Patrick Declerck par Dada, le 6 août 2002

Patrick Declerck, né à Bruxelles le 18 novembre 1953, philosophe de formation, docteur en anthropologie de l'Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales, est psychanalyste, membre affilié de la Société psychanalytique de Paris.

Comment en êtes-vous arrivé à vous occuper de cette population ? Pourquoi les clochards?

On ne va pas dans un terrain comme celui-là sans avoir un échos personnel. Il y a donc d’une part, une volonté de décrire et de s’interroger sur les limites de l’humain - ce qui est un projet philosophique - et d’autre part, il y a le fait que je suis moi-même apatride : je suis né en Belgique, j’ai vécu dans une douzaine de pays et maintenant je vis en France, mais je pourrais vivre ailleurs, et donc j’ai le sentiment, moi-même, d’être assez peu inscrit dans un ordre social ; j’ai probablement une sensibilité particulière à ces gens qui eux ne sont véritablement inscrits nulle part. Donc, j’ai commencé à travailler auprès d’eux, d’abord comme anthropologue et ensuite comme psychanalyste. J’ai voulu que ce soit balisé, du moins en ce qui me concernait, parce qu’on est là dans un sale milieu qui est le néant, l’informe par excellence, donc il faut s’en protéger.

D’abord anthropologie avec observation participante. Il fallait donc vivre dans la rue, mendier, se faire ramasser par la police, aller dormir incognito dans les centres d’hébergement,… Je me suis rendu compte que j’avais à faire à une population qui était malade psychiquement et physiquement.

J’ai été co-fondateur des Missions France des Médecins du Monde et j’ai ouvert la première consultation d’écoute. Je suis passé d’anthropologue à soignant, et écoutant de leur souffrance psychique.

Tout cela plus le livre que je voulais dans Terre Humaine parce que ça me semble être le lieu d’une pensée carrefour et interdisciplinaire avec une liberté de ton qui était absolue. Ca fait près de 20 ans de travail.

Pourquoi écrire un livre là dessus ? Est-ce que vous aviez un message particulier à faire passer ?

J’ai mis 8 ans à écrire ce livre, j’ai mis 3 ans simplement pour trouver le ton car je voulais éviter les souvenirs du bon docteur ou le Traité de Sociologie, je voulais aussi éviter le piège de l’esthétique, du voyeurisme. Cela dit, cette longue écriture m’a permis de développer d’autres choses, d’écrire des histoires pour enfants, des nouvelles, qui j’espère vont être publiées dans un avenir relativement proche. J’ai pu explorer d’autres choses et, en fait, apprendre ce beau métier qu’est le métier d’écriture, qui est pour moi très difficile (ça demande un temps fou). Je pense que le premier objectif de l’écriture - et j’ai découvert cela au fur et à mesure de ce travail - c’est l’écriture elle-même, c’est ce qui est poursuivi en soi. C’était ma volonté de d’abord écrire pour écrire. J’ai commencé à travailler sur cette population en 1982, à une époque où elle intéressait très peu de monde et je suis devenu analyste, et je pouvais ainsi en même temps consulter et être anthropologue. Tout cela a fait de moi un témoin privilégié de diverses scènes, de diverses histoires, de divers vécus "extraordinaires" et j’ai voulu témoigner de cela, et j’ai voulu, dans ce livre, au fond, rendre hommage ou faire une stèle ou un cairn, à ces hommes qui laissent très peu de traces et dont la vie semble être faite tout de miettes.

Mais il y a quand même des messages que vous faites passer (en tout cas moi j’en ai vus, et je pense qu’il y en a pour les gens qui lisent ce livre)… vous parlez entre autres à la fin du livre du retour à la fonction asilaire, qui est peut-être une piste d’avenir, ou de redéfinir le contrat social ; et ça peut être compris comme des messages, mais alors à qui sont-ils destinés ?

Je pense que au-delà de cette volonté de témoigner ou d’écrire, ou de faire partager une expérience, il y a une volonté de critique ; critique de l’aide sociale et volonté d’exposer le sadisme social, la violence sociale dont sont victimes ces gens qui sont à la périphérie de la société. Je suis indéniablement de sensibilité anarchiste et je crois que la société est une forme d’organisation inévitable (je ne suis pas utopiste ou rêveur. On est là-dedans et on ne sait pas faire autrement que d’être là-dedans) mais en même temps, il faut être conscient et se protéger de la violence sociale sous-jacente, cachée, larvaire qui se révèle aux marges de la société. On voit très bien ce que la société offre à ces gens qui semblent la refuser (alors qu’ils ne refusent rien, ils sont simplement incapables de fonctionner dans le normal, on n’est pas dans le choix, mais ils "semblent" la refuser) l’alternative est très claire : soit ils ne vont pas vivoter mais crevoter dans la rue, avec des hébergements d’urgence ponctuels, etc., soit ils vont être mis au travail en passant ou non par une formation. Mais finalement, ceci est une exigence de fonctionnement de normalité très brutale. Et donc ce qui est vu comme une transgression, on le leur fait payer, éventuellement de leur vie.

Mais ne serait-il pas intéressant que votre livre éveille le projet d’une institution qui fonctionne autrement, au moins une qui serait le début d’une série…?

Ce n’est pas mon projet parce que je me connais suffisamment pour savoir que ce n’est pas ma tasse de thé de gérer une institution, ou de créer une institution, je suis un solitaire et je suis sur d’autres projets d’écriture. Je poursuis un projet intellectuel à travers ça qui est un questionnement d’anthropologie philosophique, ma réalité, c’est ça. La pente, la logique de mon existence c’est celle-là. Cela dit, je suis incapable de gérer quoi que ce soit ou de fonctionner très longtemps en équipe, en revanche si une telle association se créait, ce serait, je pense, une excellente chose. Je pense aussi que, autant ce livre est bien reçu, d’une part en étant un succès de librairie, d’autre part, par d’excellentes critiques des média (puisque c’est étonnant d’avoir la une de "Libé-Livre", ou d’autres), autant, mis à part Médecins du Monde, les associations caritatives sont muettes, les pouvoirs publics aussi, parce que ce livre est une critique radicale de leurs pratiques, des termes de l’échange, de ce qui est offert à ces gens. Donc, si les choses évoluent, elles n’évolueront que sous le poids de l’opinion publique mais elles ne se changeront pas toutes seules. Et donc c’est certainement un billard à deux bandes et si évolution il y a, cela passera par l’opinion publique.

Comme beaucoup de choses d’ailleurs…

Comme beaucoup de choses parce que je pense que le système est d’une inertie profonde mais en plus de ça, on touche là un point fondamental du contrat social qui est : "qu’est ce que la société m’offre, qu’est ce que la société est prête à financer, à tolérer ? Est-elle prête à laisser vivre des gens qui sont dans l’oisiveté ? Et au fond, jusqu’où la société est prête à tolérer la folie ? ". C’est une question fondamentale et qui soulève énormément de résistances.

Dans votre livre, on comprend qu’il y a différents niveaux de désocialisation (de la pauvreté à la grande désocialisation). Entre les deux, peut-on dire qu’il y a des niveaux à travers lesquels ces personnes bougent, évoluent ?

Il y a certainement un continuum entre la pauvreté, l’exclusion sociale, le chômage, et aussi l’exclusion culturelle — l’écrasement culturel — et cette forme extrême de désocialisation qu’est la clochardisation. Et là dedans, s’il est illusoire d’introduire des coupures radicales, on voit en revanche se développer des logiques et des pathologies de comportement, mais aussi des stratégies d’existence qui deviennent de plus en plus inadaptées, de plus en plus pathologiques. On est dans une pathologie croissante et j’ai choisi de parler des clochards pour désigner une population qui est la plus pathologique et la plus extrême de ce processus. Et pour les différencier des "sans abris" ou des "sans domicile fixe" qui sont des appellations purement négatives qui ne disent rien en soi de l’identité des sujets, le terme "clochard" a l’avantage relatif d’induire chez les uns et les autres cet ensemble de représentations d’hommes dans le relâchement, dans la saleté, etc., on voit très bien cette figure.

Ce qui m’a beaucoup interpellé dans ce que vous racontiez, est la place que prennent entre autres les immigrés de l’Europe de l’Est et leur potentielle violence… Ils profitent en quelques sortes de l’asile et de l’aide… N’y a-t-il pas de garde fou à ce niveau-là?

Un des problèmes de l’aide sociale, c’est que, plus on va dans la dégradation de l’être humain, plus il faut avoir des systèmes d’aide qui n’ont pas de portes, qui accueillent du monde, qui ont à permettre à tout le monde de rentrer ; donc on s’ouvre à un problème de dérive structurelle : d’autres populations moins pathologiques, plus costaudes, mieux organisées peuvent parasiter ces lieux et on assiste à ce moment-là par divers mécanismes à une exclusion - encore une ! - de gens auxquels cette aide était primitivement destinée. C’est ce que l’on constate à divers endroits et ça pose un certain nombre de problèmes d’autant plus que personne ne va dans des lieux d’hébergement pour le plaisir, mais bien parce qu’on en a plus ou moins besoin, on est plus ou moins en détresse, plus ou moins abîmé physiquement, plus ou moins en danger. Ca veut dire que ces populations migrantes, souvent sans papier, d’Europe de l’Est (bon, en même temps leurs besoins sont légitimes) posent un problème très difficile qui est celui de la légitimité de leur vie ici. Ce qui pose tout le problème de l’immigration, ce que les gens de gauche, ou de sensibilité de gauche, n’ont pas envie véritablement d’aborder, pour diverses raisons qui sont légitimes. Mais en attendant la situation se dégrade. Je n’ai pas particulièrement de réponse vis-à-vis de ça mais c’est un constat. Et il est certain qu’on est là face à, soit un laisser aller qui conduit à une mise à l’écart des plus pauvres et des plus fragiles parmi les fragiles, soit une décision politique qui sera de toute façon d’une relative brutalité et qui pose problème d’ailleurs dans les projets d’ouverture de l’Europe. C’est la question de l’afflux d’une population de pays structurellement plus pauvres avec ou sans contrôle, et, que l’on soit de droite ou de gauche ou qu’on ait envie ou non de se confronter à cette problématique d’une manière ou d’une autre on ne peut pas l’éviter, hélas.

Cette fameuse violence pose, pour moi, trois questions : celle du crime, celle de la sécurité et celle du sécuritaire. Par rapport à la question du crime, selon vous, est-ce qu’on pourrait faire un parallèle entre la question de la délinquance et un phénomène comme celui de la clochardisation? Plusieurs fois dans votre livre vous soulignez des similitudes, pensez-vous qu’on pourrait faire un parallèle par exemple au niveau étiologique?

C’est une question très difficile, … Dans les faits, on constate que beaucoup de clochards sont passés par la prison, pour des raisons qui restent souvent obscures, généralement petite délinquance ; dans tous les cas, la prison, l’hôpital, l’hôpital psychiatrique, l’asile de nuit sont des choses qui vont main dans la main. Ca fait partie du tableau très souvent. Mais je crois quand même que, d’une manière générale, la délinquance nécessite tout de même une certaine force du sujet - il faut poser des actes, des actes violents - et aussi être dans le projet ; je veux dire que, paradoxalement, la délinquance est encore une manière illégale ou dangereuse, une tentative de réaliser au moins une partie des objectifs de la normalité (c’est-à-dire être plus riche, avoir de l’argent, pouvoir acheter des choses — même si cet argent sert à se droguer), on est encore finalement dans une forme d’échange social et d’une manière ou d’une autre dans une tentative d’améliorer son propre sort. Tandis que le clochard, pour faire un raccourci, n’a plus la force d’être un délinquant, il n’en a ni la force ni l’intérêt parce que l’amélioration de son propre sort ne l’intéresse plus. Et donc, certes, il y a des actes délictueux, certes il y a des crimes, certes il y a des meurtres, parce qu’on est dans une population qui est massivement alcoolisée et qui est dans les psychotropes ou des choses comme ça, mais au fond on est dans des explosions de violence, dans des actes très ponctuels, mais pas dans des stratégies de délinquance. Cela se voit, en particulier vis-à-vis de certains toxicomanes. Une partie des héroïnomanes finissent clochards, on est là dans quelque chose qui demande une dépense énergétique immense (il faut voler beaucoup d’autoradios et de sacs de vieilles dames pour pouvoir gagner 10000 fb par jour (prix d’une dose)) donc à un moment ça s’épuise d’autant plus que le produit lui-même n’est pas très bon pour la santé… Et une partie des héroïnomanes passent à l’alcool, il y a une substitution des produits. Une partie des toxicomanes, en général, descendent vers l’alcool qui est beaucoup moins cher, dont on peut s’approvisionner pratiquement partout et qui permet à haute dose d’être au moins aussi défoncé mais l’alcool est toxique et c’est quelque chose d’extrêmement puissant et dont on ne dira jamais assez la toxicité. Et donc une partie de ces toxicomanes finissent par abandonner le produit et par se sevrer de l’héroïne, par exemple, tous seuls. En passant souvent par des phases de polytoxicomanies et ensuite de plus en plus à quelque chose qui se maintient avec de l’alcool.

Et que faire, par exemple, en cas de délinquance de clochard ? La prison n’est peut-être pas la plus adaptée ? Mais que faire ? Passer outre ?

J’ai travaillé en prison aux Etats-Unis, au Tenesse, dans des programmes d’échanges universitaires, dans une prison de haute sécurité ; j’ai donc une relative, une petite expérience dans ce milieu. Je pense que beaucoup de prisonniers que j’ai connus, au fond, cherchaient en partie à finir en prison. Probablement parce que la prison, paradoxalement, offre un certain contenant à leur angoisse. La prison est aussi un asile, un asile épouvantable mais c’est un asile. Et cela permet à une série de gens de s’y abriter d’eux-mêmes. Dans le cas des multi-récidivistes, la vie s’organise autour de la prison, et la prison est l’habitus. La question qui se pose alors est de savoir pourquoi ils ont besoin de la prison ? Probablement parce que la prison agit comme un obstacle entre eux-mêmes et eux-mêmes. Je ne défend pas les prisons qui sont des lieux d’horreur, mais n’empêche que ça rentre dans des stratégies d’organisation psychique. Je pense que certains clochards cherchent à aller en prison comme ils cherchent à aller en hôpital psychiatrique.

Et est-ce que, dans ce cas de figure, la prison équivaudrait à la même chose, pour eux, ou à des choses différentes ?

En tous cas, ça peut servir à se mettre en grilles, ça peut servir aussi à forcer une rupture de la dépendance vis-à-vis des drogues.

Bien que en prison c’est un endroit où beaucoup de drogues circulent…

Oui mais pas nécessairement l’alcool. Donc on est là dans quelque chose d’ambigu et il faut voir le rapport aux substances. Il y a des gens qui sont exclusivement, ou quasi, alcooliques (plus médicaments, car c’est toujours plus médicaments — anxiolytiques, antidépresseurs, etc.- qui leur sont prescrits, mais il y a aussi le marché noir). Toutefois, à la prison comme à l’hôpital, il y a toujours une température ambiante, qui fait qu’on ne meurt pas d’hypothermie et qu’on est nourri. Donc il y a probablement des stratégies de se réfugier en prison comme on le fait à l’hôpital.

Vous parlez également des clochards comme d’une "population imaginée dangereuse"…

Il y a toute une série de fantasmes. Quand j’ai commencé à travailler sur le terrain, mon premier contrat de recherche émanait de la RATP qui s’inquiétait des populations qui vivraient dans le métro. Et un des fantasme de la RATP et de la police, c’était qu’il y aurait des gens qui vivraient dans le métro, qui se livreraient à des trafics de drogues - comme si les clochards étaient riches - ou qui vendraient du matériel de construction mi-lourd de la RATP. Mais on est dans le fantasme le plus absurde, comme si un clochard allait aux puces de Saint-Ouin vendre une bétonneuse de la RATP ( !) ; mais on était là dedans. Et c’est en quelques sorte "grâce" à cela que j’ai eu accès à ce terrain, parce qu’ils voulaient savoir ce qu’il en était. Donc on est dans un fantasme de dangerosité qui est là de façon pérenne alors qu’il s’agit d’un population malade, qui est très faible et qui ne pose pas de problème de sécurité mis à part vis-à-vis d’eux-mêmes (quand ils urinent dans les couloirs de métro, ils se font renverser par des métros, ils se mettent alors en danger pour eux-mêmes).

Et si vous deviez décider de la prise en charge des clochards ? Et s’ils ne dépendaient pas du "sécuritaire-humanitaire" comme ça l’est maintenant, de quel domaine cette prise en charge dépendrait-elle ?

De la médecine, de la psychiatrie, de l’aide sociale. Quel est le critère ? Quand on voit des lieux comme Nanterre, c’est là que se trouve la solution. Quand on voit que de tels lieux peuvent être parasités par des jeunes migrants polonais ou ukrainien qui sortent physiquement les clochards et les jettent dans la rue. Il y a les ramassages du Samu Social (qui est une bonne idée, mais en même temps il faut être très prudent…), il y a des numéros qu’on peut appeler mais qui sont très longs à appeler car ils sont très occupés (et bien sûr ça marche beaucoup mieux si on a un portable, et si on a la force de téléphoner) c’est à dire que plus on est organisé, plus on a la chance d’être aider. Ca veut dire que le dispositif lui-même a tendance à favoriser l’inclusion de personnalités plus organisées que les plus clochardisés des clochardisés. On est là dans une perversion du dispositif. Le seul critère de sélection valable c’est la dangerosité physique pour le sujet, c’est à dire le risque. Encore faut-il une volonté politique, et pas seulement politique mais aussi musculaire de l’appliquer car on est en présence de populations qui sont en compétition pour un même lieu et il faut pouvoir assurer cette affaire. Mais cela me semble être le seul critère. La psychiatrie, dans son ensemble (il y a des exceptions), mais la psychiatrie se détourne des clochards ce sont des gens qui sont vus soit comme dépressifs, soit alcooliques,… mais dont le besoin d’abri au long court n’est pas du tout satisfait par la psychiatrie, qui veut de moins en moins traiter les fous, elle veut traiter des psychotiques ; et elle ne veut pas être asilaire. Et donc il y a là une démission scandaleuse de la psychiatrie dans son ensemble. Je crois aussi que l’antipsychiatrie et le mouvement de destruction des asiles, (qui était certainement une bonne chose, les asiles sont des institutions, comme on sait, qui ont tendance à devenir totalitaires …) mais en même temps on a jeté le bébé avec l’eau du bain, c’est à dire qu’on a démoli non seulement l’asile mais la fonction asilaire, ce qui n’est pas du tout la même chose. Il ne s’agit pas d’enfermer les gens (et c’était ça qui était épouvantable dans l’asile, c’était la privation de liberté qui permet évidemment tout les abus) mais si les gens peuvent se lever et partir, il y a beaucoup moins d’abus possibles. Je ne parle pas du tout d’enfermer quiconque, je parle de fonction asilaire qui offrirait la possibilité de pouvoir se mettre à l’abri si on le souhaite au long court et à durée indéterminée (ce qui est à mon avis un droit fondamental). Ce sont des choses tout à fait différentes mais que la psychiatrie ne veut pas entendre. Elle est fermée à ça car elle n’a aucune envie de se voir comme la gardienne de gens qui ne vont pas mieux… ce n’est pas gratifiant.

Je voulais vous demander si vous aviez trouvé une réponse à votre question "Y a-t-il une vie avant la mort?"

Pour moi oui parce que je ne me suis pas encore suicidé donc … OUI, pour moi, il y a une vie avant la mort mais je crois que l’intérêt des fous — et les clochards sont des fous — est, par leur existence même (ce n’est pas une volonté consciente de leur part), d’attirer notre attention sur le caractère peut-être structurellement invivable de leur vie. La grandeur de l’homme, de l’individu, c’est qu’il doit se trouver des raisons de vivre. Mais au fond poser cette question à la fin du livre, est pour moi un appel à l’individu : n’acceptons pas n’importe quelle solution toute faite que nous propose la société parce que ces solutions sont des faillites déficitaires, ce sont des manières de ne pas vivre sa vie. Je cite H.D. Torrow, qui disait "la plupart des hommes vivent une vie de désespoir à bas bruit". C’est cela qu’il faut absolument casser, c’est ça l’aliénation. Vivons vraiment une vie que l’on se choisit, le choix n’est pas absolu évidemment, il a des contraintes, mais faisons attention à notre propre individualité. Et je pense que dans la révolte inconsciente des clochards, il y a cet appel et ce questionnement c’est pour cela aussi qu’ils sont fascinants et attendrissants.


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