent jamais.
Alors que la panique nous gagnait, à dix heures un violent orage éclata : le courant fut coupé ainsi que les lignes de téléphone. Nous improvisâmes une réunion de crise dans la salle du restaurant chez Jack, et sa femme Pauline alluma des bougies. Nous étions neuf à ce moment là : les deux patrons du restaurant Jack et Pauline, ainsi que leur petite fille Lily qui est là avec nous ainsi que Madeleine leur serveuse ici-présente, Ernie et sa femme Jennifer effondrée, ma voisine Madame Turkley ainsi que ma femme Kathleen. Nous étions tous déboussolés devant la gravité de la situation et nous ne savions pas quoi faire. Soudain la petite Lily qui traînait près de la vitrine du restaurant nous appela et nous montra du doigt quelque chose dehors dans la rue. Nous nous levâmes tous d'un bond et allèrent la rejoindre. Jack passa un rapide et grand coup de chiffon sur la vitre embuée par nos respirations pour nous permettre de distinguer la rue. Ernie et sa femme poussèrent un cri à la vue des silhouettes de leurs trois fils, et je cru distinguer une quatrième forme noire, que je reconnus être le chien de Mme Turkley, Winjim. Nous sortîmes tous en trombe du restaurant et restèrent pétrifiés devant la scène : sous des trombes d'eau, Brad, Colin et Steven n'étaient plus les jeunes petits garçons qu'ils étaient la veille. Même Ernie poussa un hoquet de surprise en les voyant et fut stoppé net dans sa course vers eux. Les cheveux hirsutes dégoulinants sur le front et le regard fou, ses trois fils montrèrent les dents dès qu'ils entendirent leur nom prononcé par leurs parents. Ils n'avaient plus de vêtements sur eux et semblaient recouverts d'une épaisse boue noire, et il se dégageait d'eux comme une malformation générale. Entre eux se tenait ce qui était encore la veille un gentil berger allemand toujours fourré dans les jupons d'une grand mère et friand de caresses. Cette dernière poussa un cri en voyant la métamorphose qu'avait subi son chien. Elle se mit à pleurer doucement en prononçant son nom, et le chien se mit à grogner, montrant des crocs impressionnants. L'un des trois fils d'Ernie se pencha brusquement vers le chien et le mordit sur le flanc, comme pris d'une soudaine frénésie. Une bataille s'engagea entre les deux étranges créatures, et Jennifer Cupperball, la femme d'Ernie, ne put se contrôler. Elle courut en hurlant vers son fils, ce qui lui fut fatal. Les quatre monstres tournèrent tous la tête dans sa direction, comme l'aurait fait des prédateurs, et se jetèrent tous sur elle, provoquant une cohue de cris mêlés de souffrance humaine et de folie bestiale. Ernie cria et voulut courir aider sa femme, mais je le retins et l'entraîna de force dans le restaurant, où Madeleine était déjà rentrée avec Lily et ma femme Kathleen. Pendant ce temps là Mme Turkley était partie en trottinant en direction de sa maison. On ne la revit jamais non plus.
Nous réussîmes à nous enfermer à l'intérieur du restaurant et purent contempler, horrifiés, le sort réservé à Jennifer. Son mari restait collé à la vitrine, sanglotant le nom de sa femme que ses trois fils étaient en train de dévorer vivante à même le sol, devant son motel où il vivait depuis dix huit années. Le chien avait disparu. Par la suite, l'orage redoubla de puissance et la nuit tomba. Enfin on décida d'aller se réfugier dans la cave où nous nous trouvons actuellement.
Glenn écrasa son mégot du pied et se releva.
– Où sont les parents de la petite ? demanda Christopher d'une voix enrouée.
– Pauline a voulu sortir chercher quelque chose dans leur appartement à l'étage, intervint Madeleine. Son mari Jack l'accompagna. Nous l'entendîmes hurler dehors puis plus rien, dit-elle, les yeux brillants.
– Vers minuit, dit Glenn, Ernie nous a affirmé entendre sa femme l'appeler, et qu'il devait venir l'aider, qu'elle était blessée et qu'elle l'attendait dehors sous la pluie, blottit contre le mur de leur motel. Avec l'aide de Madeleine j'ai réussi à l'en empêcher, et depuis il est resté prostré là, contre le mur.
– Et votre femme ? demanda Christopher qui regretta aussitôt sa question en voyant l'ombre qui passa subitement sur le visage jusqu'à présent serein de Glenn.
– Ce... sa voix s'enroua et il s'éclaircit la gorge. Ce matin j'ai voulu aller dehors pour voir si la police était là... Il fallait bien qu'on sorte d'ici, se justifia-t-il comme si soudain il était confronté à un juge invisible crée par son esprit. Il continua, des larmes pleins les yeux. Kathleen a voulu m'accompagner. Ernie n'était pas en état, et Madeleine a dit qu'elle restait pour s'occuper de Lily. Nous sommes sortis avoir avoir observé la rue pendant cinq minutes. Il pleuvait toujours et le sol était trempé. Des corbeaux s'étaient posés au milieu de l'interstate et se disputaient des morceaux de charogne qui jonchaient le sol. Ils ne firent même pas attention à nous quand nous sortîmes du restaurant. Nous nous éloignâmes rapidement et allèrent chez nous. Je voulais prendre mon fusil et une boîte de cartouches. En passant devant chez Mme Turkley, on a entendu des bruits sourds venant de sa maison. On a essayé de l'appeler de dehors et Kathleen s'est même rapprochée jusqu'au perron. Ses bacs à fleurs étaient tous renversés et du sang jonchaient les marches et le paillasson de l'entrée. Je conseilla à ma femme de ne pas monter les marches et elle fit demi-tour. On est allé chez nous... Il s'arrêta et son regard devint profond, comme perdu au loin. C'est une horrible sensation que d'être terrorisé en pénétrant dans un endroit que l'on connaît parfaitement mais qui n'est plus le même. J'ai tout de suite senti qu'il y avait quelqu'un ou quelque chose dans la maison, que nous n'étions pas seuls...
Glenn s'arrêta, visiblement ému, et joua inconsciemment avec la gâchette de son fusil. Christopher avait de plus en plus mal à son bras gauche, qu'il se frottait discrètement.
– On... pardon... Elle est montée à l'étage sans que je puisse la retenir, en deux secondes elle n'était plus là près de moi, et d'en bas je vis comme au ralenti le monstrueux chien de Mme Turley apparaître tout crocs dehors derrière la silhouette de Kathleen qui montait à toute vitesse l'escalier à sa rencontre, inconsciente du danger qui l'attendait en haut des marches. Elle cria avant moi quand l'horreur lui sauta au visage et l'attira en arrière, la faisant basculer en avant. Fou de peur et de panique, je me suis jeté dans l'escalier quand apparut en haut des marches Mme Turkley, enfin, la chose lui ressemblait un peu. Disons qu'elle avait les mêmes cheveux.
Richie perçut la terreur qu'avait dû ressentir Glenn à travers le son de sa voix. Son bras le grattait de plus en plus.
– Des flammes brillaient dans les boules noires qui lui servaient d'œils. J'ai honte de l'avouer mais elle m'a terrifié à tel point que je perdis tout contrôle sur moi-même. Je m'enfuis de la maison en hurlant et arrivais ici sans fusil et sans ma femme. La petite Lily m'a parlé du fusil de son papa, caché dans un placard de la cuisine. Si elle en avait parlé avant, peut-être que ma femme serait encore en vie à l'heure actuelle. Glenn eut la morbide vision de sa femme changée en horrible monstre, collée à la vitrine du restaurant et le regardant avec ses yeux fous et affamés.
Il s'essuya les coins des yeux et ralluma une cigarette.
Toujours collé contre Madeleine qui s'était assise sur une cagette de pommes, la petite fille suçait son pouce en jetant à Christopher d'étranges regards. Ce dernier tentait de digérer toute cette histoire de dingue, tout en essayant de cacher son poignet qu'il sentait enfler douloureusement sous son pull.
Il observa Ernie, qui se tenait la tête entre ses mains et la balançait d'avant en arrière, comme un fou, et sentit la douleur redoubler dans son poignet gauche. Soudain des flashs éclatèrent dans sa tête.
– Christopher, ça va ? Madeleine se libéra de l'étreinte de Lily et se pressa vers Christopher, qui avait les pupilles dilatées.
– Ça... Ça va, articula-t-il difficilement, c'est... Il bascula en arrière et perdit connaissance, avec comme dernière sensation la main de Glenn sur son bras, ce qui lui fit faire une dernière grimace avant de sombrer complètement dans les vapeurs de l'inconscience.

Des flashs l'éblouissent, des ombres qui se dessinent dans son esprit, couvrant son champs de vision, la faim qui monte, la faim atroce, dévorante, la lumière rouge qui l'absorbe, qui le commande, qui le pousse vers le fond là où il y a la viande, il doit y aller, il en a besoin il le sent contre son visage le métal s'enfonce, froid comme la nuit le p...

Christopher ouvre subitement les yeux et louche sur le canon d'un fusil, pointé et fortement appuyé contre son front. Il se sent fiévreux et a un goût métallique dans la gorge.
– Ne BOUGE pas, ça vaut mieux pour toi comme pour nous.
– Glenn ? Qu'est-ce qui te prend, dit-il tout en levant le bras pour repousser le canon de l'arme appuyée contre son front. Son bras est soudain coincé par une main qui le plaque au sol.
– Tu t'es fait esquinté le bras par la saloperie tout à l'heure, elle t'a écorché les veines du poignet et ton sang a été contaminé, lui dit sévèrement Glenn dont le ton de la voix avait changé. Je suis désolé Christopher, je sais que c'est pas de ta faute, mais on peut pas te garder ici avec nous. D'ici quelques heures tu vas te transformer en une de ces saloperies et on va te servir de déjeuner.
Christopher sentit la panique monter en lui, en même temps qu'une sourde sensation de faim, une faim gigantesque comme il n'en avait jamais ressentie auparavant. Il eut envie de leur dire qu'il allait très bien, que ce n'était qu'une petite égratignure, qu'il était avec eux et qu'ils allaient venir à bout de ces satanés monstres ou vampires comme disait Glenn. Ce dernier surprit une lueur dans ses yeux, qui lui fit accentuer la pression qu'il exerçait sur son fusil. Christopher perdit de nouveau connaissance et erra pour la deuxième fois dans des dédales de ténèbres où des flashs lui apparaissaient et lui donnaient de plus en plus faim.

Il ouvre les yeux, et se rend compte qu'il est de nouveau au beau milieu de l'Interstate 48, allongé par terre et trempée par une pluie fine et pénétrante. Il ouvre la bouche et laisse y pénétrer des gouttes d'eau. L'aube se lève comme un rideau de lumière à l'horizon. Il sent comme une force en lui, tirant sur son estomac et remontant dans sa bouche asséchée. A quelques mètres de lui des corbeaux semblent picorer à même le sol des restes de chair humaine. Christopher voit un doigt noirâtre qu'un volatile essaie tant bien que mal de gober. Il sent la faim monter en lui, et ses pieds soudain le portent jusqu'au macabre festin, qu'il contemple avec envie, avant de se baisser parmi les corbeaux et de chercher quelque chose à grignoter.

Quelque part dans un renfoncement caché de son esprit contaminé par des organismes sans noms qui le dévorent de l'intérieur, Richie s'est accroupi dans le noir et s'est mis à pleurer. Il voit une image de son père et de son frère, loin, très loin, ainsi qu'un aéroport qui l'a mené jusqu'ici. Il pense à son téléviseur dans sa chambre, il voit la neige sur l'écran. Il se recroqueville sur lui-même pour devenir de plus en plus petit...

Derrière la vitrine à l'intérieur du restaurant, Ernie et Glenn, armés de fusils, observent avec horreur Christopher se réveiller. Déjà des ombres sont apparus au coin de la tannerie et la porte du motel s'est entrouverte. Glenn jette un dernier regard à Ernie, qui hoche brièvement la tête. Il se retourne et fait un signe de tête à Madeleine qui part dans la cuisine avec Lily. Il respire profondément à trois reprises et glisse doucement le canon de son arme entre deux planches de bois qu'il vient de fixer avec Ernie en les clouant à la chambranle de la porte d'entrée du restaurant. Il lance un dernier regard à Ernie qui regarde dehors avec haine, les yeux perdus dans le flou.
– Ce petit fumier va bouffer les restes de ma femme...
Glenn ferme un œil et vise la tête de Christopher à travers les planches et appui sur la gâchette.

Là-haut, aux étages supérieurs, tout s'éboule, les organismes cannibales se dévorent entre eux avant d'être submergés par les flots enragés d'une mer de sang. Christopher hurle au fond de sa cachette, de toute ses forces, mais plus personne ne l'entend...

Une silhouette sombre sort du motel et se jette avec avidité sur le cadavre tombé sur le sol au milieu des corbeaux. Elle commence par mordre la tête à moitié déchiquetée en poussant des grognements d'excitation, avant d'être rejoint par d'autres silhouettes couvertes de sang et affamées. Un horrible chien en piteux état se rapproche sur trois pattes du groupe mais décide d'attendre que les autres se soient éloignés pour prendre sa part.

A l'intérieur du restaurant, deux silhouettes humaines s'éloignent à reculons de la vitrine et disparaissent dans la cuisine, avant de retourner se cacher dans la cave.


FIN

Thomas Desmond 2004

Erika 24
avatar 27/07/2004 @ 16:18:05
Cool, doucement !!! Me dis pas que tu viens juste d'écrire cela où je cours me jeter par la fenêtre (bon d'accord du rez de chaussée je me ferai pas très mal !). J'ai pas encore lu ce texte mais je vais le faire.
Lis aussi les notres et dis nous ce que tu en penses. Il y en a des très bien sur ce forum !
A + tard

Monique 27/07/2004 @ 16:18:21
Thomas, pour l'instant j'ai lu le début, mais j'arrête, je n'ai plus le temps, je reprendrai plus tard car tu as réussi à m'accrocher, ce début est intéressant.
Juste 2 choses, déjà, au point où j'en suis : le pick-up poussiéreux sous une pluie battante, je vois mal... et puis, un "haut-vent" pour un auvent, fais gaffe !

Erika 24
avatar 27/07/2004 @ 16:23:07
Je l'ai imprimer pour le lire tranquille mais, à le survoler, je vais éviter de le prendre en petite lecture du soir !!!!

ouh lala, t'es à fond tout le monde mange tout et n'importe.... qui.

Je le ferai lire à mon frangin c'est un adepte de Stephen King et je te dirai ce qu'il en a penser.

Thomasdesmond
avatar 27/07/2004 @ 16:37:48
Thomas, pour l'instant j'ai lu le début, mais j'arrête, je n'ai plus le temps, je reprendrai plus tard car tu as réussi à m'accrocher, ce début est intéressant.
Juste 2 choses, déjà, au point où j'en suis : le pick-up poussiéreux sous une pluie battante, je vois mal... et puis, un "haut-vent" pour un auvent, fais gaffe !


merci pour la poussière, personne ne l'avait vu jusqu'à présent... C'est vrai que bon... Pour le auvent c'est bizarre j'étais presque sûr que cela s'écrivait ainsi et mon correcteur de texte d'orid ne l'a pas vu... Merci à toi je vais corriger ça au plus vite !!

Je vais imprimer ta nouvelle qui se passe dans un train et je vais la lire dès que possible !

Thomasdesmond
avatar 27/07/2004 @ 16:38:33
Cool, doucement !!! Me dis pas que tu viens juste d'écrire cela où je cours me jeter par la fenêtre (bon d'accord du rez de chaussée je me ferai pas très mal !). J'ai pas encore lu ce texte mais je vais le faire.
Lis aussi les notres et dis nous ce que tu en penses. Il y en a des très bien sur ce forum !
A + tard


Nan celle-là je l'ai écrite voilà deux semaines...

Thomas

Monique 27/07/2004 @ 16:49:50
mon correcteur de texte d'ordi ne l'a pas vu... Merci à toi je vais corriger ça au plus vite !!!
Ton correcteur de texte il est tout aussi bête que tous les autres, il ne le voit pas puisque "haut" il connaît, et "vent" il connaît, pourquoi s'inquiéterait-il de l'association "haut-vent" si on ne le lui a pas appris ? Aucun n'est parfait. Il faudrait demander à Yali qui a "Antidote" s'il le voit "haut-vent" comme une faute ?!

Thomasdesmond
avatar 27/07/2004 @ 17:33:00
je l'ai déjà corrigé !!

merci encore pour le pickup!

thomas

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