Jean-Pierre Luminet par Jules, le 24 avril 2003

Jean-Pierre Luminet est astrophysicien à l’Observatoire de Paris et directeur de recherches au C.N.R.S. Sa renommée est internationale et c'est en reconnaissance de ses travaux que la communauté des astronomes a donné son nom à un astéroïde découvert en 1991.

Ce qui m’a le plus frappé dans votre ouvrage, c’est cette capacité de jouer avec le temps comme avec les distances. Vous parlez en millions ou milliards d’années comme en milliers ou millions de kilomètres. Le petit être humain que nous sommes est bien loin de ces unités de mesures !

C’est exact, l’homme que nous sommes a une unité qui a tendance à se ramener à la durée de sa vie, de celle de ses enfants et petits-enfants. Il faut y ajouter celle de ses parents et grands-parents, s’il a suffisamment connu ces derniers. Tout cela nous ramène à ce que cet homme pense sur une période qui, en tout, fait un peu plus de 150 ans. Dans mon domaine de recherche, il est évident qu’il en va tout autrement ! L’histoire des planètes, astéroïdes, météorites et autres est en perpétuelle évolution car les engins de mesure et de vue évoluent à une vitesse gigantesque. Nos connaissances suivent évidemment ce rythme. Depuis toujours les hommes ont été fascinés par le ciel et les astres, les anciens grecs faisaient déjà des calculs mais il faudra attendre Galilée et Newton pour enregistrer les premières découvertes majeures. Arrive alors Einstein avec la théorie de la relativité et cela va se succéder à un rythme de plus en plus rapide.

Vous nous parlez d’un astéroïde dénommé " Toutatis " qui devrait frôler la terre en 2004… C’est quoi " frôler " pour vous ?

On estime qu’il devrait passer à environ 1.556.000 km de la terre…

Voilà qui me semble rassurant, vu que sur une telle distance, il doit bien exister une certaine marge d’erreur… Mais ces astéroïdes ne sont pas que dangereux, ils pourraient, selon vous, nous être utiles.

En effet ! Certains de ceux-ci ont des ressources minières, de l’eau, du carbone, de l’azote… Ils pourraient donc éventuellement un jour nous servir de bases spatiales pour nous approcher du soleil. Il y a notamment des astéroïdes icebergs dont nous pourrions faire fondre la glace et qui nous donneraient de l’hydrogène et de l’oxygène. Cela nous permettrait de nous ravitailler en carburant sur la route de Mars et au-delà…

Parlons un peu maintenant des trois scénarios " catastrophes " imaginés par l’American Institute of Aeronautics and Astronautics…

Bon ! Le premier concernerait la chute sur la planète terre d’un objet d’environ 50 mètres de diamètre d’ici 20 à 30 ans. Il y aurait moyen de détourner ce bloc de sa trajectoire grâce aux engins spatiaux à moteurs ioniques qui seraient lancés par des fusées conventionnelles. Les chances de succès sont considérées comme " bonnes "… Le deuxième concerne un objet de 1 à 2 kilomètres de diamètres prévu d’ici une vingtaine d’années. Le rapport envisagerait environ un milliard de victimes ! Mais ici aussi on envisage une solution qui consisterait à envoyer des charges nucléaires, mais il faudrait construire vite un nouveau système de lanceurs pour les amener à destination. La dernière, ce serait carrément l’Apocalypse ! Ce serait une comète de 5 km qui foncerait sur la terre. Nos chances de pouvoir faire quelque chose sont qualifiées de " faibles " malgré que cette comète serait détectée environ deux ans à l’avance. Je ne vous cache pas que c’est le grand défi de notre époque que de tenter de comprendre la nature exacte des mécanismes qui régissent le " ballet planétaire"

Racontez-nous un peu ce qui est arrivé aux dinosaures ?

Une équipe de géologues découvre en 1978 en Italie des terrains contenant beaucoup d’iridium. Celui-ci est un métal du même type que le platine. Ce métal est rare sur la terre, mais 10.000 fois plus abondant dans les astéroïdes et les météorites. La couche d’argile dans laquelle est concentré l’iridium trouvé date de 65 millions d’années. Or cette époque correspond à la fin du paléontologique, début du Crétacé. C’est cette période qui a vu les derniers instants des dinosaures. Après, va débuter l’ère tertiaire qui a inauguré l’ère des mammifères, c’est à dire nous..

Et qu’est ce qui est arrivé aux dinosaures ?…

Les chercheurs émettent l’hypothèse d’une chute de météorites, responsable de la quantité d’iridium trouvée, qui aurait exterminé les dinosaures. Celle-ci aurait eu un diamètre d’environ 10 km et aurait creusé un cratère de 150 km de large et projeté dans l’atmosphère cent mille milliards de tonnes de poussière. Les débris en suspension dans l’air auraient masqué la lumière du soleil pendant des mois. La terre plongée dans un hiver sombre et glacial !… Plus de photosynthèse et donc plus de nourriture pour les dinosaures.

Cela pourrait donc arriver à nouveau…

Cela arrivera, mais quand ? Tout cela fait partie de l’évolution. La destruction de la terre est une chose, des disparitions d’espèces remplacées par d’autres espèces est encore une autre histoire. Il fallait que les dinosaures disparaissent pour que les mammifères, et donc l’homme, apparaissent et se développent. C’est cela l’évolution. Il me semblerait étonnant que notre tour de disparaître ne vienne pas pour laisser la place à un autre type de créature.

Penser à cela rend notre ego un peu ridicule. Qu’est ce que c’est que d’avoir été Alexandre le Grand, César, Napoléon, Molière, Racine, et bien d’autres grands noms d’aujourd’hui et d’avant ?… Alors que l’ensemble de notre espèce, plus ou moins développée, ne représentera que bien peu de choses dans l’immensité du temps… Qui pensera encore à eux, qui connaîtra encore leurs exploits ?…

Il faut tout simplement espérer qu’une nouvelle espèce sera un jour capable de comprendre et déchiffrer notre civilisation comme nous avons pu étudier l’époque des dinosaures…


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