José-Alain Fralon par Jules, le 16 juillet 2001

José-Alain Fralon est journaliste au journal " Le Monde " et a été correspondant de ce journal à Bruxelles pendant six ans, de 1985 à 1991.


Pourquoi ce livre sur le roi Baudouin ?
Parce que c’était un roi relativement secret et que donc les gens ne le connaissaient tout compte fait pas tellement bien. Or, il avait une personnalité indiscutable.

A lire votre livre, en effet, nous le découvrons sous un jour parfois étonnant. J’ai aussi apprécié la première partie du livre qui nous rappelle quels étaient ses prédécesseurs. Malgré que j’aie étudié cela au temps de l’université, on y apprend aussi pas mal de choses.
Léopold I et Leopold II étaient des rois à très forte personnalité. Ils ne se sont pas toujours gênés pour intervenir dans les affaires, pas directement, mais de façon certaine quand-même. Vous aurez aussi remarqué, surtout sous Léopold II, que la presse était beaucoup plus encline à attaquer le roi personnellement qu’elle n'oserait le faire aujourd’hui. On dirait un peu que votre royauté devient un peu un sujet " tabou ". Comme si vous aviez peur de remettre d’autres choses en cause en la critiquant…

Revenons-en à Baudouin. Vous nous le présentez comme un homme qui connaît assez peu la réalité de la vie.
C’est tout à fait vrai ! Il avait beaucoup d'amour pour son peuple, mais le connaissait tout compte fait assez mal. Il s'en est d’ailleurs rendu compte à la fin de sa vie et a voulu faire un effort en allant davantage vers lui. Mais il était déjà un homme assez fatigué. S'il a souvent regretté d'avoir dû accéder à ce poste, il tenait par contre beaucoup aux prérogatives que celui-ci lui donnait. Il n’aimait pas les partis politiques, mais il y avait des amis : comme Willy Claes, Guy Spitaels, Spaak et d'autres.

Vous nous présentez un Roi dont l’enfance a été des plus difficiles. Qui a aussi été assez peu instruit, qui est timide, n'aime pas parler en public (comme ses prédécesseurs) et qui pourtant ne manque pas de volonté, ni d’inimitiés…
Baudouin a gardé longtemps une très grande rancune aux gens qui avaient critiqué son père. Il ne prétendait pas les recevoir ni les saluer. Il pouvait être très têtu dans ces cas-là. Il a profondément souffert de la mort de sa mère et c’est ce qui a expliqué le rôle qu'a joué auprès de lui la princesse Liliane. Quant à parler en public, il n'y a jamais excellé, et son discours lors de l'accession du Congo à l’indépendance a été une catastrophe. Il pouvait être maladroit et, ce jour-là, il faut avouer qu’il l'a été. Il l'a aussi été quand, pour faire plaisir à la reine, il est allé déjeuner avec Franco. La presse socialiste en a fait un tollé ici en Belgique !

Cela m'a également choqué quand j’ai appris cela par votre livre. Par contre, quant à la reine, il semble qu'elle ait été un réel soutien pour lui dans les cas graves et je pense à la loi sur l’avortement.
La reine, malgré ses convictions personnelles, lui a clairement fait savoir qu'elle soutiendrait la décision qu’il estimerait devoir prendre. Elle ne pouvait pas être plus claire et plus solidement à ses côtés dans un moment très difficile…

Un autre moment plutôt difficile a dû être leur retour de voyage de noce, alors que Léopold III et la princesse Liliane avaient quitté Laeken sans les en avertir et en partant avec une très grande partie du mobilier ! C'est presque du " Clochemerle "…
C'est un épisode curieux, en effet. Partir avec les meubles !. Mais à qui étaient ces meubles ? À l'Etat, à la famille royale, à Léopold, à Baudouin ?…

Lors du décès du prince Charles et celui de Léopold, il y a eu menace de procès pour ces successions au sein de la famille. A mon étonnement, Albert II faisait partie des récalcitrants. Ce n'est pas l'image que j'ai de lui. Il m'a toujours semblé être un homme de bonne composition.
Je vous comprends, mais je n’en connais pas l'explication. C’est vrai que le roi Albert II est un homme plus proche de la vie réelle que ne l'était son frère. Il semblerait qu'il ait aussi moins souffert de la perte de sa mère. Et puis, il n'a pas été obligé de supporter le poids de toutes les responsabilités qu'a dû assumer Baudouin.

Il n’empêche que le roi Albert II semble beaucoup mieux connaître les Belges, le peuple et la vie des gens en général. Il a un côté beaucoup plus chaleureux aussi…
Mais c’est aussi un homme qui a eu une vie tout à fait différente. Une éducation plus libre, il trouve sa femme sans problème et elle est superbe, à en provoquer l'envie chez plusieurs. A peine marié, il a des enfants, il aime la vie et sait en profiter. Tout l'opposé de son frère ! Le mariage a posé de bien plus grands problèmes à Baudouin qui ne voyait pas comment trouver sa femme. Il n'osait en parler avec son père, pas plus avec la princesse Liliane, il n'avait pas d'amis, au contraire d’Albert.

Alors, ici, vient se placer cette incroyable histoire de cette sœur irlandaise, amie de Suenens.
Elle peut évidemment sembler incroyable à beaucoup ! Parce que, en général, les hommes n'ont pas ce genre de problème. Baudouin est une exception dans ce domaine… Les autres rencontrent leur femme dans la vie courante, par la famille, par des amis, par le travail, par le sport. Ici rien de tout cela ! Alors, en désespoir de cause et après le mariage de son frère, le roi va voir la seule personne en qui il a confiance et dont il espère avoir de l’aide. Comme il est très croyant, il se tourne vers Suenens qu’il apprécie beaucoup. Et voilà.

Quelles que soient les raisons du roi , je n’arrive quand-même pas à comprendre que Suenens ait publié toute cette histoire dans ses mémoires ! J'estime qu'il n’avait pas à faire cela ! Un ami garde ses secrets, il ne les publie pas !…
Selon moi, je pense que Suenens a publié cela dans ses mémoires parce qu’il s'est dit que c'était sans doute sa dernière possibilité de pouvoir aider le mouvement de la Vierge Marie et du charismatisme en Belgique. Je ne vois pas d'autres motifs à cette publication.

Reste encore cette funeste erreur du roi à propos du conflit au Rwanda. Il me semble inimaginable qu’un homme aussi sincère que lui ait cédé en conscience !
Certainement pas ! Je suis bien d’accord avec vous, mais il n’empêche qu'il est intervenu personnellement pour que la Belgique n'envoie pas de troupes là-bas, alors qu’elles auraient pu éviter pas mal de choses. Il était convaincu que le nouveau chef de l’Etat, Hutu, était un homme de bonne foi, car il le connaissait, étant lui aussi un membre assidu du mouvement charismatique.

Les derniers mots écrits par le roi sont terriblement émouvants, un peu naïfs aussi et révélateurs.
Oui. Il parle à sa mère, dit qu’il va venir la rejoindre aux cieux, qu'il est fatigué. C'était un homme profondément catholique, à la différence de ses prédécesseurs, et cette foi lui venait sans doute aussi de cette enfance difficile qu’il a eue, de sa solitude. La reine Fabiola ne pouvait qu'aider à l'y pousser aussi, s’il en était besoin !.

Ce livre, qui vaut vraiment la peine d’être lu, nous montre un Roi, parfois maladroit et têtu, mais toujours honnête et convaincu. Par les temps qui courent c’est déjà quelque chose.


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