Eric Dejaeger par Kinbote, le 6 septembre 2004

Avec Jivarosseries, second recueil de «contes élagués» paru chez Memor, bref, de textes courts, décapants et forcément féroces, Eric Dejaeger s’inscrit comme le digne successeur de Jacques Sternberg qui a d’ailleurs préfacé le premier recueil. Collaborateur régulier de la revue Fluide glacial, auteur d’autres ouvrages toujours singuliers et en prise sur l’époque, traducteur, co-animateur d’une revue qui recrute ses auteurs dans le monde entier, Dejaeger est un passionné de la chose littéraire qui cultive l’humour comme une plante bénéfique. A découvrir d’urgence !

Auteur de contes brefs et d’aphorismes, co-animateur d’une revue qui tient dans la poche et qui se nomme Microbe, d’où te vient ce goût pour le minuscule ? Ou n’est-ce qu’une apparence, une manière de fractionner des appétits gigantesques ?

J’écris court essentiellement par manque de temps et par paresse. Je ne désespère pas d’un jour caser mon premier roman. Si, il est écrit.

Écrire court, c’est certainement une façon de ne pas s’appesantir, de couper court aux effets faciles, de restreindre le contexte, de tout concentrer sur l’action, c’est favoriser l’expression plutôt que la représentation. Florence Delay assimile la forme brève à la joie, et la longue, à la tristesse. Et force est de reconnaître que même si la forme brève convient par exemple à l’expression du morbide, cela se fait souvent dans la jubilation. (Voici une question à la longueur bien mal appropriée à son sujet !)

La sagesse populaire ne dit-elle pas que les plus courtes sont toujours les meilleures ?

Pour quelle(s) longueur(s) as-tu le plus d’indulgence ?

Celle de mes cheveux.

Ton premier recueil de contes a été préfacé par Jacques Sternberg, et le second est dédié à « J.S., le maître du genre ». Dans quelles circonstances l’as-tu découvert, et puis rencontré ?

J’ai découvert l’œuvre de Sternberg il y a une trentaine d’années avec Univers zéro (Marabout) qui m’a réellement soufflé. Depuis, j’ai lu pratiquement tous ses livres (une cinquantaine). Je lui ai écrit pour la première fois en juillet 2000 pour obtenir l’autorisation de publier dans Microbe des extraits d’un de ses livres épuisés (Le dictionnaire du mépris). Je n’y croyais pas trop et cela m’était totalement sorti de la tête quand j’ai reçu une réponse deux mois plus tard. Sternberg avait été frappé par le conte bref que j’avais joint à mon courrier (Les confins de l’univers, in Élagage max…) et me disait le considérer comme un modèle du genre. Quelques jours plus tard, il m’a téléphoné et m’a invité à passer le voir à Paris. Entre-temps, Élagage max… avait été accepté par Memor. J’ai donc emporté un exemplaire du manuscrit à Paris et j’ai demandé à Sternberg s’il serait d’accord d’écrire une préface. Il en a écrit peu et, précise-t-il, jamais par complaisance. J’en suis d’autant plus heureux qu’il ait accepté de m’en rédiger une.

Quels sont les autres auteurs qui ont compté pour toi ?

Auteurs belges (en plus de Sternberg) : Achille Chavée, Marcel Mariën et Louis Scutenaire. Auteurs anglo-saxons : Richard Brautigan, Ambrose Bierce, Charles Bukowski, John Fante, Philip K. Dick, Jim Harrison, James Crumley, John Irving, Tom Sharpe, Robert McLiam Wilson, Tom Robbins & quelques autres. Un seul écrivain français m’a réellement époustouflé : l’abominable Céline. Cela dit, j’espère que cette liste va encore s’allonger car je n’ai heureusement pas lu tous les livres comme certain prétentieux.

Parmi tes activités, tu comptes celle de traducteur. Patrick Besson dit entre autres choses sur le sujet que le traducteur est la seule personne qui connaît aussi bien un texte que le connaît son auteur et que le traducteur, à défaut de dormir avec son auteur, s’endort souvent sur lui... Sans aller jusque là, quels ont été tes rapports avec les auteurs que tu as traduits?

Jusqu’ici, je n’en ai encore rencontré aucun et nos contacts se font essentiellement par e-mails. Les rapports sont très cordiaux et ces auteurs sont très heureux car c’est souvent la première fois qu’ils sont traduits en français.

Quel plaisir t’apporte la traduction ?

Le plaisir de faire découvrir un auteur à une centaine de personnes.

Traduire, est-ce forcément trahir ? Un exemple de trahison heureuse ?

Traduire est quelque chose de difficile car on n’est pas dans la tête de l’auteur. N’ayant aucune formation de traducteur, je ne m’attaque jamais à des choses trop ardues. Des trahisons heureuses, je ne pense pas en avoir commis : je colle le plus possible au texte original. Mais il m’est arrivé de faire deux ou trois bourdes, que j’assume. Comme par exemple traduire « bathroom » par « salle de bain ». Il se fait que les Américains utilisent aussi ce terme pour « toilettes », ce que j’ignorais et qui correspondait au contexte.

Tu comptes parmi les traducteurs francophones de Richard Brautigan...

Ma contribution à la traduction des écrits de Brautigan est infime : j’ai juste traduit une bricole inédite.

Brautigan, c’est qui ? Qu’a-t-il apporté à la littérature ?

Brautigan est un auteur de la contre-culture américaine qu’un ami m’a fait découvrir fin des années 80. J’ai dévoré son œuvre en quelques mois, en français d’abord puis en anglais. Brautigan m’a surtout appris qu’il était inutile de faire compliqué quand on peut faire simple et qu’un peu d’imagination dans un court poème vaut 50 pages mal ficelées.

Quels sont les autres auteurs étrangers, encore méconnus dans nos contrées, sur lesquels tu voudrais attirer l’attention ?

Gerald Locklin, A.D. Winans et mon pote Catfish McDaris qui a choisi de s’en aller il y a peu. Je regrette aussi que la plus grande partie de l’œuvre poétique de Bukowski (90% ?) reste inédite en français.

Même si la littérature n’est effectivement pas une question de territoire, quelle différence fondamentale vois-tu entre les écrivains anglo-saxons et les écrivains francophones ?

L'imagination chez les anglo-saxons opposée à l'art de tirer une nouvelle de 20 pages en un roman de 200 pages très stylé et très barbant chez de nombreux français établis. La langue anglaise a un énorme avantage sur le français : le subjonctif imparfait n’y existe pas.

Plusieurs de tes textes sont d’inspiration politique. Tu ne te prives pas d’attaquer par exemple les réformes dans l’enseignement, la politique israélienne en Palestine, l’américaine en matière d’environnement, les idioties de la technologie... Tes recueils de textes courts peuvent aussi se lire aussi comme un dictionnaire de la bêtise du temps présent. On sent que tu choisis de brocarder ce qui te met en rogne...

Un bon petit coup de griffe enrobé d’humour vaut mieux qu’un long discours barbant. Et puis, ça soulage un tout petit peu.

Qu’est-ce qui pousse à créer une revue (Écrits Vains de 1991 à 1999) puis une autre (Microbe depuis 2000, avec Paul Guiot), à laquelle s’adjoint chaque fois une petite entreprise d’édition ?

Uniquement la passion de la littérature.

C’est un virus qui t’a pris quand, à quelle néfaste occasion ?

Tout est simplement lié. Je suis passionné par la littérature et l’édition (micro pour ce qui me concerne), la lecture, l’écriture, la traduction en font partie.

Que rencontre-t-on dans la petite presse qu’on ne rencontre pas chez les « gros » tirages ?

Beaucoup de variété sur peu de pages. Des auteurs talentueux et inconnus, qui risquent malheureusement de le rester car ce qu'ils écrivent ne correspond pas souvent à ce que les éditeurs pros veulent vendre. De la spontanéité. Beaucoup de naïveté aussi, celle-ci étant pour moi une qualité. Par contre, le n’aime pas trop le côté laboratoire expérimental de certaines publications. Je lis pour me distraire, pas pour m’arracher les cheveux. Même si certaines expériences, prises au second degré, provoquent le fou-rire et démontrent que le ridicule ne fait toujours pas de victimes !

Qu’est-ce qui te guide dans le choix des textes, quelle qualité principale fait un bon texte ?

Pour Microbe, le premier critère de sélection est la brièveté : en dire beaucoup en peu de mots. Puis l'humour, du rose pâle au noir foncé. Mais ce sont des critères personnels et un choix revuistique. Cela ne m'empêche pas d'apprécier les romans de John Irving qui sont aux antipodes des genres courts.

Tu publies entre autres chez Memor. Quels sont les rapports d’un auteur avec son éditeur ?

John Ellyton a eu un genre de coup de cœur pour Élagage max… et a remis le couvert avec Jivarosseries. Nos rapports sont très bons. Nous avons pas mal d’idées en commun. L’humour passe bien entre nous. Je touche du bois !

Et maintenant, si tu veux bien, une petite série de questions « rapides »...

Qu’est-ce qui te fait lever le matin ? Ça dépend. Mon radio-réveil, une gueule de bois, une vessie pleine… L’action la plus nulle de l’Histoire ? Armstrong sur la Lune. Ce qui t’irrite le plus ? L'intolérance. L’excès qui te caractérise le mieux ? La tolérance. Ton conte le plus bref ? Ex aequo : Lendemain de fin du monde (in Élagage max…) et Le Q.I. du F.N. (in Jivarosseries). Ton pire calembour, donc le meilleur ? « La solide aridité sociale du M.R. » Ton objet préféré ? Mon marsupilami en plastique qui va sur ses 40 ans. Ton vers préféré ? J’aime certains poèmes. Extraire un vers de son contexte n’a pas tellement de sens pour moi. Ton parfum préféré chez une femme ? Celui qu'elle porte. La qualité que tu détestes chez une femme ? La féminismité Qu’as-tu été capable de faire par amour ? 24 années de mariage représentent le début d’une certaine capacité, non ? À quoi as-tu renoncé ? Au pastis et au whisky. Qu’attends-tu de tes amis ? Qu’ils m’attendent quand je suis en retard. Ta qualité préférée chez une boisson ? La fidélité. Le rêve que tu n’aimerais pas réaliser ? Réaliser un rêve. La qualité, le don qu’on ne t’a jamais reconnu ? Un bonus malus à 0 depuis plus de 20 ans. Le microbe, virus ou autre micro-organisme dans lequel tu aimerais te réincarner ? Le néant. Si tu pouvais te téléporter dans le temps, ce serait pour assister à quel événement, rectifier quel point d’histoire ? Empêcher le big bang ? Sur un île, tu emporterais quoi en priorité ? Si l’île est déserte, la recette de l’éternité. Si elle ne l’est pas, un bateau. Ton dernier aphorisme ? « Un âne peut vivre jusque 40 ans ? FAUX ! Je vais sur 46. »

Pour te cerner davantage, voici un portrait chinois réducteur de questions. Si tu étais...

Un animal en voie de disparition ? L’honnête homme. Un personnage de conte de fée ? Simplet. Un phénomène surnaturel ? Un lever de Terre vu du Soleil. Une formule d’impolitesse ? Veuillez agréer, etc. (tel quel) Un souvenir d’enfance ? Ma journée d’hier. Un plaisir inavouable ? Garder un secret. Un artiste surestimé ? Amélie ? Une émotion brève ? La rancune. Une grosse bêtise ? Ma naissance. Un disque rayé ? Metal Machine Music, de Lou Reed. Un supplice ? Les œuvres complètes de Victor Hugo (ou de quelques autres). Une mode ? Le tract surréaliste à la Marcel Mariën. Un mot ? Rien.

Enfin, je pense qu’on peut donner l’adresse e-mail de la revue Microbe pour les auteurs de textes en vers ou en prose mais courts, faut-il préciser...

Oui, un texte doit tenir sur une page A6 en Times new roman corps 10 (pas plus petit ou plus grand). L’adresse e-mail est la suivante : rvmicrobe@yahoo.fr [On peut lire la critique de JIVAROSSERIES dans le forum des livres : http://www.critiqueslibres.com/i.php/forum/sujet/1209 ]

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