Eric Eliès
avatar 08/11/2012 @ 20:51:46
Alan Turing est sans doute l'un des plus grands génies du siècle passé. Par ses découvertes et intuitions géniales sur les algorithmes et les processus mathématiques itératifs, il a directement contribué à la victoire des Alliés pendant la 2ème GM (en dirigeant le décryptage des codes Enigma), posé les fondements de l'informatique et défini les concepts d'intelligence artificielle. Il est de ceux qui (comme Darwin, etc.) permettent de comprendre comment le qualitatif peut émerger du quantitatif...
Néanmoins, il reste étonnament méconnu. C'est en regardant Blade Runner que j'ai pour la 1ère fois entendu parler d'Alan Turing, il y a une quinzaine d'années. Or c'est un vrai génie, de la puissance de Darwin, d'Einstein, de Bohr, etc : est-ce que le livre évoque la raison pour laquelle Turing n'est pas davantage connu ? J'ai du mal à croire que ce soit simplement parce qu'il était homosexuel... Par ailleurs, la puissance et l'aisance intellectuelles de Turing dans les processus combinatoires me font parfois penser à une certaine forme de pensée autistique telle que celle décrite par l'auteur autiste de "Je suis né un jour bleu", capable d'apprendre par mémorisation une langue en quelques semaines ou d'égréner pendant des heures les décimales de PI . Est-ce que le livre le confirme ?

Oburoni
avatar 08/11/2012 @ 22:01:53
c'est un vrai génie, de la puissance de Darwin, d'Einstein, de Bohr, etc : est-ce que le livre évoque la raison pour laquelle Turing n'est pas davantage connu ? J'ai du mal à croire que ce soit simplement parce qu'il était homosexuel...



Je pense tout simplement que c'est à cause de son domaine de prédilection (maths, intelligences artificielles).

Dans le même calibre, qui a entendu parler d'Ada Lovelace ?

Saule

avatar 09/11/2012 @ 08:13:10
N'est-ce pas aussi du au fait qu'il travaillait pour les services secret anglais et que ses recherches étaient sous le sceau du secret, ce qui fait qu'après c'était trop tard pour en revendiquer la paternité ?

Ellane92

avatar 09/11/2012 @ 08:54:33
Néanmoins, il reste étonnament méconnu. C'est en regardant Blade Runner que j'ai pour la 1ère fois entendu parler d'Alan Turing, il y a une quinzaine d'années.

Je n'ai pas lu les livres que tu cites, en revanche, je peux t'assurer qu'on étudie largement les travaux de Turing au cours des études en psychologie cognitive, ergonomie et épistémologie (enfin, de mon temps, on le faisait !).
Quant à Blade Runner, c'est un de mes films fétiches !

Ndeprez
avatar 09/11/2012 @ 08:56:25
Ada lovelace est, il me semble, la premiere programmeuse ...elle faisait des recherches sur une machine devant résoudre un algorithme.
Effectivement ils ne sont pas tres connus, mais qui se souvient egalement des prix Nobel de physique comme Charpak...

Poue etre connu il faut faire Secret Story

Oburoni
avatar 09/11/2012 @ 11:32:46
Ada lovelace est, il me semble, la premiere programmeuse ...elle faisait des recherches sur une machine devant résoudre un algorithme.
Effectivement ils ne sont pas tres connus, mais qui se souvient egalement des prix Nobel de physique comme Charpak...

Poue etre connu il faut faire Secret Story


Au XIXème siècle ! Le premier programme informatique alors que les ordinateurs n'existaient même pas !!

Et nos petites filles admirent Britney Spears...^^

Falto 09/11/2012 @ 11:50:00
Par ailleurs, la puissance et l'aisance intellectuelles de Turing dans les processus combinatoires me font parfois penser à une certaine forme de pensée autistique telle que celle décrite par l'auteur autiste de "Je suis né un jour bleu", capable d'apprendre par mémorisation une langue en quelques semaines ou d'égréner pendant des heures les décimales de PI . Est-ce que le livre le confirme ?



Oui, l'auteur laisse supposer, sans pouvoir le certifier, une certaine forme d'autisme(Turing n'a jamais été diagnostiqué).
Sa vie est jonchée de comportements troublants.

A ce sujet, s'il a réussi une performance de choix, en apprenant à lire tout seul en moins d'un mois. Ce n'était pas du tout l'élève brillantissime que l'on pourrait imaginer.
Brouillon, introverti, dépressif, mal fagoté, il n'arrivait pas à acquérir la culture de gentleman, que l'on attend d'un jeune anglais qui passe par le système des « grammar school ».
Scolarité tout à fait atypique par rapport au cursus que l'on essaye de lui inculquer.


Les mathématiques, c'est d'abord un refuge contre « l' intrusivité » du monde social et les « contraintes » que l'on cherche à lui faire subir.
Il fait des maths comme d'autres lisent. C'est sa façon à lui d'avoir un rapport avec le « réel », dans une optique très particulière qui est toujours celle du calcul.

On mesure ainsi toute l'importance du calcul dans la vie de Turing.
Cela permet de faire le lien entre sa machine formelle( de papier, mathématique), élaborée en 1935; la machine de décryptage du système de codage de l'armée allemande, et la préfiguration de l'ordinateur et des machines qui pensent.

Durant la Seconde Guerre mondiale, il intègre le service de déchiffrement, dans une sorte de manoir à Bletchley Park, accompagné de cruciverbistes, de linguistes et d'autres mathématiciens, avec pour mission de comprendre et déchiffrer la machine Enigma.

La problématique est simple: il y a un ennemi dont ils ignorent la position sur une carte, ils arrivent à décrypter une partie des messages avec un peu de chance, à ce moment là, ils entrent dans l'esprit de leurs ennemis. Ce qui se produit par la cryptologie, c'est l'idée que par le biais d'un traitement des messages secrets, on va connaitre l'esprit de l'ennemi.
C'est avant tout des problèmes de calcul, mais l'idée sous-jacente, c'est bien l'esprit derrière la machine.

On comprend ainsi le lien entre les oeuvres de Turing. On peut les résumer en 2 métaphores.

D'abord celle de 1936 quand il décrit sa machine abstraite, il engage le lecteur de l'article à se placer du point de vue de la machine. Celui-ci doit faire les mêmes opérations que la machine. Ce lecteur, Turing l'appelle le computer(un calculateur). Il demande au lecteur « soyez un calculateur ». Il se trouve que ce « calculateur » est intégralement mécanisable et que l'on peut donc le remplacer par une machine réelle.

L'autre métaphore est celle de l'intelligence, où l'on passe de l'intelligence du décryptage du renseignement à l'intelligence comme faculté mentale.

Il fait ainsi un parallèle ingénieux entre les deux métaphores en postulant que la machine peut-être intelligente au sens de la pensée humaine.
Son idée directrice, c'est de construire un cerveau. Il essaye de comprendre son caractère étrange, puisqu'un cerveau, ça ne se construit pas, ça croit. C'est un processus de croissance biologique.
Or il était convaincu au départ que l'on peut réussir à construire mécaniquement ce qui relève de la croissance du cerveau. Cela va le hanter jusqu'à la fin de sa vie.

Il retourne à Cambridge suivre des cours de physiologie, qui déboucheront sur une chose capitale : le problème de la morphogenèse, le développement des formes.
A ce sujet il comprend que le cerveau - une « machine états discrets » selon ses dires - , peut avoir le moindre changement d'impulsion nerveuse et cela être la cause du développement non prédictif.

D'une part, Turing a son programme basé sur la logique, de l'autre, il s'approche du point de vue physique de la morphogenèse et, il se rend compte que sa machine de Turing « laplacienne » est complétement inadéquate pour décrire le cerveau humain.
La notion de dérives exponentielles, états catastrophiques dans les dynamismes continus, appelées 20 ans plut tard « sensibilité aux conditions initiales ». Ce qu'il comprend dans les systèmes continus, c'est que la moindre variation en dessous de l'observable(que l'on peut pas mesurer) provoque des changements très importants dans la dynamique des formes. Il essaye de rendre intelligible un système causal, où l'interaction est la cause de l'évolution dynamique. Or ce n'est pas possible dans sa machine de Turing.

En cela, Turing est complétement stupéfiant, il est à l'articulation de deux chapitres de la science.
Un premier chapitre, le déterminisme laplacien: la physique de Laplace et la logique mathématique de Hilbert.
Et puis le deuxième chapitre à partir de Poincaré, où les processus déterministes ne font pas le tour de la physique.
Il a deux étapes de la science et un changement de paradigme majeur entre les deux. Turing commence à travailler sur la première, il pousse au maximum l'idée de déterminisme, il se rend compte qu'il y a des limitations à ce paradigme, et il est capable de passer à la seconde étape en ayant des résultats absolument géniaux malgré tout.
Il trace une espèce de frontière entre calculable et non calculable, déterminisme et non déterminisme. Il arrive ainsi donc à définir des champs(le champ informatique par exemple). Il sait pertinemment dans ses derniers travaux qu'il y a autre chose. On ne peut pas réduire la science au déterminisme, au calcul etc...


Malgré tout son génie, Turing n'avait pas que de bonnes intuitions, faut-il le rappeler.
L'idée de la différence entre le « hardware » et le « software », la distinction du substrat matériel au profit du programme, est de lui. Elle a profondément marqué les sciences cognitives(psychologie, neurosciences etc), la philosophie de l'esprit, et l'intelligence artificielle. Au moins à parts égales avec le dualisme de Descartes.
D'où toutes les théories fumeuses qui s'en sont suivies: l'idée de concevoir l'esprit comme encapsulé individuellement dans le cerveau, séparé du corps, de son environnement ; l'analogie avec la logique syntaxique du langage, donc qui utilise sous sa forme la plus fine, des règles formelles pour penser ect.

Néanmoins en travaillant dans le cadre de la morphogénèse, comme rappelé plut haut, Turing a déplacé ce paradigme déterminisme qui reposait philosophiquement sur la psychologie individuelle. Et donc d'une certaine façon, il a prévu le paradigme actuel en sciences cognitives, au sens de l'intelligence distribuée, les constructions de foi etc...

Eric Eliès
avatar 09/11/2012 @ 22:32:50
D'où toutes les théories fumeuses qui s'en sont suivies: l'idée de concevoir l'esprit comme encapsulé individuellement dans le cerveau, séparé du corps, de son environnement


Je croyais que c'était Descartes qui était à l'origine de ces idées fumeuses (théorie de l'animal machine, du corps soumis à l'environnement déterministe vs l'esprit encapsulé dans le corps avec la théorie des deux horloges concordantes, etc.)

Il me semblait que Turing avait, au contraire, imaginé faire émerger l'intelligence artificelle d'une construction dynamique qui, sans cesser d'être déterministe, devient capable d'adaptation et d'une telle variabilité que son déterminisme n'est plus apparent, comme dans les systèmes déterministes chaotiques où la moindre variation sur les données initiales provoque des variations incalculables sur l'état final.

Falto 11/11/2012 @ 08:37:36

Il me semblait que Turing avait, au contraire, imaginé faire émerger l'intelligence artificelle d'une construction dynamique qui, sans cesser d'être déterministe, devient capable d'adaptation et d'une telle variabilité que son déterminisme n'est plus apparent, comme dans les systèmes déterministes chaotiques où la moindre variation sur les données initiales provoque des variations incalculables sur l'état final.


Dans mon commentaire précédent, j'ai écris à peu près la même chose :
"La notion de dérives exponentielles, états catastrophiques dans les dynamismes continus, appelées 20 ans plut tard « sensibilité aux conditions initiales ». Ce qu'il comprend dans les systèmes continus, c'est que la moindre variation en dessous de l'observable(que l'on peut pas mesurer) provoque des changements très importants dans la dynamique des formes. Il essaye de rendre intelligible un système causal, où l'interaction est la cause de l'évolution dynamique. Or ce n'est pas possible dans sa machine de Turing."


Vers la fin de sa vie, lorsqu'il écrit son fameux article qui définit ce qu’on appelle le « test de Turing » , il semble en effet avoir démontré assez rigoureusement, que sa machine ne pourra jamais rendre compte de la diversité des phénomènes mentaux. Sur ce point précisément, les sciences cognitives et les recherches en intelligence artificielle n'en ont peu tenu compte.
Dans l'article, il établit ainsi clairement une distinction entre d'une part, son « test » - et de l'autre, ce qu'il appelle le modèle de la morphogenèse(où il décrit les interactions du cerveau et les causes de l'évolution dynamique).
C'est ainsi qu'il essaye de "sauver" le modèle de sa machine en proposant le « test de Turing». Ce qui revient d'une certaine façon, à "tromper" l'interlocuteur.

L'ordinateur(qui s'inspire du concept de la machine de Turing) n'est jamais qu'un tas de 1 et de 0 qu'on lui demande de traiter d'une certaine manière.
Très schématiquement, par l'intermédiaire d'une sorte de "'mille-feuilles" de programmes entassés les uns plus ou moins sur les autres et, qui passent leur temps à échanger des 1 et des 0 dans un certain ordre.
Il est donc incapable de comprendre le sens d'une phrase.
Quand on évoque les ordinateurs, donc les algorithmes, on les caractérise par un « output » qui est indépendant de la comparaison avec la réalité, alors que quand on parle d'intelligence, on entend justement une notion d'adaptation au réel(au milieu). Il est incompatible logiquement d'exiger à la fois qu'un algorithme soit support-indépendant et qu'il corresponde au réel.

C'est ainsi dans le même article, Turing s'interroge, plutôt que de manipuler des symboles et des règles, les « systèmes dynamiques » comme le cerveau humain, travaillent avec des systèmes formés de variables réelles en utilisant des équations différentielles.
Une des conséquences cruciales de l'approche dynamique, qu'on ne trouve pas dans l'IA basée sur le concept de la machine de Turing , c'est qu'on obtient en effet des propriétés émergentes, c'est-à-dire des états globaux de l'ensemble des variables, car il y a une interdépendance intrinsèque. Nul besoin de chef d'orchestre pour coordonner la chose, c'est la dynamique même qui va "naturellement" la porter.

Néanmoins les modèles d'IA qui s'appuient sur la construction dynamique témoignent paradoxalement d'un handicap inversé de ce que l'IA basée sur le concept machine de Turing est critiquée: la calculabilité.
Si le fait que ce qu'on appelle l'intelligence, n'est précisément pas une notion rammenable à l'exécution d'un algorithme(software) indépendant de son support(hardware) - les « dynamicistes » insistent bien sur ce point -, pas plus que "pouvoir faire un enfant" n'est un algorithme.
Alors il n'y a plus aucun argument scientifique pour affirmer que deux structures matériellement différentes peuvent donner le même résultat.

L'avantage qu'offraient les modélisations du cerveau basées sur le concept de la machine de Turing, c'était précisément de réduire la pensée humaine à une fonction indépendante de son support.
A l'instar des calculatrices, qu'elles soient physiques, ou implantées par le biais d'un programme dans l'ordinateur, c'est pareil !

Même si les recherches en intelligence artificielle sont riches et complexes, et que le but n'est pas forcément de construire le monstre de Frankenstein.
Néanmoins, je pense que l'on trompe les gens lorsqu'on fait croire que l'IA actuelle s'approche de la pensée humaine.
Mon sentiment, c'est que ces notions d'IA simulant la pensée humaine sont d'une certaine façon définies par rapport à des représentations imaginaires et non des critères scientifiques précis.

On s'aperçoit que cette vision de l'IA revient en fait à imaginer des êtres fantasmatiques - qui sont d' ailleurs très clairement décrits dans les oeuvres de fiction, comme Skynet le superordinateur malfaisant de Terminator, ou les robots intelligents de Star Wars, d'Asimov, ou de Philip K. Dick - et auxquels on se réfère toujours lorsqu'on évoque l'IA.
Or ces robots, bien que leur représentation fantasmatique soit claire, ils ne sont néanmoins, pas définissables en termes d'arguments scientifiques.

Ce n'est pas propre aux robots d'ailleurs : les créatures fantasmatiques comme le Pere Noel, les elfes, les dieux de l'Antiquité, sont très clairement représentées dans l'esprit des gens qui en parlent, et le consensus imaginaire sur leur représentation n'est pas difficile à atteindre - il est néanmoins évidemment que l'on ne peut pas les définir de façon scientifique, et si on interroge sur le caractère des elfes, on peut bien y mettre ce qu'on veut.
Mon point est juste que ce que les gens mettent derrière l'IA simulant la pensée humaine, se rapporte plus à ce type d'imaginaire qu'à d'autres problèmes, comme "maitriser la fusion nucléaire", qui sont eux susceptibles de vraies définition scientifiques.

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