Jean Portes par Jules, le 23 juillet 2002

Jacques Portes est professeur à l'Université de Paris VIII où il enseigne l'histoire de l'Amérique du Nord. Mais il est aussi un spécialiste de la culture américaine et a écrit "De la scène à l'écran. Naissance de la culture de masse aux Etats-Unis."

Qu’est ce qui vous a fait écrire un livre sur Buffalo Bill ? Pourquoi sur lui et pas sur d’autres personnages célèbres de ce pays ?

Buffalo Bill, c’est une sorte de mythe moderne, un personnage qui a véritablement passionné des foules. Mais aussi, c’est un personnage qui n’est pas bien connu. Vous savez que dans un sondage récent un minuscule nombre de personnes ont su dire qui il était vraiment ? La grande majorité savait que c’était un personnage qui touchait à l’Ouest américain, mais sans pouvoir aucunement définir en quoi, ni quand ! Beaucoup ne savaient même pas si c’était une figure indienne ou américaine…

C’est vraiment étonnant alors qu’il a fait l’objet de tellement de bandes dessinées et qu’il a été présenté dans beaucoup de films.

C’est vrai, mais le Poney Express, les chasses aux bisons, cela n’est connu que des gens de notre génération. Ces BD et ces westerns avec John Wayne, Gary Cooper etc. font partie de notre génération et plus de celles d’aujourd’hui. Il en va de même des bandes dessinées. Notre vision de l’Ouest, à l’époque, n’a plus rien à voir avec celle que les gens en ont aujourd’hui.

Il est certain qu’on n’oserait plus, aujourd’hui, présenter de tels films, aussi caricaturaux et dans lesquels les Indiens étaient présentés comme de vrais sauvages…

Aujourd’hui, la sympathie va à l’Indien et plus à la cavalerie. Si nous, nous étions fascinés par Custer, Buffalo Bill et les courageux colons ou constructeurs des Chemins de Fer, ceux-ci sont aujourd’hui ressentis comme des envahisseurs. Les " bons " s’appellent Sitting Bull, Crazy Horse, Cochise et Geronimo. Il y a là un renversement complet de tendance qui provient de l’intérêt que nous avons maintenant pour les peuplades " authentiques ". S’il peut très bien se comprendre, il est parfois un rien excessif aussi. S "il est exact qu’il y a eu des atrocités commises par les blancs et qu’ils chassaient ce peuple de ses terres ancestrales, l’Indien était aussi très loin d’être un enfant de chœur ! Mais, à l’époque, la ruée vers l’Ouest était un mouvement considéré comme " un destin naturel ", un droit et presque un devoir des Américains. Alors, ils ont diabolisé les Indiens en insistant et aggravant d’ailleurs les atrocités qu’ils auraient commises. Tout cela était destiné à augmenter la haine des blancs contre eux et donc à justifier le comportement des autorités politiques et militaires américaines. Vous savez, j’ai été sidéré, un jour, en feuilletant un ancien numéro de " Libération " qui datait du temps de la guerre d’Algérie. J’y ai lu quasiment le même langage, la même diabolisation utilisée contre notre ennemi le FLN. La liste des tortures atroces qu’ils infligeaient à nos troupes était aussi longues et bien décrites. Toute guerre engendre sa propagande…

Il faut également se rendre compte que, dans les deux cas, il fallait donner à ces conflits un aspect racial et mettre en évidence la supériorité des blancs sur les Indiens.

La vie de Buffalo Bill, et celle de son père avant lui, se trouve assez mêlées avec l’histoire des Etats-Unis. C’est ce que vous montrez bien dans votre livre.

En effet. Isaac Cody, le père de Buffalo Bill, se battra avec courage pour que le Kansas ne devienne pas un état esclavagiste et son fils le soutiendra dans cette lutte alors qu’il n’est encore qu’un enfant. Plus tard, Buffalo Bill deviendra éclaireur, puis membre du Poney Express et participera donc très activement à la migration vers l’Ouest des populations du Nord. Il aidera également à la pénétration des nouveaux territoires par le chemin de fer en fournissant la viande de bison. Par contre, il est faux qu’il serait un des principaux responsables de l’extinction de ces animaux en Amérique. Ce responsable serait plutôt le général Sheridan, un des vainqueurs de la guerre de Sécession, mais aussi un des principaux généraux des guerres indiennes. Son idée était que pour exterminer les Indiens il fallait supprimer leur moyen principal de subsistance et celui-ci était le bison. En effet, il ne servait pas qu’à leur nourriture, mais aussi pour la confection des tipis et des vêtements. Buffalo Bill fit une guerre des plus calmes contre le Sud, puis participa comme éclaireur à certaines guerres indiennes, mais il n’avait pas de haine personnelle contre les Indiens. Il avait même un certain respect pour eux. Néanmoins il s’était engagé comme éclaireur volontaire à la suite de la défaite de Custer à Little Big Horn et participa à la capture de nombreux Indiens qui tentaient de rejoindre le chef sioux Sitting Bull vainqueur de Custer. Il est intéressant de souligner que même Sitting Bull, plus tard, a participé une année à son Wild West Show. Après cette année, il a décidé qu’il était temps pour lui de retrouver ses frères emprisonnés dans les réserves. Un peu plus tard il mourut assassiné au désespoir de Buffalo Bill.

Qu’est ce qui a donné l’idée à Buffalo Bill de créer un tel show et lui a fait croire que ce show pourrait rencontrer un tel succès ?

Vers la fin des années 1860, Buffalo Bill fit un séjour dans le Nord. Très vite il se rendit compte qu’il était connu là-bas. En effet, la presse avait publié de nombreuses photos de lui, grandissant ses exploits dans le but d’en faire une image glorieuse de l’Ouest. Le pouvoir voulait envoyer le trop plein d’immigrants des villes, alors surpeuplées, vers les nouveaux territoires. Il se rendit aussi compte que sa tenue d’éclaireur faisait fureur. Il faut dire qu’à côté des autres légendes de l’Ouest il s’exprimait plutôt bien et avait des manières des plus correctes.. Il comprend vite ce que cela pourrait représenter pour lui comme avantage. Il va alors monter un véritable spectacle de grand air dans lequel il va se mettre en scène. Les histoires ne tournent qu’autour de lui et des dangers de l’Ouest qu’il a affrontés. Une seule fois il jouera un rôle autre que le sien, ce sera celui de Custer à Little Big Horn. Au départ de son Wild West Show, il engagera de vrais cow-boys et de vrais indiens, mais il est bien entendu que personne ne se blesse vraiment dans ce spectacle, que l’on tire à blanc, que les chevaux et les bisons se relèvent. Le fait est que les foules viennent et qu’il ne donne jamais assez de représentations.

C’est alors qu’il décidera de traverser l’océan…

En effet, il se dira " Et pourquoi cela ne marcherait pas aussi en Europe ? " C’est Mark Twain qui lui aura aussi mis cette idée dans la tête. Il arrive en 1887 pour le Jubilé de la reine Victoria. Il faut savoir que celle-ci n’est plus sortie du château de Windsor depuis la mort de son mari….Elle entend l’énorme succès que rencontre le spectacle et demande enfin que Buffalo Bill vienne jouer pour elle à Windsor. Cela n’étant pas possible, Victoria va se rendre à une séance privée. Elle l’appréciera tellement qu’elle y reviendra avec sa cour. Puis ce sera Paris à Neuilly, puis il fera un grand nombre de pays au fils des années comme la Russie, retour à Londres et Paris, puis Rome, l’Espagne, la Hongrie, la Belgique etc. Partout le succès sera au rendez-vous, même s’il aura quelques soucis en Italie et en Espagne. Nous pourrions dire que c’est Buffalo Bill qui a réalisé le premier succès de masse pour la diffusion de la culture américaine. Le Wild West Show est aussi le plus grand spectacle en plein air jamais réalisé à l’époque. Il y avait une attaque de diligence, du dressage de chevaux, une chasse aux bisons, des luttes entre Indiens et cow-boys, une représentation de la fin de la bataille de Little Big Horn etc.

Que fait passer Buffalo Bill auprès des foules ?

Disons que ce spectacle offre plusieurs aspects. Il montre aux gens ce qu’a été la conquête de l’Ouest, car, à l’époque, elle était en grande partie terminée. Les blancs avaient vaincu les Indiens et ceux-ci étaient dans des réserves. Le spectateur n’y connaissait donc rien et ce spectacle lui en donnait une image au travers d’une épopée qui est celle de Buffalo Bill lui-même, personnage connu. Il faut aussi savoir que tout spectacle commençait par l’hymne américain et que les drapeaux de l’Union flottaient partout. On peut dire qu’il y un côté patriotique à ce spectacle. C’est la grande Amérique victorieuse et unie que l’on montre, celle qui a conquis les nouveaux territoires et vaincu les sauvages. Le fait est que les foules ont adoré cela et que ce sont des millions de personnes qui sont venues voir ce spectacle. Et pourtant les places étaient relativement chères… Malgré son succès, Buffalo Bill va finir par perdre son Wild West Show et devra, à la fin de sa vie, jouer comme un employé pour le compte d’un autre.


tophaut de page