Pierre-Jean Verhoye de Manuscrit.com par Sorcius, le 21 mars 2005

Pierre-Jean Verhoye a obtenu le Prix du Premier Roman Le Manuscrit 2005 pour "Débloque" son premier roman découvert sur Manuscrit.com,  par un jury de lecteurs et de professionnels du livre. L'équipe de CritiquesLibres.com, en tant que partenaire de cette opération, est heureuse de présenter le première interview de ce rêveur professionnel, qui partage sa vie entre un travail très sérieux, rempli de chiffres, et un quotidien secret où les lettres construisent des histoires. Le Prix du Premier Roman Le Manuscrit développe une collection de premiers romans diffusés  www.manuscrit.com, dans les librairies francophones via la base de données bibliographique Dilicom et sur les librairies en ligne Amazon.fr et Chapitre.com. Avec cette collection, les Editions Le Manuscrit poursuivent leur vocation éditoriale en offrant aux auteurs francophones un espace de diffusion gratuit et interactif. Chaque année, les participants peuvent inscrire leur manuscrit jusqu'au 01 janvier sur le site. Plus d'infos sur le Prix  :  http://www.manuscrit.com/operations/prix_premieroman.asp Plus d'infos sur Débloque: http://www.manuscrit.com/debloque

Bien sûr, un roman prête toujours à de nombreuses interprétations, mais ce que j’aimerais, ici, c’est connaître la vôtre…

Le problème, c’est que mon plaisir d’auteur a justement été de construire un récit où les interprétations pouvaient être multiples ! Mais, pour simplifier, je pense que dans tous les systèmes politiques qui existent, sous tous les climats, cultures ou religions, la vie est toujours soumise à la même condition : se conformer à la règle. Le personnage principal du livre est confronté à un monde qu’il ne comprend pas, dont il va petit à petit refuser le mode de fonctionnement, maladroitement codifié dans un « règlement intérieur » qu’il va finir par rejeter. A partir de là, la lecture peut être pessimiste –le personnage est prisonnier, sans échappatoire- ou optimiste –le personnage réussit à fuir, à s’échapper de ce monde. Un dernier élément de réponse à cette première question : ma vision du monde actuel m’amène à interpréter Débloque comme l’histoire d’une exclusion. Je me surprends souvent, quand mon regard croise celui d’un clochard, à penser que la panthère rouge n’est pas loin …

Le monde de Débloque vous a-t-il été inspiré par certains aspects du monde réel ?

Ce monde qui prend corps au fil des pages, à la lecture, s’est également construit mot à mot, à l’écriture : mon premier travail de construction de l’univers « Débloque » a été de relier entre elles des scènes que je voulais poétiques ou symboliques (les rencontres essentiellement). Et c’est de ces liens qu’est né ce monde, cohérent et familier parce qu’effectivement il est de chez nous : nous nous levons tous les matins, nous suivons des règles, nous allons au travail, nous avons des fantasmes, des frustrations, des joies et des peurs, des désirs de fuite ou de folie, le besoin d’être passionné, d’être utile, cette aversion pour l’injustice.

Le héros trouve sa solution personnelle pour échapper à cet univers; pensez-vous qu’une solution collective – autre que la mort – existerait ?

Non. Je ne pense pas qu’une solution collective puisse exister, qu’une révolution soit possible dans ce monde-là. En tout cas pas tant que ses rouages demeurent bien huilés : on le sent à la lecture, le monde de Débloque commence à se fissurer, à tomber en lambeaux. Ce monde atteindra sa propre fin, sans révolution, et la suite de cette histoire … a certainement déjà été écrite !

Pourquoi avoir utilisé le personnage d’une petite-fille pour le rôle qu’elle joue ?

La petite fille est simplement née du désir d’inventer cette scène, la première du roman, entre elle et un adulte qui aurait du mal avec le calcul mental. La petite fille lui donne cinq bonbons, il en perds trois et ne sais pas combien il lui en reste : c’est à la fois cruel, déconcertant, et attachant. La petite fille a pris de plus en plus d’importance en cours d’écriture, pour devenir une pièce essentielle, sinon maîtresse , dans son aboutissement.

Chaque personnage remplit-il un rôle symbolique ?

Il me semble que ce sont plus les rencontres entre les personnages que les personnages eux-mêmes qui portent la symbolique. J’ai voulu que la présence de chacun semble naturelle, que le lecteur ne se demande pas pourquoi une panthère, pourquoi cette chenille puis ce papillon, etc. Ils ont tous un vrai rôle dans cette histoire, et leurs rencontres sont spectaculaires, riches d’une symbolique qui vient solliciter l’imagination du lecteur, sa visualisation des scènes. Finalement, c’est au lecteur de gérer ces symboles. Libre à lui d’en voir ou pas.

Que représente la panthère rouge ?

Là encore, tout dépend de la lecture, de l’intimité qui s’est créée avec la panthère. Elle pourrait presque être une amie, car elle est également une victime de ce monde. Pour moi, elle est une nettoyeuse, une égarée ou une rédemptrice. Elle peut tour à tour représenter une sorte de police silencieuse ou la matérialisation de la folie qui gagne le personnage principal. Elle est surtout belle, chaude, vivante. Féline. Et finalement, le seul personnage vivant.

Pourquoi rouge ?

Elle est longtemps restée noire … Et puis sa place dans le monde de Débloque a nécessité qu’elle devienne rouge : parmi les premiers lecteurs, nombreux pensaient qu’elle était là par erreur, échappée d’une jungle. Or, je souhaitais absolument qu’elle fasse partie intégrante de ce monde, que le lecteur ne se pose pas de questions sur sa présence. Et la meilleure manière de la rendre plus « acceptable », c’était de la peindre en rouge.

Pourquoi, soudain, cet éclair de bonté chez la panthère, quand elle lèche la main de l’homme ?

Nulle bonté. Amour, solitude, cruauté attendrie, surprise, fraternité. Tristesse ?

C’est votre premier roman ; l’avez-vous écrit d’un coup ou est-ce le résultat d’une longue maturation ?

A l’exception d’une « panne » lors de la rédaction, il me semble que la première écriture a été rapide, tendue. En fait, ce récit mûrissait depuis longtemps, et ces rencontres, je les portais également depuis longtemps. L’homme rond du récit était présent dans mon « cahier d’idées » depuis quelques années, tout comme l’homme piquet. La panthère rouge était un peu plus loin, tapie. Ils ont tous ressurgit, mécaniquement, quand la petite fille et le Jojo du Bloc ont commencé à exister. L’écriture s’est pourtant interrompue quelques temps, alors que je butais sur une difficulté qui aurait pu être fatale au récit : je n’arrivais pas à voir ce que toutes ces personnes faisaient au « Travail ». Il fallait quelque chose qui colle avec le monde de Débloque, mais qui ne fasse ni grotesque, ni trop « sciences-fiction ». Et puis, un jour, j’ai vu. Et c’est mon plus beau souvenir d’écriture.

Ce qui m’a plu, entre autres, c’est la fluidité du texte. Il est construit et vous emmène, petit à petit, d’un point A à un point B, l’air de rien. Pas d’accrochage, pas de phrases inutiles, comme souvent, malheureusement, dans les romans. Est-ce un résultat recherché ou cela vient-il tout seul ?

Depuis la première version du roman et ses premiers lecteurs, Débloque a perdu environ 20% de ses lettres. Quand on relit son texte un an après, on a souvent envie de couper des phrases que l’on trouvait belles, mais qui n’ont plus d’utilité dans le récit, dans son rythme. Donc, oui, ce résultat est le fruit d’un travail. Et qu’il est dur de couper quand on commence à écrire : au début, on évalue son travail en nombre de pages, en poids de mots presque ! Alors, pour y voir clair, rien de tel que de laisser reposer un texte plusieurs mois : en général, quand on le reprend, on est impitoyable …

Comment la trame du récit vous est-elle venue ?

Encore une fois, la trame s’est tissée en reliant entre elles des scènes que je voulais utiliser. Pour le reste, pour ce roman en particulier, la trame s’est également montée au fil de l’écriture, car, j’en suis convaincu, certaines choses arrivent, imprévues, pendant ces minutes où les mots s’alignent sur le papier (ou sur l’écran de l’ordinateur). Dans ces cas, ce sont les mots qui en appellent d’autres, et qui font surgir des situations non entièrement voulues.

Avez-vous un autre roman en route ?

Depuis Débloque, j’ai terminé un polar, histoire de me « défouler l’écriture», ainsi qu’une histoire plus ambitieuse, à plusieurs temps et plusieurs voix, mais qui ne fonctionne pas comme je le souhaiterais : le récit plaît, mais le style demande à être retravaillé. Je travaille également sur un conte, planté dans les montagnes et raconté par un caillou, ainsi que sur un scénario. Et puis je prends des notes pour un projet de roman ambitieux, mais ce sera pour plus tard…

Quels sont les écrivains qui vous ont inspiré ? On ne peut s’empêcher de penser à Kafka en vous lisant…

Plusieurs écrivains m’ont marqué, par leurs styles, par la puissance de leurs intrigues, ou par les univers créés. Si l’on doit en chercher un qui m’aurait « inspiré » pour Débloque, c’est plus difficile, car Débloque vient de loin, et a sans doute été davantage inspiré par le cinéma de Cocteau que par la littérature. De nombreux lecteurs m’ont d’ailleurs dit qu’ils trouvaient Débloque très « visuel ».

Quel livre lisez-vous en ce moment ?

« Océan Mer » d’Alessandro Barrico. C’est du grand art.

Quelles sont les limites de la liberté ?

J’ai reçu la semaine dernière une carte postale d’une bonne amie, ornée d’une citation d’Alphonse Allais, « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites » … et le propre de ce type de questions, c’est que les réponses sont illimitées !

Comment imaginez-vous la terre dans, disons, trois cents ans ?

Dans trois cents ans, l’Europe occidentale sera une vaste maison de repos et de convalescence ainsi qu’un pôle touristique pour le reste du monde. L’Europe centrale sera une région de sous-traitance pour des produits de bonne qualité qui travaillera essentiellement pour la Chine, principal pôle économique du globe. Les Etats-Unis se seront complètement coupés du monde et seront revenus à une société manuelle, sans technologies, dans un immense fonctionnement proche de celui d’une secte. Les principales grosses multinationales américaines auront migré soit en Suisse, soit en Australie. La Californie aura fait sécession du reste des U.S.A., et sera même devenue une île à la suite d’un tremblement de terre en partie déclenché par des sécessionnistes fanatiques. L’Afrique sera la terre de tous les possibles, où les pionniers seront nombreux à travailler, inventer des nouvelles façons d’être. La musique et tous les arts viendront de là. La majorité des habitants des pays d’Asie vivront dans des mondes virtuels, et auront en partie colonisé la lune ainsi que leurs fonds marins. Il ne sera plus possible pour personne de se retrouver seul avec soi-même.

Qu’aimeriez-vous qu’on retienne de votre livre ? Qu’aimeriez-vous qu’on en dise ?

Je souhaite qu’on en retienne un récit, fort, efficace. Pour ce que j’aimerais qu’on en dise, j’avoue que je suis largement comblé avec les critiques lues et reçues depuis l’attribution du Prix du Premier Roman 2005. Mais plus que tout, je souhaite que les personnages de Débloque accompagnent longtemps les lecteurs qui le voudront bien.

Voir la critique de Débloque:

http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/7744

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